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Le Courrier d’Epidaure. Revue Médico-littéraire 1934(4)

Nous sommes à la quatrième étape de notre parcours de la Revue Médico-littéraire, le Courrier d’Epidaure, publié en 1934 par le laboratoire Corbière. Nous avons déjà examiné les 6 premiers mois de l’année 1934 et nous allons examiner les numéros 7 et 8 (juillet et octobre 1934).

En juillet de cette année-là, Pierre Mornand publie un article assez étonnant sur les « plantes fantastiques et arbres merveilleux, réellement vus et décrits par Maître Claude Duret ». Ce dernier né vers 1570 et décédé le 17 septembre 1611, Président à Moulins, en Bourbonnais, en 1605. C’était un grand ami d’Olivier de Serres. L’auteur évoque des arbres réels ou imaginaires comme l’arbre porte-vin ou l’arbre porte-eaux. Ce dernier arbre, magique et philanthrope, fut remarqué pour la première fois dans une des îles Canaries, nommée Île de Fer, ou Île Fortunée. Alors que la région est dépourvue d’eau, les habitants n’ont pas révélé aux Espagnols qui venaient les coloniser l’existence de cet arbre qui fournissait tous les insulaires en eau limpide et fraîche. Voici ce qu’on rapporte de cet arbre estrange et merveilleux. « Il distille incessamment, nous dit-on, grande quantité d’eau par ses feuilles, en telle abondance que non seulement ces eaux suffisent aux insulaires, mais encore pourraient fournir à un plus grand nombre de gens. » On note aussi un autre arbre, « l’Ananas mangeur de fer » qui poussait au Brésil, capable de dévorer un couteau en l’espace d’une nuit.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Parmi les autres arbres fantastiques, on en trouve capables de bien curieuses procréations, sorte de génération spontanée. « Si vous venez, dit Cardan, en son livre de la Variété des choses, à jeter une pièce de bois dans les eaux de la mer proche des Hébrides, il nait quelque temps après et provient dans iceluy bois des vers rongeurs » qui profitent tellement de la nourriture trouvée en ces branches, qu’il leur pousse aussitôt une tête, des pieds et des ailes; il leur pousse des plumes et ils deviennent enfin aussi gros et grands que « les oyes et canes communes ». Ce phénomène fut observé pour la première fois en 1490 par les habitants du château Petphège et tous les gens de la province de Butquhaine. Les témoins ravis d’un tel miracle portèrent la pièce de bois prodigieuse concernée au temple de St-André, du village de Tere, où on put longtemps l’admirer. Pierre Mornand poursuit : « En Ecosse, on découvre un arbre dont les fruits ont forme de canards ! Ils se développent lentement au soleil, des ailerons se dessinent sur la masse ovoïde, puis une tête, des pattes et, au moment de la maturité complète c’est un véritable canard qui pend à la branche, retenu seulement par le bec. Enfin, il se détache comme un fruit mûr et tombe. Si c’est la terre qui le reçoit, il meurt et ne tarde pas à mourir. S’il a le bonheur de tomber dans l’eau, il se met aussitôt à nager puis à prendre son vol.

Un autre article du Courrier d’Epidaure mérite d’être signalé : celui sur les prises de la Bastille. Car cette forteresse énorme, si imposante, déclarée imprenable grâce à ses remparts, à ses canons et à ses huit tours, a été prise plusieurs fois au cours des siècles. Elle avait porté plusieurs noms au fil des années : tour du Trésor, de la Chapelle, du Puits, de la Liberté !, de la Bertaudière, de la Bassinière, du Coin et de la Comté.

Dessin de Jacob-Hians en référence au portrait de François Ier par Cluet

Ce fut en 1413 qu’elle soutint son premier siège à l’occasion de la lutte féroce entre les Armagnacs (dont le chef était Bernard d’Armagnac) et les Bourguignons (avec Jean-sans-peur). Les deux partis à tour de rôle, s’emparèrent de la « forteresse imprenable ». Quelques années plus tard, la Bastille connut par deux fois sièges et capitulations en 1418. En 1436, quand le connétable de Richemont reprit la capitale pour Charles VII, les Anglais, avec lord Willoughby à leur tête, s’enfermèrent dans la forteresse et durent finalement se rendre. A la fin du XVIe siècle, les ligueurs possédaient la Bastille et du Bourg, nommé gouverneur, ne se rendit que trois jours après l’entrée d’Henri IV à Paris. Le 12 janvier 1640, la Bastille tomba au main des Frondeurs, après deux jours de siège; ils la gardèrent jusqu’en 1651. Détail curieux nous dit l’auteur de l’article, Henri Allorge, plusieurs années avant 1789, on avait décrété, en principe, la démolition de la fameuse prison d’État ; « si cette mesure avait été mise à exécution, la Révolution aurait perdu son plus brillant symbole et nous ne fêterions pas le 14 juillet, date de la dernière prise de la Bastille. »

Portrait original de François Ier par Cluet

Pour ce numéro de juin 1934, il faut lire ce article intitulé « Jusquiame, Belladone, Datura » dans la rubrique La Chimie de la Félicité. L’emploi de la Belladone et de la Jusquiame fut étroitement lié à la sorcellerie du moyen âge. « Des milliers de sorcières ont été brûlées vives uniquement parce qu’elles confondaient leurs hallucinations, nées de pommades et de vins à la jusquiame ou à la belladone, avec une réalité diabolique ». La jusquiame servait en Grèce à faire prophétiser. il est probable que les sorcières thessaliennes qui ont terrifié Rome en connaissaient aussi le maniement.

