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Eau de la Reine de Hongrie (suite)

 L’Eau de la Reine de Hongrie* 

 

L’eau de la reine de Hongrie, qui n’est autre que l’esprit ou alcoolat de romarin, fut un médicament en vogue sous lé règne de Louis XIV. La formule en a été publiée pour la première fois dans un ouvrage anonyme intitulé : Nouveaux secrets rares et curieux, donnés charitablement au public par une personne de condition, contenant divers remèdes éprouvez, utiles et profitables pour toutes sortes de maladies, et divers secrets pour la conservation de la beauté des dames, avec une nouvelle manière pour faire toutes sortes de confitures, tant seiches que liquides, lequel fut édité par Jean-Baptiste Loyson, marchand libraire à Paris, et eut deux éditions : l’une en 1660, l’autre en 1669(1).

Les Nouveaux secrets sont précédés d’une épitre dédicatoire signée « P. Erresalde ». Ce nom bizarre, qui a été adopté par Georges Vicaire et par les rédacteurs de Catalogue général des livres imprimés de la Bibliothèque Nationale, comme nom d’auteur, pourrait bien être un pseudonyme.

La recette de l’eau de la Reine de Hongrie occupe les pages 26 à 28 de la première édition des Nouveaux secrets; elle est ainsi libellée :

« En la Cité de Bude au Royaume de Hongrie, du 12 octobre 1652, s’est trouvé escrit la présente Recepte dans un Brévière de la Serenissime Donna Yzabelle, Reyne dudit Royaume : Moi, Donna Yzabelle, Reyne de Hongrie, estant âgée de soixante et onze ans, fort infirme et goutteuse, un an entier de la suivante recepte (sic) laquelle j’obtins d’un Hermitte que je n’ay jamais veu ny pû voir; depuis elle me fist tant de bien et de fait qu’en mesme temps je fus guérie et recouvray mes forces, en sorte qu’elles paroissent seines (sic) à un chacun; le Roy de Poulongne me voulut épouser, ce que je refusé pour l’amour de Jésus-Christ et de l’Ange duquel je croy que j’obtins ladite recepte.

Composition de la dite recepte

de l’eau de vie distilée quatre fois, la quantité de trente onces et vingt onces d’essence de fleur de Romarin, que l’on mettra tout ensemble dans un vase bien bouché l’espace de cinquante heures. Et puis mettés le tout dans l’alambic pour faire distiller au bain Marie. L’on en prendre une fois la sepmaine le poids d’une dragme dans le boire ou le manger. Il s’en faut laver la face tous les matins, et cela emportera le mal des membres infirmes.
Ce remède renouvelle les forces, nettoye les mouelles, fortifie les esprits vifs en leur naturelle opération, restituë la veuë et la conserve.
J’ay reçeu de Monsieur le Chevalier du Broc Cinqmars cette recepte le vingt-neufiesme septembre mil six cens cinquante-cinq (1655) »

D’après cette recette, l’eau de la reine de Hongrie proviendrait d’une reine « Yzabelle de Hongrie », que certains auteurs ont identifiée à Elisabeth, fille de Wladislas Lioketek, roi de Pologne, laquelle épousa, en 1319, Charobert, roi de ongrie, et mourut en décembre 1381; d’autres, avec sainte Elisabeth de Hongrie, née en 1207 et morte en 1231, etc. Inutile de dire que cette attribution mensongère est l’oeuvre de quelque empirique malin qui, pour faire admettre son produit à la Cour ou chez les grands, lui donna le nom d’une reine imaginaire. Et il réussit, car Louis XIV en fit usage : en décembre 1675, « une douleur fort aigüe à la cuisse gauche, à trois doigts du genou, qui le pressait considérablement même assis et couché, fut apaisée à force de frictions avec l’esprit de sel, l’huile de jasmin et l’eau de la reine de Hongrie »; et en septembre 1678, ce fut cette même eau, préparée cette fois par les capucins du Louvre, qui apporta à Sa Majesté du soulagement « dans un rhumatisme qui luy occupait l’épaule et le bras ». Cependant, la Cour avait, pour cette drogue, un fournisseur attittré, le sieur Jean-Baptiste Daumont, qui tenait boutique ouverte à l’enseigne du Messager de Montpellier. Le 14 janvier 1682, Daumont avait obtenu de d’Aquin, premier médecin de Sa Majesté, un brevet lui permettant de continuer à Paris et à la suite de la cour la vente et la distribution de l’eau de la reine de Hongrie et de quelques autres produits, à la charge d’en tenir des bouteilles de 15 sols, 20 sols, 30 sols et un écu.

Madame de Sévigné, qui en raffolait, avait toujours dans sa poche un flacon de cette précieuse panacée, et l’illustre Duquesne, tout rude marin qu’il était, en « parfumait son linge et sa perruque ».

Chez les gens du monde, l’eau de la reine de Hongrie fut en vogue jusqu’au règne de Napoléon I°; supplantée par l’eau de Cologne, elle prit alors la dénomination d’eau de Ninon. après avoir figuré dans les pharmacopées officielles jusqu’au milieu du XIX° siècle, elle est tombée dans un profond oubli; de nos jours, elle est à peine mentionnée dans l’Officine de Dorvault. Sic transit gloria mundi !

(1) Les deux éditions sont du format in- 12. La première comprend 10 feuillets liminaires et 280 ^ages : on la trouve à la Bibliothèque Sainte-Geneviève (4117- T 1555). La seconde, qui contient 12 feuillets liminaires et 240 pages, est augmentée

P. DORVEAUX

* Bulletin de la SHP, 1918, p. 358-359

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