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Histoire des formes galéniques (3) Les hydrolés

  Histoire des formes galéniques (3)
Les hydrolés

 

 


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Collection B. Bonnemain
 

Le deuxième groupe de formes galéniques proposé par Dupuy en 1894 est extrèmement vaste car il inclut « les formes pharmaceutiques obtenues par solution à l’aide d’un véhicule variable ».

Le véhicule (solvant) peut être l’eau (on parle alors l’hydrolés) : on y trouve les tisanes, apozèmes, bouillons, mucilages, émulsions, limonades et eaux médicamenteuses.

Si le solvant est de l’alcool (ce sont les alcoolés), on a les teintures alcooliques, les alcoolatures, les alcoolés sucrés, les alcoolés acides, les alcooolés ammoniacaux, et les alcoolés de sels métalliques.

Si le solvant est de l’éther (étherolés), Dupuy parle de teintures éthero-alcooliques. Les énolés sont les vins médicinaux où le solvant est du vin. On a également les vinaigres médicinaux (Acétolés) et les bières médicinales (Brunolés).

 

 

Les Tisanes et apozèmes :

Parmentier (1811) classait les tisanes et les apozèmes parmi les boissons médicamenteuses qui comprenaient aussi les infusions, solutions, décoctions, émulsions, bouillons, hydromels, oxycrats et limonades, selon leurs compositions.

Les tisanes étaient définies comme des médicaments qui servent soit de véhicules pour diverses substances médicamenteuses, soit le plus souvent de boissons pour les malades ; elles sont obtenues par action dissolvante de l’eau sur les substances végétales, précisait Goris (1942). Les décoctions et bouillons de céréales ou de légumes étaient considérés comme des « tisanes diététiques ». Les bouillons étaient une des préparations classiques des apothicaires. Hérouard était, dit-on, capable d’en préparer cent trente-sept de mémoire. Par contraste, les apozèmes étaient des préparations réalisées sur prescription médicales et obtenues comme les tisanes, mais avec davantage de principes actifs.  Dans la préparation des tisanes, disait Goris, « il n’entre généralement qu’une substance végétale, sauf pour la tisane d’espèces pectorales, tandis que dans les apozèmes, il y en a quelquefois plusieurs (apozème purgatif), mais il existe des apozèmes n’en contenant qu’une seule. Autrefois, certains apozèmes portaient le nom de tisane, ce qui montre la parenté de ces deux préparations ». Il existait par exemple la tisane de Feltz ou apozème de salsepareille composé, la tisane royale ou apozème laxatif, etc.

 


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Collection B. Bonnemain
 


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Catalogue COOPER, 1930

 

 


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Catalogue COOPER, 1930
 

Les tisanes remontent à l’Antiquité. Leur nom vient du mot grec signifiant « orge mondée ». Les boissons données en effet au malade étaient faites avec de l’orge broyée. C’était la seule tisane que prescrivait Hippocrate. Pour Lémery, le mot tisane venait du verbe grec Ptissein, qui signifie « séparer l’écorce », parce que, disait-il, la tisane des Anciens était faite avec de l’orge mondée ou séparée de son écorce, mais la tisane des Modernes est faite avec de l’orge entière. Sa Pharmacopée de 1766 ne contient que deux tisanes en plus de la tisane commune à base d’orge : la tisane apéritive (à base de chiendent, fraisier et althæa), et la tisane astringente (à base d’orge, de corne de cerf, de racine de tormentille et de fruits d’épine-vinette).

On fit par la suite toutes sortes de tisanes avec des racines, des bois, des feuilles, des fleurs, des fruits, des semences, quelquefois même avec des matières animales et minérales. C’est ainsi qu’on trouve une quinzaine de tisanes dans le Code pharmaceutique de Parmentier (1811), tandis qu’on peut en dénombrer près de 70 dans le Dorvault de 1945. On y trouve par exemple la tisane de limaçons composée (limaçons, corne de cerf, orge perlée), appelée également lait d’ânesse artificiel, ainsi que la fameuse tisane de Feltz. Premier médecin et bourgmestre de Schlestadt, Feltz avait inventé cet apozème antivénérien sans mercure, et promettait vers 1760 de guérir en vingt quatre jours les maladies les plus invétérées.

