illus014

Le Courrier d’Epidaure. Revue Médico-littéraire 1934(2)

Lors d’une première exposition, nous avons examiné le Courrier d’Epidaure de 1934 (janvier-février) mais sans épuiser le sujet tant cette revue était riche en informations. Cette revue publiée par les Laboratoires Corbières paraissait dix fois par an, en tout cas en 1934, à raison d’une soixantaine de pages par mois ! Nous allons examiner ici les deux numéros suivants : ceux de mars et avril 1934.

Dans l’édition de mars, on peut lire un chapitre intitulé « curiosités naturelles telles qu’on les rapportait au XVIIIe siècle ». Henri Allorge y évoque les anthropolithes, qui sont ce « qu’on appelait jadis les ossements humains fossiles » mais terme qui, par extension, s’applique aux pierres diverses qui se trouvent imiter certains organes du corps humain. C’est par exemple le cas des lithocardites et des bucardites, c’est à dire des pierres qui ont la forme d’un coeur, mais aussi des encéphaloïdes ou encéphalithes qui imitent le cerveau.

L’auteur s’intéresse aussi aux plantes singulières, comme les légumes décrits dans le « Journal des savans » en 1677/1678 : un navet avec une figure de femme assise sur ses pieds et dont les fanes sont les cheveux, ébouriffés en panache ; ou ce champignon trouvé en 1661 par un paysan où six figures humaines sont dessinées (voir planche IV).

Henri Allorge évoque enfin les « hommes et les femmes marins » et les poissons anthropomorphes comme la carpe à figure humaine. Rondelet, un ami de Rabelais, raconte qu’une de ces carpes fut apportée vivante à Lyon sur un marché. En 1546, on présenta une carpe à figure humaine à Charles V, à Augsbourg, comme une merveille digne d’un empereur. Plus rare encore, le « poisson d’Amboise » ou « l’enfant de mer emmailloté » qui a deux mains jaunes et des couleurs variées pour le reste du corps. Quant aux tritons et aux sirènes, on raconte en 1430 dans les « Délices de la Hollande » la découverte d’une sirène trouvée dans la vase après une furieuse tempête. Elle fut gardée quelque temps à Harlem, « regrettant la mer où elle vivait auparavant et où, probablement, elle retournera ». Dans les Indes, près de l’île de Manar, en 1560, les pêcheurs prirent, d’un seul coup de filet, sept hommes marins (tritons) et sept femmes marins (sirènes). le 23 mai 1671, on vit, à la Martinique, sur les bords de l’île du Diamant, un triton très barbu et chevelu (voir Planche VII). Un procès-verbal fut dressé le 31 du même mois. L’auteur signale aussi que, pour faire contraste avec les tritons et les sirènes à queue de poisson, il y a des poissons à pieds humains, dont la femelle est appelée mermaid par les Anglais (remarque inexacte car ce terme désigne en fait les sirènes).

Un autre chapitre du Courrier d’Epidaure est consacré à la « Chimie de la Félicité : l’opium ». Pour l’auteur de cet article signé « Hypatia », c’est l’opiomanie qui « explique chez certains peuples d’Extrême-Orient ce surprenant mélange de courtoisie raffinée et de cruauté précoce et cette impossibilité d’atteindre la vraie civilisation, en dépit d’un sens artistique merveilleusement développé. » Il évoque aussi le fameux « Népenthès » utilisé par les Grecs de l’Iliade avant le combat pour perdre le sentiment du danger. Ce médicament magique donné à Hélène de Troie par les souverains égyptiens était peut-être de l’opium, d’autant que l’Egypte ancien possédait d’immenses cultures de pavots. Répandu dans le monde entier, il arriva en Chine où les empereurs tentèrent vainement une lutte contre son usage…

Sous le titre « un précurseur de la médecine moderne », Le Courrier d’Epidaure de 1934 s’intéresse au Comte de Saint-Germain à la cour de Louis XV. Il avait, disait-il, déjà vécu à la cour du roi François Ier. En tout cas, il racontait des faits remontant à cette époque, avec tant de détails et un tel accent de vérité qu’on ne doutait point qu’il n’en eut été témoin oculaire. On croyait qu’il possédait la recette de l’élixir de longue vie ». Ayant vu le premier piano installé au château de Bellevue construit par Louis XV pour Mme de Pompadour, le comte de Saint-Germain y joua ensuite une musique étranger, mais agréable. « De qui est-elle ? lui demanda-t-on. – Je l’ignore, répondit-il, tout ce que je puis dire, ajouta-t-il le plus sérieusement du monde, c’est que j’ai entendu exécuter cette marche militaire le jour de l’entrée d’Alexandre le Grand dans Babylone. »

