Histoire des formes galéniques (7)
5° groupe : « les formes pharmaceutiques
à base de sucre ou de miel »
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Pot de pharmacie
Sirop de Chicorée
Collection SHP |
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Publicité pour le sirop de bromure de calcium GOY
Collection B. Bonnemain |
C’est sans aucun doute un des groupes les plus importants dans les formes pharmaceutiques traditionnelles.
Les saccharolés
Bien que ce terme soit aujourd’hui désuet, il fut employé jusqu’au XXe siècle et rassemblait toute une série de formes pharmaceutiques ayant en commun de contenir une forte proportion de sucre ; celui-ci leur donne une saveur agréable mais peut aussi faciliter la conservation de certaines matières. Les Arabes ont mis à l’honneur le sucre, jusqu’alors peu employé, le miel ayant conservé longtemps la place prépondérante qu’il occupait dans l’Antiquité. Le sucre était cependant connu de Pline, de Dioscoride, de Galien, de Paul d’Egine, entre autres. Mais la conquête arabe qui débute au VIIe siècle va progressivement diffuser le sucre dans tout l’Empire islamique. La culture de la canne est implantée notamment en Syrie, en Egypte, à Rhodes, en Crête, à Malte, à Chypre, en Sicile, au Maghreb, et en Andalousie. Pour les pharmaciens Arabes, le sucre joue les rôles dévolus antérieurement au miel. Ceci leur permet de réaliser plusieurs formes pharmaceutiques nouvelles : sirops, loochs, juleps, conserves, condits, etc.
Les saccharolés pouvaient être liquides, mous ou solides. Soubeiran inclut dans ce groupe :
– les sirops – les oléo saccharum
– les mellites – les saccharures ou granulés
– les conserves – les tablettes
– les gelées – les pastilles
– les pâtes
Chacune de ses formes mériterait une recherche historique spécifique. Nous allons ici nous attarder sur les principales formes de saccharolés et développer leur histoire.
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1) Les sirops (ou saccharolés liquides)
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Le sirop (du mot arabe charâb = breuvage, sirop) est sans aucun doute la forme la plus connue des saccharolés. Dans sa Pharmacopée Universelle, Lémery consacre de très nombreuses pages aux « Syrops ».
Considérant que les Anciens se servaient d’eaux sucrées (Juleps) pour formuler les médicaments, ils s’étaient rendus compte de leur mauvaise conservation et en étaient venus à concentrer ces solutions sucrées pour en faire des sirops, améliorant ainsi la stabilité des solutions.
Les sirops sont en effet des médicaments liquides d’une consistance visqueuse qu’ils doivent à une forte proportion de sucre (2/3 au moins de leur poids). Le véhicule qu’ils contiennent peut être de l’eau mais aussi du vin, et d’autres véhicules, nous indique Soubeiran.
Ce dernier constate que de très nombreux produits peuvent servir à la constitution des sirops. Pour les sirops simples, il s’agit d’eaux distillées, de solutés, de macératés, de digestés, d’infusés, de décoctés, de liqueurs vineuses, de sucs, ou de liqueurs émulsives ; pour les sirops composés, ceux-ci sont faits à l’aide de la distillation, de la décoction seule ou avec infusion. |
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Publicité pour le sirop des Vosges CAZE |
Atelier de fabrication des sirops VERNIN (vers 1930)
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Les sirops ont été différemment classés selon les auteurs, comme l’indique déjà Guibourt en 1828 : certains ont proposé de les classer en sirops simples et sirops composés. D’autres ont pris en compte leur mode de préparation parlant alors de sirops par infusion, par décoction, par distillation, etc. On a également évoqué les sirops par solution, par réduction, par solution et réduction. Guibourt, quant à lui, propose une division en trois ordres :
1° ordre : les sirops simples ou sirop de sucre
2° ordre : les sirops monoïamiques, selon le nom proposé par Chereau pour désigner un sirop ne comprenant qu’une seule substance active (ex : le sirop de quinquina)
3° ordre : les sirops polyamiques, contenant plusieurs substances médicamenteuses, comme le sirop de raifort composé.
Béral classait les sirops en fonction du véhicule utilisé, en hydraulique, acétoliques et oenoliques. Au XIXe siècle et au début du XXe siècle, le sirop était l’une des formes les plus employées. Dans le Dorvault de 1955, par exemple, on trouve plus de 340 formules de sirops !
