Histoire des formes galéniques (6) Les extraits

 Histoire des formes galéniques (6)

Les extraits

 
     
 

4° groupe :

« les formes pharmaceutiques obtenues par évaporation »

Les Extraits

 


Pot de pharmacie
Extrait anti-scorbutique
Collection SHP
 
 

« On donne le nom d’extrait au produit de l’évaporation d’une macération, d’une infusion ou d’un suc clarifié ou non clarifié », nous indique Soubeiran (1837), qui précise que les extraits sont fournis par les substances végétales ou animales.

Pour les extraits d’origine animale, ils avaient déjà quasiment disparu à la fin du XIX° siècle puisque seul l’extrait de fiel de bœuf était encore à la Pharmacopée de 1884, mais il n’était plus au Codex de 1908. On peut donc dire que la plupart des extraits étaient d’origine végétale.

On distinguait alors plusieurs catégories d’extraits, dont la composition était de nature complexe. On isolait par exemple les robs, faits avec des sucs de fruits.

 


Publicité pour le FIGADO.L (extrait de foie)
Collection B. Bonnemain
 
     

 


Pot de pharmacie
Extrait de Bourrache
Collection SHP

 

 Rouelle divisait les extraits en extraits gommeux, extraits gommorésineux, et extraits résineux. On trouve dans le Formulaire Bouchardat (1878) de très nombreux exemples d’extraits : l’extrait de baies de sureau (rob de sureau), le rob de raisin (qu’on appelait autrefois le sapa), le rob de groseille, de belladone, de brou de noix ou encore de concombre sauvage.

L’extrait de ciguë (Codex) y est décrit, de même que les extraits obtenus avec l’aconit, la jusquiame, la chicorée, le pissenlit, le cresson, et bien d’autres.

Bouchardat décrit aussi l’extrait alcoolique de scille dont le mode de préparation était identique aux extraits de noix vomique, de myrrhe, de safrans et de pavot blanc par exemple.

 
 
     
 

Les extraits constituent une vieille forme médicamenteuse. D’aucuns prétendent que Chin-Nong, empereur de Chine (mort 2700 avant J.C.) aurait été le premier à préconiser cette forme pour les médicaments. Mais le document le plus ancien sur ce sujet date de Dioscoride qui obtenait des extraits de jusquiame, de morelle, de mandragore, de pavot, de gentiane, etc.
 
Les Arabes employaient beaucoup les extraits ; ils firent surtout connaître les extraits de sucs végétaux acides, les extraits de fruits (raisin, dattes) épaissis sous l’action de la chaleur solaire ou du feu sous le nom de Robs. Ils employaient également les sucs herbacés épaissis par les mêmes procédés et désignés sous le nom de « sapa ».  

Pendant le moyen âge, en France, ainsi que le prouve de Dispensarium de Nicolas Proepositus (1528), on ne connut que les sucs desséchés préparés en faisant évaporer le suc des plantes fraîches au soleil ou sur des cendres chaudes.

 
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Collection B. Bonnemain
 
 


Pot de Pharmacie Série Necker
Extrait de Quinquina

  

Les idées de Paracelse à l’origine des extraits et teintures.
 
Les idées développées par Paracelse sur la quintessence vont progressivement aboutir à la création, quelques siècles plus tard, de nouvelles formes galéniques pour concentrer l’activité des médicaments : les extraits et les teintures.

« En liaison avec l’iatrochimie, Paracelse va donner à la notion de quintessence, héritée de la philosophie grecque, une signifiaction nouvelle, plus concrète. En effet, laquintessence paracelsienne n’est plus l’éther d’Aristote. On ne peut pas, non plus, l’identifier à ce que Paracelse appelle « l’élément prédestiné » d’un organisme donné. Pour lui, l’un des quatre éléments peut prendre le pas sur les autres, au sein, par exemple, d’une plante, qui lui devra ses propriétés les plus apparentes… Pour extraire la quintessence d’un corps, il faut en « briser les éléments ». Elle constitue « la vie, (…) le coeur, (…) l’âme de ce corps ». Il est toutefois possible de l’en séparer, en principe, sous forme liquide. C’est ainsi qu’en distillant du vin, opération alchimique traditionnelle, on en extrait la quintessence qui n’est autre que l’esprit de vin. Ce terme exprime bien que l’alcool représente la partie essentielle de ce breuvage. Cette conception se montre beaucoup plus riche de promesses que celle de l’élément prédestiné, puisqu’elle préfigure la notion de principe actif et sera à l’origine du développement de l’utilisation en thérapeutique de formes médicamenteuses, réputées concentrer l’activité de la plante, comme les teintures ou les extraits. »

(passage de O. Lafont, De l’alchimie à la chimie, Ellipses, Paris, 2000)  

 
 

D’après Goris, il semble que les extraits soient surtout venus d’Allemagne car, en 1585, Gaspar Schwenckfeldt donne dans son Thesaurus pharmaceuticus deux modes de préparation des extraits, tandis que les pharmacopées de Valerius Cordis et de Brice Bauderon, qui datent de 1595, ne citent que les sucs épaissis.