 
Machine Courtoy 1920

Machine Henri NEGRE (1890)
 

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Collection B. Bonnemain
 

Le 31 juillet 1759, il avait soigné un syphilitique, Harnoncourt de Morsan, enfermé au donjon de Vincennes et lui avait fait prendre sa tisane déjà très réputée.  Feltz meurt en pleine gloire en 1762 et un arrêt du Conseil d’Etat du 23 avril 1762 confirme à sa veuve son privilège de composer et d’administrer la drogue, à condition que les cures soient faites sous l’inspection et la direction du Sieur Caumont, médecin ordinaire des Cent-Suisses. La composition de la tisane de Feltz apparaît pour la dernière fois au Codex de 1884 : à base de salsepareille, colle de poisson et sulfure d’antimoine pulvérisée. C’est la même recette qu’on trouve dans l’Officine de Dorvault de 1945, qui précise que Baumé faisait entrer dans cette tisane de la squène, des écorces de buis et du lierre.

Côté Machines : Les premiers sachets en soie puis en gaze pour infusion de thé ont été fabriqués aux Etats-Unis à New York en 1908, par Thomas Sullivan.

En 1920 Adolf Rombald de la société Teepack de Dresddes fabrique les premiers sachets à une chambre en papier et construit en 1929 la première machine automatique. En 1949, il produit une machine pour la production de sachets à deux chambres, le modèle Constanta  à la cadence de 160 par minute.

En 1964, la société italienne IMA de Bologne met au point la première machine qui fabrique les sachets et les encartonne, l’IMA C20. IMA est aujourd’hui le leader des machines à sachets  à infusion, la machine C 2000 atteint la production de 450 sachets/mm.

 


Machine à fabriquer les sachets pour tisane IMA C20, 1970
 


Tisane des Quarters, Catalogue Cooper, 1930

Le choix de l’eau des tisanes a son importance. Dupuy (1894) nous rapporte que le « Codex de 1866 prescrivait, pour la préparation des tisanes, l’eau commune ; c’était peut-être un peu trop de liberté ; celui de 1881 prescrit l’eau distillée : c’est trop de rigueur. Tous les pharmacologistes admettent que l’eau potable est suffisante pour la préparation des tisanes ; mais il est bien évident qu’on devra rejeter les eaux calcaires qui durcissent les matières végétales, peuvent donner un mauvais goût aux tisanes… »

Les apozèmes, quant à eux, dont nous avons vu qu’ils étaient parfois difficiles à différencier des tisanes, ont un nom qui vient également du grec « apozema » (bouillon). Selon Lémery, « ce sont de fortes décoctions de plusieurs espèces de racines d’herbes, de fleurs, de fruits, de semences et d’autres parties de la plante, appropriées en vertus aux maladies pour lesquelles on les donne ». Il fournit 4 formules d’apozèmes, tandis que Parmentier en décrit trois en 1811 et Dorvault en donne une dizaine.

Ce dernier précise que le Codex de 1866 contenait 10 formules d’apozèmes et que 4 d’entre elles sont encore dans le Codex de 1908. Il n’en existe plus dans le Codex de 1937. L’un des apozèmes était l’apozème blanc, décoction que l’on préparait avec de la corne de cerf calcinée, de la mie de pain et de l’eau de fleur d’oranger. Elle était utilisée chez les enfants contre les irritations intestinales.

 

 

 

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Catalogue COOPER, 1930

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Miroir des Sports, 1937

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Catalogue DORVAULT, 1877

 

 

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Collection B. Bonnemain
 

Les émulsions :

 

Dupuy a classé les émulsions dans les « hydrolés », ce qui peut se comprendre. Mais cette forme pharmaceutique relativement moderne dans son acception actuelle aurait pu être classée bien ailleurs, y compris dans les formes injectables.

L’émulsion (du latin emulsum, de emulgere, de mulgere, traire, tirer du lait) est une forme pharmaceutique connue depuis l’antiquité. Elle faisait partie sans aucun doute des systèmes complexes les moins connus sur le plan théorique, bien que côtoyés par tout un chacun dans tous les aspects de la vie quotidienne.

Les émulsions se rencontrent aujourd’hui dans le domaine alimentaire (lait, mayonnaise), les cosmétiques (crèmes et lotions), la pharmacie (crèmes, dérivés vitaminés et hormones, etc.), dans un grand nombre de produits liés à l’activité agricole (insecticides ou herbicides) mais également dans l’industrie pétrolière : émulsions subies ou émulsions désirées (bitumes, fluides de forage, etc.) Dans ce dernier domaine, les premières émulsions se sont développées au début du XXe siècle avec l’usage du goudron pour le recouvrement des chaussées (Macadam).

