Jean Reusse (1910-1997)
par Roger Baptiste, dans la Journal de la Fédération des Pharmaciens de réserve
Né à Beauvais en 1910, Jean Reusse perdit son père à quatre ans. Sa mère lui enseigna la générosité en consacrant sa vie à des oeuvres de bienfaisance, ce qui lui valut la Légion d’honneur, et épousa un ami de son père, pharmacien à Aumale : celui-ci lui apprit les premiers gestes du pharmacien à l’officine. C’est tout naturellement vers la pharmacie que Jean Reusse se dirigea après ses études secondaires à Beauvais. Et déjà son activité se manifesta au sein de l’Amicale des Etudiants en pharmacie dont il fut membre du bureau et trésorier tout en préparant son diplôme obtenu en 1934.
La guerre interrompit sa situation de gérant et d’assistant en pharmacie et c’est à l’ambulance de Groupement de Corps d’Armée n°6 où il fut affecté qu’il fit la connaissance de François Prevet, lieutenant comme lui. Il fut prisonnier avec lui, et libéré en février 1942. Deux mois plus tard, il devint assistant de son ami Prevet propriétaire du laboratoire du Gomenol. Il soutint une thèse de doctorat en pharmacie, obtint le diplôme de pharmacien industriel. Puis il succéda à François Prevet à la mort de celui-ci en 1974.
Il est impressionnant de constater que les nombreuses fonctions ue Jean Reusse occupa par la suite ne furent pas incompatibles avec l’impulsion remarquable qu’il sut donner à son laboratoire. C’est lui-même qui mis au point, auprès du professeur Quevauviller et sous la direction de celui-ci la formule de la spécialité aujourd’hui essentielle à son entreprise : l’Hexaquine, utilisée dans les états grippaux et surtout contre les crampes musculaires. Il sut, en même temps, se montrer soucieux d’apporter à ses collaborateurs des avantages allant au delà des dispositions officielles : tous lui étaient profondément attachés.
Les vertus intellectuelles et morales de Jean Reusse, faites de clarté, d’efficacité, de justice, de droiture, expliquent qu’il fut sollicité pour assurer de nombreuses fonctions qu’il valorisait en les occupant : il assurait le rayonnement des organismes ayant fait appel à sa collaboration.
Entré à l’Ordre des pharmaciens en 1953, il était depuis 1958 membre de Conseil national où tous appréciaient ses interventions pertinentes, la courtoise autorité de ses propos, sa recherche de la vérité.
Comme un certain nombre de ses confrères, il avait fait un jour un choix : celui d’être officier de réserve militant, trouvant là un rempart pour les valeurs auxquelles il était attaché dans un monde que le laxisme risque d’entrainer à sa perte. Et, tout naturellement, il est devenu président de la Fédération Nationale des Pharmaciens de réserve, en même temps que vice-président du Groupement des Officiers de réserve de Santé des Armées et membre du Conseil d’administration de l’Union Nationale des Officiers de Réserve. Il montra la grande importance qu’il attachait à ces postes de responsabilité en demandant à être enterré en uniforme.
Jean Reusse fut en outre commissaire aux comptes puis président de l’Académie nationale de Pharmacie ; membre du Conseil d’administration de la Caisse de retraite des Pharmaciens, du Home du Pharmacien, de la Fédération internationale pharmaceutique dont il était secrétaire de la section militaire et dont il fut le délégué dans de nombreuses instances nationales et internationales.
Il prit en charge : les prisonniers de guerre (1944), fondant et président leur association, prenant soin de leurs peines, de leurs doléances, de leurs efforts ; les pharmaciens sinistrés d’Afrique du Nord (1957) ; les pharmaciens rapatriés (1964) en étant membre de la commission de reclassement. Quant aux « populations civiles », il fut conseiller technique de leur protection sanitaire (protection civile) et, en qualité de membre de la Commission d’entraide de notre Ordre national, délégué officiel pour les questions de solidarité dans de nombreux congrès.
Il fut fait appel à Jean Reusse pour être trésorier puis président du Comité d’organisation des Journées pharmaceutiques internationales de Paris ; mais aussi pour être membre de très nombreux comités, commissions, conseils, délégations : membre encore de toutes les sociétés pharmaceutiques.