Par contre, les extraits figurent déjà en grand nombre dans la liste des médicaments imposés par les statuts de Châlons-sur-Saône en 1630 : nous y voyons figurer les extraits de rhubarbe, de « crânes humains », d’angélique, de genièvre, de safran.

En 1676, Moyse Charas distingua le premier la teinture de l’extrait. Rouelle et Baumé publièrent leurs classifications.

 

Appareil de La Garaye
Photo O. Lafont

 
 

Un grand progrès dans le traitement des végétaux fut fait vers le milieu du XVIII° siècle (1745) par le Comte de Garaye qui cherchait à préserver les principes essentiels des plantes. Cet ancien mousquetaire du roi est un curieux personnage ; avec son épouse, ils transforment leur chateau de La Garaye, situé à proximité de Dinan, en un hôpital, où ils consacrent leur existence à dispenser des soins aux pauvres, au point qu’on les a surnommés, tous les deux, les chirurgiens humanitaires.

L’ouvrage qu’il publie en 1745, la Chymie hydraulique, repose sur l’utilisation conjointe de l’eau et de l’agitation, pour extraire les principes des drogues1.

 

 

Appareil de La Garaye
Photo O. Lafont
 
 

La Garaye résume, dès la préface, les intérêts présentés par la méthode qu’il préconise, qui s’avère beaucoup plus douce que la traditionnelle chimie par le feu : « On sera peut-être étonné qu’on puisse extraire les Sels de tous les Mixtes sans le secours du feu qui est l’agent de la Chymie ordinaire, mais je démontrerai évidemment par l’expérience, que l’eau et le mouvement sont capables de dissoudre les corps les plus durs ; & que les Sels essentiels de cette nouvelle Chymie sont infiniment plus parfaits que ceux de la Chymie ordinaire. »

Le comte décrit, entre autres, dans son livre, la préparation de l’esprit sec de quinquina qui restera connu sous le nom de « sel essentiel de La Garaye ». La forme galénique correspondante, appelée d’ailleurs plus souvent « extrait » qu’esprit, peut être liquide ou solide, suivant les cas. Son intérêt principal réside dans la concentration des substances responsables de l’activité, sous un plus petit volume que celui de la drogue d’origine ; cela s’accompagne, en outre, d’une amélioration de sa disponibilité. La Garaye conçoit un appareil volumineux constitué de plusieurs grandes jarres de grès (voir illustrations) et d’un encombrant système d’agitation mû par des roues actionnées par des cordages. 

Cet ouvrage qui annonce la période du développement de la chimie extractive et qui intéresse, au plus haut point la pharmacie, va passionner Parmentier dont la préoccupation constante est de ne pas détruire les corps en essayant de les séparer. Ce dernier va, trente ans après sa première parution, actualiser l’ouvrage de La Garaye en lui adjoignant un appareil de notes.1  

1. D’après O. Lafont, Parmentier au delà de la pomme de terre, Pharmathèmes, Paris, 2012. 

 


Teinture de Cannelle. Flacon XIXe siècle
 
     
 


Buvard CRINEX (extrait ovarien)
Collection B. Bonnemain
 

Fabrication des extraits à la Pharmacie centrale de France, Brochure de 1894 éditée par la PCF
 

Au début du XIXe siècle, les extraits restent des préparations empiriques dont on ignore à peu près tout, la plupart de leurs composants seront connus durant la deuxième moitié du XIXe siècle et plus encore au XXe siècle.

 

Comme le fait remarquer Braconnot en 1817, on n’avait alors que des notions très imparfaites sur la nature des extraits, « faute de les avoir examinés rigoureusement ».

La découverte des alcaloïdes et l’évolution de la chimie au XIXe siècle vont amener de nouveaux progrès dans leur préparation.