 

La définition d’une émulsion dans le domaine pharmaceutique a été longtemps faite par comparaison avec l’aspect du lait. Pour se limiter aux XIXe et XXe siècles, Bouchardat en 1878 indique « qu’on donne le nom d’émulsions à des liqueurs d’apparence laiteuse, que l’on prépare en divisant les semences huileuses au moyen de l’eau ». Il ajoute que ces médicaments sont très altérables et qu’on ne doit les préparer qu’au moment de l’emploi.

La même définition se retrouve chez Bourgoin dans son traité de pharmacie galénique en 1880, qui distingue les émulsions naturelles des émulsions factices ou artificielles. Ces dernières, dit-il, sont préparées en pharmacie, avec de la gomme arabique ou de la gomme adragante, avec le blanc d’œuf ou un jaune d’œuf, des amandes douces ou même du lait.

 


Matériel de fabrication des émulsions
Catalogue des Etablissements Auguste et Des Moutis

 

 On voit donc que cette forme était très empirique et de stabilité limitée. L’émulsion simple était faite d’amandes douces pilées, de sucre et d’eau.

On pouvait réaliser des émulsions simples avec des pistaches, des pignons doux ou d’autres semences émulsives.

On trouvait aussi diverses émulsions comme l’émulsion mercurielle à base de d’amandes amères et de Deutochlorure de mercure, pour les affections cutanées ; l’émulsion de résine de gaïac pour la goutte, utilisée par voie orale, etc.

 


Publicité des Etablissements GOY, vers 1910
Collection B Bonnemain
 


Publicité des Etablissements GOY, vers 1910
Collection B Bonnemain
 

Près d’un siècle plus tard, le Codex pharmaceutique de 1937 reste très peu précis mais en même temps très étroit dans sa définition d’une émulsion. Etait alors considéré comme une émulsion tout liquide d’apparence laiteuse préparé en pilant des semences huileuses et en triturant la masse obtenue en présence d’eau.

Le terme « émulsion » était ainsi réservé à des liquides constitués par de l’huile tenue divisée dans de l’eau à la faveur de la matrice protidique des semences. Le même Codex ajoutait toutefois que le nom d’émulsion pouvait être donné aussi à toute préparation de même apparence obtenue en divisant, dans de l’eau, des matières huileuses, résineuses, gommo-résineuses ou goudronneuses à l’aide d’une quantité suffisante d’un mucilage, d’une gomme, de jaune d’œuf ou d’un liquide émulsif.(C’est à peu près les mêmes termes utilisés par Dupuy dans son ouvrage de 1894)

Les préparations émulsionnées qui figurent au Codex de 1937 étaient assez nombreuses : près d’une vingtaine pour l’usage externe et quelques unes pour l’usage interne, auxquelles il faut ajouter les émulsions d’huile de ricin et d’huile de foie de morue qui n’étaient pas au Codex. La préparation de ces émulsions posait des problèmes techniques importants comptes tenus des faibles connaissances théoriques de l’époque. L’un des plus anciens était la préparation de  la pommade mercurielle. Jusqu’au milieu du XVIIIe siècle, on commençait par émulsionner (ou éteindre) le mercure dans de la térébenthine, puis on y ajoutait l’axonge. Mais la térébenthine rendait la pommade difficile à étaler. Si bien qu’on supprima cet excipient vers la fin du XVIIIe siècle. Mais on réalisait dès lors l’émulsion avec difficulté, ce qui donna lieu à de multiples variantes de la formule.

 

Le Dorvault de 1945 est également proche de la conception des émulsions telle qu’elle existait au XIXe siècle puisqu’au chapitre Emulsion, il est question de « préparations magistrales liquides, ayant ordinairement la couleur et l’opacité du lait, dont elles prennent parfois le nom. L’eau en est l’excipient ; elles contiennent en suspension de fines particules d’une substance insoluble dans l’eau (huile, résine, etc.) ».

On y trouve décrit divers produits tels l’Emulsion simple (ou lait d’amande), émulsion de baume de Tolu, Emulsion calmante (à huile de belladone et au chlorhydrate de morphine), émulsion de cire, émulsion de Coaltar, etc.

