(Texte de P. Boussel, Moniteur des pharmacies, 1962, illustrations issues de la publicité pharmaceutique du XXe siècle)
« Si l’on veut bien admettre que l’expression « temps préhistoriques » ne désigne pas nécessairement des temps barbares et incultes et que le mot « primitifs » est seulement commode pour englober un certain nombre de civilisations différentes de la nôtre et dans lesquelles l’écriture telle que nous la concevons est ignorée, il devient alors possible et même nécessaire de croire à l’existence d’une thérapeutique préhistorique et d’une thérapeutique primitive.
C’est une banalité de dire que la maladie est antérieure à l’homme : des lésions de végétaux fossiles ont été décrites et l’on a découvert, par exemple, un fragment de la queue d’un dinosaure atteint d’une tumeur osseuse.
Il n’est pas plus original de constater que les animaux font usage de certaines plantes avec, semble-t-il, une intention thérapeutique.
Par quelque herbe le cerf se sçait défendre
Par herbe se refait l’hirondelle les yeux,
Pour se guérir, le chien sçait ce qu’il lui faut faire ;
Nombre d’oiseaux encore avoisinant les cieux
Avec herbe purgés, se portent beaucoup mieux,
Et l’ibide sçait bien se donner un clystère
La lutte contre la douleur et contre la maladie s’est donc manifestée, à n’en pas douter, chez les peuples qui ignoraient l’écriture, dans cette suite prodigieuse de générations qui se succédèrent pendant des millénaires.
La paléopathologie a permis de trouver la trace de nombreuses maladies chez l’homme préhistorique. le nombre des squelettes aux articulations déformées prouve la fréquence du rhumatisme et les préhistoriens expliquent ce fait par une alimentation insuffisante et un climat froid et très humide. Par contre, le rachitisme fait à peu près complètement défaut et pourrait donc être classé parmi les « maladies de la civilisation ». La tuberculose est extrêmement rare et, sur des milliers d’ossements exhumés, il n’a été possible de réunir que onze cas, dont certains douteux, pour l’ensemble des périodes préhistoriques de la France. La question de la syphilis est fort complexe, les lésions atteignant les os ou les dents ne pouvant être attribuées avec certitude à cette seule maladie. Avec A.-V. Vallois, on peut penser que « la syphilis est une maladie qui est endogène chez nous et qu’elle existait à l’époque préhistorique, mais ne formait que de très petits foyers localisés ».
Il est également possible de supposer que la syphilis se manifestait sous une forme différente de celle de nos jours et n’attaquait qu’exceptionnellement le squelette.
L’importance prise par la chirurgie crânienne et l’habileté des opérateurs préhistoriques ont été étudiées depuis longtemps. L’examen de certains ossements a prouvé aussi une intervention volontaire après une blessure de guerre ou une fracture accidentelle. Il est sans doute beaucoup plus délicat d’évoquer une pharmacopée préhistorique, les remèdes – s’ils existaient vraiment – n’ayant point laissé de signature. Est-il absurde, néanmoins, d’admettre l’existence d’une thérapeutique préhistorique et peut-être d’une thérapeutique fort complexe ?
La technique de la trépanation préhistorique, telle qu’elle a pu être reconstituée, se retrouve chez certaines populations primitives d’Afrique ou d’Amérique du Sud. De nombreux rites, tels que le passage par le trou d’une pierre ou dans la fente d’un arbre, le frottis d’un rocher, la pierre qu’on gratte et dont on boit la poudre, etc. sont mentionnés à la fois et décrits de façon tout à fait comparable par des folkloristes étudiant la médecine populaire actuelle et par les préhistoriens.
Sorciers et guérisseurs paraissent user de procédés thérapeutiques comparables dans nos campagnes et dans les populations dites « primitives ». Aussi bien, « les féticheurs des primitifs ont toujours eu des connaissances assez étendues, tout au moins dans l’utilisation des propriétés des simples, connaissances qui leur avaient été transmises, secrètement, par leurs maîtres respectifs.
C’est ainsi qu’ils connaissaient des vomitifs, des purgatifs efficaces, des diurétiques, des vermifuges, des drogues contre les diverses entérites, etc. »
Ce qu’écrit le Dr Stéphen-Chauvet des peuples primitifs, comment ne pas le supposer des peuples préhistoriques ? Peut-être serait-il même possible d’aller plus loin en remarquant que les « primitifs » actuels ont, comme nous, derrière eux un long passé, que leurs ancêtres ont dû, comme les nôtres, profiter plus ou moins des expériences faites et que, par suite, il serait plus logique de considérer ces primitifs comme des êtres dont l’histoire a pris la forme d’une régression que comme les derniers représentants des âges préhistoriques.
