Religion, médecine et pharmacie ont été intimement mêlés dès les origines. Sans remonter à la préhistoire, l’ancienne Égypte désignait, sous la dénomination d’Art sacré, la science de tous les secrets de la nature. On y voit la pharmacie dans les mains des prêtres.
« La caste sacerdotale de ce singulier pays professait la médecine, la chirurgie et la pharmacie. Chacun de ses membres devait s’adonner à soigner un genre de maladies et à connaître les médicaments réputés nécessaires au traitement de la souffrance dont ils devaient enrayer la marche…
En voulant faire remonter l’origine de la pharmacie à l’Art sacré, nous sommes peut-être dans la vérité, car l’étude de l’art de guérir et de l’art de préparer les remèdes était puisée dans les livres laissés par Hermès. Surnommé trois fois grand, il était regardé non seulement comme l’inventeur de la chimie, mais encore comme celui de la médecine et de la pharmacie »1.
Cette relation particulière entre religion et pharmacie sera illustrée tout au long de l’histoire par le rôle des monastères et du clergé dans la préparation des médicaments, par la valorisation des saints guérisseurs et des saints protecteurs des confréries d’apothicaires, par l’usage enfin des religieux et des saints dans la dénomination même des remèdes, ou dans la publicité associée. Elle se retrouve aussi à travers les illustrations utilisées pour la décorations de pots de pharmacie.
Il est donc assez naturels de constater que la publicité pharmaceutique au XXe siècle a fait un lien, parfois inconscient, entre médicaments et religion. On y découvre plusieurs aspects de cette évocation du fait religieux.
La première et la plus importante est sans doute ce qui concerne l’histoire biblique, à commencer par la création du monde. Le dessinateur Jean Effel, à la demande de plusieurs laboratoires, avait publié une série remarquable d’illustrations de la création. On y voit la construction progressive de l’homme par Dieu jusqu’au souffle divin qui lui donne la vie, comme le rapporte la Bible.
Un autre thème majeur, tiré du nouveau testament concerne la vierge Marie. Plusieurs tableaux de la Vierge à l’enfant sont reproduits dans les publicités pharmaceutiques. Les publicistes vont également s’intéresser aux représentations de Jésus lui-même :
On peut voir par exemple le Christ qui mire les urines. il s’agit d’un tableau attribué à Werner van den Valckert (vers 1585-1627 ou 1655 ?).
Une autre peinture mérite d’être signalée. C’est le laboratoire Lefrancq qui publia la « pastorale chrétienne » de Georges Rouault avec le commentaire suivant :
« Tout l’art de Rouault s’explique dès que l’on sait qu’il commença par apprendre le métier de verrier. Ces peintures donnent en effet l’impression de ces admirables vitraux du Moyen-Age où toutes les scènes de la Bible et du Nouveau Testament sont reproduites avec une intensité de vie poignante, un réalisme coloré. Si l’on ajoute que Georges Rouault fut l’élève de Gustave Moreau, on comprendra le sens de son inspiration essentiellement chrétienne.
Comme ses amis Huysmans et Léon Bloy, il dévoile, dans son œuvre de peintre, les faiblesses, les tares, les vices de notre pauvre humanité. Son oeil prodigieusement sensible découvre en chaque visage l’expression, le trait révélateur de tout ce qui sommeille au fond des âmes…. mais il n’y a là aucune haine, c’est plutôt la tristesse éprouvée en face de la nature déchue.
C’est l’œuvre magnifique de Dieu, déformée par la blessure du péché. Il nous montre aussi le Chris, fils de l’Homme qui porte sur son visage divin, sanglant et meurtri, tous les péchés du monde.
L’œuvre profondément religieuse et humaine de Rouault se situe dans la tradition des grands maîtres ».
On peut aussi remarquer le tableau de résurrection publié par Houdé à propos de sa publicité sur le Surnox.
L’autre façon de mettre en lumière l’aspect religieux a été de valoriser les monuments : cathédrales, cloître, vitraux, etc. Concernant les cathédrales, plusieurs laboratoires les ont utilisés comme illustrations : On peut citer la série de cartes postales du laboratoire Valpan ou celles du laboratoire Pautauberge.
Nous avons ici l’exemple de la cathédrale Notre Dame du Puy, avec le commentaire suivant au dos de la carte:
« Placée sur la crête d’une montagne, Notre-Dame du Puy domine la ville et ses environs ; un immense escalier en pierres de couleur s’élève jusqu’au seuil de la basilique dans laquelle on pénètre par une sorte de crypte située en dessous de la nef. Huit cent marches restent encore à gravir, dans ce Narthex, pour se trouver au niveau du sanctuaire….
Il faut remonter fort loin pour découvrir les origines de la cathédrale du Puy. Il existait autrefois, sur le même emplacement, une église construite par Saint Evodins et consacrée à la Sainte Vierge. Rebâtie et agrandie par l’évêque Guy d’Anjou, en 994, elle devint, depuis lors, un lieu de pèlerinage fort célèbre où se rendirent notamment Robert le Pieux, Saint-Louis, et Louis XI ».
De son côté, Roussel s’est intéressé à l’Art roman en 1965 dans une série de photographies d’églises et cloitres de cette période. On voit ici un exemple avec l’église Saint-Pierre de Le Dorat (Haute Vienne) et son portail ouest : « Autour des deux vantaux du portail s’épanouissent d’admirables voussures polylobées – influence mozarabe – souvenir des pèlerins de Saint-Jacques de Compostelle. Ce remarquable feston de granit contraste avec l’austérité de la façade grise. Cet important sanctuaire de la Marche fut commencé en 1100 selon le plan caractéristique des grands édifices du Limousin et demeure l’un des exemples les plus représentatifs et monumentaux de la région. » L’intérêt pour les cloîtres s’est également manifesté par une série publié par les laboratoires du Castanol en 1935.
