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Histoire de l’industrie pharmaceutique

Evolution de l’industrie pharmaceutique

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La Pharmacie Centrale de France en 1862 (cf RHP, juin 1976, n°229)

   Lorsque, dans la seconde moitié du XVIème siècle, Nicolas Houel ébaucha sa fameuse « Maison de Charité Chrétienne » dans le quartier Saint-Marcel, sans doute eut-il l’intention de créer une « école de jeunes orphelins, instruits à préparer et à distribuer à domicile des médicaments aux pauvres honteux de la ville et des faubourgs », mais cette école était également une petite usine où seraient fabriqués les produits pharmaceutiques et, dans le recueil de dessins intitulé « Procession de la reine Louise de Lorraine » où l’on voit la femme du roi Henri III allant du Louvre au faubourg Saint-Marceau pour poser la première pierre de la nouvelle maison, l’apothicairerie est formée par une suite d’ateliers dans lesquels travaillent de nombreux orphelins au milieu des alambics, des balances, des mortiers et des bocaux. L’inondation de la Bièvre, des promesses qui ne furent point tenues, de la misère des temps mirent l’œuvre en péril et Nicolas Houel mourut de chagrin, ruiné, en 1587.

XVIIème siècle

En 1623, la Société des Apothicaires de Londres crée, selon M. Bouvet, la première usine pharmaceutique. Ces apothicaires associés préparent en commun les principaux remèdes galéniques en usage et, en 1671, ils compléteront leur entreprise par un laboratoire pour la fabrication des nouveaux produits chimiques introduits en thérapeutique.

Les laboratoires de Nicolas Lémery et de Nicolas de Blégny, ceux de Rochas et des capucins du Louvre, fournissant non seulement la clientèle privée mais de nombreux apothicaires, prouvent qu’existe en France, au XVIIème siècle, un début d’industrie pharmaceutique. Pourtant, ainsi que l’a écrit M. Bouvet, le véritable créateur de la droguerie pharmaceutique dans notre pays est bien, au XVIIIème siècle, Antoine Baumé. Apothicaire d’officine, il dirige également des laboratoires pour la préparation des produits chimiques et galéniques et une usine où se fabrique le sel d’ammoniac « de la meilleure qualité et à très bas prix ».

XVIIème et XIXème siècles

Dans les premières décades du XIXème siècle, les pharmacies ressemblèrent fort aux apothicaireries de l’ancien régime. L’adoption du gaz, puis la présentation en vitrine de bocaux de couleur les modifièrent peu à peu. Le pharmacien continuait à élaborer de ses mains toutes sortes de pilules, bols, tisanes, lotions et potions. Il passait de longues heures dans ce que M. Homais nommait son « capharnaüm » et, comme le pharmacien de Yonville-l’Abbaye, avait tendance à le considérer non comme un simple magasin, mais comme un véritable sanctuaire. Seulement, à la même époque, d’autres pharmaciens se plaçaient à la tête de l’industrie chimique naissante. Des savants comme Fourcroy, Vauquelin, Robiquet, Chaptal, Courtois, Labarraque, Nativelle, bien d’autres encore, fondent des usines et participent au grand essor économique national. La recherche scientifique est suivie de près par l’entreprise industrielle de plus près qu’aujourd’hui car la masse des capitaux nécessaires est moins importante. Pelletier et Caventou pouvaient mener de front la direction d’une officine, l’enseignement, la recherche en laboratoire et l’industrie. En 1824, Pelletier crée avec J-B Berthemot une usine à Clichy pour la fabrication de la quinine. L’élève de Vauquelin, Frédéric Kuhlmann, professeur de chimie industrielle à Lille depuis 1824, enseignera pendant trente années mais fondera, au cours de la même période, de nombreuses usines de produits chimiques dans le Nord de la France, à Amiens, à Lille, etc. On sait l’extension prise depuis par ces entreprises. L’illustre Balard, pharmacien d’officine puis professeur, théoricien et homme de laboratoire, attachait la plus grande importance aux applications pratiques de la science. « La science, écrivait-il, ne parait pas seulement avoir pour mission de satisfaire chez l’homme ce besoin de tout connaître, de tout apprendre, qui caractérise la plus noble de ses facultés ; elle en a aussi un autre, moins brillante sans doute, mais peut-être plus morale, je dirai presque plus sainte, qui consiste à coordonner les forces de la nature pour augmenter la production et rapprocher les hommes de l’égalité par l’universalité du bien-être ».

