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Joseph Tournefort

Joseph Pitton de Tournefort (1656-1708),
un apothicaire obstiné*

 

Tournefort, botaniste, gravé par Pigeot d’après Maulet

Joseph Pitton de Tournefort est né en Provence, à Aix, le 5 juin 1656. Il fut reçu Docteur de la Faculté de Paris, trente ans après, en 1686, et l’année suivante dédia sa première thèse de Présidence à M. Fagon, le célèbre médecin du Roi, en soutenant affirmativement : « An morborum curatio and mechaniceo leges referenda. »

Que ce Provençal, agrégé de la Faculté de Paris, déclare comme vérité que « le traitement des maladies peut se ramener aux lois de la mécanique » cela est assez original mais insuffisant pour éveiller la curiosité des pharmaciens … Cela demandait un supplément d’information. Tournefort était d’une famille noble. on le mit au Collège des Jésuites d’Aix. Il y montra beaucoup plus de disposition pour l’école buissonnière que pour le latin. Il connu bientôt tous les buissons de la campagne d’Aix, le nom des plantes qui les composaient mieux que les appréciations historiques de Tacite.

Quand il fut en classe de philosophie, il trouva d’autant moins d’attrait à celle qu’on y enseignait qu’il venait de découvrir dans la bibliothèque de son père : « la philosophie de Descartes ». Peut-être justemebt parce que son père s’opposait à cette lecture, en cachette ou par surprise, il s’y plongea.

« Tu seras prêtre » lui avait dit à son fils le sire Pitton, écuyer, seigneur de Tournefort et d’Aimare de Fagoue… Il n’est pas rare de trouver des fils en contradiction avec les désirs de leurs pères. La tradition qui veut depuis Hippocrate que l’enseignement de la médecine soit du domaine patrimonial a subi, souvent, quelques écarts. « Il me devait d’être médecin » disait récemment un de nos plus éminents chirurgiens en parlant de son fils et… « il est chansonnier, histrion, bonisseur, baladin ! Quelle époque … !  » Non, mon cher Maître, toutes les époques ont connu cela.

« Tu seras prêtre » lui avait donc dit son père. Et en bonne logique le plaça dans un séminaire. Et… vas donc voir si j’y reste…Il fait le mur du séminaire. Il ne fait pas que ce mur là. il pénètre par adresse, quelquefois par présents, dans des lieux fermés où il pouvait croire qu’il y avait des plantes nouvelles pour lui. Cela lui valut un jour d’être accablé de pierres par des paysans qui le prenaient pour un voleur.

La mort de son père, en 1677, le libéra de toutes allégences à ses volontés. Avec beaucoup de piété filiale, il lui abandonna en hommage respectueux, l’étude de la théologie, se réservant pour son présent celle de la botanique, de l’anatomie, ce qui était sa passion de jeune homme. Il y était encouragé par un oncle médecin fort habile et fort estimé.

Il est porté déserteur du séminaire et recherché comme tel par les bons Pères. Il a pris le maquis dans les montagnes de la Savoie et du Dauphiné. Il en revient, quand on l’a oublié, et rapporte une quantité de belles plantes sèches qui seront les premiers éléments de son herbier. La botanique n’est pas une science sédentaire et paresseuse que l’on puisse étudier dans l’ombre des arcades d’un cloître. Il va courir les montagnes et les forêts. Il va se payer du voyage.

En 1679, il part pour Montpellier où pendant deux ans il va se perfectionner dans l’anatomie et la médecine. Le bon roi Henri IV a fait établir dans cette ville un Jardin des Plantes dont il fera ses délices quotidiens. Ce jardin devient rapidement trop petit pour lui. Il entraine quelques étudiants, même des médecins du pays, en avril 1681. Il les garde jusqu’à la Saint-Jean dans les montagnes de Catalogne.

Il repart alors seul pour Barcelone. Voyage difficile où il rencontre plus de « miquelets » que de plantes nouvelles. Il raconte quel stratagème il trouva pour leur cacher un peu d’argent. Il l’enfouissait dans son pain noir, tellement noir et tellement dur que les voleurs le méprisaient, alors qu’ils volaient sans retenue et n’étaient pas gens à rien dédaigner.

Il revint à Montpellier et delà, alla chez lui, à Aix, où il rangea dans son herbier, bien  entières, conservées et disposées selon un bon ordre dans de grands livres en papier blanc, toutes les plantes qu’il avait ramassées en Provence, en Catalogne et sur les Alpes et les Pyrénées.

Son nom commençait à se répandre parmi les apothicaires et les amateurs d’herbes. C’est ainsi qu’il vint, vers cette époque jusqu’au premier médecin de la reine Marie-Thérèse d’Autriche, Fagon, qui était fort attaché à cette partie curieuse de la « physique » et des plus essentielles à la médecine. Madame de Venelle, sous-gouvernante des Infants de France, qui connaissait la famille Tournefort, réussit à persuader l’ancien séminariste de venir à Paris.

Elle le présenta à Fagon, en 1683, qui d’emblée lui procura la place de professeur de botanique au Jardin royal des Plantes que Louis XIII venait d’établir, à Paris, pour l’instruction des étudiants. Mais cet apothicaire vagabond obstiné*, ne peut tenir en place. Il retourne en Espagne et passa jusqu’en Portugal. En Andalousie, qui est un pays garni de palmiers, il voulut vérifier ce qu’on disait depuis longtemps des amours du mâle et de la femelle de cette espèce. Mais ces amours gardèrent pour lui le mystère dont ces beaux arbres s’entourent encore actuellement.