 

 


Publicité des Etablissements GOY, vers 1910
Collection B Bonnemain
 

 

Emulsion purgative au Jalap, Pharmacopée française 1837
 

En 1947, Marielle Tabillon, Docteur en pharmacie, fait publier un ouvrage sur « Contribution à l’étude des émulsions ».

Cette synthèse présente un intérêt historique car l’auteur y avance quelques notions nouvelles même s’il s’est borné à la classification et à l’étude des émulsions qui figurent au Codex 1937. Tout d’abord, Tabillon considère que seules les émulsions stables présentent un intérêt et que cette stabilité exige la présence d’un émulsionnant (qu’elle distingue des contaminants).

L’auteur distingue également les émulsions « huile dans eau » et « eau dans l’huile ». Certains paramètres sont pris en compte tels la densité et la viscosité, mais aussi la charge électrique des particules émulsionnées, même si ces paramètres sont considérés comme secondaires.

 

On retrouve cette notion de contaminant et d’émulsionnant comme deux entités bien distinctes dans l’ouvrage de Gattefossé en 1946. Pour lui, « ce n’est pas l’émulsionnant qui constitue le film interfacial, celui-ci n’est engendré par l’alcalin que si ce dernier trouve dans le mélange assez d’acide gras pour former un sel, un savon alcalin, soluble dans l’eau, mais cependant assez lipophile pour s’orienter en présence d’huile. Ce savon alcalin est le contaminant ». Cette façon de présenter ce qu’est une émulsion et ses caractéristiques physico-chimiques majeures contraste fortement avec la Revue Générale sur le même sujet faite par Busse, Swintosky et Riegelman la même année aux Etats-Unis, qui seront par la suite à la pointe d’une approche plus scientifique des problèmes de formulation galénique.

 


Publicité pour les émulsions LE BEUF
Catalogue DORVAULT, 1877
 

Dans leur introduction, les auteurs insistent sur la nécessité, désormais, de faire la différence entre les faits et les phénomènes observés, d’une part, et les interprétations et conclusions qu’on peut en tirer, d’autre part.

On peut observer que, dès cette époque, les scientifiques américains ont une idée assez claire des phénomènes physico-chimiques qui régissent le comportement et la stabilité des suspensions, des colloïdes et des émulsions : densité, viscosité, tension superficielle et tension interfaciale, propriétés électriques, potentiel Zêta, sont autant d’éléments à prendre en compte pour assurer la stabilité de ces formes instables par nature.

Pour les émulsions, les auteurs montrent l’importance des proportions des phases en présence et de la taille des particules, ainsi que la nécessaire utilisation des tensioactifs, et l’intérêt des homogénéisateurs pour l’obtention de taille de particules inaccessible par le simple mortier du pharmacien d’officine.

 


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La Santé s’affiche, Thérabel Group, 2003
 


Publicité des Etablissements GOY, vers 1910
Collection B Bonnemain
 

Le manuel Cortesi de 1957, à l’usage des stagiaires et étudiants en pharmacie, quant à lui, parait encore très conventionnel et considère que les émulsions sont « des liquides laiteux, qui contiennent en suspension des substances médicamenteuses très finement divisées ». Cortesi classe les émulsions d’une part en émulsions naturelles qui contiennent à la fois le principe émulsionnant et la matière émulsionnée, et cite l’émulsion d’amande du Codex ; d’autre part les émulsions artificielles où la matière émulsionnée et le principe émulsionnant ne sont pas réunis dans la même drogue et « il faut faire intervenir une substance émulsive étrangère.

Cette substance peut être le mucilage de carragheen, le mucilage de gomme arabique et de gomme adragante, le jaune d’œuf, la teinture de quillaya ou de salsepareille, le sirop de polygala ». Et l’auteur complète en indiquant que les émulsions sont surtout utilisées pour dissimuler l’aspect, l’odeur et la saveur désagréable de certains médicaments.

Ce sont, dit-il, des médicaments altérables qu’il convient de préparer au moment du besoin et de conserver en lieu frais.

 

On voit ici qu’il y a moins de 60 ans, la formulation des émulsions est très loin de partir d’une approche scientifique basée sur les diagrammes de phase, le HLB critique et l’usage de tensioactifs modernes.

Cependant, certaines notions étaient déjà connues depuis longtemps : ainsi, Quinckle (1870) et Donnan (1910), auxquels sont dus les premiers travaux sur les émulsions, attachent surtout de l’importance aux surfactifs et à leur action sur la tension interfaciale.