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Publicité pour le sirop diurétique aux stigmates de maïs GOY
vers 1910
Collection B. Bonnemain
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Exemples de sirops simples (Dorvault, 1844)
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Exemple de sirop composé (Dorvault, 1844)
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Publicité pour le sirop de digitale de Labelonye
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2) Les saccharures ou granulés
Publicité pour le KOLA Granulés GOY, verq 1910
Collection B. Bonnemain
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Machine à granuler à vis Frogerais (1910)
Etablissements David-Rabot (Courbevoie)
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Publicité pour le KOLA Glycerophosphatée Granulée GOY, vers 1910
Collection B. Bonnemain
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Parmi les saccharolés, les auteurs classiques regroupaient un certain nombre de formes sous le terme de saccharolés solides, groupe qui comprenait les pâtes, les tablettes, les pastilles, les grains, les saccharures, les oléo-saccharures et les chocolats.
Au XIXe siècle, le sucre devient l’excipient d’une nouvelle forme pharmaceutique : les saccharures solides ou granulés. Le premier granulé est préparé par Pierre-Joseph Béral en 1830 qui présente le saccharure d’extrait de caïnca dans le Journal de Pharmacie et des Sciences accessoires, cette année là. Il précise que « les saccharures sont des médicaments d’un genre nouveau, résultant de l’union intime du sucre avec les principes médicamenteux contenus dans les teintures alcooliques ou éthéroliques. |
On les obtient en versant ces teintures sur du sucre blanc cassé en morceaux, et en exposant ensuite le mélange à l’air ou à la chaleur d’une étuve, afin de le priver de l’alcool ou de l’éther qu’il contient.
Pour accélérer la dessiccation des saccharures, on les réduit en poudre grossière vingt quatre heures après que le sucre ait été imprégné de teinture.
Les saccharures sont appelés doubles ou triples, selon que la quantité de teinture qui est ajoutée au sucre pour leur préparation, est double ou triple de celle que l’on emploie pour les saccharures simples. On les conserve sous forme de poudre ou à l’état de sucre granulé. ».
Il est probable que Béral envisageait cette forme principalement comme matière première pour la préparation des sirops ou des tablettes.
Mais une nouvelle forme était née qui va connaître un succès considérable jusqu’au milieu du XXe siècle. Bouchardat dans son édition de 1878 proposait le saccharure de citrate de fer, le saccharure colchique, le saccharure de cubèbe, le saccharure résinéone
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Publicité pour l’Anaclasine RANSON
(granulés et comprimés)
Collection B. Bonnemain
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Publicité pour l’Opoferrine RANSON
(granulés)
Collection B. Bonnemain
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Soubeiran précisait qu’on pouvait également réaliser cette forme à partir de solutions aqueuses. On avait alors recours à l’évaporation sur un feu doux ou à l’étuve : « C’est ainsi que l’on prépare les saccharures de lichen et de mousse de Corse ».
On retrouve ces formules chez Bouchardat (1878) où sont décrits les préparations de saccharure de lichen et celle de carragaheen.
Vers 1870, apparurent des sels granulés effervescents. Pour améliorer la fabrication de la forme « granulé », Planès proposa un nouveau procédé qui trouva sa place au Codex de 1908.
Les granulés conviennent aux principes actifs qui ne nécessitent pas d’être dosés avec une grande précision. Ils sont encore utilisés aujourd’hui pour la poudre de charbon ou d’autres poudres absorbantes, ou encore comme reconstituants à base de sels de calcium, de vitamines…
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Saccharures : définition et nomenclature
(Dupuy, Cours de Pharmacie, 1894)
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Exemples de saccharure, Dorvault, L’Officine, 1844
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3) Pastilles et tablettes
Boite en fer pour les pastilles du Roi Soleil
Collection B. Bonnemain
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Boite en fer pour les pastilles balsamiques GOY
Collection B. Bonnemain
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Les pastilles se différencient nettement des comprimés : elles sont en effet obtenues en coulant une masse pâteuse composée presque exclusivement de sucre.
Les tablettes, quant à elles, sont découpées à partir d’une pâte humide à base de sucre et de gomme.
Mais les différentes pharmacopées ne font pas toujours une nette distinction entre ces formes.
