Histoire des formes galéniques (2)
Les espèces, pulpes et sucs
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Pulpoire, Goris, 1942, ed. Masson
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Pot de Pharmacie pour la pulpe de casse
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Comme nous l’avons indiqué lors de la première partie sur les poudres, nous avons suivi la logique de Edmond Dupuy (1894) qui avait ordonné les formes pharmaceutiques en 8 groupes selon leur mode de préparation et leur voie d’administration.
1° groupe : « les formes pharmaceutiques résultant d’une opération simple ou mécanique sans l’intermédiaire d’aucun agent nouveau. »
Dupuy classait dans ce groupe 4 formes : les espèces, les poudres, les pulpes et les sucs. Bien que généralement préparés en vue d’être incorporés à d’autres formes de médicaments, celles-ci peuvent aussi être administrées directement aux patients. Après avoir vu l’histoire des poudres, nous allons donc examiner cette fois ci les espèces, pulpes et sucs.
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Sucs huileux, Goris, 1942, ed. Masson
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Espèces (Dorvault, L’Officine, 1945)
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Tout d’abord, quelques définitions :
LES ESPECES :
On ne trouve pas cette forme galénique ni chez Lémery, ni chez Charas. Par contre, les auteurs du XVIIIe siècle comme Baumé et ses successeurs vont évoquer cette forme qui a disparu sous ce nom à l’époque contemporaine. On peut partir de la définition qu’en donne Goris dans son ouvrage de 1942 : « On appelle espèces des mélanges de plantes ou parties de plantes, séchées, divisées en petits fragments et qui servent à obtenir des infusés ou des décoctés. » On les classait le plus souvent en fonction de leur action thérapeutique. Ainsi, Baumé définit les espèces vulnéraires, ou herbes vulnéraires qui est un mélange de treize plantes. Il donne également la formule des espèces toniques (constituée de 11 plantes) et des espèces pectorales (5 plantes). Il ajoute : » les espèces sont très commodes pour le malade, parce qu’elles sont des collections d’herbes et d’autres substances choisies et toutes préparées pour les infusions… Il serait à souhaiter que ces sortes de remèdes deviennent officinaux à Paris, comme ils le sont en Allemagne; les malades ne seraient pas exposés à être trompés par les herboristes, comme ils le sont continuellement, en faisant usage de plantes les unes pour les autres ». Baumé précise qu’on peut faire entrer dans ces espèces « des semences, des gommes, des résines sèches, des matières animales, comme la corne de cerf, le castoréum, etc. , mais jamais de matières liquides ou des subtances réduites en poudre fine. »
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On retrouve des éléments similaires chez Goris en 1942. il donne la formule des espèces purgatives (thé de Saint-Germain), les espèces pectorales (fleurs pectorales ou béchiques, quatre fleurs), les espèces calmantes, les espèces vulnéraires (thé suisse, les espèces diurétiques, les espèces carminatives (fruits d’anis, carvi, coriandre fenouil) et les espèces pectorales composées de fruits, les fruits pectoraux étant les dattes sans noyaux, figues, jujube, raisins de Corinthe.
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LES PULPES : « Ce sont des masses de consistance molle »
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Espèces carminatives du Codex 1884. Catalogue COOPER 1930
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Si l’usage des poudres a été une longue tradition en pharmacie, c’est probablement le cas également pour les pulpes (du latin pulpa : pulpe de fruits) qui étaient préparées à partir des végétaux par contusion (pour les herbes), rasion (pour les fruits et les racines charnues) ou pistation (pour les substances cuites). On les débarrassait des fibres végétales en les forçant à travers un tamis de crin. On pouvait les préparer à chaud, à froid ou avec des poudres. Baumé a proposé ce dernier mode de préparation avec des poudres végétales. D’une façon générale, les pulpes étaient très peu stables et se décomposaient rapidement. On les préparait donc immédiatement avant leur emploi. Au Codex de 1884, on trouve encore les pulpes de carottes, d’ail, de lis, d’oignon, de scille, de pomme de terre, de casse, de ciguë, de pruneaux, de datte, de jujube et de tamarin. Mais la notion de pulpe apparaissait déjà dans les ouvrages anciens comme ceux de Charas au XVIIe siècle et de Lemery au XVIIIe. On retrouve plusieurs recettes de pulpes chez Henry et Guibourt en 1828 dans leur Pharmacopée raisonnée : pulpe de carottes, de rose rouge, de tamarin, de casse, de jujubes et de plantes émollientes (guimauve, mauve, bouillon-blanc, etc.)