Le goût des voyages devint de plus en plus persistant. Il alla en Hollande, en Angleterre, où il ne vit pas que des plantes, mais aussi des botanists qui devinrent ses amis. A tel point, qu’Herman, Professeur de botanique à Leyde, lui fit d’alléchantes avances pour lui résigner sa place car il avançait en âge. il lui promettait une pension de 4000 livres et l’espoir d’une substantielle augmentation. Mais Tournefort, enfant du Midi, aimait son pays, trouvait que les sciences y étaient à un aussi haut degré de perfection qu’en aucun autre pays, bien qu’on y traitât les savants avec beaucoup plus de parcimonie, de modestie. Et la Hollande était en guerre avec la France.

En 1691, l’Académie des Sciences avait été mise sous l’inspection de l’abbé Bignon qui fit un des premiers usages de son autorité à faire entrer Tournefort dans cette compagnie et à le présenter lui-même à l’Académie, après agrément du Roi.

Le premier ouvrage de Tournefort, intitulé « Éléments de botanique pour reconnaitre les plantes » sortit, en 1694, de l’Imprimerie du Louvre, en trois volumes in-8°. Cette méthode que Tournefort a adopté consiste à régler les genres des plantes par les fleurs et les fruits  pris ensemble, c’est à dire que toutes les plantes semblables par ces deux parties doivent être rangées dans le même genre. Après quoi, les variétés qui s’observent dans la tige, dans la racine, ou dans les feuilles désignent les espèces différentes. C’est un prodigieux soulagement pour la mémoire que tout se réduise à retenir quatorze figures de fleurs par le moyen desquelles on descend à 673 genres qui comprennent sous eux 8 846 espèces de plantes connues au temps du livre.

C’est peu de temps après que Tournefort se vit imposer le bonnet de Docteur de la Faculté de Paris. Sa thèse fut célébrée d’une manière digne de celui à qui elle était dédiée : Fagon. Les écoles étaient superbement décorées, la thèse magnifiquement encadrée, ornée de sculptures et de dorures, était couverte d’un verre de Bohême. Au frontispice paraissait le portrait de l’illustre médecin.

L’agrégation de Tournefort fut pour lui un nouvel aiguillon. il publia, en 1698 : « Histoire des plantes qui naissent dans les environs de Paris, avec leur usage dans la médecine ». Une nouvelle édition parut en 1725, en deux volumes avec des annotations de Bernard de Jussieu. C’est, affirme Tournefort, la botanique de son pays que l’on doit le plus étudier, si l’on veut qu’elle soit utile. Non que la nature ait été aussi utile qu’on le dit autrefois, de mettre dans chaque pays les plantes qui doivent convenir aux maladies des habitants ; cette opinion détruit les liens qui unissent la grande famille des hommes qui sont faits pour s’entraider les uns les autres. Le principal intérêt de la botanique indigène c’est qu’il est plus commode et moins dispendieux d’employer ce qu’on a sous la main., qu’il est plus sûr et que souvent ce qui vient de loin ne vaut pas mieux. Ce qui ne l’empêcha pas, bie  au contraire, de s’intéresser aux productions des terres extérieures.

En 1700, Tournefort reçut de Louis XIV l’ordre d’aller en Grèce, en Asie et en Afrique avec mission non seulement de reconnaitre les plantes des Anciens, mais encore pour y faire des observations sur l’histoire naturelle, sur la géographie ancienne et moderne, et même sur les moeurs, la religion et le commerce des peuples. Il eut ordre d’écrire le plus souvent qu’il pourrait à M. Le comte de Pont-Chartrain qui lui procurait tous les agréments possibles dans son voyage et de l’informer en détail de ses découvertes et aventures. Tournefort, accompagné de Gundelsheimer, médecin allemand, et du peintre Aubriet, alla jusqu’à la frontière de la Perse, herborisant et observant. Il donne le récit de leur descente dans la grotte d’Antiparos pour y trouver une nouvelle espèce de jardin, dont toutes les fleurs étaient différentes : pièce de marbre encore naissante ou jeunes et qui, selon toutes les circonstances dont leur formation était accompagnée, n’avaient pu que végéter.

L’Afrique était comprise dans le dessein de voyage de Tournefort mais la peste qui sévissait en Égypte le fit revenir de Smyrne en France en 1702. Il rapportait avec une infinité d’observations, 1356 nouvelles espèces de plantes dont une grande partie venaient se ranger d’elles-mêmes, dans un des 673 genres qu’il avait établis.

Il lui fallut, à son retour, s’acquitter des anciens exercices du Jardin royal. On y ajouta encore ceux du Collège Royal où il eut une place de professeur. Enfin, il travailla à la relation de son grand voyage dont il n’avait rapporté que de simples mémoires.

Malgré sa forte constitution, sa santé se dérangea : il reçut de plus, accidentellement, un coup violent à la poitrine dont il jugea que bientôt il mourrait. Ce qui arriva le 28 décembre 1708. Les manuscrits qu’il laissa dans son cabinet permirent d’achever la « Relation d’un voyage du Levant » fait en deux volumes, par ordre du Roi, et dont les éditions furent nombreuses à Paris, à Amsterdam, à Lyon, en Angleterre. Tournefort laissa aussi un manuscrit, un « Traité de matière médicale » qui contient la description des plantes, leurs vertus et l’énumération des formules dans lesquelles elles rentrent. Son oeuvre valait bien qu’on rappelât sa mémoire à ses compatriotes et à ses condisciples avant que l’archaïque et pittoresque petite rue qui, à Paris, porte son nom ne soit absorbée par les hauts blocs de béton qui déjà l’entourent et montent inéluctablement à l’assaut de la Colline sacrée. Ainsi le veut le déshumanisation de l’habitat moderne, génératrice de grands ensembles plutôt que de grands esprits.

Source : Anonyme

* Note : Tournefort n’était pas apothicaire mais avait été initié à la science par un apothicaire d’Aix.

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