Histoire des Laboratoires Chibret
Henry Chibret, (1876-1943), pharmacien et fils de pharmacien, crée en 1902 dans l’annexe de sa pharmacie les Laboratoires Chibret à Clermont Ferrand. Son oncle, Paul Chibret (1844-1911) était ophtalmologiste et fondateur de la Société française d’ophtalmologie en 2863. Médecin militaire à la fin du Second Empire, il s’était intéressé au trachome.
Au cours d’une campagne en Kabylie, il est atteint d’une chorio-retinite qui le laisse presque aveugle. De retour en France pour y être soigné, il se passionne pour l’ophtalmologie et commence, comme médecin civil, une carrière d’ophtalmologiste mais aussi de chercheur et d’inventeur. Parmi ses inventions, le chromatophotoptomètre qui permet de dépister les dyschromotopsies comme le daltonisme.
Henri Chibret fabrique des collyres et des pommades ophtalmologiques Henri Chibret améliore la conservation des collyres en utilisant des conservateurs. Comme son oncle Paul, Henry CHIBRET est l’ami de nombreux ophtalmologistes. Il noue en particulier des relations très fortes avec Albert Bronner pendant la guerre, la Faculté de Strasbourg s’étant repliée à Clermont-Ferrand.
Les premiers succès des produits Chibret permettent à Henry d’agrandir son établissement. Au lendemain de la première Guerre Mondiale, son officine et son laboratoire, ouverts en 1902, sont transférés de la place de l’Hôtel de ville, au 5 de la rue Saint-Hérem à Clermont-Ferrand, dans une ancienne boutique de meubles.
Henry Chibret est particulièrement intéressé par les pommades ophtalmiques. Fabriquées à base de vaseline, , les pommades sont d’une durée d’action supérieure aux collyres et moins sujettes à la contamination, d’où une nette amélioration de la conservation des produits.
En 1943 Henri Chibret décède, ses deux fils Jean pharmacien et René, ingénieur chimiste lui succèdent. Pour ce qui concerne Jean Chibret, après des études de pharmacie à Clermont-Ferrand et Toulouse, il donne, au lendemain de la seconde guerre mondiale, une dimension nationale puis internationale aux Laboratoires Chibret qui se hissent au premier rang en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique. Visionnaire, entrepreneur inlassable, Jean s’impose (avec son frère René) en industriel novateur qui développe, en deux décennies, toute une gamme de collyres et pommades ophtalmiques.
En 1944 l’usine est bombardée, elle est reconstruite à la Libération. Les installations sont modernes, elles comprennent des salles stériles et à air conditionné où sont fabriqués des collyres, des solutions et des pommades stériles qui sont exportés dans le monde entier.
Les Laboratoires Chibret passent au premier rang dans la plupart des classes thérapeutiques de l’ophtalmologie, notamment les antibiotiques et les corticoïdes. Grâce à des rapports étroits avec Merck, Sharp and Dohm aux Etats-Unis, il obtient leur licence de la streptomycine mais aussi celle des corticoïdes avec, dès 1950, le lancement du premier collyre à la cortisone, qui sera suivi par celui de l’hydrocortisone, puis de la dexaméthasone. Ils vont bouleverser la thérapeutique de l’inflammation oculaire.
L’entreprise dispose d’un centre de recherche, l’Institut Chibret qui diffuse trois revues: la Revue Chibret d’ophtalmologie de 1937 à 1975, la Presse Internationale ORL, la Revue Médicale de France MG. En 1946, il prend des licences auprès des laboratoires Merck Sharp & Dohme (MSD) pour fabriquer des antibiotiques et des corticoïdes qu’ils fabriquent sous forme de collyres.. L’usine s’équipe de lyophilisateurs.
Médicaments commercialisés par Chibret en 1949-1950 (Le Livre du Praticien) : Chibro-Collyres et Pommades ophtalmiques, Humeur aqueuse artificielle, Solution composée, Extrait de Corps ciliaire, Dacryosérum, Chibro-Bains d’yeux, Chibro-Mercurobrome sous toutes ses formes, Spirilla, Tubes Chibret. |
Salle de fabrication stérile des collyres et des suppositoires Octotones
A partir de 1954, il se diversifie dans la commercialisation de spécialités d’oto-rhino-laryngologie sous forme de comprimés, collutoires, gouttes nasales, achète les laboratoires Ferlux (Albi) qui apportent une gamme de pommades ophtalmologiques, les tubes Ferlux.
En 1964, les dragées Difrarel à base de flavonoïdes pour le traitement des troubles veineux et la circulation rétinienne sont mises sur le marché.