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Buvard GOY pour les pastilles MBC, vers 1960
Collection B. Bonnemain
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Atelier de fabrication des pastilles des Etablissements Darasse (1881)
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Publicité pour les pastilles Géraudel
Collection B. Bonnemain
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Il faut attendre le XVIIIe siècle pour trouver une formule de pâte obtenue par la dissolution du sucre et de gomme dans un liquide et l’évaporation en consistance de pâte. Soubeiran indique en 1837 qu’on utilise indistinctement les mots pastilles et tablettes.
Cependant, dit-il, on applique plus généralement le premier à ceux des médicaments qui sont préparés par la cuite du sucre, et qui ne contiennent que du sucre et des aromates.
Les tablettes (que l’on désignait sous le nom de rotules ou morsuli) étaient des médicaments rendus agréables par la proportion considérable de sucre qu’on y introduisait. En 1827, Etoc Demazi, pharmacien au Mans, présente à l’Académie Royale de Médecine un pastilloir « formant des pastilles très uniformes ».
En 1839, le procès-verbal d’une séance de la société de Pharmacie rapporte la présentation par Boissel d’un emporte-pièce permettant de « couper et timbrer à la fois les pastilles ».
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Pastilleuses de 1890
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Pastilleuse Nègre 1880
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En 1848, la Société de Pharmacie adresse ses félicitations à Viel, pharmacien à Tours, pour l’invention d’un emporte-pièce. Miahle préconise en 1850 de préparer les pastilles à l’officine. Il donne quelques conseils pratiques pour les pastilles de menthe, « les pastilles achetées toutes faites étant souvent falsifiées par des huiles voisines de l’essence de menthe et même par l’essence de térébenthine ».
Certaines pastilles connaissent une grande vogue comme les pastilles de Vichy, inventées par Darcet en 1824. A partir de 1837, la Pharmacopée française établit une synonymie officielle entre les tablettes de bicarbonate de soude et les pastilles de Vichy.
Un fabricant de pastilles pouvait dès lors utiliser indifféremment du bicarbonate de soude provenant ou non des eaux minérales de Vichy.
Et il faudra attendre 1898 pour reconnaître à ces produits le titre de médicament et pour qu’ils rentrent dans le monopole pharmaceutique. Par la suite, en 1933, pour bénéficier de l’appellation « de Vichy », les produits devaient contenir des sels extraits des eaux de Vichy.
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Boite métallique des « pastilles » PULMOLL
Collection B. Bonnemain
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A gauche : Machine à couler les pastilles à la goutte RATTI (1910) (pastille à base de sucre cuit)
Elles ont été remplacées par des machines à cylindres RATTI (1910) ( à droite)(pastille Pulmoll) |
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Pastilleuse Nègre 1910
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Boite métallique des pastilles MBC de GOY
Collection B. Bonnemain
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Une autre pastille célèbre dans l’histoire de la pharmacie en France est la Pastille MBC des Etablissements Goy. Dès 1895, Goy fabrique des tablettes, forme pharmaceutique alors très en vogue.
Les pastilles Menthol, Borate de soude et Cocaïne sont commercialisées par Goy en 1898 et prennent le nom de M.B.C. en 1918 après le dépôt de la marque par Maurice Bouvet.
Mais ce n’était bien sûr qu’une spécialité parmi d’autres sous la forme de pastilles. Le Dorvault de 1945 explique bien le procédé de fabrication des pastilles : ce sont des médicaments de consistance de pâte obtenue au moyen d’un mucilage ou de la cuisson, que l’on divise en petites parties de formes diverses, et que l’on fait sécher ensuite
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Boite métallique des tablettes MARGA
Collection B. Bonnemain
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Boite métallique des tablettes vermifuge BERGER
Collection B. Bonnemain
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Machine à fabriquer les gommes type pastilles Salmon, Géraudel (Jean Ratti, 1910)
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4) Les granules et les dragées |
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Les granules ne font pas partie des saccharolés selon Soubeiran, mais ils ont été conçus dans la même logique, à base de sucre. Le fractionnement des prises devient impératif au XIXe siècle, à une époque où des médicaments très actifs sont mis à la disposition des patients.
C’est dans ce contexte que sont créés les granules que le Docteur Munaret définit ainsi : le granule est une dragée composée de sucre et de gomme, ne contenant le plus ordinairement qu’une portion très petite du remède, un milligramme par exemple, sur dix centigrammes de sucre : on compte les granules pour arriver à une dose plus forte, ou vous en administrez un seul dans un véhicule car il est très soluble ».
