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Julien-Joseph Virey

HYGIE ROMANTIQUE: J.-J. VIREY (1775-1846)

pharmacien et philosophe de la nature

( Traduction abrégée de l’article documenté publié par Fauteur sous le titre

Romantic Hygeia: J.J. Virey, Pharmacist and Philosopher of Nature, dans Bull, àf the Hist. of. Med., vol. 39, n* 2, mars-avril 1965.)

Protégé de Parmentier et pharmacien militaire pendant les guerres de la Révolution et de l’Empire, Virey occupe une place originale dans la pharmacie française de son époque. A la différence de ses confrères, tels Cadet de Vaux, Le Canu, Labarraque, Chevallier père ou Bussy, dont l’intérêt en matière d’hygiène se portait en général sur la désinfection, la toxicologie industrielle, la santé publique et l’adultération des aliments et des drogues, il considéra l’hygiène d’un point de vue philosophique et sociologique, influencé en grande partie par sa philosophie de la nature fondée sur le vitalisme et le romantisme.

Peu avant d’être, en 1814, reçu docteur en médecine, Virey démissionna de son poste de pharmacien en chef du Val-de-Grâce. En 1814- 1815, il fit des conférences d’histoire naturelle à l’Athénée de Paris. Choisi en 1823 pour remplacer à l’Académie de médecine le pharmacien Charles-Louis Cadet de Gassicourt, décédé en 1821, il y remplit durant plusieurs années les fonctions de secrétaire de la section de pharmacie. En dépit de ses titres, le gouvernement de la Restauration s’opposa à sa nomination à la chaire d’histoire naturelle à l’Ecole de pharmacie en 1825. A la suite des événements politiques de 1830, il fut élu député par le département de la Haute-Marne, mais sa carrière politique fut assez brève et sans relief. Ecrivain prodigieux, ses livres et ses articles embrassent maints sujets — histoire naturelle, pharmacie pratique, matière médicale, anthropologie, physiologie, philosophie médicale, hygiène — dont il traita au surplus un grand nombre dans le Dictionnaire des sciences médicales.

Sa révolte contre Cabanis et les « idéologues », ses opinions vita- listes et sa philosophie républicaine le placèrent nettement dans le camp des « spiritualistes » ou école éclectique, dont Pierre-Paul Royer- Collard et Victor Cousin étaient les représentants les plus influents. Quoiqu’il se situât politiquement plus à gauche que ceux-ci, il se trouva, comme eux, parfaitement à son aise sous la Monarchie de Juillet. Ainsi que Georges Boas le signale dans son étude sur la philosophie à l’époque romantique, durant cette période de € compromis politique », Victor Cousin fut un parfait représentant de la philosophie du gouvernement de Louis-Philippe. Damiron, disciple de Cousin, fut assez impressionné par La puissance vitale de Virey, ouvrage publié en 1823, pour le discuter dans son essai sur l’histoire de la philosophie française au XIX’ siècle. Opposé aux vues mécanistes de Léon Rostan, Virey se joignit également aux < spiritualistes » pour attaquer le matérialisme de Broussais.

Son œuvre se caractérise par un fort penchant pour la spéculation métaphysique et par un style fleuri, sauf lorsqu’il traite des aspects pratiques ou descriptifs de la pharmacie, de la matière médicale et de l’histoire naturelle. Ses contemporains ne manquèrent pas de le relever. Ainsi, les Archives générales de médecine louent son érudition et sa capacité d’imagination, mais déplorent la ténuité de sa pensée scientifique, ses digressions métaphysiques et sa verbosité. Réveillé- Parise partage ce sentiment, cependant que Claude Lachaise tourne en dérision sa « médecine métaphysico-pathétique ».

Et pourtant, on respectait Virey. A sa mort, le même Réveillé-Parise écrit « Son nom ne se rattache, il est vrai, ni à une découverte importante, ni à une idée transcendante, bien moins encore à une hypothèse, à un système brillant par la profondeur ou l’originalité ; mais il sut répandre de bonnes idées, d’excellents principes, présenter le vrai, l’utile, sous des formes attrayantes. »

Tel semble bien avoir été l’avis général. Même Lachaise, qui critiquait le style littéraire de Virey et qui s’amusa fort de sa brève incursion dans la politique, le tenait pour « un homme d’un esprit cultivé ».

