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Les formes galéniques du temps de Molière

     

Les formes galéniques du temps de Molière

 


Blason du Corps & Communauté des Marchands Espiciers & Apotiquaires Epiciers de PARIS (XVIIe siècle)

Porte d’azur a un dextre eleve d’argent mouvant d’une nuée de meme et tenant des balances d’or, coupée d’or à deux navires de gueules équipez d’azur semé de fleur de lis d’or posez l’un contre l’autre flottans sur une mer de sinople et accompagnez de deux étoiles à cinq rais de gueules (étoiles manquantes sur le dessin)

 

L’apothicaire de la « Commedia dell’arte »
par Maurice Sand

 

 Les formes galéniques que nous avons vu lors des expositions précédentes sont principalement celles décrites par Dupuy à la fin du XIXe siècle. Mais d’autres formes étaient en usage auparavant, du temps de Molière. Certaines sont restées par la suite, mais d’autres ont disparues. Nous allons nous attacher ici à décrire les formes présentent au siècle de Molière à travers les Pharmacopées de Charas et Lémery et quelques autres ouvrages du XVIIe siècle, principalement.

1°) Les formes galéniques décrites par Charas (1676) :

Médicaments internes (les mots en bleu clair sont déjà décrits dans les expositions précédentes (cliquez sur le lien):
 
Juleps, Apozèmes, Emulsions, Amandes, Restaurants, Potions purgatives et alternatives, Mixtures, Gargarismes, Tisanes, Bols, Clystères, Suppositoires, Pessaires, Nodules, Injections, Vins, Vinaigres, Robs, Miels composés, Hydromels, Oxymels, Sirops, Loochs, Morceaux béchiques, Condits, Conserves, Electuaires, Hières, Opiats, Confections, Antidotes, Tablettes, Pilules, Poudres, Eaux distillées, Fécules, Extraits, Résines, Sels fixes, volatils et essentiels, Cristaux, Fleurs, Safrans, Huiles distillées et par expression, Teintures, Elixirs, EssencesBaumes, Panacées, Chaux, Pierres, Verres, Régules, Soufres, Sublimés, Précipités, etc. Il faut y ajouter les Dragées, les Collyres, les Errhines*, les Masticatoires*, les Ratafias, les Nouets, les Boules de Mars, les Bochets, les Bouillons et les Trochisques.

Avec Lémery quelques années plus tard, on trouve les dentifrices, les ratafias.  
 

     
 

* Les Errhines sont assez bien détaillées par Charas et Lémery. Pour ce dernier, les errhines, appelées aussi en Latin Nasalia, sont des remèdes qu’on introduit dans le nez pour faire moucher et éternuer. On  leur donne diverses formes, car tantôt on les fait en poudre, tantôt en liqueur, tantôt en onguent, tantôt en masse solide dont on forme des petits bâtons pyramidaux. Charas avait ajouté : Ils ont été inventés pour le même dessein que les Apophlématismes (Masticatoires), mais ils opèrent avec beaucoup plus de force, à cause qu’ils peuvent porter leur vertu directement au cerveau… Les Errhines liquides sont faits ordinairement avec les sucs de Marjolaine, de Bétoine, de Sauge, de racine de Bette, de Cyclamen, d’Iris, etc. ou avec des decoctions des mêmes plantes, ou de laïtue, de Lilium covalium, etc. … Les Errhines plus solides sont employées principalement pour arrêter le sang des narines… »
 
 

On peut voir que bon nombre de formes galéniques ne sont pas mentionnées par DUPUY en 1894 et méritent d’être explicitées. Cependant, la plupart de ces termes employés par Charas ne sont pas des formes pharmaceutiques mais plutôt l’aspect des matières premières utilisées (cristaux, résine, fleurs, safrans, précipités, etc) ou des classes particulières de médicaments sans préjuger de la forme d’administration (Errhines, Masticatoires, Restaurants…). Certaines formes ne sont pas explicitées comme les Morceaux béchiques ou les Chandelles de senteur.  