 

 

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Collection B. Bonnemain
 

 

Emulsionneuses, Goris, 1942, ed. Masson
 

Bourgoin en 1880 note déjà que la stabilité des émulsions tient à divers facteurs dont la densité, la viscosité et la tension superficielle des liquides. « La couche d’un liquide quelconque est douée d’une force contractile ou tension qui est la même en tous les points, quelle que soit la courbure de la surface ; à la même température, chaque liquide possède une tension qui lui est propre ».

Pour Bourgoin, l’expérience montre que « l’émulsion est d’autant plus stable que les tensions superficielles des deux liquides et leurs densité sont plus voisines ». Pour expliquer la stabilité des émulsions, Bancroft (1915) retient surtout la formation d’un film interfacial, tandis que Lewis (1909) insistait sur le rôle des phénomènes électriques à l’interface. Pour Blakey et Lawrence (1954), c’est plutôt l’élasticité du film qui est déterminante, etc.

 

Comme le dit Kenneth J. Lissant dans son ouvrage sur les émulsions, c’est entre 1930 et 1950 que les études théoriques sur les émulsions ont démarrées.

Un premier précurseur dans la physico-chimie des émulsions pharmaceutiques et cosmétiques fut F. Lachampt en France. L’utilisation des diagrammes de phase dans le domaine des colloïdes semble avoir été préconisée pour la première fois par Mac Bain en 1922, mais son intérêt dans la formulation des émulsions a surtout été mis en évidence par Lachampt et Vila.

Leur emploi dès 1945, dans ce domaine, est fondé sur le fait que les émulsions ne sont qu’un des systèmes susceptibles d’apparaître lorsque sont mélangés en diverses proportions les trois types de constituants suivants : une huile, de l’eau et un surfactif ou un mélange de surfactifs.

Dans ces diagrammes, la zone des émulsions est généralement délimitée par une ligne bien déterminée appelée ligne des émulsions.

 


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Collection B. Bonnemain
 

Un autre pionnier fut Griffin et sa découverte du HLB critique. Pour réaliser des émulsions stables, le choix du surfactif approprié est un des éléments clefs pour réussir cet objectif, et en particulier le poids respectif des parties hydrophiles et lipophiles du surfactif.

La notion de Balance hydrophile/lipophile est entrevue pour la première fois en 1932 par Roberts, puis par Clayton (1933) et Goodey (1949). Schulman et Cockbain en 1940 avaient démontrés que les meilleures émulsions Huile dans Eau (H/E) étaient formées par deux émulsionnants, l’un à tendance hydrophobe, l’autre à prédominance hydrophile. L’association est synergique si le couple forme un film orienté complexe où les deux produits coexistent. Cependant, Griffin (1949) est le premier auteur ayant réussi à représenter numériquement la proportion respective des groupements hydrophiles et des groupements lipophiles qui s’opposent à l’intérieur d’une même molécule de surfactif. Marinier (1959) est le premier à avoir travaillé, en France, sur le HLB critique, suivi par Monique Seiller (1967).

 

 

Emulsion simple, Pharmacopée française 1837
 

 

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Catalogue COOPER, 1930
 

La définition des émulsions a été modernisée par Becher en 1965. L’auteur considérait l’émulsion comme un système hétérogène, comportant au moins un liquide non miscible dispersé dans un autre sous forme de gouttelettes dont le diamètre, en général, est supérieur à 0.1 micron. De tels systèmes ont une stabilité minimale, qui peut être augmentée par des adjuvants tels que les surfactifs, les fines particules solides, etc. ». Par la suite, et compte tenu de l’existence de phase à cristaux liquides, l’IUPAC a changé sa définition des émulsions selon laquelle « Dans une émulsion, des gouttelettes liquides et/ou des cristaux liquides sont dispersés dans un liquide ».

A la suite de ces diverses évolutions technologiques,  les émulsions ont pris un essor majeur dans le domaine de la pharmacie et de la cosmétique. Les émulsions destinées à la nutrition parentérale se sont développées après la deuxième guerre mondiale. Les émulsions topiques ont également été largement développées pour administrer les médicaments par voie transcutanée.

 

 

Les limonades.

