Le Laboratoire Jacquemaire
Comme beaucoup de petits laboratoires pharmaceutiques, l’histoire de Jacquemaire est restée peu connue et mérite pourtant l’intérêt. Grâce aux descendants de la famille du fondateur, Léon Jacquemaire, nous avons pu reconstituer l’essentiel des étapes qui ont ponctué la vie de Léon Jacquemaire et de son entreprise.
Joseph, Léon Jacquemaire est né le 3 février 1850 à Moineville en Meurthe et Moselle, d’un père instituteur du village, Jean-Nicolas Jacquemaire (1817-1899) et de Marguerite Margot (1818-1904). Le 21 août 1880, Léon est diplômé pharmacien de 1° classe avec mention bien et décide de s’installer en 1881 dans une pharmacie de Villefranche-sur-Saône, 28 rue d’Alma. Jacquemaire s’associe cette même année à Miguet, également pharmacien à Villefranche, pour fonder le « Laboratoire Jacquemaire » qui produira des phosphates, puis, par la suite les glycérophosphates, et d’autres produits (Carnine, Blédine, Verrulyse…)
1. Les phosphates et les glycérophosphates : les premiers succès de Jacquemaire
En 1881, Jacquemaire découvre un procédé simple pour conserver les solutions phosphatées à l’abri des altérations et met en œuvre à partir de 1886 une conservation des solutions de phosphates de chaux en utilisant le gaz carbonique sous pression. Mais Jacquemaire va franchir une nouvelle étape industrielle avec les glycérophosphates. En août 1893, Jacquemaire pense en effet avoir trouvé un moyen industriel pour préparer ce produit. Depuis plusieurs années, cette substance fait l’objet de travaux intenses. Mais, malgré les efforts de Jacquemaire, la préparation des glycérophosphates reste difficile. Il faudra attendre 1906 et un brevet Poulenc (Brevet n°373112, mars 1906, Lebeau et Courtois) pour qu’un procédé permette une préparation plus acceptable des glycérophosphates.
Quoiqu’il en soit, à partir de 1893, et plus encore de 1894 où les glycérophosphates de sa production ont été testé avec succès par le Dr Robin à l’hôpital de la Charité (Lyon), Jacquemaire va décliner ce principe actif dans plusieurs spécialités et différentes formes galéniques :
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Phosphate Vital de Chaux, solutions gazeuses, injectable ou granulés, contre les maladies des enfants, la tuberculose, et pour les convalescents.
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Phosphate Vital pour la Neurasthénie.
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Phosphate Vital de fer pour l’anémie et la chlorose.
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Phosphate Vital composé pour la convalescence.
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Phosphate Vital de quinine pour les fièvres.
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Solutions de Cacodylo-Phosphate Vital contre toutes les formes graves de l’épuisement, etc.
La publicité pour le Phosphate Vital est particulièrement abondante et insiste sur les avantages du produit chez l’adulte et chez l’enfant. Ceci donnera l’idée à la Société Jacquemaire dans son journal de réécrire l’histoire d’enfants célèbres : Marguerite de Valois (la Reine Margot) à 5 ans6, ou encore Louis XVII : « ce n’est pas seulement l’air, le mouvement, le jeu qui lui ont manqué dans sa prison : ce sont surtout les phosphates, car le Phosphate Vital l’eut sauvé. Et il n’est pas douteux que M. L. Jacquemaire, s’il eut vécu en ce temps là, n’eut largement approvisionné le petit martyr du Temple.
2. Les autres spécialités : La Carnine, la Blédine et le Verrulyse
Les travaux de Jacquemaire avant la fin du XIX° siècle ne se sont pas limités aux glycérophosphates. A titre d’exemple, Jacquemaire publie en 1888, en même temps que son procédé de conservation des solutions de phosphates calciques, un nouveau procédé pour préparer rapidement de la pommade mercurielle double. L’auteur ayant constaté que cette préparation est difficile car le mercure et l’axonge sont doués de propriétés disparates, il propose d’utiliser un corps intermédiaire qui fasse le lien entre les deux composants de base de la préparation : le potassium (à 1 p. 1000 de mercure). « Grâce à ce procédé, il n’est pas plus difficile de préparer 100 grammes d’onguent mercuriel double que 100 gr ammes de pommade belladonée, tout en préservant l’identité du produit avec la préparation du Codex ».
On peut, conclut-il, « se passer du droguiste pour la confection d’un remède sérieux »10. Jacquemaire met également au point le biphosphate de chaux gazeux, le chlorhydrophosphate de chaux gazeux et le phosphate de fer gazeux. Par ailleurs, dans le contrat de cession de la Carnine, Jacquemaire précise qu’il garde la propriété des marques correspondant aux glycérophosphates, ainsi que l’Essence Vital, l’Animaline, le Chocolat dentaire, l’Adamentine, et l’Iode Vital de Jacquemaire.