Quelques termes méritent cependant une explication car ce sont de véritables formes galéniques. Bien que ceci ait été déjà abordé brièvement lors de l’exposition sur les injections, on ne peut pas parler des formes galéniques du temps de Molière sans évoquer les clystères (lavements), tant l’image de l’apothicaire et de sa seringue à clystère a été véhiculée et raillée à cette époque. Moyse Charas y consacre un long chapitre dans sa pharmacopée dont nous reprenons ici l’essentiel : « Les Clystères, nommés des Grecs Enemata, sont aussi des Injections, et des médicaments liquides qu’on introduit par le fondement dans les intestins, pour la guérison ou le soulagement de plusieurs maladies. Ils sont nommés Clystères ou Lavements parce qu’ils servent à laver les Intestins…. 

Les Clystères sont ordinairement composés de décoctions de racines , de semences, de fleurs, de différente vertu suivant l’intention du médecin. »

   

 

 

 

Seringue à Clystère (Soi-même)
Collection SHP
   

Quelques années plus tard, Lemery y consacre aussi plusieurs pages et donne quelques conseils de prudence : « Le lavement, à ce qu’ on dit est de l’invention d’une espèce de Cicogne qui avec son bec se met de l’eau de la mer dans le fondement quand elle est constipée; mais quoi qu’il en soit, c’est une injection qu’on fait entrer dans les intestins par le moyen d’une seringue, ou quelquefois d’une vessie pour remédier à plusieurs maladies… On peut dire que les lavements sont des meilleurs et des plus salutaires remèdes de la médecine, quand ils sont donnés à propos ; mais on en abuse souvent ; car un grand nombre de personnes accoutument tellement leurs intestins à ces sortes de remèdes dont elles usent tous les jours en santé comme en maladie, qu’elles rendent leur ventre paresseux et incapable de faire de lui-même ses fonctions. … Aussi voyons nous que la plupart de ceux qui se sont fait une habitude de prendre tous les jours des lavements, rendent leur tempérament fluet et délicat ; ils ont le teint blême, et ils sont plus susceptibles des maladies que les autres ; on peut même aller plus loin et dire que leurs enfants participent en naissant des défauts de leur tempérament.  » 
 

Formule de Clystère carminatif et laxatif de Lemery,
Pharmacopée Universelle, 1697
   

 

Formule de Clystère détergent de Lemery,
Pharmacopée Universelle, 1697
 

Si l’on en croit les tables des matières des Pharmacopées de Charas et Lémery, les autres formes galéniques très utilisées au XVIIe siècle sont les Sirops/Juleps, Loochs/Potions, les Pilules/Trochisques/Tablettes, les Huiles, les Extraits et les Robs, les Electuaires/Elixirs/Confections/Hières/ les Eaux médicamenteuses, les Baumes/onguents/Pommades/Cerats, les Emplâtres et les Poudres*.

Du temps de Charas, les Juleps existent encore mais sont progressivement remplaçés par les Sirops, mieux conservés. Dans les remèdes de Mme Fouquet, on retrouve ces formes, avec une insistance particulière pour les Onguents/Baumes, les Cataplasmes/Emplâtres, les Huiles, les Tisanes, les Sirops et les Eaux médicamenteuses.

