Parmi les très nombreux moyens d’attirer l’attention des professionnels de santé sur tel ou tel médicament, l’humour a sans doute été celui le plus utilisé. Il serait difficile de dénombrer ces multiples illustrations à caractère humoristique tant elles sont nombreuses et diversifiées.
On peut considérer deux grandes catégories : l’humour en relation directe avec le produit concerné ou la pathologie, et l’humour « gratuit », complètement indépendant des médicaments promus.
Par ailleurs, de très nombreux dessinateurs ont contribué à fournir ces dessins humoristiques. On peut citer Dubout, Sennep, Faizant, Jean Effel, etc. Nous avons déjà vu lors d’exposition précédentes les journaux d’entreprise destinés à divertir les médecins, et en particulier le fameux « Ridendo«
Cette fois-ci, nous allons examiner les publicités ne provenant pas de ces journaux mais éditées isolément. Parmi les séries célèbres, il faut citer celles du laboratoires Le Brun avec ses calendriers sur le rhume pour appuyer la publicité sur plusieurs de ses produits : Eucalyptine-Pénicilline, Isoniazide Eucalyptol, Myctasol, etc. Ce laboratoire avait fait appel, sur plusieurs années, à des dessinateurs le plus souvent célèbres : Peynet, Bellus, Barberousse, Dubout, Sempé, Moallic, Effel, etc. C’est donc un nombre considérable de dessins qui a été accumulé sur plusieurs années entre 1950 et 1970. Le Brun a également fait appel à plusieurs de ces dessinateurs pour d’autres séries : « A table » pour la promotion de Megabyl, « la table à travers les âges », également pour Megabyl.
Une autre série très connue est celle de la Schoumologie, réalisée par Faizant, à la demande des laboratoires Schoum. Comme le rappelait notre collègue Coignerai-Devillers, « vers les années 1910 exerçait à Courbevoie un excellent médecin généraliste, qui savait prescrire pour les foies fatigués de sa clientèle un agréable remède de sa composition. Il calmait les crises douloureuses, rendait leur rigueur aux vésicules épuisées et, qualité non négligeable, son goût était chaleureux et réconfortant. Et pour cause : le Dr de La Noie faisait confiance aux infusions et aux extraits de plantes simples — bugrane, fumeterre, piscidia — mais les additionnait d’un peu d’eau chloroformée qui anesthésiait les spasmes, le tout dilué dans la bonne eau pure de Courbevoie.
De bouche à oreille, le succès fut éclatant, encore que borné à une clientèle locale. Mais en 1926, on décida de commercialiser la préparation. Quel nom lui donner ? Il le fallait sonore, court, facile à retenir. Le Dr de La Noie se souvint d’une agréable boisson alcoolisée qu’il avait appréciée lors de ses voyages en Extrême-Orient, un alcool de riz que les indigènes appelaient Schoum. Ainsi fut baptisé cet élixir, qui pourtant ne risquait pas d’alcooliser ses malades.
Pour installer la chaîne de fabrication, on acheta le pavillon que venait justement de quitter la société Cadum et où, nous l’avons vu, elle fabriquait sa pommade. Eh oui ! ce fut le même 13, rue de la Sablière qui fut successivement le berceau de Cadum et de Schoum.
Dans les années 30, le professeur Pierre Delbet mit en lumière le rôle capital du magnésium dans le métabolisme humain et sur une possible prévention du cancer. Le laboratoire Schoum ajouta à son répertoire le Magnoscorbol. Puis vint un excellent désinfectant, l’Aniodol.
Voici vingt-cinq ans, il était de bon ton d’envoyer aux médecins ou de distribuer à la clientèle des pharmaciens des images publicitaires que d’aucuns collectionnent aujourd’hui avec passion.
Les dirigeants de Schoum demandèrent à un jeune dessinateur, promis à un brillant avenir, une série de dessins humoristiques exaltant les vertus revigorantes de la Solution Schoum et du Magnoscorbol.
Il fallait porter au pinacle les heureux effets de leur emploi sur les organismes fatigués ou vieillis.
Jacques Faizant dessina ainsi la saga de la Schoumologie en onze croquis et du Magnoscorbol en neuf épisodes, avec ses célèbres personnages : vieillards fringants, vieilles dames jalouses et pétulantes, leurs amis, la bonne et le chat, tous dynamisés de façon magique ».
Lors d’une exposition précédente, nous avons vu aussi le mémento thérapeutique illustré par Rompaey où l’humour est présent à chaque dessin illustrant les publicités pour les laboratoires ANA, AEROCID et beaucoup d’autres.
Parmi les dessinateurs très versé dans l’humour associé aux publicités pharmaceutiques, il faut mentionner Dubout. En plus de Le Brun que nous avons déjà vu, d’autres laboratoires ont fait appel à ses talents : Fraysse, Beytout, et d’autres. Albert Dubout est né le 15 mai 1905 à Marseille. Après des études au Lycée de Nîmes où il a pour camarade Jean Paulhan, puis à l’École des Beaux-Arts de Montpellier, où il rencontre sa première femme, Renée Altier. Il monte à Paris à 17 ans. Ses premiers dessins sont sortis dans L’écho des étudiants de Montpellier en 1923.