Enfin, il représenta la France dans près de quarante réunions internationales. La simple énumération de ses activités que nous ne pouvons pas citer toutes, remplit plusieurs pages dactylographiées.
Sans qu’il ait jamais cherché les honneurs, (il était trop modeste), on comprendra qu’ils vinrent à lui, en particulier sous la forme de nombreuses décorations. Ne citons que les deux plus brillantes, les plus prestigieuses : Commandeur de la Légion d’honneur, et Commandeur de l’Ordre National du Mérite. Dans sa vie privée, Jean Reusse sut se montrer aussi éclectique que dans sa vie professionnelle : il aimait les voyages… en plus de ceux où l’entrainaient d’innombrables congrès. Il était amateur d’art : en peinture sa prédilection allait à Raoul Dufy. En musique, sans être exécutant, son instrument préféré était le piano. Sa mère avait été une excellente pianiste et j’ai été touché par l’émotion intense qu’il a manifesté à l’audition d’une valse de Chopin dans la maison natale de ce compositeur près de Varsovie lors d’un congrès de la F.I.P. Enfin, il appréciait les beaux meubles, les tapis moelleux ou soyeux, chinois en particulier.
Il avait fait beaucoup de bicyclette dans sa jeunesse, mais sa passion d’adulte était la course de chevaux. Sans posséder de cheval, et ne jouant que de petites sommes, il fréquentait cependant tous les champs de cours avec une préférence pour les courses d’obstacles à Auteuil. Il était l’ami de nombreux jockeys, entraineurs et propriétaires de chevaux. Enfin, en terminant, je voudrais apporter au souvenir de Jean Reusse le témoignage affectueux et fidèle de ses amis. Le connaître, c’était l’estimer, l’admirer, l’aimer. Près de lui depuis un demi-siècle, je pense pouvoir le caractériser en pesant chaque mot et dire de lui que c’était un être sensible, délicat, discret, serein, sécurisant, disponible, généreux, loyal, prudent : c’était un sage.
J’ai été témoin de tant de situation ! Quand on le félicitait, il se retranchait derrière un travail d’équipe ; à un général l’interrogeant sur un camarade peu estimable, il élude la question en répondant à côté. Un confrère avait un avenir terni par un mauvais dossier en kaut lieu. Surpris, Jean Reusse fit une longue et délicate enquête prouvant finalement qu’il y avait erreur. La victime fut réhabilitée et ne saura jamais comment cela s’est fait et à qui il le doit ! Innombrables sont ceux qui ont fait appel à son conseil, son expérience, la sagesse de son jugement pour orienter leur vie professionnelle et parfois personnelle. Ayant de nombreuses responsabilités, il lui fallait prendre des décisions et quelquefois des positions courageuses. malgré cela, je n’ai jamais entendu quelqu’un médire de Jean Reusse : cela caractérise l’homme qu’il était : il n’avait que des amis. Personnellement, je lui dois une trsè profonde gratitude. Jean Cocteau a écrit : »L’importance d’un ami se mesure à la direction qu’il a donné à nos pas. » Eh bien Jean Reusse a orienté les miens dans toute ma profession. C’est lui qui m’a incité à prendre une responsabilité l’Ordre des Pharmaciens, à faire partie de notre caisse de retraite, qui m’a attiré à l’Académie de Pharmacie me disant qu’il n’y avait que deux pharmaciens d’officine. Quant au rôle de pharmacien officier de réserve, si j’étais déjà un convaincu par atavisme, je n’aurais jamais envisagé de lui succéder à la présidence de la Fédération s’il ne m’avait pas présenté au choix de mes camarades. J’ai ainsi été encore plus près de lui : je lui demandais conseil, j’admirais son style et j’ai gardé la copie de quelques lettres magnifiques. il dominait parfaitement la langue française et sa conversation était faite de mots choisis souvent agrémentée d’un humour délicat : en toute chose, son contact était enrichissant.
Avec le décès de Jean Reusse, la pharmacie française est en deuil.
Il était un exemple pour tous. Que cette reconnaissance soit pour Mme Reusse, sa famille, ses intimes le douloureux témoignage de la profonde affection que nous avions pour lui.