Il y a plus de 40 ans (le 25 octobre 1980), on a célébré le début de la poste aérienne 110 ans plus tôt, le 5 septembre 1870 à Metz. Et c’est grâce au pharmacien militaire Julien Jeannel (1814-1896) que fut réalisé ce premier envoi du courrier par ballon, lors du blocus de Metz.
Julien Jeannel, pharmacien militaire
Mais rappelons d’abord qui fut Julien F. Jeannel[i]. Il fut tout d’abord élève à l’hôpital militaire d’instruction de Strasbourg puis, en 1832, à l’Ecole d’application de la médecine et de la pharmacie militaire du Val-de-Grâce à Paris où il fut lauréat en 1833. Pharmacien sous-aide, il sert à Lille, Lyon, au Val-de-Grâce et termine conjointement ses études de médecine en 1838, au moment où il est nommé pharmacien aide-major.
Il connait par la suite un avancement rapide puisqu’il devient principal de 2ère classe en 1852 (lieutenant-colonel). Il est affecté successivement à Paris, Toulouse, Strasbourg et Bordeaux où il restera jusqu’en 1869.
Entretemps, on le voit affecté à l’armée d’Orient pour la Guerre de Crimée (1854-1855). Il est également enseignant à Strasbourg pour la physique et la chimie. En 1869, Jeannel est nommé pharmacien-chef de l’hôpital militaire Saint-Martin à Paris, aujourd’hui disparu.
Au début de la guerre de 1870, il est affecté à l’armée du Rhin comme chef du service pharmaceutique de la Garde impériale. Le 4 novembre 1870, il devient chef du service pharmaceutique des hôpitaux, ambulances de la ville de Metz.
Le 3 décembre 1870, il quitte Metz en vertu de la Convention de Genève et devient pharmacien en chef de la 2ème armée de la Loire, puis est réaffecté à l’hôpital Saint-Martin.
Après la guerre, Jeannel termine sa carrière en succédant, en août 1872, à Poggiale, comme pharmacien inspecteur et prend sa retraite en 1878. Après avoir repris du service à Lille et à Nice, il se retire à Villefranche et meurt en 1896. Tout au long de cette carrière, Jeannel se fait remarquer par de nombreuses publications et son intervention lors de situations critiques : en 1840 lors du blocus de Médéa, et pendant l’épidémie de choléra de l’armée d’Orient à Varna en 1854 (ce qui lui valut la Légion d’Honneur en septembre 1854, au lendemain de la bataille de l’Alma).
Metz et la poste aérienne
Jeannel expliqua lui-même l’origine de son initiative à Metz, pendant le siège de la ville par les troupes allemandes[ii]. Dans le « Feuilleton de l’Union Médicale du 1Er avril 1871 : « Le premier septembre 1870, je devisais avec le docteur E. Papillon, médecin aide-Major à l’ambulance de la Garde, esprit aventureux et frondeur, vif et cultivé, grand porteur de nouvelles, polémiste à tout vent ; en somme, aimable et gai compagnon… Je ne conçois pas, me dit le docteur Papillon, que l’on n’ait pas songé à envoyer des dépêches chiffrées, au moyen de quelques aérostats ; mais une grande ville comme Metz doit offrir des ressources industrielles de toutes sortes ; ce serait à faire à vous, monsieur Jeannel. Je répondis que l’on ne pouvait pas devenir aéronaute du jour au lendemain et notre conversation se détourna sur d’autres sujets ».
Jeannel explique ensuite comment l’idée d’entrer en communication avec la France au moyen d’aérostats s’empara de son esprit, et comment il se mit à réfléchir aux moyens de réaliser ce projet.
C’est durant la nuit qu’il ébaucha son programme ; il le soumit dès le lendemain matin, 2 septembre, par écrit, au Général Jarras, Chef d’Etat-Major de l’Armée du Rhin.
Comme le raconte Jean-Marie Galmiche[iii] : « Ils obtiennent l’autorisation de Bazaine à condition de n’envoyer que des messages privés car ce serait trop dangereux de confier à ces légers esquifs, susceptibles de tomber aux mains des ennemis, des secrets militaires. Le général Jarras chargé de les superviser leur accorde un crédit de 1000 F.
Jeannel et Papillon s’installent dans les greniers du Fort Moselle à Metz, et se mettent à fabriquer des petits ballons de papier pelure imperméabilisé au collodion, car on manquait de tissus adéquats. Ils
les gonflent à l’hydrogène obtenu par action de l’acide sulfurique sur de la ferraille. Chaque ballon de 1 m3 pouvait porter 1200 g, et tenir l’air 5 heures. On y accrochait un lest de brefs messages familiaux sur papier pelure, et une promesse de récompense de 100 F à qui trouverait ces messages et les posterait.