En 1929, Philippe Soupault, directeur littéraire aux éditions Kra, lui fait illustrer son premier livre : « les embarras de Paris » de Boileau.
En dehors des publicités pharmaceutiques, il a illustré près de quatre-vingts ouvrages dont dix huit recueils de dessins. Parmi lesquels les livres de Boileau, Beaumarchais, Mérimée, Rabelais, Villon, Cervantes, Balzac, Racine, Voltaire, Rostand, Poe, Courteline et simultanément des textes officiels (code des impôts), de nombreux livres (dont les « San Antonio »).
Le laboratoire Fraysse fit aussi appel à d’autres dessinateurs comme Sennep pour la Revitalose.
Jean Sennep (1894-1982), de son vrai nom Jean-Jacques Pennès, dessinateur et caricaturiste, a en effet prêté son crayon à l’industrie du médicament. Il est considéré comme l’un des plus grands illustrateurs de la presse française. Homme de droite, il a travaillé avec de nombreux journaux dont le Figaro et Candide. Il a influencé beaucoup de caricaturistes, notamment Effel et Jacques Faizant. Sennep commence son activité de dessinateur de presse au lendemain de la Première Guerre mondiale.
Son dessin se caractérise par un trait d’une grande nervosité, qui en fait un style unique et reconnaissable entre tous.
Anti-parlementariste déclaré, il prend pour cibles préférées Léon Blum et Aristide Briand. À travers le premier, il vise le cartel des gauches puis le Front populaire, et, à travers le second, les conférences internationales et le pacifisme. Il collabore régulièrement au Coup de patte (1931-1932), au Rire, pour lequel il réalise des numéros spéciaux (en 1934 et 1938). En 1941, Sennep se rallie à la France libre. Après la guerre, il deviendra le dessinateur attitré du Figaro, jusqu’à son départ à la retraite en 1967 et son remplacement par Jacques Faizant. Il réalisa une « Série historique » où Napoléon et Chilmeric II sont mis en scène à propos de Revitalose.
Jean Effel a également travaillé pour plusieurs laboratoires. Il a créé des dessins très connus sur la création à l’image de ce dessin sur la « création des animaux » pour le laboratoire Brisson et le Vaposulfium, « comprimés sulfurés pour inhalations et gargarismes » pour traiter les rhinites, sinusites, otites, etc. De son vrai nom François Lejeune (F.L.), Jean Effel fut l’auteur de nombreux dessins publicitaires. Son père, fabricant de broderies, n’a cru que tardivement en son talent. Et pour « F. L. », comme pour beaucoup d’artistes de cette époque, il y a eu dans sa volonté de dessiner une « espèce de révolte ».
Le résultat, c’est que ses dessins sont avant tout de la poésie. « Une façon d’éviter d’écrire », comme le note André Carrel. Jean Effel a étudié l’art, la musique et la philosophie à Paris. Après avoir échoué à faire carrière en tant que dramaturge ou peintre, il commence à placer ses illustrations dans divers périodiques français (Paris-Soir, Le Rire, Marianne, Le Canard enchaîné, L’Os à moelle, etc.). Il devient bientôt l’un des illustrateurs les plus courus de France.
Parmi les oeuvres les plus importantes de Jean Effel figurent un recueil de caricatures anti-fascistes (1935), le conte pour enfants Turelune le Cornepipeux (1944) et la série La Création du Monde, lancée en 1937. Hommage assez rare pour un humoriste, un timbre-poste lui a ainsi été consacré en 1983. Effel va contribuer à plusieurs campagne de publicité pour les médicaments.
D’autres dessinateurs moins connus vont participer à cette liste des dessins humoristiques qui accompagnent les publicités pharmaceutiques, à l’image de Julhès qui dessina pour le laboratoire Le Brun. Ce dessin était associé à deux médicaments promus par le laboratoire : Helmitol, « antiseptique et analgésique urinaire », et Amphotropine, « antiseptique urinaire ».
Maurice Julhès avait suivi les cours des Arts décos et des Beaux-Arts. Dessinateur de presse, il collabora après la Grande Guerre à de nombreux titres, dont Les Hommes du jour, Le Chat Noir, Le Canard Enchaîné ou encore Le Merle Blanc. Sa participation à la presse collaborationniste lui vaut, selon le Dico Solo, deux ans d’interdiction à la Libération mais sa carrière reprend ensuite dans Marius ou Le Chasseur Français et se poursuit jusque dans les années 70. Il publia à la fin des années 40 deux albums, Le Rire dans la détresse (1946) et Coïncidences (1948), qui portent la marque d’une très nette influence du style de Gus Bofa.