Dessins de P. Jacob-Hians*

Autre sujet abordé par la Revue en 1934 : la recette de la pierre philosophale. On en donne ici une des recettes, celle de Ripley : « Il faut commencer au soleil couchant, lorsque le mari rouge et l’épouse blanche s’unissent dans l’esprit de vie pour vivre dans l’amour et dans la tranquillité, dans la proportion exacte d’eau et de terre. de l’occident, avance-toi à travers les ténèbres, vers le septentrion ; altère et dissous le mari et la femme entre l’hiver et le printemps… ». Henricus, auteur de cet article ajoute : « Sait-on que, d’après une vieille tradition, il existerait à Paris, un peu de cette précieuse matière… Elle est cachée dans un des piliers de Notre-Dame, édifice qui porte d’ailleurs, représentés, des emblèmes alchimiques. C’est dans un des piliers du choeur que l’évêque Guillaume de Paris, à qui l’on doit plusieurs sculptures du portail, aurait scellé une provision de la prodigieuse substance. Pour trouver ce pilier, il faut suivre le regard d’un corbeau qui orne l’une des trois portes; on peut ainsi déterminer l’endroit où se dissimule l’unique échantillon de la fameuse poudre au moyen de laquelle on peut réaliser la transmutation des métaux et préparer l’élixir de longue vie … ». L’auteur conclut en indiquant qu’il existe encore aujourd’hui des alchimistes et cite M. Jollivet-Castelot qui certifie avoir réalisé la transmutation des métaux. Il donne le procédé suivant : « J’ai fait un mélange intime de 6 grammes d’argent, rigoureusement exempt de toute trace d’or, de 2 grammes de soufre doré d’antimoine, d’un gramme d’orpiment et d’un gramme d’étain chimiquement purs et provenant des établissements Poulenc frères de Paris. J’ai traité ce mélange, comme de coutume, dans un creuset, au four à 1.100 degrés, durant une heure, puis j’ai traité le culot obtenu de la façon habituelle, c’est à dire par l’acide azotique et par l’eau régale. Les réactions de l’or ont été absolument nettes. »

 

 

 

 

 

Dessins de P. Jacob-Hians* paru en mars 1934 (Le Courrier d’Epidaure) et le tableau original à droite

 

 

 

 

 

 

 

Dessins de P. Jacob-Hians* d’après Rembrandt : la leçon d’anatomie du Dr Deyman.

En avril 1934, le journal s’intéresse aux drogues avec un chapitre « La chimie de la Félicité » axé cette fois sur le Coca et la cocaïne. L’auteur y explique l’histoire de la coca sur le Continent américain. Son usage immodéré conduisit à son interdiction au Concile de Lima en 1556, sans aucun résultat. On fit alors de la coca un monopole d’Etat fut fut rétrocédé en 1768 à des compagnies privées. Après avoir décrit les effets et les méfaits de la coca et de la cocaïne, l’article indique que l’on peut préparer du vin de coca et ainsi « marier l’alcoolisme au cocaïnisme… En certains lieux de Paris et de New-York, on emploi le champagne cocaïné. A Londres, ce sont les cigares à la cocaïne qui sont à la mode… » L’auteur, encore Hypatia, semble résigné quant à son utilisation :  » Il parait chimérique d’espérer voir l’usage de la cocaïne décroître dans les pays de haute civilisation. Son emploi, au demeurant, va de pair avec le plus cher désir des humains, qui est d’oublier leurs mornes soucis personnels auxquels viennent s’adjoindre les troubles économiques et sociaux. Ils veulent échapper, enfin, à tant de raisons douloureuses de trouver la vie irrémédiablement mauvaise… Qui oserait leur en faire reproche ? ».

Rembrandt : la leçon d’anatomie du Dr Deyman.

Autre sujet abordé dans ce numéro d’avril 1934 :les émeraudes de Ferand Cortez. Brandôme, dans son récit sur la vie de Charles-Quint, explique que Hernand Cortez rapporta une belle et incomparable perles Indes (Amérique) sur laquelle il fit graver ces mots : Inter natos mulierum non surrexit major (Entre les fils des femmes, il n’y a point de plus grand). mais il perdit cette pierre qui était en réalité une émeraude, devant Alger lors du naufrage de la flotte amenée par Charles-Quint devant la ville et soumise à une terrible tempête.

Tous les numéros du Courrier d’Epidaure s’intéressaient à l’histoire des provinces françaises, aux autopsies royales mais aussi aux informations littéraires et artistiques (ouvrages, pièces de théâtre, peintures…). Le numéro d’avril 1934 s’intéresse à Picasso et l’article concluait : « Picasso n’est pas un grand peintre, mais de son vivant il est un grand homme, une sorte de sorcier qui a charmé une époque et dont l’œuvre est belle à regarder .

Les numéros du Courrier d’Epidaure se terminaient par le « portefeuille des curieux », une sorte de fourre-tout consacré à des sujets très variés. En avril 1934, on peut y lire un article intitulé « Que vaut une femme ? ». L’auteur, Henricus, explique que cela dépend du point de vue : valeur physique, valeur morale, valeur artistique, valeur commerciale… « Parfois, les savants ont essayé d’évaluer scientifiquement la valeur commerciale du corps humain.

Le Clown et le singe, Picasso. Le Courrier d’Epidaure, 1934

C’est ainsi qu’un chimiste allemand, après avoir reproduit les résultats d’analyses minutieuses a conclu qu’un homme – ou une femme – pesant 80 kilos, fournirait, réduit à l’état gazeux, 93 mètres cubes de gaz divers, dont assez d’hydrogène pour gonfler un ballon ayant une force ascensionnelle de 70 kilos. En outre, il contient assez d’éléments chimiques pour fabriquer :  sept gros clous de fer, le phosphore de 800.000 allumettes, 13 livres de bougies, le carbone nécessaire pour faire une soixantaine de crayons… ».

Toujours à propos de valeur marchande, Henricus raconte l’histoire d’un procès en Roumanie où une femme avait été estimée à… cinq bouteilles de bière. « C’est pour ce prix qu’un certain Szabo Meughert avait vendu par contrat sa femme à l’un de ses amis, plus : 5 600 lei pour un champ qui constituait la dot de la femme vendue. »

*Remarque : Les dessins publiés dans le Courrier d’Epidaure en 1934 sont souvent de Jacob-Hians. Entre 1905 et 1940, Paul Jacob-Hians vit et travaille à Paris dans le quartier Montparnasse, au cœur de l’avant-garde artistique du début du 20ème siècle. Il y côtoie les plus grandes figures de l’art moderne et participe à des expositions collectives au côté de Picasso, Modigliani, Delaunay, Foujita, Diego Rivera…

Tags: No tags

Comments are closed.