Dans la première moitié du XIXe siècle, les granules donnent lieu à de très nombreuses publications. Caffe, Guillermond, Hommole et Quevenne publient sur leurs avantages. Caffe par exemple considère que « Les substances énergiques emprisonnées dans les granules ou petites capsules formées de sucre, ayant toujours un poids convenu, ordinairement un milligramme, sont à l’abri de toute altération : les erreurs dans la formule des doses deviennent presque impossibles, et le malade en accepte l’administration sans difficultés, sans dégoût ». Soubeiran au contraire, craint que leur similitude d’aspect ne soit une source d’accidents.
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Vers 1830, la dragée pharmaceutique fut vulgarisée par Charles Fermond, pharmacien-chef des hôpitaux de Paris, qui aurait lancé en 1831 les « dragées américaines » au baume de copahu.
Les pharmaciens fabriquaient cependant des dragées depuis plusieurs siècles déjà. C’est ainsi que les apothicaires de Metz, de 1560 à 1580, ont eu une activité de fabrication de bonbons. C’est à eux que Verdun doit la réputation de ses dragées, réputation déjà bien établie à la fin du XVIe siècle.
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Boite métallique des pastilles VOCIS de GOY
Collection B. Bonnemain
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Turbine Frogerais pour la dragéification (1930)
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Atelier de fabrication des dragées de CLIN-COMAR (1923) |
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En 1844, dans la première édition de L’Officine, Dorvault parle ainsi des dragées : « Dans ces derniers temps, dit-il, on a cherché à étendre beaucoup cette forme de médicament ; nous ne savons pas si elle prendra ». Dix ans plus tard, en 1854, Garnier fait l’éloge des granules et des dragées, ces deux préparations nouvelles qui, dit-il, sont appelées à prendre un place importante dans la thérapeutique. Rappelant Munaret, il montre les avantages de ces formes pharmaceutiques : 1°) le dosage est exact et invariable ; 2°) l’administration est commode et même agréable. Il donne à l’époque de très nombreuses formules de granules dont celle de digitaline, d’acide arsénieux, d’atropine, de chlorhydrate de morphine, etc. Quant aux dragées, il s’agit alors de médicaments recouverts d’une couche de sucre, séchés à l’étuve. Garnier décrit par exemple les dragées d’aloès, de calomel, de citrate de fer, de charbon, et bien d’autres.
Les catalogues de l’industrie pharmaceutique seront fournis en dragées comme le montre celui de Menier en 1860. On y propose alors près d’une centaine parmi lesquelles on peut compter les dragées égyptiennes de Poisson, les dragées pharmaceutiques de Pommier, ou encore les dragées de sève de pins de Lagasse, de Bordeaux. Le catalogue Goy, au début du XXe siècle, liste plus de trente produits sous forme de dragées comme les dragées écossaises ou d’Anderson, les dragées podophyllin belladonées (Codex 1908), et les dragées à la santonine.
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Publicité pour les dragées TANAGRE, Annales 1923
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Deux étiquettes pour des produits GOY sous forme de dragées
(vers 1910)
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Atelier de dragéification de la Pharmacie Centrale de France (1910)
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Turbines pour la dragéification de KUSTNER Frères (1910), Genève
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5) Les autres saccharolés :
Les mellites, les conserves, les électuaires, les gelées |
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Les mellites qui ont disparues des officines au cours du XXe siècle étaient des sirops dans lesquels le sucre était remplacé par le miel, en proportions très variables. Ces préparations étaient déjà connues dans la médecine gréco-romaine, où elles faisaient parties des potions, et au Moyen-âge. L’Hydromel, liqueur spiritueuse obtenue par fermentation d’une dissolution aqueuse de miel, est probablement la plus vieille boisson alcoolisée connue. Les livres sacrées de l’Inde datant de 4000 ans ou plus le mentionnent déjà. Les Grecs croyaient qu’il prolongeait la vie. Au Moyen-âge, il était encore très recherché.