C’est ainsi, que du 2 mai au 13 septembre 1870, environ 3000 lettres furent expédiées vers la France libre. Jouant à la fois sur le patronyme d’un des inventeurs et sur la fonction de l’autre, on les appelait « les papillons des pharmaciens ».
La moitié de ces messages arriva à destination. Nos deux héros avaient créé la première poste aérienne. L’idée était bonne et la réalisation en fut copiée avec de plus grands moyens par l’artillerie et le génie. C’est ainsi que « les ballons du génie », fabriqués sous la direction du colonel Goulier, prirent leur succession.
Mais le succès de cette invention importante fut éclipsé par des épisodes tragi-comiques. C’est ainsi que certains messages n’arrivèrent pas toujours au destinataire présumé, engendrant des conflits familiaux, ou que certains s’égarèrent même derrière les lignes ennemies comme l’aventure arrivée à la lettre du chef d’état major, le Général de Coffinière, dont les critiques stratégiques à l’égard de Bazaine étaient des plus vives. Ce ballon tomba malencontreusement aux mains des Prussiens. Le Prince Frédéric-Charles de Prusse se fit un malin plaisir de la renvoyer à Bazaine après avoir souligné en rouge les passages importants, ce qui mit le Chef d’Etat Major en situation inconfortable devant son supérieur qui interdit définitivement ce trafic de messages. Pourtant, ce désenclavement psychologique avait eu le meilleur effet sur la population messine dont les journaux débordaient de lyrisme. »
On constate que le succès côté militaire fut plus mitigé, ce que M. Rigol, Conservateur du Musée postal en 1968 tenta d’expliquer : « la première poste aérienne n’a pas connu la notoriété dont a profité celle de Paris. Ce demi-échec s’explique par l’inqualifiable indifférence dont elle fut l’objet dès l’origine. Elle ne bénéficia pas, dès l’abord, de grandes marques d’intérêt de la part du commandement, de trop faibles moyens furent mis à la disposition des inventeurs et constructeurs dont cependant, ni l’imagination ni le zèle ne sauraient être mis en cause.
C’est pourquoi, avec le recul du temps, une question doit être posée : Le maréchal Bazaine tenait-il vraiment à entrer en contact avec le Gouvernement de la Défense nationale et maintenir élevé le moral de ses troupes, lentement sapé par l’isolement et l’inaction ? La suite des évènements semblerait entraîner une réponse négative et ce n’est pas l’histoire des « papillons de Metz » qui modifiera la version générale admise à cet égard » ii.
Il faut noter que ces plis expédiés par Jeannel ont reçu le nom de Papillons de Metz, à la fois en raison du nom de l’auteur de l’idée et de la forme de ces lettres, rectangles de papier pelure simplement pliés et deux et très légers. Grellois publia ses souvenirs du siège dans un ouvrage paru en 1872 sous le titre d’Histoire médicale du blocus de Metz et écrivait « Jeannel s’est acquis des droits particuliers à la reconnaissance de la population et de l’armée de Metz en organisant, pendant le siège de cette ville, une poste aéronautique »[iv].
Le 25 octobre 1980, on commémora cet évènement, avec émission d’un timbre, avec la participation de l’arrière-petit-fils du pharmacien Jeannel, l’abbé Fauveau et des personnalités de la ville. Une plaque fut apposée à gauche du portail de l’ancien hôpital-amphithéâtre de Metz.
Référence
[i] Pour plus d’informations, voir l’articles de Pierre Labrude : Jeannel et les « papillons de Metz, Actualités pharmaceutiques, septembre 1997, d’où sont tirées la plupart des informations de cette exposition.
[ii] J.M. Rouillard, P. Fauveau. Le docteur Julien François Jeannel (1814-1896), pharmacien en chef de l’armée impériale, réalisateur de la première poste aérienne (Metz, 1870). http://documents.irevues.inist.fr/bitstream/handle/2042/34304/ANM_1976-1977_61.pdf?sequence=1
[iii] J.-M. Galmiche. Julien François Jeannel (1814-1896) « homme protée » ou l’histoire d’un pharmacien militaire hors du commun. Histoire des sciences médicales, t. XXXII, n°3, 1998.
[iv] E. Grellois. Histoire du blocus de Metz, par E. Grellois, ex-médecinen chef des hôpitaux et ambulances de cette place, ex-médecin en chef d’armée, Commandeur de la Légion d’honneur, Officier de l’instruction publique, J.B. Baillière ed., Paris, Alcan, Metz, 1872.