 

 


Appareil à distiller dans le vide de la Pharmacie Centrale des hôpitaux (Modèle Egrot)
Ouvrage de Goris, Pharmacie Galénique, 1942.
 
 
 

En 1823, dans un article consacré à la préparation des extraits, Guibourt démontre que la macération et l’infusion donnent des extraits de meilleure qualité que la décoction. Mais le véritable progrès ne sera réalisé qu’avec l’utilisation de la méthode dite « par déplacement continu ».

C’est certainement Vauquelin qui, le premier, constata le fait du déplacement des liquides les uns par les autres en faisant passer alternativement de l’eau douce et de l’eau salée à travers du sable.

Ce procédé fut ensuite introduit en chimie organique par Robiquet et Boutron. Ce sont les publications de Boullay et fils qui vont divulguer cette méthode dans le Journal de Pharmacie et des Sciences accessoires (de 1833 à 1835) et permirent son application pour la préparation des extraits.

Les auteurs utilisaient le filtre presse de Réal, amélioré. Ils utilisent ce procédé sur les préparations aqueuses et alcooliques de quinquina, de gaïac, de ratanhia.

D’autres appareils seront ensuite mis au point par Donovan, « pour filtrer à l’abri du courant de l’atmosphère », et par Robiquet « pour traiter les matières végétales par l’éther ».

 


Affiche publicitaire pour l’Extrait de QUINA de EXBAYAT
 (Eugène Ogé, 1895)
La Santé s’affiche, Thérabel Group, 2003
 
 
Pots de pharmacie
Extraits de plantes
Collection SHP
 
   
 


Pot de Pharmacie
Extrait de Chicorée
Collection SHP
 

Le deuxième procédé majeur qui va améliorer la préparation des extraits concerne l’évaporation. Fourcroy, Vauquelin, Deyeux, Deschamps, de Saussure avaient montré l’importance de l’action de la chaleur et de l’oxygène dans la préparation des extraits.

En 1812, Virey constatait que l’ébullition et la chaleur faisait perdre aux extraits une partie de leurs propriétés et préconisait la dessiccation à froid des sucs de plante. Nombreux sont alors les efforts pour éviter l’action de la chaleur et de l’oxygène de l’air lors de l’évaporation des liqueurs extractives.

Les premiers appareils s’adressent à la vapeur comme moyen de concentration. C’est sur ce principe que sont construits les appareils de Trommsdorf en 1812, de Henry, de Pelletier en 1819.

Dès 1814, Figuier  et Parmentier proposent l’évaporation dans le bain-marie d’un alambic, mais l’opération était interminable.

 
 

En 1830, Bernard Derosne réalise pratiquement le premier appareil à évaporer les extraits à la vapeur pour concentrer des jus de betteraves. On procède en évaporant sur des plans inclinés renfermant à leur partie inférieure de la vapeur. Ce même principe est ensuite appliqué aux extraits médicamenteux.

En 1831, Meissl invente un appareil à triple action permettant la préparation des solutés, l’évaporation à la vapeur et la condensation de celle-ci. Un appareil très voisin, mis au point par Dausse en 1833, « réunissant la méthode de déplacement, la distillation et l’évaporation au bain-marie », permet la récupération totale de la chaleur dans les parties évaporatoires.

Ce perfectionnement vaut à son auteur les remerciements de la Société de Pharmacie à laquelle il l’avait présenté.

 

Publicité pour un extrait de Quinquina
Catalogue COOPER
 
 

Au XIXe siècle, pour éviter l’action de la chaleur et de l’oxygène, une autre approche est proposée : celle de l’évaporation à froid dans le vide. L’appareil de Hoenle en 1835 est l’ancêtre de nos systèmes actuels de lyophilisation.

Les premiers modèles, utilisant le vide et ayant une réelle importance industrielle, sont dus à Tennat en 1820, Tritton en 1842, Barry en 1849.

En 1842, Rewood et Bujot présentent un appareil dans lequel le vide est maintenu durant toute l’opération à l’aide d’une machine pneumatique. D’autres modèles seront proposés par Derosne, Soubeiran, Gobley, Laurent et Egrot. Soubeiran présente celui de Grandval à la Société de Pharmacie en 1850.

 


Schéma de l’appareil d’Egrot
Ouvrage de Goris, Pharmacie Galénique, 1942
 
 


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Collection B. Bonnemain
 


Publicité pour Globexine (extrait du globule sanguin)
Collection B. Bonnemain
 
 

La meilleure démonstration de l’importance des extraits au XIXe siècle est le contenu du Catalogue commercial de Menier en 1860.