Mais Jacquemaire restera connut surtout à partir de deux produits qu’il va mettre au point : la Carnine et la Blédine.
- La Carnine :
Au début du XX° siècle, et à la suite des travaux de Richet et bien d’autres, se développe une vogue pour le suc musculaire. Dans ce contexte, Jacquemaire met au point une préparation artisanale de la Carnine, en 1900 (marque déposée au Tribunal de Commerce de Villefranche le 17 septembre 1900), avec son préparateur, Monsieur Lefrancq. Ce dernier, sans l’accord de son patron, dépose en 1904 une nouvelle marque, la Carnine Lefrancq (déposée le 2 mai 1904), qui deviendra un succès commercial mais aussi une source de tension entre les deux hommes. A compter de 1905, la Carnine Lefrancq bénéficie d’une large publicité et d’un développement important. Cela conduira à la création ultérieure de la Société Carnine Lefrancq et de son Laboratoire de recherches scientifiques de l’usine de Romainville. Ce laboratoire avait pour but « sous le contrôle d’un membre de l’Académie de Médecine », de faire une série d’études « tendant à élucider le mode d’action de la Carnine et à préciser les processus intimes qui sont la raison biologique d’effets curatifs actuellement consacrés par la clinique ».
- La Blédine
Jacquemaire avait deux obsessions : les phosphates et les enfants. Il va trouver l’occasion de réunir les deux en cherchant des phosphates alimentaires d’origine naturelle, « et par conséquent bien plus appropriés à l’organisme délicat des enfants ». Jacquemaire publie en 1907 un ouvrage essentiel : « Le problème du pain : la Blédine », où l’auteur nous indique que le pain est un aliment vital mais qu’il faut qu’il soit bien fait, c’est à dire qu’il contienne le plus de phosphates possibles. On connaît le développement extraordinaire que connaîtra la Blédine. En 1907, à la mort de Jacquemaire, l’affaire est reprise par Maurice Miguet. « A cette époque, les ventes de Blédine représentaient 15000 boites de 250 g par mois. La fabrication était encore artisanale et la cuisson s’effectuait dans les fours de boulangers »16. En 1932, Maurice Miguet meurt, alors que la Société était en situation difficile. Jean Penche, son gendre, fut appelé à prendre les rennes de la maison par le biais du Groupe Gillet et sa filiale Progil. Jean Penche devint le Directeur Général en 1936*. Pendant la Seconde Guerre mondiale, la Blédine continue à se vendre bien grâce à une visite médicale très active auprès des professionnels de santé. Dès la fin de la guerre, les ventes reprennent fortement. « Blédine, la seconde maman » est un slogan qui marque les consommateurs. Au début des années 1950, Jacquemaire élargit ses gammes de farines 1° et 2° âge, puis lance les aliments infantiles en 1955. Dix ans plus tard, Jacquemaire rentre dans l’orbite de S.A.E.M.E. Evian. En 1970, BSN prend le contrôle de S.A.E.M.E. Au départ à la retraite de Jean Penche, c’est Louis Gibert qui lui succède en 1969. En 1973, Jacquemaire redevient une société autonome sous le nom de Diépal, puis entre dans le Groupe Danone en 1997.
- Le Verrulyse
Ce produit pharmaceutique, indiqué pour lutter contre les verrues comme son nom l’indique, est arrivé beaucoup plus tardivement dans la gamme pharmaceutique Jacquemaire. C’est en effet en 1920 que ce produit, toujours à base de glycérophosphates, mais aussi d’oxyde de magnésium et de méthionine, voit le jour.
*En 1936, Jean Bonthoux avait rendu service aux Établissements Jacquemaire en reprenant l’exploitation déficitaire de leurs spécialités pharmaceutiques Verrulyse et Formule Jacquemaire n°60. Pour soutenir leur diffusion, il avait créé une revue mensuelle « Mieux Vivre », destinée au corps médical, sous la direction artistique du critique d’art George Besson. De janvier 1936 à septembre 1939, quarante-six numéros se succédèrent préfacés par quelques-unes des plus belles plumes de l’entre deux guerres, de Georges Duhamel à Colette ou Tristan Bernard. C’était au temps de la Fluxine, du Froid Bonnet, des Pulvérisateurs Vermorel, du Bleu de travail et de la Blédine, la seconde maman.
Source : Bruno Bonnemain et François Patte, 2006