Curieusement, Charas consacre tout un chapitre aux Epithèmes qui, nous l’avons vu, étaient pour Dupuy une forme d’Ecussons remplis d’Electuaires. Charas considère que « les Epithèmes liquides ou solides sont du nombre des remèdes qui ont depuis plusieurs années le malheur de n’être que très rarement ordonnés à Paris, quoiqu’il y ait été autrefois très souvent et très heureusement employés, et qu’on les ordonne encore tous les jours avec le même succès, non seulement dans les pays étangers mais dans la plupart des Provinces de ce Royaume. Les grands soulagements que j’en ai vu très souvent recevoir aux malades et la pensée que j’ai eu qu’ils pourront être un jour remis en leur premier usage m’obligent à tâcher de les tirer de l’oubli où on les a mis. Les épithèmes liquides pourraient bien passer pour des Fomentations parce qu’on les applique presque de même, mais la grande différence est en ce que ces Epithèmes ne servent qu’à tempérer la chaleur extraordinaire du foie, ou à fortifier le coeur contre les malignités des maladies, et qu’ils ne sont appliqués que sur l’un ou l’autre de ces viscères, au lieu qu’on prépare et applique les Formentations sur toutes les parties du corps qui peuvent en avoir besoin, et qu’on les compose aussi diversement qu’il y a de diverses maladies. Les Décoctions légères, cordiales, ou hépatiques, les Eaux distillées simples et composées, le Vinaigre, le Suc de Citrons, les Poudres cordiales et hépatiques, les Confections d’Alkermès et d’Hyacinthe, et même la Thériaque et le Mithridate, sont la matière ordinaire des Epithèmes liquides… »     
  

   

Frontispice de la Pharmacopée de Charas (1676)

Amandes :
 

Charas décrit cette forme en même temps que les émulsions. Il précise que « les amandes sont plus aisées à faire, et plus familiers que les Emulsions, ils sont aussi connus et pratiqués par plusieurs Dames, qui ont soin de leur santé et de leur embonpoint. On a accoutumé de les préparer avec deux onces d’Amandes dépouillées de leur écorce, qu’on pile exactement dans un moritier de marbre avec un pilon de bois qu’on dissout ensuite dans hui ou dix onces de decoction d’orge mondé, ou dans de l’eau de veau ou de poulet, puis on coule et on exprime le tout, et on ajoute à l’expression une once de sucre fin, et tant soit peu d’Eau de Rose, ou si l’on veut, de fleurs d’Oranger; on peut ajouter une once de sirop Violat ou de Nenuphar, ou de Pavot blanc, à la place du sucre, lorsqu’il en sera besoin ».

Lémery complète ces informations en disant que l’amande est un « remède alimenteux propre pour nourrir, humecter, rafraichir, restaurer la poitrine, pour calmer la toux, pour adoucier les acrétés de la trachée-artère, pour exciter le dormir ». Il rapproche cette forme pharmaceutique des orgeats, similaires aux émulsions, « mais qui sont plus en usage, car on en prend pour le délice autant que pour la santé ». 

       

 

Seringue à Clystère (= lavement)
Collection SHP
     
 Condits :

Pour Charas, ce terme est synonyme de confitures. Elles étaient souvent préparées par les confiseurs mais aussi par les apothicaires pour les plantes médicinales. Cette présentation était surtout utile pour les plantes qui ne pouvaient se conserver et permettre ainsi leur utilisation en toutes saisons. Charas donne des recettes de confits de fruits, mais aussi des tiges laitues mondées de leur écorce, les courges, les concombres, les capres, etc. Au XIXe siècle, Dorvault (1844) classe les condits dans les Conserves.
   

 

Pot à Pommade
Collection SHP
 

 
   
 Bouillons :

Les bouillons médicinaux n’apparaissent pas dans les Pharmacopées de Charas et Lémery. En revanche, leur présence est importante dans les ouvrages charitables de la même époque. On en trouve aussi plusieurs recettes dans le Manuel de Fournier (1753) comme par exemple le bouillon suivant :

Bouillon pectoral

2 mous de veau et un coeur que l’on coupera en deux (parties) bien lavées, un poulet maigre dont on remplira le corps de raisins de Corinthe. On mettra le tout dans un pot de terre neuf avec trois pintes d’eau. On aura soin de bien écumer et on fera bouillir le tout jusqu’à réduction de trois bouillons.

Après quoi, on y mettra une poignée de pulmonaire qu’on fera bouillir douze bouillons.

Ensuite, on le passera légèrement et le malade en prendra un à 7 heures, un à 8, et le troisième à 9 heures du matin pendant trois jours de suite et il mangera trois heures après.