Le miel était parfois préféré au sucre dans la préparation des opiats qui devaient être conservés longtemps. Utilisé seul pour ses propriétés laxatives, détersives, pectorales, etc., il était utilisé comme support de nombreux médicaments. C’est Galien qui aurait eu l’idée de rendre les médicaments plus agréables en les édulcorant avec du miel, créant ainsi les mellites. Lémery, dans sa Pharmacopée consacre plusieurs pages au miel et à ses préparations. Il mentionne l’hydromel vineux, l’oxymel simple, l’oxymel composé de Mesué, le miel rosat… Lémery préfère l’usage du miel à celui du sucre car il est, dit-il, composé de la substance la plus essentielle des fleurs : « on peut dire qu’il contient la quintessence des plantes ». Et il recommande l’usage du miel du Dauphiné, en Languedoc, aux environs de Narbonne « car les fleurs y sont plus odorantes et plus remplies d’esprits qu’ailleurs, à cause de l’ardeur du soleil ».
Bouchardat indique en 1878 plusieurs formules de Miel comme le Miel de Borax contre les aphtes, ou encore le Miel rosat. Ce dernier était constitué de roses de Provins et utilisé en gargarisme. Le vinaigre était parfois un excipient des mellites qui prenaient alors le nom d’oximellites.
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Pot de pharmacie : miel commun
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Albarello de Nimes ou Montpellier (Conserve de Bourrache)
Epaulement en côte de melon, à décor polychrome de course d’acanthe aux épaulements et sur la panse d’un décor « a quartieri » et dauphin dans des motifs quadrilobés, sur la panse banderole avec inscription pharmaceutique en lettres gothiques, ornée à chaque extrémité de mascarons. (XVIe siècle).
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Les conserves (saccharolés mous), quant à elles, étaient des médicaments de consistance de pâte molle ou rarement solides, formés d’une substance médicamenteuse unie au sucre, qui lui sert de condiment.
Le but de ceux qui les inventèrent, préciser Soubeiran, fut de conserver, à l’aide du sucre, les matières facilement altérables. On pouvait obtenir des conserves à partir de diverses matières premières : des plantes fraîches, des plantes sèches par coction, des plantes sèches réduites en poudre.
Charas (1676) en donne quelques exemple : les conserves de racine d’Enula Campana, les conserves de roses molles (pour les fluxions de poitrine, la toux, les crachements de sang, pour fortifier l’estomac, le cœur et le cerveau, etc.), les conserves de roses solides et celles de violettes molles. Près d’un siècle plus tard, Lémery en donne plus de 45 formules, uniquement à base de plantes. On pouvait ainsi préparer des conserves d’angélique ou de citron. Il existait encore 5 conserves au Codex de 1884 mais plus aucune à celui de 1908.
On réalisait également des condits qui étaient des conserves sèches par des substances végétales qui ont été pénétrées de sucre au moyen de la chaleur (Soubeiran). Lémery (1766) indique que les condits ou confitures ont été inventés en intention « de conserver les parties des végétaux dans leur vertu, de maintenir le bon goût des uns et de corriger l’âpreté des autres, tant pour les usages de la Médecine que pour le délice de la bouche ».
L’apothicaire ne devait préparer et vendre que des confitures servant à la Médecine, les autres étant du ressort des confiseurs. C’est ainsi qu’on préparait des racines de Satyrium confites, des écorces de citron confites (pour fortifier le cœur et l’estomac). Mais Charas recommanda de réaliser plutôt des conserves qui permettent d’y mieux préserver les substances volatiles.
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Les électuaires faisaient également partie des saccharolés mous. Ce terme provenant du latin electus (choisi, excellent) désignait des médicaments composés de substances choisies, médicaments généralement très complexes.
L’électuaire représentait un des triomphes de l’art apothicaire. Au point qu’on le nommait parfois Hiera (saint) ou Catholicon (universel). Ce type de médicament est déjà mentionné dans la littérature médicale dès le Ve siècle avant notre ère (Hippocrate).
On leur donnait le nom d’opiats quant l’opium rentrait dans leur composition. Par habitude, ce terme est devenu à la fin du XIXe siècle synonyme d’électuaire fait extemporanément sur la prescription du médecin (Dupuy, 1895).
On utilisait aussi le terme de confections pour désigner les électuaires. On y accumulait les substances les plus dissemblables. Comme l’indiquait Baumé, il s’agissait alors de neutraliser les effets nuisibles de certaines substances par les quantités des autres. On voulait ainsi augmenter les propriétés du médicament par la réunion d’un grand nombre de drogues, de manière à constituer une sorte de remède universel pouvant guérir un grand nombre de maladies, une panacée universelle capables de guérir tous les maux imprévus ou mal connus.
