A la fin du XIXe siècle et au début du XXe, le Manuel du Docteur Dehaut sera publié et réédité à de nombreuses reprises. Il a le mérite de représenter l’état d’esprit des médecins et pharmaciens au tournant du XXe siècle, en particulier dans le domaine des spécialités pharmaceutiques. C’est pourquoi nous allons feuilleter cet ouvrage dans son édition de 1902 (la 24ème édition!) et de 1925 (29ème édition) qui se composent, comme les précédentes, de trois parties. La première explique « tout ce qui regarde la production des maladies et le système qui convient le mieux, en général, pour les traiter » ; la seconde partie « se compose d’articles nombreux sur tous les cas d’accidents, de maladie, d’hygiène et de pharmacie qui peuvent être expliqués utilement à des personnes peu instruire » ; enfin, la troisième partie concerne des « notices explicatives sur les médicaments spéciaux les plus universellement connus ». C’est surtout à cette dernière partie que nous allons nous intéresser. Les illustrations choisies sont quelques unes des publicités utilisées pour ces produits au XIXe ou XXe siècles.
Le Docteur Dehaut avait lui même développé un produit purgatif, car disait-il, « les purgatifs étaient capables de guérir la plupart des affections chroniques abandonnées comme incurables par les médecins ». Pour lui, les malades avaient le sang « rempli d’humeurs » qu’il fallait éliminer grâce à son purgatif, les pilules Dehaut, à prendre au cours d’un repas par jour. Pour ce qui concerne les spécialités pharmaceutiques, Dehaut, dès son édition des années 18601, montre l’intérêt de ces produits préparés industriellement.
Il précise d’abord un certain nombre de points concernant les producteurs : En pharmacie, le spécialiste est celui qui organise son laboratoire de manière à fabriquer, en grand, une préparation dont l’usage est très fréquent, et dont la manipulation présente des difficultés.
Lorsqu’une spécialité pharmaceutique a acquis une renommée universelle, on peut être certain qu’aucun pharmacien n’est en état de préparer ce remède avec la même perfection, et en voici les raisons : Pour fabriquer en grand, il faut avoir un outillage spécial ordinairement très couteux à établir ; les ouvriers fabriquant toujours le même produit, acquièrent une habileté qui ne peut venir que de la pratique ; la mise en oeuvre de grande quantités de matières premières permet de faire des approvisionnements importants en s’adressant aux sources mêmes, ce qui permet de choisir les produits les plus parfaits, tout en payant moins cher. » Il recommande dont d’acheter plutôt les spécialités en choisissant les entreprises de qualité.
Avant de regarder la longue liste des médicaments décrits par le docteur Duhaut, ce dernier donne un « avertissement » de plusieurs pages. Il insiste sur les risques de la contrefaçon qui souvent est associée à une mauvaise qualité des médicaments.
Il cite par exemple un problème dont a été victime les hôpitaux de Paris qui se rendirent compte au bout de deux ans que le sulfate de quinine qu’ils avaient acheté était de mauvaise qualité. Il en conclut : « Si de tels faits ont pu se passer dans les hôpitaux de Paris, vantés avec raison pour leur bonne tenue, que ne trouverait-on pas, si on pouvait analyser le sulfate de quinine livré par la plupart des droguistes à des pharmaciens qui ne font pas cette analyse ! »
Pour Duhaut, il est donc essentiel de se fournir des spécialités auprès de maisons sérieuses. « Il ne faut pas se laisser séduire, dit-il, par les belles paroles de certains pharmaciens, qui essaient de vous persuader que leurs imitations sont tout aussi bonnes , et même meilleures, que les produits vrais que vous leur demandez ».
La liste des spécialités décrites par le docteur Duhaut est très longue : près de 50 produits (tableau ci-dessous) que nous allons étudier en partie, en renvoyant à des textes plus complets se trouvant sur notre site (en cliquant sur les liens associés aux produits). Parmi ceux-ci, certains sont très connus comme le Quinium Labarraque, le sinapisme Rigollot, les pâtes Regnauld, le Charbon de Belloc ou encore les Pilules de Blancard.