Le laboratoire Specia, quant à lui, a publié la série des vitraux de Chartres représentants les métiers, au premier rang desquels on peut voir celui des épiciers.
Une autre série très particulière a été publiée par le laboratoire Servier : elle a trait à l’apocalypse de Saint-Sever : « Sous le numéro 8878 du fond latin des manuscrits de la Bibliothèque nationale se trouve un des livres les plus remarquables qui soient. Le premier feuillet du manuscrit a permis de l’attribuer à l’abbaye de Saint-Sever et de le dater approximativement entre 1028 et 1072. Ce livre est plus qu’une Apocalypse. Il comprend deux commentaires sur deux textes bibliques de tendances eschatologique.
Le premier est l’Apocalypse de Saint-Jean, commentée par Beatus de Libeana et divisée en 12 livres précédés d’un prologue et d’une préface.
Le second est le livre de Daniel expliqué par saint Jérôme. En manière d’introduction se trouve une généalogie du Christ depuis Adam, et à la fin du livre un traité d’Ildefonce de Tolède (607-667) sur la Vierge Marie.
Des pages blanches ont reçu d’autre part la copie de quelques actes relatifs à l’Abbaye de Saint-Sever.
Ce manuscrit est rempli de peintures, plus de cent, et la violence des coloris et de leurs scènes farouches ne saurait être oublié de quiconque les a entrevues. La technique de ces illustrations est au carrefour de celles de plusieurs autres arts du dessin.
Les personnages qui se détachent sur des fonds unis font penser à ceux des fresques. mais d’autre part, les séparations de teintes rappellent plutôt les procédés de l’émail, à moins que les filets épais qui limitent les coloris ne fassent penser au plomb des artistes du vitrail.
Cet ouvrage est placé par certains historiens de l’art en tête de ceux qui ont influé sur la renaissance de la sculpture monumentale disparue depuis la fin du monde antique. »
Servier a également publié un autre document intitulé l’Apocalypse d’Angers dont voici un extrait : Il s’agit de « la première en date des tapisseries tissées en France qui soient parvenues jusqu’à nous. le « beau tapis » de Louis Ier d’Anjou illustre le livre de Saint-Jean. Entrepris en 1373, ce chef d’œuvre gigantesque a été mené à bien en sept années. »
Un commentaire accompagne chacun des illustrations, comme pour l’image ci-dessus : « Le naufrage : le deuxième ange sonna de la trompette et une sorte de grande montagne tout en feu fut précipitée dans la mer et le tiers de la mer devint du sang ; et le tiers des créatures qui avaient souffle dans la mer périt et le tiers des navires fut détruit.
De nouveau, Saint Jean est représenté sur la gauche, alors que dans les mêmes scènes qui précèdent et qui suivent, il est placé à droite. Là encore, bien que le tableau soit plus large que la moyenne, le lissier a allongé inutilement l’un des bateaux comme s’il avait dû rattraper une différence entre les deux registres.
On remarquera le pittoresque des figures des marins surpris par la catastrophe et qui n’est emprunté à aucune des miniatures connues : les uns, en tendant les bras, essaient de se protéger contre l’éblouissement ; la chute d’un mât entraine un des matelots ; un passager s’accroche à la barque qui coule, tandis qu’un désespéré plonge les bras croisé, un dernier naufragé tente de gagner la terre à la nage. A côté de ces figures, celle de Saint Jean, probablement du fait d’une restauration malencontreuse, apparait passablement médiocre. »
Rare sont les scènes religieuses provenant d’autres religions. Il y a cependant une série remarquable sur Vichnou qui fut éditée par Robert et Carrière pour le Mucifural, intitulée « Retour au merveille de l’Inde ». Cette série montre les différentes représentations de Vichnou, « un des personnages de la Trinité Brahmanique.
On appelle avatars (du sanscrit avatara : descente) les descentes du dieu Vichnou sur la terre sous l’aspect de différentes incarnations, qui peuvent revêtir une forme humaine ou illusoire. Ces incarnations sont bénéfiques pour les dieux ou les hommes qu’un péril menace, car Vichnou, en effet, ne s’incarne que pour le bien.
Il y a près de 32 avatars, mais ceux qui sont adoptés par tous sont au nombre de 10. Le dieu Vichnou est souvent représenté avec quatre bras en signe d’infinie et multiple puissance ».
On voit ici, à droite, l’incarnation de Vichnou en homme-lion (Narasimha) (Bois peint, art populaire, XIXe siècle, Musée Guimet). « Un impie refusant de lui rendre hommage, Vichnou, pour le châtier, prit l’aspect d’un géant à tête de lion et lui dévora les entrailles. »
Quelques images supplémentaires ! les archanges Saint-Georges et Saint-Michel d’une part, et la Sainte Famille d’autre part.
- Emile Gilbert. La pharmacie à travers les siècles. Vialelle et Cie, imp., Toulouse, 1886).
Voir aussi le numéro spécial Médecine et religion de 2012 et l’article de Olivier Faure : « Médecine et religion : le rapprochement de deux univers longtemps affrontés » (https://journals.openedition.org/chretienssocietes/3318).