En 1828, Virey publie Hygiène philosophique, ou de la Santé dans le régime physique, moral et politique de la civilisation moderne. L’ouvrage, conçu selon sa philosophie de la nature, recèle de forts éléments d’inspiration romantique. Tout son mérite ou toute son originalité provient de ce qu’il s’attaque à cet aspect de la santé publique que nous désignons aujourd’hui par « médecine sociale » ou « pathologie sociale ». S’il attache une grande importance à l’action réciproque entre le milieu physique extérieur et l’individu. Virey insiste surtout sur l’influence des institutions sociales et politiques sur la santé des individus et des nations. Son opinion d’ensemble se fonde sur la nature, dont la force vitale modèle les hommes et les empires. Les nations, tout comme les individus, connaissent des cycles de vigueur et de décadence s il y a chez elles comme chez eux « des époques inflammatoires et des stases d’atonie ».

En représentant de la bourgeoisie, Virey soutient l’idée de progrès et de civilisation. Pour lui, les classes moyennes forment tampon entre les riches et les pauvres et maintiennent ainsi la stabilité sociale. Les deux extrêmes sont peu désirables : « la richesse corrompt l’un, tandis que la misère corrode l’autre ». L’industrie, le commerce et l’agriculture fleurissent sous les gouvernements républicains, tandis que les monarchies, avec leurs institutions despotiques, leur sont défavorables.

Rejetant la théorie romantique du bon sauvage, chère & Rousseau, Virey développe sa conception romantiquement utilitaire à lui » la civilisation fait progresser la science, l’industrie, le niveau de vie ; elle est donc préférable à l’état sauvage. Cependant, avec ses tensions sociales et politiques, elle engendre des maladies qui lui sont propres, les maladies nerveuses notamment, qui mènent souvent à la démence et même au suicide, de sorte que sous sa forme extrême « la civilisation, considérée physiologiquement, doit être regardée comme un état de névrose, ou un prodrome pathologique de l’appareil nerveux ».

Le despotisme engendre une foule de maux caractéristiques t « profonde atonie » pour commencer, digestion languissante et laborieuse, pâleur, foie durci et autres états pathologiques. Dans les républiques, où fleurissent les arts, l’industrie et le génie, les secousses politiques continuelles sont elles-mêmes c encore une gymnastique salutaire, qui soutiennent l’énergie sociale, qui réveillent les plus généreuses passions de la gloire et de l’amour patriotique ».

A la fermentation sociale propre à une société animée de forces concurrentes correspondent des régimes, des tempéraments et des maladies déterminés. Ainsi des nations comme la France, l’Angleterre, l’Allemagne et la Suisse, que Virey tient pour < les plus fières et les plus valeureuses de l’Europe » exigent « de perpétuels stimulants, une nourriture substantielle et animalisée pour maintenir la constitution physique dans une restauration pléthorique et même athlétique ». Par suite, < les tempéraments des nations nourries dans ces opinions de liberté sont généralement bilieux et sanguins, musculeux, plus ou moins mâles et actifs, avec prédominance des appareils circulatoire et respiratoire… ». Aux ères révolutionnaires, lorsque les passions et la violence atteignent à leur comble, les maladies chroniques se font plus rares. Elles sont remplacées par une prédominance < d’affections inflammatoires », qui frappent la jeunesse, comme pendant la Révolution française, lorsque le pays entier subissait une espèce de < pyrexie ardente ».

A la fin du XVIII* siècle, constate Virey, les explosions politiques en Europe, qui se prolongèrent durant les premières décennies du siècle suivant, transformèrent la « constitution lymphatique et catharrale ». Ce bouleversement, se manifestant par des maladies inflammatoires et pulmonaires, obligeait les malades à recourir davantage aux traitements antiphlogistiques — tels que la saignée — phénomène observé non seulement en France, mais aussi bien dans le nord de l’Europe et dans le Nouveau Monde.

Virey va jusqu’à juger la guerre entre nations civilisées préférable à la paix sous le despotisme, en ce qu’elle est la source d’où jaillissent de nouvelles industries ». Les conflits politiques et militaires peuvent se comparer à l’excitation d’un jeu où les mises sont élevées. « L’on peut se complaire au milieu de ces tiraillements politiques, comme au milieu de l’agitation fiévreuse des jeux ; l’espérance du bien y compense la crainte du mal. On sent avec plus de pénétration la vie… que sous la triste apathie de l’oppression, décorée du nom de paix : tranquillité qui est plutôt silence du tombeau. »

Discutant d’hygiène morale, Virey voit dans la diversité l’une des manifestations fondamentales de la nature et de la vie, source de liberté, de progrès et de santé dans la société. Il parle d’une musique intérieure, qu’il identifie avec la santé morale de l’homme. Il est optimiste sur l’avenir de la race humaine, considérant que la force vitale de l’univers a réalisé son chef-d’œuvre en produisant l’homme. De façon spéculative, il admet une conservation de la force vitale et de l’énergie.