Il existait de très nombreux électuaires. L’officine du XVIIIe siècle nous a laissé une cinquantaine de formules applicables à un nombre considérable de maladies, de la blennorragie aux rhumes et des crachements de sang aux douleurs articulaires. Les plus célèbres ont été le diascordium, inventé par Frascator comme astringent, et le Catholicum double, purgatif composé de rhubarbe, séné, graines de potiron, pulpe de tamarin et scolopendre. Il y avait près de 150 électuaires dans la Pharmacopée de Lémery en 1766.
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Pot de pharmacie Electuaire
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Pot à thériaque
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Mais le plus fameux d’entre les électuaires était bien sûr la Thériaque. Il faut remonter au II° siècle avant notre ère, c’est-à-dire il y a 2000 ans, à une époque où vivait à Colophon, en Ionie, un médecin-poète, Nicandre, auteur d’un poème intitulé Ta Theriaca, qui était un traité sur les morsures de bêtes sauvages, particulièrement les serpents et animaux venimeux, sur les précautions à prendre pour les éviter, et sur les remèdes propres à les guérir.
En effet, en grec ancien, « Therion », c’est la vipère, le serpent, et, par extension, c’est le poison en général. Car, la lutte contre les poisons était le but initial de ladite Thériaque, renfermant déjà des produits qui paraissent bien fantaisistes, comme la poudre de vipère, la lie de vin séchée, ou la poudre de testicule de cerf…
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Au siècle suivant, en 65 avant JC, Mithridate, roi du Pont, craignant toujours d’être empoisonné, composa le contrepoison qui conservera son nom, le Mithridate, renfermant 46 substances, notamment de l’opium et des herbes aromatiques. Et c’est Criton, le médecin de Trajan, qui donnera le nom de Thériaque à cet électuaire, entre-temps complété à 71 substances par Andromaque, médecin de Néron, avant que Galien, qui tenait encore officine sur la Voie sacrée, ne lui donne l’élan qui devait lui permettre de traverser encore 18 siècles. Au XVIIIe siècle, le prêtre pharmacien Arabe, Cohen el Atthar, dans son Manuel de l’officine, consacre un chapitre aux électuaires. Il voyait 37 applications de la Thériaque et indiquait les procédés à employer pour reconnaître si elle était bonne ou mauvaise, ancienne ou récente. Il recommandait ce médicament aux malades mais aussi aux bien-portants, car il fortifie les organes et agit comme un détersif, en pénétrant dans les vaisseaux sanguins.
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Pot à thériaque
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A. Baumé.
Elements de Pharmacie théorique et pratique, 1790, 6° édition
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Charas (1668) décrit longuement cet électuaire : « Les Anciens ont donné le nom de Thériaque à plusieurs compositions après avoir bien éprouvé la vertu qu’elles pouvaient avoir contre les venins ; jusque là qu’ils ont donné le nom de Thériaque à quatre drogues jointes ensemble, et même ils l’ont donné à une seule ; car ils ont appelé l’Ailla Thériaque des Pauvres.
Et de là il apert, que nous n’aurons pas beaucoup de peine à juger que les vertus que la Thériaque a pour combattre et pour surmonter toute sorte de venins, lui peuvent avoir acquis en partie ce nom de « Therion » qui signifie feram, c’est-à-dire une bête farouche, pour dénoter que la Thériaque est propre, non seulement contre le venin de toute sorte d’animaux, mais aussi contre une infinité de maladies lesquelles ils comparent à des bêtes farouches.
D’autres ont cru qu’Andromachus a voulu changer le nom de Mithridat en celui de Thériaque, à cause des Vipères, auxquelles il a attribué le nom de « Therion », et lesquelles il a ajouté pour la base principale de sa composition. Cette pensée me semble la plus raisonnable de toutes, puisque la Thériaque n’a commencé de prendre ce nom là que lorsque la chair des Vipères est entré dans sa composition. »
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Il y eu d’innombrables variantes, locales et régionales de cette panacée :
– Thériaques de Venise, de réputation mondiale
– Thériaque de Strasbourg, dite Thériaque Céleste, préparée pour la première fois en 1634.