Plusieurs dessins sont dûs à Bernard Aldebert (1909-1974) : Il a participé à la série « secrets de nos belles amies » de Mustela et à la publicité du laboratoire SINBIO pour la Secrétine, « hormone duodénale purifiée, titrée et contrôlée physiologiquement. « Jean Bernard Aldebert, né à Saint-Etienne (France) en 1909, est un affichiste et un dessinateur professionnel, puisque cet ancien élève des Beaux Arts est, en France, avant- guerre, un des caricaturistes attitrés du magazine Ric et Rac et qu’il a même été, en 1939, le fondateur du magazine La Dent de Lyon à Lyon. Son activité de dessinateur engagé va lui coûter la liberté, avec son arrestation le 15 novembre 1943 à Balmont (Haute-Savoie) par la Gestapo (suite à une caricature d’Hitler dans Ric et Rac, représentant le Führer en chimpanzé…). A l’emprisonnement à Lyon (Montluc) succède la détention à Compiègne, avant la déportation, d’abord pour un mois dans le camp de quarantaine de Buchenwald,
puis dans le camp de Mauthausen, où il arrive la 16 janvier 1944, et devient le matricule 53 628. Aldebert connaît ensuite, pour une courte durée, le camp annexe de Gusen I, avant d’être transféré en avril 1944 à Gusen II, « ce camp qui passe pour être le plus terrible des kommandos sous la tutelle de Mauthausen » (p.70). Rapatrié en France le 22 août 1945, il réalise 50 dessins sur son expérience concentrationnaire à partir d’esquisses exécutées juste après sa libération dans le camp de Mauthausen.
Les 50 dessins, accompagnés de commentaires de l’auteur, sont publiés en 1946 chez Fayard sous le titre Chemin de croix en 50 stations, et connaîtront une réédition bilingue en 1988, chez un éditeur autrichien, Bibliothek der Provinz. Le dessinateur, décédé en 1974, travaillera principalement pour les magazines Ici Paris, France Dimanche et Jours de France et publiera des albums de bandes dessinées humoristiques ainsi que des dessins publicitaires » (http://www.campmauthausen.org/portraits/85).
Une autre série de dessins humoristes est dûe à Pierre Leconte en 1941 pour Aspro, du laboratoire Jean Sallé. Parmi ces dessins, voici celui sur la « Grippe au grand siècle », accompagné d’un texte du docteur Jean Valincourt. Pierre LECONTE (1904-1961) parfois orthographié Lecomte était peintre dessinateur et illustrateur, surtout actif entre 1930 et 1950. Il a illustré : « dix maux historiques” (1941) dont fait partie ce dessin, “Marion des neiges” (1946), “le colonel Chabert” (1944), “la vie des dames galantes” (1940). Il travailla pour les journaux illustrés « le rire », « l’humoristique », « Ridendo », « la vie parisienne ». Voici le texte associé : « A certain jour, Argant se sentant mal en point, Diafoirus lui dit : « Je vois ce qui vous point. Phlegmasie odieuse et qui vous met en loque. Ce mal a plus d’un nom : baraquette, synoque, la cocotte, l’allure et le petit courrier, beaucoup d’autres encor que l’on peut oublier. Je prévois que, plus tard, une nouvelle équipe de médecins préfèrera l’appeler Grippe. « C’est fort bien, dit Argant, mais comment en guérir ? » Le remède à tous maux, au fond, se résume au clystère. A la seringue on soumettra votre postère. Je ne prescris rien d’autre et je vais, tout courant, vous dépêcher Monsieur Fleurant. Aussitôt fait que dit. Fleurant sonne à la porte.
« C’est le bouillon pointu de Monsieur que j’apporte. Un composé fameux que j’ai fait de mes mains. Tournez vous. Je n’irai pas par quatre chemins et c’est en plein milieu, centre géographique, que j’introduis mon spécifique. Ne vous tourmentez pas et soyez convaincu que le sais dextrement accommoder un cu. Là, voilà le bélier dedans la forteresse et vous ne sentez rien, Monsieur, qu’une caresse. C’est fini. La vertu de ce médicament agit déjà. Ainsi que par enchantement, Le malaise et la toux s’apaisent. Belle chose ! » « Hélas, gémit Argant, je vous dis grand merci, mais ne triomphez pas ainsi : je voudrais bien tousser… mais désormais je n’ose ». Grâce à Aspro, la série se termine par ses mots : « le XXe siècle arrive et la douleur s’en va » : « O martyrs d’autrefois, fiévreux, insomnieux, névralgiques, grippés, migraineux, anxieux, enchifrenés, goutteux, courbaturés… vous, dames, pour qui les douze mois ont été douze drames, n’attendez plus des maux que l’on peut prévenir, ne souffrez plus de ceux que l’on peut endormir. La Science vous parle ; écoutez sa parole : souriez aujourd’hui, car le souci s’envole et l’on obtient enfin le calme qu’on rêva. Voyez le calme opère… Et la douleur s’en va. »
Tous ces dessins humoristiques ne sont qu’un faible proportion de ceux utilisés par les laboratoires pharmaceutiques au XXe siècle pour la promotion de leurs produits !