Avec beaucoup d’humour, G.-K. Chesterton a noté que : « la seconde enfance n’est pas l’image exacte de la première ; un nouveau-né est aussi chauve qu’un vieillard, mais la personne qui n’aurait jamais vu d’enfant aurait tort d’en déduire que le nourrisson porte une longue barbe blanche ; et de même, bien que le vieillard et le petit poupon éprouvent à marcher une égale difficulté, celui qui espère voir le vieux monsieur s’en consoler en se roulant par terre et en suçant son pouce, celui-là se prépare une désillusion certaine. »
Un incontestable danger existe donc à regarder comme originels des types sociaux qui sont un aboutissement, le produit d’une évolution régressive, des sociétés qui ont derrière elles une très longue histoire.
Si l’on veut bien pousser le raisonnement encore plus avant, on aboutit à cette idée que les poètes grecs et latins n’avaient peut-être pas entièrement tort lorsqu’il évoquaient l’âge d’or à jamais révolu. Les premiers préhistoriens avaient repoussé l’hypothèse. M. Pierre Braun l’a reprise et localise cette époque au néolithique, période de la pierre polie : « On sait qu’à la suite du retrait des derniers glaciers correspondant à la glaciation de Würm, le climat a entièrement changé. A cet optimum climatique correspond un optimum biologique, et un progrès extraordinairement rapide, qui a bouleversé le genre de vie des hommes. Le passage de l’économie de chasse et de cueillette à une économie fondée sur la production des vivres, c’est à dire sur l’élevage et les cultures vivrières, constitue une véritable révolution dans l’histoire de l’humanité.
La division du travail en est une des plus importantes conséquences. Les effets de ce « miracle néolithique » furent immenses : on a souvent souligné qu’ils ont pesé sur tout le développement ultérieur des peuples civilisés. Jusqu’à l’invention de la machine à vapeur, notre monde a vécu, à peu d’exception près, des conquêtes néolithiques. »
Ainsi, la conclusion de ces brèves remarques préliminaires sur les anciennes thérapeutiques, à propos des thérapeutiques de la préhistoire et des thérapeutiques primitives, pourrait être que si l’on ignore à peu près tout des premières, les secondes
ne peuvent être considérées que comme une sorte de caricature des premières, le résultat d’une évolution régressive. Or, les expériences et les ethnologues s’accordent pour reconnaître les étonnants résultats obtenus parfois par les sorciers, chamans et féticheurs.
Les spécialistes du folklore admettent que certains remèdes populaires aboutissent à de curieuses guérisons.
En conséquence, ne peut-on rêver (c’est d’ailleurs tout ce qu’il est possible de faire) d’une thérapeutique préhistorique – au moins à l’époque néolithique – complexe, habile et efficace ? »
Au delà de ces remarques de Patrice Boussel sur la pharmacie dans la préhistoire, certains laboratoires se sont intéressés aux animaux préhistoriques pour illustrer leurs documents publicitaires. Une série remarquable a été publiée par le laboratoire Roussel en 1963, avec de nombreuses explications.
Parmi les animaux présentés, voici le Placerias (Trias supérieur de l’Arizona) : « L’animal représenté appartient à un groupe de reptiles anciens, les Dicynodontes, dont les restes sont particulièrement abondants en Afrique du Sud. Des ossements de formes diverses appartenant à ce groupe ont également été recueillis en Chine, en Russie, en Europe occidentale et en Amérique. Il s’agit de reptiles apparentés à ceux dont sont dérivés les mammifères. A l’exception des canines, les dents étaient absentes et remplacées par un bec corné. Placerias se fait remarqué par une paire d’excroissances osseuses, pointues, dérivées de l’os maxillaire, considérablement développées surtout chez les mâles. Ces excroissances se terminent par une canine en ivoire. On peut penser que les mâles les utilisaient comme armes de combat. Le corps est court et massif, le crâne de grande taille par rapport au corps.
Tandis que les membres inférieurs s’étalaient transversalement, avec un humérus horizontal, les membres postérieurs étaient redressés, le fémur vertical.
Cet animal de taille moyenne (2.10 m. de long), était certainement herbivore. Les spécialistes qui l’ont étudié pensent qu’il pouvait se nourrir de rhizomes, que son bec corné robuste, utilisé à la manière d’un soc de charrue, lui aurait permis de déterrer » (R. Lavocat, École des Hautes Etudes).
Quant au Dimetrodon (Permien inférieur d’Amérique du Nord), la publicité Roussel indique : « le genre que nous présentons ici est un reptile pélycosaurien, dont les structures anatomiques fondamentales sont très différentes de celles des Dinausauriens. C’est en définitive de groupes possédant ces mêmes structures de base que sont lointainement dérivés la mammifères. En ce qui concerne les Pélycosauriens eux-mêmes, ils n’ont pas survécu plus tard que le Trias. Il comportaient essentiellement des carnassiers comme Dimetrodon lui-même, mais aussi des herbivores comme Edaphosaurus. L’un et l’autre genre se signalaient par le développement extraordinaire des apophyses des vertèbres dorsales….