– Polycreste de Poitiers, destiné à combattre la peste, en 1605
– Orviétan, tel qu’il figure, par exemple, dans la Pharmacopée royale de Moyse Charas en 1676
Les XVIIème et XVIIIème siècles représentent l’âge d’or de la Thériaque, et en particulier de sa préparation solennelle, publique et, semble-t-il, annuelle, dans d’innombrable pharmacies hospitalières, tant en Europe qu’en France ; cette tradition, remontant à Galien, avait été interrompue, puis reprise à la fin du XVème siècle, en particulier à Venise.
On sait aussi que ce médicament fut souvent falsifié et que, de bonne heure, les apothicaires le préparèrent en public, afin de ne pas encourir le soupçon d’introduire dans sa composition des ingrédients de mauvais aloi.
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A. Baumé.
Elements de Pharmacie théorique et pratique, 1790, 6° édition
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Pot de pharmacie : électuaire diaphaenicum
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C’est ainsi qu’en 1606, Laurent Cathalan, maître-apothicaire montpelliérain, convoque le « théâtre anatomique, les hauts personnages de la cité, les messieurs de la justice, et les professeurs de l’Université…Après son exposé oral, il se met à l’œuvre, pulvérise, tamise, dissout, délaie, fixe les règles de la conservation…Une certaine partie est vendue à la foire de Beaucaire… ». Le reste aux apothicaires du proche Languedoc, lesquels sont d’ailleurs contrôlés par les professeurs de l’Université. De telles démonstrations publiques se déroulaient dans toute la France, au XVIIème siècle, à Lyon, à Nantes, à Toulouse, etc.
A Paris, le Collège de Pharmacie le préparait avec un cérémonial particulier et c’était presque une obligation aux pharmaciens d’acheter cette thériaque. Moyse Charas en fit une préparation publique en 1668. La dernière préparation de ce type eu lieu à Paris le 5 novembre 1798. A Strasbourg, une ordonnance de 1675 prescrivit aux apothicaires de montrer les drogues entrant dans l’électuaire pour qu’elles soient inspectées par le doyen et le prodoyen du Collège médical et par le plus ancien des apothicaires.
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Et au XIXème siècle, l’unanimité se fit peu à peu contre la Thériaque, et son injustifiable caractère polypharmaceutique. Elle resta cependant jusqu’au Codex de 1884, avec 52 composants, dont un excipient formé de térébenthine, de miel, de vin de grenache.
Qualifiée, dès 1850, de « chaos infâme », de « chef d’œuvre d’empirisme », la Thériaque mourut de sa bonne mort à la fin du siècle XIXe siècle, ne subsistant plus que par les splendides vases portant son nom !
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Hiera Picra et Electuaire Diaprun
A pied surélevé, à décor d’un écriteau en forme de cartouche à épaulement de feuillages, fond bleu et inscription sur une réserve horizontale blanche entre deux registres de lambrequins. XVIIIe siècle
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A. Baumé.
Elements de Pharmacie théorique et pratique, 1790, 6° édition
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Une autre forme de saccharolé caractérisée par leur consistance tremblante était constituée par les gelées.
Il existait des gelées animales ayant pour base la gélatine, et des gelées végétales de natures très diverses.
Charas précise que le mot vient du latin gelatinam, ainsi nommé car elle est transparente comme la glace et parce qu’elle congèle au froid et se liquéfie à la chaleur. Lémery y fait également référence.
Au XIX° siècle, on donne ce nom à des préparations qui ont une consistance tremblante lorsqu’elles ont pour base la gélatine, la pectine, ou l’amidon. On trouve dans les formulaires, pharmacopées et ouvrages de référence de très nombreuses formules de gelées : gelée d’amidon, gelée de baume de Tolu, gelée de colle de poisson, gelée d’huile de foie de morue, etc. et même gelée de pain (Dorvault, 1844).
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Les pâtes, pour leur part étaient des médicaments essentiellement composés de sucre et de gomme, qui ont la mollesse de la pâte des boulangers, mais dont la consistance est cependant assez ferme pour qu’elles n’adhèrent pas aux doigts, indiquait Soubeiran. Nous avons vu qu’elles faisaient partie des saccharolés solides. On distinguait classiquement les pâtes transparentes et les pâtes opaques. L’objectif de cette forme pharmaceutique était d’obtenir des médicaments agréables. Il s’agissait principalement de médicaments à administrer par voie orale, mais on trouve aussi des pâtes à usage externes, comme celle décrite par Dorvault dans l’édition de 1844 de l’Officine : la pâte escharotique de Canquoin, par exemple, à base de chlorure de zinc et de farine, était utilisée pour le traitement des ulcères cancéreux.