Bouillon pour purifier le sang

Recette : Faites un bouillon avec rouëlle de veau, une demi-livre; la faire bouillir une demi-heure pour y mettre cerfeuil, fumeterre, une dem-manipule de chaque. Les laisser une ou deux bouillons, après y avoir ajouté bourrache, buglosse et chicorée sauvage, puis le passer sans expression. En prendre tous les matins à jeun pendant un mois.

Dans son recueil de recettes charitables de 1685, Mme Fouquet donne un autre exemple de bouillon :

Bouillon pour rafraichir : Prenez une pinte d’eau que vous mettrez dans un pot de fer avec une livre de rouelle de veau, une poignée de pissenlit, racines et feuilles, et un gros citron coupé par tranches avec son écorce, puis les faire bouillir jusqu’à ce que le veau soit à moitié cuit. Vous en ferez deux bouillons qui seront pris aux déclins des lunes : dans le premier, on y fait infuser le poids de deux écus d’or de Séné, et vingt grains de cristal minéral ; dans le second, il ne faut rien y mettre. Le premier se prend à 7 heures du matin, et le second à 9 heures. Ce bouillon est très expérimenté, le continuant de deux jours l’un, trois ou quatre fois.

 Dorvault en 1844 en donne une définition précise : « les bouillons sont des préparations magistrales dont la base est la chair des animaux à laquelle on associe souvent des matières végétales. On les divise en médicinaux et et alimentaires. Ceux-ci peuvent se prendre dans toutes les conditions de la vie ; c’est pour les malades que sont réservés ceux-là. Les règles auxquelles on doit s’astreindre dans la préparation des bouillons médicinaux sont : 1° de ne se servir que de substances animales très fraîches, dont encore on a eu soin de retirer toutes les parties (les intestins et la coquille des limaçons, les intestins et la peau de grenouilles) qui pourraient donner au bouillon une odeur ou une saveur désagréables ou étrangères; 2°) si le bouillon ne contient rien que le feu puisse dissiper, on peut opérer à feu nu ; dans le cas contraire, on opérera au bain-marie et à couvert, en employant dans l’un et l’autre cas des vases de terre, à préférence à ceux de métal ; 3°) la durée de la cuisson est d’environ deux heures ; 4°) ajouter les aromates à la fin; 5°) ne pas en faire pour plus d’un jour, deux jours au plus. 

Les bouillons médicinaux remplissent presque toujours la double indication d’un effet thérapeutique et d’un effet alimentaire : aussi trouvent-ils leur emploi dans les convalescences. Ils doivent en grande partie leurs propriétés à la gélatine.  » Dorvault donne ensuite la formule du bouillon de cloporte, de limaçons, de corne de cerf, etc.

 

 

Divers Bouillons de l’Officine de Dorvault (1844)
 

Pot droit Paris ou Saint-Cloud XVII-XVIIIe s.
Inscription : Hierat. Diacolocynthidos =  Hiera diacolocynthidos
(Hierat = composition sainte).
 Photot Rausch 2008 ©
   

Pots à Thériaque
(Collection SHP)
 Hières :

C’est une catégorie d’Electuaires, dont en particulier le Hiera picra (Sacrée amère, traduit Charas).