L’ouvrage de Virey s’achève sur un aperçu cosmique qui nous montre la race humaine, et le monde lui-même, parvenant « au sommet de sa croissance » et devenant une planète éteinte, dans un cycle éternel de mondes qui périssent et qui renaissent..

Sur un plan plus pratique, l’épidémie de choléra de 1832 conduisit Virey à publier un petit manuel offrant au publie des préceptes sur les précautions à prendre en temps d’épidémie. Il y insiste sur la propreté de la personne et du ménage, l’aération, les conditions climatiques, la tempérance, la chasteté et l’équanimité. Mais le plus intéressant est son sentiment sur la contagion. Peu disposé i abandonner tout à fait ses idées contagionnistes et à se joindre au camp anticontagionniste, il penche pour une position moyenne. S’il admet la contagion comme une des causes des épidémies, il souligne en même temps le rôle de facteurs tels que le miasme et la constitution épidémique. Il se déclare bien contre la quarantaine et les cordons sanitaires, mais n’en répugne pas moins à rejeter l’isolement comme moyen préventif efficace. L’année suivante cependant, dans un rapport à la Chambre des députés, il se rangera définitivement parmi les anticontagionnistes.

Malgré son appartenance à la bourgeoisie libérale et l’intérêt philosophique qu’il porte à la sociologie de l’hygiène, Virey n’est pas un réformateur. Il n’est pas porté à la contestation sociale ; il se contente de philosopher.

Reste à préciser sa place dans l’orientation scientifique de la pharmacie française. Au point de vue pratique, il a eu l’accord complet de ses confrères. Son Traité de pharmacie théorique et pratique fut chaleureusement loué par Parmentier lors de sa publication en 1811 et sa réédition à quatre reprises dans les années suivantes témoigne de sa popularité. Son traité de matière médicale (Histoire naturelle des médicamens, des alimens et des poisons…), publié en 1820, reçut, lui aussi, un bon accueil et il était souvent consulté par l’administration des douanes sur les substances médicales importées en France. Enfin, de 1812 jusqu’à sa mort, Virey fut l’un des rédacteurs du Journal de pharmacie, auquel U donna de nombreux articles, et en 1830 il fut élu président de la Société de pharmacie..

A ses yeux, le vrai pharmacien n’est pas un simple vendeur de drogues, mais un homme qui joue un rôle social en tant que savant et en contribuant de façon importante à la santé publique. Idée partagée par un grand nombre de pharmaciens distingués de l’époque, tel A.-L. Fée (1789-1874), pharmacien militaire et professeur de botanique à la Faculté de médecine de Strasbourg, qui écrit en 1828 que «la société attend du pharmacien autre chose que la simple connaissance des drogues » i il doit être expert dans tout ce qui touche la santé publique (désinfection et hygiène industrielle, par exemple), ainsi qu’en chimie analytique, particulièrement en ce qui concerne l’adultération des aliments et des drogues et la toxicologie.

Virey illustre la tradition brillante de la pharmacie militaire française. Il appartient aussi à la phalange des pharmaciens-naturalistes de l’époque tels que R.-P. Lesson (1794-1849), Charles Gaudi- chaud-Beaupré (1780-1854) et Fée. En chimie, il offre un curieux paradoxe. Vitaliste, on s’attendrait qu’il acceptât le dicton de Stahl t Chemiae usus in medicina nullus, aut fere nullus. Or il rejette catégoriquement cette thèse. Et c’est Cabanis, son adversaire philosophique, qui emboîte le pas à Stahl ! Ainsi, sur le plan pratique, Virey se trouva parfaitement en accord avee les travaux de Fourcroy, de Vauquelin et de leurs disciples dans le domaine de la biochimie médicale. Sans faire lui-même de découvertes originales, il soutint et entretint chez ses confrères un vif intérêt pour la science.

Virey aimait, fuyant les ennuis du monde, se retirer chez lui, rue Soufflot, tout près du Panthéon, pour y méditer et y écrire sur le cosmos, la nature et la vie. La vie ? Elle « n’appartient point à l’individu ; c’est comme une liqueur d’immortalité qu’on rend telle qu’on l’a bue dans la coupe inépuisable du temps… ». Et Réveillé-Parise de remarquer que Virey exprime là « une belle idée, noblement rendue, mais qui manque de cette sévérité scientifique si , recherchée aujourd’hui ».

Ces « belles idées », si elles n’ont guère contribué au progrès de la pharmacie française, donnèrent du moins au cercle auquel Virey appartenait un certain cachet.

(Traduction Hortense Berman). Alex BERMAN, College of Pharmacy, The University of Texas, Austin, Texas 78712, Etats-Unis.

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