Elles font aussi partie des hydrolés et étaient définies sur le plan pharmaceutique comme des boissons acidulées, ayant des propriétés rafraîchissantes ou médicamenteuses, quelquefois purgatives, dont le véhicule est l’eau. Elles pouvaient être gazeuses ou non. Bien que la limonade de d’émeraudes (racine de pivoine, semence de citron,  d’oseille…) existe dans la Pharmacopée de Lémery en 1766, ce type de médicaments se développa surtout au XIXe siècle. On en trouve plusieurs formules dans la première édition de l’Officine de Dorvault en 1844 qui indique la formule de la Limonade commune (ou citronnade) et distingue la limonade cuite où l’on verse de l’eau bouillante sur du citron, et la limonade crue faite avec de l’eau froide. De même, on peut réaliser une formule similaire avec l’orange sous le nom d’orangeade. On trouve dans le même ouvrage la limonade vineuse, la limonade sulfurique, tartrique, etc. Des limonades seront inscrites à la Pharmacopée de 1866, à celle de 1884 et même à celle de 1937 qui donne la formule de la limonade citrique, la limonade lactique et deux limonades purgatives. La limonade au citrate de magnésie fut, quant à elle, introduite par Roger-Delabarre en 1847.

Remplisseuse semi-automatique de limonade

 

 


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Collection B. Bonnemain

 

 

Les eaux médicamenteuses.

 

Les eaux médicamenteuses regroupaient un ensemble de produits très divers. Le Codex définissait 3 groupes :

1°) les eaux distillées et les eaux aromatiques médicamenteuses. Celles-ci faisaient partie du 3e groupe de Dupuy et nous les reverront plus loin ;

2°) les solutés simples et composés ;

3°) diverses préparations « en raison de l’usage ». Les solutés simples et composés comprenaient par exemple la fameuse « eau phéniquée »  qui pouvait être à usage interne ou externe. Dorvault dans sa première édition de 1844 de l’Officine regroupe des « eaux diverses » dont l’eau d’Alibour (ou Collyre de Saint-Jerneron), l’eau spiritueuse d’Anhalt, l’eau de clous ou ferrée (à base de clous rouillés !), l’eau d’Egypte pour noircir les cheveux, ou encore l’eau d’or, à base de feuille d’or.

 

 

 

Par ailleurs, on trouve généralement sous ce terme d’eaux médicamenteuses (ou d’eaux médicinales) les eaux minérales artificielles.

Dorvault (1844) explique que ces eaux sont parfois préférables aux eaux minérales naturelles. L’eau de Seltz artificielle, par exemple, est selon lui, plus efficace pour faciliter la digestion.

Il décrit parmi les eaux artificielles l’eau de Bourbonne, l’eau de Contrexeville, et même l’eau de mer : « Un pharmacien de Fécamp, M. Pasquin, expédie, en raison d’un brevet, de l’eau de mer qu’il a d’abord eu soin d’aller puiser au large, puis de filtrer, et qu’il charge de gaz pour être employé comme purgative, vermifuge, antirachitique et antiscrofuleuse ».

Pline, déjà, explique que lorsque ses contemporains se trouvaient éloignés des côtes, ils composaient pour se baigner une eau semblable à celle de la mer.

 


Remplisseuse semi-automatique de limonade
 
 

 Les eaux minérales artificielles ont pris leur essor sous Henri IV, en même temps que les remèdes chimiques. Sous Louis XIII, on employait les eaux artificielles et composées, selon Henri de Rochas, qui considérait qu’elles étaient supérieures aux eaux de source. Il aurait guéri du choléra, grâce à ces eaux, une femme d’un conseiller des finances. Charas (1676) décrit les eaux minérales artificielles et les juge aussi souvent supérieures aux eaux naturelles. En 1685, deux apothicaires anglais obtinrent de Charles II une patente pour la fabrication d’eaux ferrugineuses.

C’est l’apothicaire suisse Gosse (1753-1816) qui réalisa la première fabrication industrielle d’eau gazeuse, d’abord en décomposant la craie à chaud, puis en faisant attaquer par l’acide sulfurique dilué le carbonate de calcium. En 1799, Paul, associé de Gosse, transféra cette industrie à Paris. Au début du XIXe siècle, par économie autant que par conviction, la Service de Santé avait pris parti pour les eaux artificielles : une instruction générale de floréal an IV, signée de tous les Inspecteurs généraux, y compris Bayen et Parmentier, les prescrit à l’armée comme promettant des effets plus constants que les véritables eaux minérales. Au XXe siècle, Dorvault constate en 1928 que l’usage des eaux gazeuses médicinales ou d’agrément est fort grand !