Radhi Jazi (RHP, 1998) : C’est Avicenne qui définit le terme «hiera » : « Je dis, écrit-il, que l’hiera est un purgatif correctif ; il signifie le médicament divin. Le premier connu est l’hiera de Rufus. » L’action purgative de l’hiera, explique Avicenne, est considérée comme une action divine ; les anciens redoutaient l’action drastique des simples, tel la pulpe de coloquinte ; les hieras sont préférés aux médicaments simples, aux décoctés et pilules. L’hiera le plus connu est « l’hiera picra». On retrouve pratiquement la même formule dans la Pharmacopée royale de Moyse Charas (1631), sous le nom de « Hiera picra Galeni » ; les 4 premières substances sont énoncées exactement dans le même ordre qu’ Avicenne. Hiera picra figurera encore au Codex 1818, sous le nom de : « Électuaire d’ aloès composé » ou « Électuaire niera picra », avec les mêmes composants, dont l’ aloès socotrin – qui est le meilleur – et le miel comme excipient. Avicenne décrit dans ce deuxième chapitre : 24 formules de hieras, à indications nombreuses, dont : 3 hieras, à formules différentes, sont attribués par Avicenne à Galien ; ils sont à base de coloquinte, agaric, scille, scammonée, dorème ammoniac, epithym, cannelle, etc. ; l’hiera d’Hippocrate (2 formules) ; l’hiera d’Andromaque et un hiera composé par Avicenne lui-même : 25 composants, mélangés avec le double de leur poids de miel.

On peut rapprocher ce terme de deux autres qui en sont proches : les Antidotes et les Panacées.

Antidotes :

Pour Charas, ce terme est synonyme d’Electuaires, ou d’Opiats ou encore de Confections.

Panacées : Lémery les définit comme des remèdes universels ou guérissant toutes sortes de maladies. On cite souvent la Panacée anglaise qui est chez Dorvault (1844) le Carbonate de magnésie.

 

   

 

Formule de Hiera Picra de Charas

 

 

Formule de Hiera Picra de Lémery

 

 


Autre formule de Hière par Lémery, Hiera Composita

   


Autre formule de Hière par Lémery, Hiera diacolocynthidos
 

 

Exemple de Mucilage chez Mme Fouquet (1685)

   

Mucilages : Lémery le définit ainsi : « Le mucilage appelé en Latin Mucillago ou Mucago est quelquefois une liqueur gluante qui jette des filaments quand on la verse et quelquefois une colle ; on le fait ordinairement avec les racines d’althaea, de symphitum, les graines de lin, de faenugree, de coing, de psyllium, les gommes adragante, arabique, de cerisier, de prunier, la colle de poisson, la peau de belier infusées ou bouillies dans de l’eau. Tous ces mucilages servent pour ramollir ».

On retrouve une définition similaire dans notre Revue : « Le mucilage est une dissolution de gommes (arabique, adragante) ou de plantes dites mucilagineuses (semences de lin) dans de l’eau. La consistance du mucilage est variable : on distingue les « sols », solutions collantes et visqueuses, et les « gels », ressemblant à des gelées tout en n’ayant pas l’aspect tremblotant de celles-ci. » (Pluvier, RHP, 1999)

 

 Fécules :

Charas introduit le chapitre sur les fécules par ces quelques mots : « On peut mettre les Fécules au rang des préparations chimiques mal inventées, et dont on ferait mieux de se passer, que d’employer son temps à les préparer ». Il conseille de ne pas utiliser ces médicaments !

 Lémery est à peine plus enthousiaste : « Le nom de fécule ou faecula en Latin, vient de faeces qui signifie la lie, car les fécules sont comme des lies qui se précipent au fond des vaisseaux, où l’on a mis à reposer les sucs… Elles sont hydragogues, elles purgent les sérosités, on en donne dans l’hydropisie, et dans d’autres maladies où il s’agit de faire uriner. »

Mais on trouve encore chez Dorvault en 1844 les fécules médicinales : fécule d’Arum et fécule de Belladone, de jusquiame de cigüe, etc.

   

Mucilage, Pharmacopée de Charas
   
 
 

Mucilage , Pharmacopée de Lémery
   Pâtes : Là encore, on ne trouve pas de définition chez Charas ou Lémery. Mais le Dorvault de 1844 indique que ce sont des médicaments internes, de consistance ferme, qui ont pour base le sucre et la gomme. On est dans l’habitude de les couler en feuilles ou plaques, que l’on découpe ensuite en losanges. Elles sont opaques ou transparentes, selon qu’elles ont été battues jusqu’à la fin de leur préparation, ou, au contraire, qu’on a achevé de les sécher à l’étuve ». Dorvault donne ensuite des formules de nombreuses pâtes : pâtes d’Ache, de Dattes, de Figues, de Guimauve, etc.
     