Cette conception humanitaire de la productivité se rencontre fréquemment dans la première moitié du XIXème siècle. Fourcroy, Vauquelin, Chevallier, Soubeiran avaient rêvé de réunir en un seul faisceau toutes les pharmacies de France pour en former une association ayant pour but l’achat des drogues et la préparation en grand et en commun de médicaments offrant toutes les garanties. Ce n’est pas un hasard s’il fut réservé à Dorvault, partisan convaincu des doctrines phalanstériennes et animé des sentiments les plus élevés, de créer la Pharmacie centrale des pharmaciens, ou Pharmacie centrale, première tentative de coopération pour l’achat et la production. Le manifeste qu’il publié en 1852 est fort significatif. On peut y lire notamment :

« Le manque d’élèves et des obstacles matériels de toute nature ne permettent qu’à un petit nombre de pharmaciens de faire toutes leurs préparations eux-mêmes…On voit de plus en plus les pharmaciens demander les produits pharmaceutiques d’une préparation pénible ou difficile à la droguerie en gros. Les produits chimiques prennent de jour en jour une plus grande place dans la matière médicale ; comme les préparateurs pharmaceutiques et bien plus généralement encore que celles-ci, les pharmaciens vont les prendre à des œuvres étrangères.

Une conséquence fâcheuse et inévitable de cet état de choses, sans parler de leurs différents degrés d’action et en dehors de toute accusation de fraude, est la multiplicité d’aspects des mêmes médicaments. Et quelle garantie peuvent avoir les pharmaciens dans les produits simples ou composés qu’ils tirent de mille maisons différentes, les tirant elles-mêmes de sources plus ou moins authentiques, plus ou moins dignes de confiance ?

Nous voulons, et c’est un point sur lequel nous insistons, que le cachet de notre Association, apposé sur un produit, soit pour le pharmacien une garantie absolue de bonne qualité… Par la perfection de ses produits, par la confiance qui en résultera pour les médecins et les malades dans l’emploi du médicament, par les dispositions nouvelles qu’elle prendra, elle accroîtra singulièrement les ressources de la pharmacie. Ainsi donc, humanité, confraternité, prospérité, tel est le triple problème que l’entreprise résout ».

En dix ans, la Pharmacie centrale quintuplait son capital, créait une succursale à Lyon, et de nombreuses agences en province. En 1867 se joignait à elle le grand établissement de droguerie Ménier, composé d’une maison de commerce à Paris et d’une vaste usine modèle à Saint-Denis.

Adrian, en 1872, groupe plusieurs pharmaciens pour fonder la Société française des produits pharmaceutiques et préparer industriellement alcaloïdes, produits anesthésiques, glycérophosphates, capsules gélatineuses et perles, granules, pilules et dragées, poudres diverses…

Une des premières conséquences de cette nouvelle orientation de la profession fut un perfectionnement rapide de l’outillage. Des appareils ingénieux permirent un dosage plus rigoureux des médicaments. La conservation des produits fut améliorée. On parvint à dissimuler le goût répugnant de certaines drogues et à les présenter sous des formes agréables et d’une administration facile. Les papiers ou tissus en plastique, les sinapismes et cataplasme en feuilles, les capsules, les dragées, les perles, les cachets médicamenteux, les pastilles, les extraits concentrés dans le vide, les poudres impalpables… datent de cette époque.

Dans son rapport sur le matériel de la pharmacie à l’Exposition Universelle de 1878, Limousin écrivait : « La substitution du travail mécanique au travail manuel, pour la préparation d’un grand nombre de produits, a créé, en France, une situation nouvelle et avantageuse pour le pharmacien. C’est ainsi qu’il a été affranchi d’une besogne matérielle, souvent fastidieuse et pénible, qui l’empêchait d’utiliser ses connaissances spéciales et le fruit de ses longues études à des recherches ou à des travaux d’un ordre plus élevé… »

Les gigantesques progrès scientifiques accomplis depuis près d’un siècle, la transformation profonde de la thérapeutique, l’impossibilité matérielle pour le pharmacien d’officine de préparer lui-même le plus grand nombre des médicaments, l’extraordinaire développement de l’industrie pharmaceutique, l’étonnant perfectionnement des machines, tout contribue à justifier plus que jamais la pensée de Limousin.  Si le pharmacien d’officine semble devenu presque uniquement le revendeur des produits fabriqués par d’autres, ce sont des pharmaciens qui contrôlent et l’ensemble de leur corps se trouve donc, en même temps que le dépositaire des recettes thérapeutiques traditionnelles, à la tête du mouvement de la recherche scientifique dans les domaines de la chimie, de la physiologie, de la thérapeutique et même de la mécanique industrielle. Que la transformation soit profonde, nul n’en doute, mais serait-il possible de la blâmer ?

 Source : Extraits de l’article « Evolution de l’industrie pharmaceutique » par P. Boussel, paru en 1962 dans le Moniteur des Pharmacies (22/9/1962, page 1276 et suivantes)
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