La collaboration avec les laboratoires MSD s’intensifie, ils leur apportent de nouvelles spécialités, Périactine (1962), et Indocid (1968). En 1964 Merck prend une participation minoritaire dans Chibret, ils participent ensemble à des recherches dans le domaine du glaucome qui conduira à la commercialisation des collyres Glaucostat 1966 et Glaucadrine 1969. En 1969 Merck absorbe les laboratoires Chibret qui deviennent Merck-Chibret puis Merck en 1978.
Jean Chibret transmet à ses deux fils, Henri et Jacques, sa passion d’entreprendre, d’innover et d’exporter. Biophysic Medical naît en 1974. L’entreprise commercialise un appareil automatique d’électrophysiologie (le Pantops). Le Pr. Jean Haut, du CHNO des Quinze-Vingts à Paris, et le Dr. Poujol vont permettre à l’entreprise de développer la technique naissante de l’échographie. Comme pour les Laboratoires Chibret, Biophysic Medical atteint, dans les années 80, le seuil critique d’une “grande entreprise trop petite”. Pour devenir un acteur majeur sur le marché américain, qui représente près de 70 % du marché mondial, l’entreprise s’allie au groupe français Synthélabo Biomedical à travers son actionnaire principal l’Oréal. Jacques croit fermement au laser Excimer, pour la chirurgie réfractive de la cornée mais ce projet est interrompu par sa tragique disparition en Afrique. Il est mortellement blessé, en février 1989, au cours d’une chasse au Cameroun.
Quant à Henri Chibret, après des études de pharmacie à Clermont-Ferrand et un an en Amérique du Nord, il se voit confier, en 1965, la direction de l’ensemble des activités export des Laboratoires Chibret. L’une de ses priorités est d’implanter Chibret en Allemagne (avec Pierre Czapinski qui œuvre pour la réconciliation franco-allemande) et dans les pays émergents du Golfe Persique : Iran, Irak et Arabie Saoudite.
Après la cession des Laboratoires Chibret à MSD en 1969, Henri Chibret poursuit quelques années sa carrière chez Merck à Bruxelles, puis chez Ferlux à Clermont-Ferrand. Il crée, en 1978, les Laboratoires Transphyto et élabore de nouvelles molécules ophtalmiques, les revenus de l’entreprise étant assurés par les redevances et la vente des matières premières brevetées. La deuxième originalité de Transphyto est d’externaliser la majorité des activités de recherche à des sous-traitants et de faire appel aux meilleurs instituts de recherche.
Mais, trop dépendants de ses licenciés, Henri Chibret crée en 1994, les Laboratoires Théa, qui vont commercialiser les nouveaux produits de Transphyto, d’abord en France puis à travers l’Europe. Le développement des Laboratoires Théa est basé sur la priorité donnée à l’innovation, notamment dans les domaines de la sécheresse oculaire, de l’herpès, de l’allergie, du glaucome, de l’infection etc., le dernier né de la gamme étant la 1ère prostaglandine sans conservateur en France. Par ailleurs, Théa achète à Merck, en 2004, plusieurs collyres renommés (ChibroCadron, Rifamycine Chibret, Chibroxine, Mydriaticum) qui complètent la gamme Théa en France et à l’étranger.
Président depuis 2008 des Laboratoires Théa, Jean-Frédéric Chibret assure désormais la relève aux côtés d’Henri Chibret, lequel demeure à la tête de la Holding Théa et se concentre désormais sur la stratégie scientifique et financière du groupe.
Après une formation commerciale et un apprentissage de 2 ans dans la filiale espagnole (2000-2001), Jean-Frédéric s’implique dans l’activité internationale qu’il va progressivement diriger et structurer en créant de nouvelles filiales en Allemagne, Grande-Bretagne, Irlande, Pologne, et Grèce et en lançant un réseau de vente exclusif en Afrique et au Maghreb. En 2009, Jean-Frédéric préside à l’acquisition de plusieurs produits de la gamme ophtalmique Novartis qui ouvre à Théa la porte de nombreux pays comme la Russie. Deux ans plus tard, de nouvelles acquisitions lui permettent cette fois-ci de s’implanter en Suède, Norvège, Finlande, au Danemark, en Autriche et en Turquie. Théa peut ainsi plus facilement diffuser les innovations issues de sa propre recherche dans ces nouveaux pays.
Bibliographie:
Henri Dumaine, Les Laboratoires H.Chibret et Fils, France Pharmacie, 1951, 149-153
Alexandre Blondeau, Merck Sharp & Dohme-Chibret, Histoire des laboratoires pharmaceutiques en France, Tome 1, Le Cherche Midi 1992, 203-211
Sophie Chauveau, L’invention Pharmaceutique, Institut d’Edition Sanofi-Synthélabo, 1999,355-356
Lorraine Kaltenbach, La famille Chibret 150 ans de passion pour l’Ophtalmologie, (1875-2015) Edition JC Lattés, 2016.
Lorraine Kaltenbach, Brochure du Laboratoire Théa « 150 d’histoire », 2013
André Frogerais
19 septembre 2020