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Pulpes et sucs (Baumé, Elements de Pharmacie, 1784)
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Au Codex de 1908, il ne restait que la pulpe de tamarin qui disparaîtra dans les éditions suivantes de la Pharmacopée française. Par ailleurs, le terme de pulpe sera utilisé au XXe siècle dans le cadre de l’opothérapie. On utilisait en effet les glandes endocrines sous forme fraîches comme le décrit Goris en 1942 : On prend l’organe frais, on le pulpe, on le fait macérer pendant une heure dans l’eau tiède… ». Mais l’auteur rejette ce mode de préparation en raison des difficultés pratiques et économiques qui y sont associées.
Près de 50 ans plus tard, Goris précise qu »on a coutume de comparer la pulpe à la poudre médicinale ; elle représente la presque totalité de la plante fraiche, comme la poudre représente la totalité de la drogue sèche. Autrefois, les pulpes étaient très en l’honneur, elles sont encore journellement employées dans la médecine des campagnes ».
Goris donne quelques statistiques intéressantes : il précise qu’il existait 11 pulpes au Codex de 1818; 20 à celui de 1837; 10 en 1866; 21 en 1884 (ail, lis, oignon, scille, cigüe, carotte, pomme de terre, pour l’usage externe; pruneaux, dattes, jujube, casse, tamarin pour l’usage interne, etc.) Il ajoute : « Cette forme pharmaceutique qui paraissait très désuète à beaucoup de pharmaciens et de médecins, trouve maintenant sa justification et sa réhabilitation dans le rôle important des vitamines qui se rencontrent dans les plantes utilisées pour ces préparations ».
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Liste des sucs (Baumé, Elements de Pharmacie, 1784)
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LES SUCS :
Contrairement aux deux autres formes (espèces et pulpes), les sucs sont très présents dans la littérature pharmaceutique même s’ils n’apparaissent plus dans les ouvrages de référence contemporains comme celui de Le Hir en 2006. Goris en donne une définition très large car ce sont pour lui « tous les liquides qui existent dans les tissus des différents organismes vivants ». Il sont très divers chez les animaux, comme les liquides « rejetés » : urine, sueur ; ou les liquides « servant à la nutrition générale : salive, suc gastrique, suc pancréatique, bile ». Quant aux végétaux, c’est principalement la sève, mais aussi les résines, caoutchouc, etc.
Si l’on regarde la pharmacopée de Charas (1676), on y trouve déjà de nombreuses pages consacrées aux sucs végétaux. On peut y lire par exemple le suc de réglisse noir et le suc de réglisse blanc (beaucoup plus agréable mais inférieur en vertus).
On retrouve ces deux sucs chez Lémery quelques années plus tard. Mais cette forme reste encore limitée si l’on compare à l’ouvrage de Baumé en 1784 où le nombre de produits sous cette forme est devenu considérable (voir ci-contre) : plus d’une cinquantaine. Cette tradition va se poursuivre chez Dorvault, chez Bouchardat, et dans l’ouvrage de Goris qui est sans doute le plus complet.
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Meule à broyer des olives, Goris, 1942, ed. Masson
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GORIS (1942) : les sucs.
Dans son ouvrage sur la pharmacie galénique, Goris consacre 140 pages à ce sujet. c’est dire l’importance qu’il donne encore à cette forme galénique en 1942. L’auteur les classe en « sucs aqueux, huileux, gommeux, balsamiques et gommo-résineux ».
Les sucs aqueux sont divisés en sucs sucrés, herbacés ou acides. On retrouve le suc de réglisse parmi les sucs sucrés, le suc de cresson (Codex de 1908) dans les sucs herbacés. Quant aux sucs acides, ce sont les sucs de joubarbe, oseille, épinard, tamarin, etc. qu’on peut obtenir par expression ou par l’action de la chaleur.