Nous avons vu que les saccharures ou granulés faisaient partie des saccharolés selon Soubeiran. C’est également le cas des oléo-saccharum ou eloeo-saccharum. Il s’agit d’un mélange ou une combinaison de sucre et d’huile volatile. Par l’intermédiaire du sucre, l’huile volatile devient miscible à l’eau.
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Pâte pectorale d’escargots
Catalogue GOY, vers 1910
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Publicité pour le Chocolat et la quinine !
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Les chocolats :
Guibourt, (1828) comme Dupuy (1894) classaient les « chocolats » parmi les saccharolés solides (saccharolé solide de cacao). Dupuy précisait même deux groupes : les chocolats dits de santé, qui contenaient cannelle ou vanille, et les chocolats médicamenteux, si ceux-ci contenaient du fer, du salep, des sels, ou des extraits : le chocolat lui-même était connu depuis la plus haute Antiquité au Mexique.
Parvenu en Europe avec les conquérants Espagnols, il fut inscrit à la Pharmacopée pour ses vertus curatives. On le trouve en 1694 chez Pomet et son Histoire générale des drogues, en 1732 chez Lémery dans son Traité Universel des drogues simples, et dans bien d’autres pharmacopées du XVIIIe et XIXe siècles. C’était aussi un excipient agréable, très utilisé. |
Le chocolat triompha surtout dans les officines au début du XIXe siècle grâce à l’initiative du pharmacien de Bauve : ce dernier devint chocolatier du roi et fournit toutes sortes de chocolats à visée thérapeutique.
Les pharmaciens trouvèrent là des débouchés commerciaux extraordinaires et mirent au point des chocolats médicinaux en tablettes, prêts à l’emploi et que tout le monde pouvait acheter sans avis médical.
On trouvait ainsi le chocolat stomachique au quinquina, le chocolat antisyphilitique au sublimé corrosif, le chocolat à la digitale, pour soutenir le cœur, etc.
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Affiche publicitaire pour le Chocolat ROUSSEAU
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Parmi les plus célèbres, on peut citer le chocolat purgatif à la magnésie, commercialisé en 1846 sous forme de tablettes de 30 grammes, et indiqué pour dissiper les maux de tête et des oreilles, dans les ophtalmies, les affections du larynx, des bronches et des poumons, pour faciliter la digestion, contre les maladies de la peau, etc.
On trouve aussi dans le Dorvault en 1844 le chocolat ferrugineux à base de limaille de fer porphyrisée (chocolat ferrugineux de Colmet d’Aage, pharmacien à Paris en 1850). Un autre chocolat ferrugineux est celui de Boutigny d’Evreux, inventé en 1847. Le chocolat à l’osmazone est également célèbre et était sensé posséder des propriétés reconstituantes et toniques.
On trouve d’autres chocolats étonnants :
– en 1866, le chocolat dit « de santé et de la Trinité », ou chocolat homéopathique, sans aucune trace de cacao.
– le chocolat aux glands de Mayrhofer (1892), à base de glands de chêne, pour traiter l’atonie générale.
– les chocolats du pharmacien Durand, de Paris, qui dépose en 1843 divers brevets d’invention pour six chocolats médicinaux.
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A tel point qu’un journaliste écrivit en 1860 : « On annonce tous les jours de nouveaux chocolats : au tapioca, au lichen, au sulfate de quinine, et à l’arrow-root. Un fabricant renchérissant sur les autres, vient même de proposer un « chocolat émanogogue à la limaille de fer » ! Bientôt, si cela continue, toutes les drogues des pharmaciens passeront par le rouleau du chocolatier et chaque maladie aura son chocolat spécial ! ».
A l’époque, le Catalogue Menier n’en contient pas moins de 19. Le catalogue Goy (vers 1900) propose des chocolats médicamenteux sous trois formes : croquettes, tablettes (grand ou petit format) et pastilles.
L’Officine de Dorvault, en 1945, en donne également une dizaine de formules, mais uniquement à titre documentaire, car « les chocolats inscrits aux Codex anciens ne répondent plus aux formules ni aux procédés actuels » peut-on y lire.
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Affiche pour le chocolat Menier
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Publicité pour le Chocolat des pharmacies
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