D’autres les sont moins comme les perles du docteur Clertan. Ce dernier avait imaginer la fabrication de petites capsules de gélatine pour y inclure des substances volatiles comme le chloroforme, l’éther ou l’essence de térébenthine utilisés à l’époque comme médicaments internes. La Gazette hebdomadaire de médecine et de chirurgie du 3 mai 1889 fait état de l’approbation de l’Académie de médecine pour cette invention et indique que les médecins pourront désormais prescrire sans difficulté des substances volatiles ou désagréables : L’iodoforme, la Créosote, la Valériane, le Castoréum, l’Assa foetida, tous les sels de Quinine, etc., utilisés dans des pathologies très variées. Il est également précisé que c’est la Maison Frère qui est propriétaire de la marque et des procédés du docteur Clertan, et qu’à ce titre, elle a reçu « les plus hautes récompenses, Médailles d’or uniques, décernées aux produits pharmaceutiques aux Expositions universelles de Paris (1878), et de l’étranger, Amsterdam (1883), Sydney (1888). »On trouve le même type de renseignement dans L’Union médicale : journal des intérêts scientifiques et pratiques, moraux et professionnels du corps médical de 1860, qui ajoutait : « Les Perles du docteur Clertan ne se délivrent qu’en flacons contenant Chacun trente perles et sous la garantie de son cachet et de sa signature. Au Dépôt, à la Pharmacie, rue Caumartin, n° 45, ainsi que dans la plupart des Pharmacies de la province et de l’étranger. »
Un autre produit moins connu est également un procédé galénique : les médicaments granulés de Mentel.
Pour les médicaments d’un goût désagréable, Mentel mélangeait à parties égales la substance médicamenteuse et du sucre pour fabriquer des petites dragées facile à avaler.
Il avait ainsi créé des granulés de sous-nitrate de bismuth, de magnésie, de bromure de potassium, de rhubarbe ou encore de kousso. C’était également un produit de la Maison Frère, 19 rue Jacob à Paris.
Ce n’est pas le seul produit présenté qui met en valeur un forme galénique particulière. On trouve ainsi les capsules vides de De Huby qui sont des capsules « composées de deux petits tubes très bien confectionnés, en gélatine mince, fermés par un bout et s’emboitant l’un dans l’autre, comme des étuis à aiguilles. Elles ont été inventées pour rendre facile la prise de beaucoup de médicaments dont l’odeur et la saveur sont désagréables, comme la rhubarbe, l’aloès, le quinquina, la magnésie, le semen-contra, le sulfate de quinine, diverses poudres composées, etc. »
Le docteur Duhaut décrit également les sels effervescents de Le Perdriel : « On donne cette forme à un certain nombre de médicaments qui se prennent habituellement en solution dans l’eau, et on le fait dans le but de les rendre à la fois moins désagréables à prendre, et plus faciles à tolérer pour l’estomac. Presque tous les sels employés en médecine peuvent recevoir cette forme, que beaucoup de médecins considèrent comme un perfectionnement notable. » Le Perdriel proposait cette forme pharmaceutique pour les sels de fer, les sels de Vichy, les sels purgatifs effervescents et les sels de Lithine. C’est sur ces derniers qu’insiste le Dr Duhaut, car la Lithine permet de « rendre très soluble l’acide urique ».
Une autre produit vanté par Duhaut concerne l’huile de foie de Morue de Berthé, préparé également par la Maison Frère, et approuvé par l’Académie de médecine. Berthé était pharmacien, lauréat des hôpitaux de Paris, et avait fait une étude spéciale des huiles de foie de morue. Il en était arrivé à la conclusion que « l’huile brune, naturelle, obtenue sans expression par simple écoulement des foies frais et plongés dans un bain-marie chauffé à la vapeur était une fois plus riche en principes médicamenteux, iode, phosphore, etc. »
Bouchardat, dans son Formulaire de 1885, considérait ce produit comme « aussi efficace que les meilleures huiles de Terre-Neuve et bien des fois préférables, parce que sa saveur n’a rien de répugnant » .
Est également moins connue la poudre de Rogé, ainsi que sa limonade purgative. Il s’agissait pour l’inventeur, de proposer un produits susceptible de remplacer les eaux minérales purgatives, sur la base de citrate de magnésie. Pour garantir une bonne conservation, il mit, « à l’état de poudre, tous les éléments qui composent le remède, moins l’eau ». Il conclut : ce n’est donc pas la limonade purgative qu’il faut demander dans les pharmacies, mais la vraie poudre de Rogé, avec laquelle on fait, soi-même, le liquide agréable qui a été approuvé par l’Académie de médecine ». C’est toujours au 19 rue Jacob qu’on peut acheter le produit et donc chez la Maison Frère.
Parmi les produits moins connus, on trouve la Semoule de Mouriès et l’Ostéine, de même que la Semouline inventé par les RR. PP. Trappistes du Port-du-Salut. Concernant la Semoule de Mouriès, ce dernier avait créé « une combinaison du phosphate retiré des os avec le principe albumineux des oeufs ».
Quant à la Semouline, Dehaut indique que, s’inspirant des travaux récents de chimistes et de médecins distingués, les Trappistes ont composé un aliment qui renferme les principes nécessaires à l’économie, en quantité plus grande que celle qui se trouve normalement dans les aliments ordinaires. »
Un autre produit du Manuel est peu connu : le papier Wlinsi. Il s’agit d’un révulsif qui « provoque à la peau une douleur volontaire, pour apaiser une souffrance interne ». Dehaut le classe parmi les « révulsifs à action lente, mais prolongée » où on trouve également les vésicatoires volants, l’huile de croton, l’emplâtre de thapsia et l’emplâtre du pauvre homme.