 

2°) Les formes galéniques décrites par Charas (1676) :

Médicaments externes (les mots en bleu clair sont déjà décrits dans les expositions précédentes (cliquez sur le lien):

 

 

Bains et demi-bains, Lotions, Embrocations, Fomentations, Sachets, Bonnets garnis, Frontaux, Sinapismes, Vésicatoires, Dépilatoires, Cataplasmes, Epithèmes, Fumigations, Pommes, Grains et petites Chandelles de senteur, Pierres caustiques, Mucilages, Baumes, Huiles, Liniments, Pommades, Onguents, Cérats, Emplâtres, Pâtes, Toiles cirées, Sparadrap ou Toiles gautier, Fleurs, Magistères, Chaux, Pierres.
   

 

Deux chevrettes et un pot-canon en faïence polychrome, à piedouche, les chevrettes ayant une tête d’angelot en relief à la base de l’anse ; les trois pièces sont décorées en bleu, vert, ocre jaune et ocre rouge, de « fruits enveloppés » (Thuile), feuillages et vermicules, bandes alternées sur le col ainsi que sur le pied, avec rangée d’une vingtaine de points bleus.
Fêles aux chevrettes, accidents et restauration au pot-canon.
Montpellier, atelier de Favier ou d’Ollivier, début XVII° siècle
(Galerie Montagut)
 

Formule de Frontal sec de Lemery (1697)
   
Frontaux

Le frontal est à la fois une classe de médicaments et une forme pharmaceutique particulière. En effet, Lémery le décrit comme un remède qu’on applique sur le front pour diminuer un peu le mal de tête et pour provoquer le sommeil. Il ajoute qu’on peut le faire avec des médicaments secs comme les roses ou la coriandre, ou avec des linges mouillés d’eau de rose ou de vinaigre rosat, par exemple. Charas avait précisé qu’on emploie aussi les frontaux pour arrêter et divertir les fluxions subtiles et acres qui tombent sur les yeux, en incorporant parties égales de Bol de Levant, de Terre Scellée, de Mastic et de Sang de Dragon en poudre, avec des blencs d’oeufs, et les réduisant en une pâte, laquelle on étend sur des étoupes, et on applique sur le front et sur les tempes.

Frontal (Fournier, 1753)

Fleurs de citrouille que l’on fera tremper dans du vinaigre pour en faire un bandeau que l’on appliquera sur le front. 

  Bonnets garnis : Il s’agissait de bonnet à mettre sur la tête et rempli de poudres adaptées au mal à soigner. On l’utilisait principalement pour les maux de têtes. Lémery parle de « Cucupha », espèce de bonnet piqué,  garni en dedans de poudres céphaliques, lequel on applique sur la tête pour fortifier le cerveau.

 

   

 

Formule de Frontal liquide de Lemery (1697)
 Voici ce qu’en dit Charas :

« L’incommodité qu’on a à porter longtemps des emplâtres sur l’estomac, principalement dans les maladies longues, où une partie manque de chaleur, et les maux obstinés que nous voyons tous les jours, causes de l’excès de l’humidité ou de froid du cerveau, ont donné lieu à l’invention des Ecussons et des Bonnets piqués, garnis de Poudres propres à remédier aux maux pour lesquels on les destine. Les descriptions de Poudres céphaliques et aromatiques que j’ai données dans le chapitre des Poudres en parlant des remèdes internes, peuvent servir en ces occasions, et m’exempterons du soin d’en donner de nouvelles recettes particulières ; je dirais seulement qu’il est nécessaire que ces poudres soient un peu grossières, afin qu’elles conservent plus longtemps leur vertu, et qu’elles ne soient pas sujettes à passer au travers du taffetas qu’on emploie ordinairement à ces sachets et bonnets piqués pour y enfermer les poudres. Outre le taffetas qui couvre les Ecussons, et le dehors et le dedans des Bonnets, on emploie du coton cardé pour retenir les Poudres, qu’on étend en sorte qu’il y en ait également partout, et on enferme le coton et les Poudres entre deux toiles finescoupées de mesure, et le tout dans un taffetas double représentatnt un Ecusson, suffisamment grand pour couvrir l’estomac, ou entre deux coiffes de tafferas égales, lorsqu’on veut en faire un Bonnet ; et on pique le tout en divers endroits par rangs assez près les uns des autres, et on en coud les bords l’uin contre l’autre afin que rien d’en puisse sortir…