Non seulement, on y décrit la machine pour la préparation des extraits sous vide, mais on peut aussi constater que la liste des extraits disponibles commercialement est très longue : pas moins de 6 pages où la nature de l’extrait mais aussi son prix sont indiqués.

On trouve aussi des médicaments spéciaux des pharmaciens tels que l’extrait depurato-sudorifique pur, dit l’ennemi du mercure, de Bertrand aîné de Lyon ; l’extrait depurato-sudorifique sucré, dit sirop iodé de Bochet, de Bertrand aîné de Lyon ; ou encore les extraits pharmaceutiques de Laurent, chez Labelonye, ainsi que les extraits préparés la Société du Cercle pharmaceutique de la Marne.

 


Pot de pharmacie XIXe siècle
Extrait et conserve
Collection SHP
 

Appareil Chenaillier
I. Pour évaporation à l’air libre. II. Pour évaporation dans le vide
(d’après Adrian)
Ouvrage de Goris, Pharmacie Galénique, 1942
 

Mais les travaux de Goris, Arnould et Perrot sur la noix de Kola vont profondément modifier la préparation des extraits.

Déjà Bourquelot, en 1898, avait montré qu’en projetant des noix de Kola fraîches dans l’alcool à 95° bouillant, en distillant dans le vide, et en pulvérisant, on obtenait un produit ayant tout à fait l’apparence de la gomme arabique.

Goris remarque que l’alcool est rapidement dilué par l’eau contenue dans la plante fraîche. Il a alors l’idée en 1907 de substituer à l’alcool bouillant la vapeur d’eau sous pression.

 
     
 

Cette technique permet d’obtenir des semences qui, dit-il, se conservent indéfiniment.  Dans un deuxième temps, Goris et Perrot mettent en œuvre un procédé plus industriel, qui fera d’ailleurs l’objet d’un brevet. Il permet d’obtenir des matières premières ayant la même composition que la plante fraîche, disent leurs auteurs : 

« Ces végétaux ainsi stabilisés sont épuisés à l’alcool, puis l’évaporation de la solution alcoolique se fait dans le vide, à froid, en présence d’acide sulfurique.

On obtient de cette façon des préparations extractives dans lesquelles alcaloïdes et glucosides n’ont subi aucune modification du fait des ferments, ni aucune isomérisation ou dédoublement sous l’action de la chaleur.

On obtient ainsi des extraits pulvérulents débarrassés de leurs matières grasses, de la chlorophylle et des résines.

 

 

 


Appareil muni de palettes
pour l’évaporation au bain-marie
(d’après Adrian)
Ouvrage de Goris, Pharmacie Galénique, 1942

 

 
 

 

Publicité pour l’intrait de marron d’inde
Collection B. Bonnemain

 

 L’industrie s’est emparée de cette méthode et livre, sous le nom d’Intraits, des produits à action physiologique toute différente de celle des anciens extraits obtenus à partir des plantes sèches (Goris, 1929).

Cette technique permettra en particulier à Dausse la commercialisation de son fameux « Intrait de Marron d’Inde ».

 
 

Dans son ouvrage Pharmacie Galénique paru en 1942, Goris, fait ainsi une analyse très précise des extraits et de leur mode de préparation industrielle. Il distingue plusieurs catégories d’extraits : les extraits aqueux, les extraits alcooliques (extraits de drogues héroïques ou de drogues non héroïques et les Intraits), les extraits hydroalcooliques (extrait alcoolique repris par l’eau ou l’inverse), les extraits fluides, et les extraits éthérés.

Au total, les extraits représentaient sans aucun doute, une forme pharmaceutique extrêmement importante et courante jusqu’au milieu du XX° siècle. Il faudrait d’ailleurs, dans ce contexte, évoquer l’opothérapie et les travaux de CHOAY sur les extraits d’hormones par un procédé proche de la lyophilisation.

 
Pot de pharmacie. Extrait d’opium
 
   

Evolution de l’appareillage pour l’évaporation des liquides extractifs
I. Appareil Tennant – II. Appareil Tritton – III. Appareil Barry – IV. Appareil Barry perfectionné –
V. Appareil Soubeiran et Gobley – VI. Appareil Laurent et Egrot –
VII. Appareil Redwood – VIII. Appareil Berjot (d’après Adrian)
Ouvrage de Goris, Pharmacie Galénique, 1942
 
 

 
 
     
     
     
     
     
     
     
     
     
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