On trouve également dans le Manuel Déhaut quelques produits qu’on qualifierait aujourd’hui de « dispositifs médicaux » comme les bas et les pharmacies portatives de Le Perdriel, ou le pulvérisateur de Marinier.
Ce dernier est longuement décrit dans l’ouvrage où Dehaut précise que le liquide pulvérisé peut être de l’eau mais aussi « toutes sortes de liquides contenant des substances médicamenteuses, des eaux minérales, sulfureuses ou autres ». Il indique aussi que le pulvérisateur Marinier est à la fois irrigateur et pulvérisateur et qu’il se distingue « par un autre avantage tout spécial : il peut s’adapter à toute espèce de flacon et, par le changement d’une pièce mobile, il se transforme en un véritable clysoir des plus commodes, remplaçant tous les instruments de ce genre destinés aux injections et aux lavements… ».
Un autre « dispositif médical » avant l’heure est décrit par le Dr Duhaut : les « pois à cautères » de Le Perdriel. Il précise « qu’un cautère est une petite plaie artificielle que l’on établit en vue d’entretenir une suppuration active et continue. Le cautère diffère du vésicatoire à demeure, en ce que celui-ci entretient une suppuration superficielle, tandis que le cautère traverse la peau et attire l’humeur d’une certaine profondeur… Le Perdriel, dont l’ingéniosité s’est révélée dans tant d’inventions utiles, a imaginé de faire des pois élastiques, en se servant du caoutchouc. Ces pois sont souples ; ils ne blessent pas, et leur forme fonde se conserve lorsqu’ils se gonflent dans la plaie. Mais ce n’est pas tout. En mélangeant au caoutchouc de la poudre de guimauve, on rend les pois plus émollients ; en y mélangeant de la poudre de garou, on les rend suppuratifs au degré voulu ; en y incorporant d’autres substances, on leur communique les propriétés qu’on désire, selon les circonstances. »
Il faut aussi signaler le « taffetas vulnéraire de Marinier »: « Dans cette préparation, la toile est remplacée par de la baudruche, et la gélatine par une matière souple et très adhésive. Le taffetas Marinier est un véritable épiderme factice, protégeant parfaitement les surfaces écorchées, coupées, froissées ou brûlées, sur lesquelles il adhère sans causer de raideur, en leur laissant toute leur souplesse. »
Parmi les produits très en vogue au début du XXe siècle, on trouve les cigares et cigarettes à usage thérapeutique. Un bel exemple nous est donné par le Dr Duhaut avec les papiers et cigarettes antiasthmatiques de Barral : « Mettant à profit tous les perfectionnements apportés depuis trente ans à cette manière de traiter l’asthme et les maladies dans lesquelles l’oppression nerveuse domine, M. Barral a réussi à préparer un papier et des cigarettes dont l’efficacité est journellement constatée par de nombreux médecins. Toutes les fois que le système nerveux est pour quelque chose dans la difficulté de respirer, on a de grande chances d’obtenir un soulagement rapide par l’emploi de ce moyen. »
Dans l’édition de 1925, le Manuel Dehaut donne des informations sur d’autres spécialités, pour la plupart peu connues, comme, par exemple, l’Albuvore, destiné à traiter l’albuminurie, ou le Diabephobe pour le traitement du diabète sucré.
On peut lire également une longue notice sur le Pneumocratol destiné au traitement de la tuberculose. Le sirop Follet, à base de chloral, fait également partie des produits ajoutés dans l’édition de 1925. C’est encore un produit de la Maison Frère. Comme l’indique le Dr Dehaut, « en supprimant la douleur, le chloral procure un sommeil calme et réparateur, sans laisser, au réveil, aucun des inconvénients qui surviennent le plus souvent après l’emploi des préparations opiacées ».
Produits additionnels décrits par le docteur Duhaut (1925) (Pour les produits soulignés, vous trouverez une description détaillée, principalement à partir du Manuel de Duhaut) |
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Albuvore | Lithines français Eve |
Audigénine | Neol Bottu |
Autoplasme | Omagil |
Rhinocapsules de Leniforme | Pancréatine et Peptone Defresne |
Diabéphobe | Pneumocratol |
Elixir et sirop Balsamo-diurétique ADEL | Sirop Cutos |
Grippecure | Sirop de Follet au Chloral |
Dentol | Elixir de Virginie-Nyrdhal |
- Nous disposons sur Gallica de la 10° édition du Manuel de Dehaut, de 1863, dont le texte est quasiment le même que dans la 24ème édition. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k5808069d.r=manuel%20du%20docteur%20DEHAUT?rk=21459;2