Le Datura Stramonium est entré dans l’histoire du monde par ce qui advint à Marc Antoine durant la guerre contre les Parthes (37-38 avant notre ère). Battu et humilié, le futur vaincu d’Actium vit ses troupes affamées manger des racines et des herbes inconnues, qui très vite leur apportèrent la démence. les légionnaires se mirent à retourner inlassablement les pierres de la route, sans savoir même ce qu’ils faisaient. Durant plusieurs siècles, on a pris pour des communications avec le monde diabolique les rêveries hallucinées des malheureux, qui avaient cherché une ivresse heureuse dans les solanées dont ils disposaient. Il existe d’autres « hallucinants » comme l’Hoopwodius en Australie, puissant narcotique créateur de phantasmes, et la Banisteria Kaapi, une liane américaine qui donne des hallucinations assez curieuses, dues à un alcaloïde spécifique, la Balesterine.

Le numéro d’octobre 1937 du Courrier d’Epidaure s’intéresse aux pèlerins de la Renaissance. Depuis le début du XVIe siècle, la France dans le sillage de François Ier, s’était élancé vers la terre d’Italie, et le berceau de l’Antiquité, Rome, était devenu le but de la curiosité de toutes les intelligences françaises. Trois ou quatre cent jeunes, selon La Noue, se rendaient chaque année en Italie, à l’image de Jacques-Auguste de Thou qui, après l’Italie, se rendit ensuite dans les Pays-Bas, puis à Bâle où il contempla les reliques d’Erasme. Par la suite, en visitant la France, il rencontra le maire de Bordeaux, Michel de Montaigne, qui lui aussi était un voyageur. Après une cure thermale à Plombières pour ses problèmes rénaux en septembre 1580, Montaigne traversa Bâle, Augsbourg, puis par Padoue et Venise, gagna Rome. Mais il semble que la sculpture et la peinture surtout n’est guère retenu son attention. Selon Émile Henriot, « les écrivains ne sont venus que très tardivement à s’intéresser à la peinture ». Parmi les pélerins de la Renaissance, Érasme de Rotterdam est le seul qui ai fait exception à cette règle. Il est à peu près certain qu’il visita au moins une fois l’atelier de Raphaël, quand il vint en Italie en 1506. Erasme rencontra plusieurs fois Albert Dürer qui lui-même voyagea beaucoup en Europe, en particulier en Italie : Rome, Florence, et Venise dont le soleil l’enthousiasma. Quelques années plus tard, Peter Brugel se mettait en route pour parcourir une partie de l’Europe, d’Anvers à Paris par Bruxelles et Cambrai, et de Paris à Milan. Ainsi, conclut Georges Barraud, l’auteur de l’article, « à travers l’Europe du XVIe siècle, les esprits les plus distingués partaient de tous les centres intellectuels, comme de véritables pèlerins, pour se jeter sur les chemins les plus variés, mais qui tous aboutissaient à Rome, source de toute Science, où venaient se désaltérer ces grands Humanistes. »

Autre article d’octobre 1937 : celui sur le « Décampativos ». On se livrait à ce jeu à Versailles du tant de Marie-Antoinette. Ce n’est qu’une déformation d’escampativo, qui vient du patois méridional : escampa, s’échapper, et signifie escapade. OPn trouve cette expression dans Molière : George Dandin s’écrie : « Ah ! je vous y prends donc, Madame ma femme, et vous faites des escampatinos, pendant que je dors ». « On s’y livrait, les soirs d’été, quand les ombres vespérales avaient fait tomber leurs voiles sur les bosquets de Petit Trianon. Après une sérénade donnée par les gardes-francaises, on procédait, avec une solennité burlesque, à l’installation, sur un trône de fougères, d’un personnage qu’on appelait : le roi des décampativos. Il jouait, en effet, le rôle d’un monarque absolu et d’une sorte de pontife, donnait les audiences, rendait la justice, écoutait les doléances de ses sujets, infligeait des peines ou attribuait des récompenses. Surout il célébrait des mariages, procédait, avec la fantaisie la plus échevelée, à des unions aussi singulières que possible… On voit combien ce jeu, qu’on ne pouvait appeler « innocent », prêtait à la médisance et à la calomnie, et combien il était regrettable que le roi et la reine de France y prissent part ; surtout cette Autrichienne qui avait tant d’ennemis, acharnés à la combattre par tous les moyens, et attentifs à profiter de toutes ses imprudences, nombreuses, hélas ! et parfois graves. »

Sous le titre « les gaz asphyxiants », un autre article s’intéresse à la peur des gaz asphyxiants dans cette période d’entre-deux guerres. On connaissait, avant le guerre de 1914, des obus toxiques, des « globes de feu » qui étaient des sortes de ballons, remplis de poudre, salpêtre, soufre, colophane, mêlés à des balles ou grenades, qu’on imbibait de substances toxiques : aconit, anémone, bouillon sauvage, ciguë, jusquiame…; mercure, arsenic, cinabre …; cervelle de rats, de chats, d’ours… huile dans laquelle on faisait mourir quantité d’araignées domestiques ; et autres substances qu’il serait même impossible de citer. On employait aussi des crapauds qu’on ensevelissait dans du salpêtre et fourrait dans du fumier de cheval, pendant quinze jours ; après quoi, on ajoutait du soufre et du charbon. Avec tout cela, on produisait une fumée rampante qui s’introduit partout… Enfin, on avait aussi prévu la guerre bactériologique en lançant, « avec des machines antiques, des cadavres de soldats morts, les charognes des chevaux et autres bestes mortifiées, à demy pourries et pleines d’infection, outre cela, les vidanges des latrines… ».

 

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