Le deuxième grand domaine est celui des sucs huileux : Goris explique : « les sucs huileux sont caractérisés par leur constitution chimique et par l’état physique sous lequel ils se trouvent dans les végétaux. Ils y sont, en effet, à l’état de goutelettes émulsionnées dans le protoplasme des cellules de l’albumen ou des cotylédons des graines. On les trouve aussi dans le péricarde de certains fruits. Au point de vue chimique ce sont des glycérides d’acides gras. D’après Pfeiffer, les matières grasses apparaitraient dans les végétaux au moment où disparaissent les glucides. »
Goris détaille ensuite les caractéristiques de différentes huiles et leurs contrefaçons éventuelles : huile d’olive, huile d’amande douce, huile d’arachide, huile d’oeillette, huile de coco, huile de chaulmoogra, huile de ricin, huile de foie de morue (très developpée)… et finalement le lait, « le suc d’origine animale le plus intéressant et le plus important ».
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Collection B. Bonnemain
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Les Annales, 1920. Collection B. Bonnemain
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DORVAULT (1945) : les sucs végétaux.
Dorvault consacre plusieurs pages aux sucs végétaux. L’Officine s’y intéressait dès l’origine en 1844, et Dorvault évoque de très nombreux produits dans son catalogue de 1875.
Au delà des produits du Codex, l’auteur cite des « produits spéciaux » : le suc de réglisse préparé, de Sanguinède; le suc concentré de cerises, framboises, groseilles, de O. Offrion; le suc d’herbes, purgatif de dépuratif Babilée, le suc pectoral Marinier, le suc de réglisse à la violette, à l’anis, de Cadet-Gassicourt, etc.
Enfin, en 1945, l’Officine s’intéresse aussi au suc d’herbes antiscorbutique, le suc de cocléaria composé, le suc de nerprun…
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Presses à huile. Goris, 1942, ed. Masson
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Liste des sucs (Dorvault, l’Officine, 1945)
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Le suc : le cas du suc de réglisse de Mlle Guy
Les sucs des plantes ont été recherchés comme médicaments depuis l’Antiquité. Le mot opium dérive sans doute du mot grec opos (suc). Deux produits, en effet provenaient du pavot : le suc, obtenu par incision de la capsule et dont l’emploi remonte au moins au IVe siècle av. J.-C., et le mekonion, sirop de capsules et de feuilles de pavot.
Au XVIIIe siècle, on trouve un exemple intéressant de suc : le « véritable suc de réglisse et pâte de guimauve sans sucre de Mlle Guy ». Dans le Mercure de France de 1748, celle-ci avertit le public que « la nommée Marie Cirano, dite Guy, femme de Jean Vergnaul, a tronqué l’Arrêt du 17 mai (qui confirme son privilège), par de fausses affiches qu’elle avait fait mettre le 17 juillet dans tout Paris et jusques dans les Provinces, où elle disait faussement que Mlle Desmoulins était une contrefaiseuse et qu’elle avait seule le privilège… ».
La Demoiselle Desmoulins publiait des prospectus vantant les mérites de son Suc de Réglisse et Pâte de Guimauve qui était censé guérir le rhume, fortifier la poitrine, faire cracher la pituite, adoucir la voix, dégagé la parole enrouée, arrêter le crachement de sang et était « souverain aux Poulmoniques et Asthmatiques qui en continuent l’usage ».
Elle ajoutait : « Bon nombre de personnes contrefont lesdits Suc de Réglisse et Pâte de Guimauve, et les débitent sous de faux exposés, et surtout celle qui faussement prend le nom de Mademoiselle Guy, morte fille en 1716, n’ayant ni frère ni soeur, la soi-disant Guy et ses adhérents mettant tout en usage pour détruire dans le monde Mademoiselle Desmoulins et son Suc de Réglisse et Pâte de Guimauve, et lui enlever ses pratiques… » (Maurice Bouvet, RHP, 1943)
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