 


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(Anonyme, 1890)
La Santé s’affiche, Thérabel Group, 2003
 


Affiche publicitaire pour l’Eau de Levico (Jacques Charles, 1901)
La Santé s’affiche, Thérabel Group, 2003
 


Affiche publicitaire pour l’Eau de Foncirque (A. Michèle, 1892)
La Santé s’affiche, Thérabel Group, 2003
 

 

Pots de Pharmacie. Eau de lys et eau de menthe
 Les eaux distillées :

Comme nous l’avons vu, le Codex de 1866 considérait qu’il existait trois types d’eaux médicamenteuses : les eaux distillées et les eaux aromatiques médicamenteuses ; les solutés simples et composés ; et des préparations diverses placées dans ce groupe « en raison de leur dénomination consacrée par l’usage ».

 

Les plus importantes de ces eaux médicamenteuses étaient sans doute les eaux distillées : on les divisait autrefois en trois classes : les esprits recteurs, les eaux essentielles et les eaux distillées proprement dites. Cette forme pharmaceutique, était probablement déjà connue  des Egyptiens, les premières indications de leurs connaissances nous venant des écrits de Synesios de Ptolémaïs et de Zozymos de Pana polis qui décrivirent de manière détaillée les appareils distillatoires des Egyptiens.

 

Eau ophtalmique
Formulaire de Cadet de Gassicourt, 1818

 

 

Mais on considère habituellement que les eaux distillées viennent principalement de la science Arabe au IXe siècle. On trouve dans les œuvres d’Actuarius et dans l’Antidotaire de Mesué la description des eaux d’absinthe et de rose ; cette dernière était l’objet d’un important commerce chez les Perses. Lémery décrit longuement les eaux distillées (plus de 140 formules) et conclut cependant qu’il pourrait en décrire encore beaucoup d’autres « qu’on invente tous les jours ». Il réalisait des eaux distillées provenant de plantes comme le plantain, l’oseille, l’absinthe, la rose, la fleur d’oranger, etc. mais aussi à partir d’animaux divers : l’eau de Frais de grenouilles, l’eau de limaçons, l’eau d’Hirondelles (à partir de « petits d’hirondelles coupés vivants par petits morceaux ») ou encore l’eau de pies composée.

 

Eau de vie purgative
Formulaire de Cadet de Gassicourt, 1818

 

 

 

Eau de Mille fleurs, Lémery
 

L’eau de mille-fleurs présente aussi une histoire intéressante : Nicolas de Blegny en dévoile la formule en 1689 : cette eau de toilette est préparée avec la rose, la marjolaine, le benjoin,  et le musc.

Mais l’Eau de mille-fleurs de Lémery est toute différente : c’est l’eau distillée de fiente de vache qu’il propose comme apéritive et adoucissante, et résolutive, bonne pour l’hydropisie, les rhumatismes et la sciatique ! Les Eaux de mille-fleurs composées dont Charas et Lémery donnent la recette, toujours à base de fiente de vache, mais additionnée de fleurs au gré du demandeur, et distillée à la chaleur du soleil. Bateus y ajoute du vin blanc ou des limaçons.

Enfin, en 1706, le Dr Pestalossi, de Lyon, lance l’Eau de mille-fleurs naturelle, recette apportée des Indes en Alsace par un officier espagnol : ce n’est pas autre chose que de l’urine de vache fraîchement recueillie, qui sera recommandée par Lémery pour traiter la jaunisse et l’hydropisie.

 

Une eau célèbre était l’Eau de fourmi décrite par Charas puis par Lémery sous le nom d’Eau de Magnanimité : « Prenez des fourmis 2 poignées ; de l’esprit de vin, une pinte.

Laissez-les en digestions dans un vaisseau bien clos jusqu’à ce que les putréfactions les aient entièrement dissoutes en liqueur.

Après cela, distillez-les au bain-marie, et parfumez la liqueur distillée avec un peu d’eau de cannelle ».

 

Eau de Magnanimité de Lémery

 

 

Eau distillée de laitue
L’Officine, Dorvault, 1844
 Dans les commentaires qui accompagnent la technique de cette préparations, Lémery précise qu’il faut choisir les fourmis les plus grosses, les écraser dans un mortier de marbre et faire la digestion et la distillation dans une cucurbite de verre : il recommande de la garder dans une bouteille bien bouchée et décrit ainsi ses vertus :

« Son nom lui a été donné à cause de ses grandes vertus, elle est propre pour réveiller les esprits, pour dissoudre et résoudre les humeurs froides, pour exciter la semence, pour résister au venin : la dose en est depuis une dragme jusqu’à deux ».

 

On retrouve l’eau de Magnanimité chez Cadet de Gassicourt : « alcohol rectifié 1500 gram, Fourmis 1000 gram. Faites macérer pendant 6 jours, puis distillez au bain-marie jusqu’à siccité. Zédoaire 40 gram, Cannelle 32 gram, girofles et cardamone mineur a.a 24 gram, cubèbes 16 gram. Faites macérer, pendant trois jours, dans l’alcohol de fourmis. Distillez de nouveau au bain-marie, jusqu’à siccité. En fractions, contre la débilité des organes de la locomotion. On la donne aussi intérieurement à la dose de 8 grammes probablement pour fortifier les organes affaiblis par des contusions ou des paralysies. En 1847, Guibourt reprend quasiment la même formule avec « Racine de Zédoaire 50 gram, Cannelle fine 40 gram, Girofles 30 gram, Petit cardamome 20 gram, Cubèbes 20 Gram, Alcool à 85° 2240 gram ; pulvérisez toutes ces substances ; mettez les en digestions dans l’alcool pendant 4 jours et distillez presque à siccité. Alors mettez dans un matras : Fourmis rouges 1280 gram, alcool aromatique ci-dessus 1920 gram ; laissez macérer pendant 6 jours, et distillez au bain-marie jusqu’à siccité ». Quelques années plus tard, en 1844, Dorvault décrit dans « l’Officine », d’une part l’alcoolat de fourmis ou Esprit de fourmis (Fourmis rouges 1 ; eau et alcool aa 2 ; distillez 2 parties (Jourd.) : rubéfiant) et d’autres part l’alcoolat de fourmis composé, ou « eau de Magnanimité » :
 

 

Eaux diverses
Formulaire de Cadet de Gassicourt, 1818
 

 

Eau distillée de raifort et eau distillée de roses,
L’Officine, Dorvault, 1844
  Fourmis rouges           720

            Alcool à 85°               1080

Macérez pendant 5 à 6 jours ; distillez à siccité et faites infuser dans le produit :

            Cannelle          90

            Cubèbes          15

            Girofles           22

            Zédoaire         38

            Cardamome m 22

Distillez de nouveau à siccité (Wurt)

 

Cordial, stomachique, diurétique 4 à 8 gram dans un liquide approprié, à l’intérieur, et en frictions à l’extérieur dans la paralysie et la faiblesse des articulations.

Plus loin, Dorvault précise que l’insecte contient un acide particulier, l’acide formique, auquel il doit l’odeur forte qu’il exhale et sa propriété rubéfiante.

On emploie quelquefois les fourmis, dit-il, en cataplasme. « Parfois aussi, on plonge le membre paralysé dans une fourmilière. On en fait une teinture, un alcoolat ».

On retrouve cette description quasiment à l’identique dans l’édition du Dorvault de 1945 !

 

Eau d’arquebuse et eau de la charité,
L’Officine, Dorvault, 1844

 


Eau fébrifuge et eau ferrugineuse,
L’Officine, Dorvault, 1844
 

Dorvault considérait que les eaux distillées étaient une forme pharmaceutique importante : « inodores ou peu actives, elles sont l’excipient presque exclusifs des potions ; aromatiques ou actives, elles entrent dans ces mêmes potions, mais à petite dose, comme partie active ou comme aromate ».

Il décrit l’eau distillée de laitue, l’eau distillée de menthe poivrée, etc.

Pour conclure ce chapitre, on peut citer Dupuy (1894) : « Les anciens pharmacologistes soumettaient à la distillation non seulement les plantes mais une foule de substances animales (sang de bouc, fourmi, corbeau, frai de grenouille, excrément de paon mâle,etc.). L’expérience ayant montré l’inutilité de semblables préparations, faites avec des substances animales, la distillation n’est plus appliquée aujourd’hui, et depuis lontemps déjà, qu’à un certain nombre de végétaux, à ceux qui sont susceptibles de fournir, par la distillation, quelques principes volatils. »

 

Eau distillée de fleurs d’oranger, L’Officine, Dorvault, 1844

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