On peut porter le Bonnet si l’on veut la nuit et le jour s’il en est besoin, et en avoir même de rechange. L’odeur de ces Ecussons et de ces Bonnets piqués est assez agréable, et les Poudres qui y sont enfermées conservent assez longtemps leurs bonnes qualités, quoique la substance aromatique des médicaments dont elles sont composées soit sujette à quelques dissipation. »

 


Pot à sangsues en étain
Collection SHP
   Grains : On ne trouve pas de définition précise chez Charas et Lemery mais cela fait partie des formes galéniques de l’époque. Ce sont des trochisques ou des pastilles de petite taille. Ils différent des pilules, qui leur ressemblent, par la prédominance de sucre et par leur consistance tout à fait solide et cassante. On trouve encore dans le Dorvault de 1844 les grains de cachou, mais aussi les grains de gingembre et de piment annuel. 

Toiles Gautier. C’est synonyme de Sparadrap. « Toile légèrement enduite d’emplâtre d’un ou des deux côtés et lissée à peu près comme de la toile cirée. Ces médicaments sont plus magistraux qu’officinaux selon les indications à remplir. » (Définition Dict. Hist. Pharmacie 2007).
Lémery : « Si on veut faire une toile de Gautier, il faut fondre un emplâtre, y jeter dedans des morceaux de toile un peu élimée ou usée, afin qu’ils s’en inbibent des deux côtés, puis les retirer (en) les prenant par deux coins avec les doigts mouillés d’eau fraiche et les tremper dans un seau d’eau sans les plier : quand ils seront refroidis, on les étendra sur un marbre et on les polira avec un bissortier ».  

M. Bouvet (RHP, 1928) :  Nous pouvons donner un autre exemple de remède préparé pour le roi par ses apothicaires. En février 1686, Louis XIV, souffrant cruellement d’une tumeur au périnée, on emploie, d’ailleurs sans succès 13, la « toile Gaultier, ou sparadrap de Madame de la d’Aubière, qui se fit chez les apothicaires du roi, sur son ordonnance, avec demi-livre de gomme- élémi et de térébenthine cuite dans l’eau de plantain, huit onces de cire jaune, et une once et demie de baume liquidambar, ou à son défaut, de baume du Pérou »
   

 

Pharmacopée de Lémery, 1697
     
 


©Collection Bruno Bonnemain
   

Boule de Mars, boule de Nancy, boule d’acier : ce sont les dénominations que l’on trouve pour désigner un un produit solide obtenu par trois évaporations successives de mélanges de limaille de fer et de tartre, macérés dans des décoctions des espèces vulnéraires. la pâte est mise en forme de boules de 30 grammes (Pharmacopée française de 1866) On s’en servait en trempant la boule dans l’eau et en utilisant « l’eau de boule » ainsi obtenue. La préparation de ce type la plus ancienne date de 1675 (Médecin des Pauvres, Paul Dubé) mais sera progressivement introduite dans de nombreuses pharmacopées. on retrouve la formule dans la pharmacopée française de 1818.

L’incorporation de plantes vulnéraires est une spécialité de Nancy au XVIII° siècle. La composition de ces « boules de Nancy » ne sera connue qu’en 1828 grâce à Guibourt qui en publie la composition. La fabrication des Boules de Nancy a cessé dans les officines avant 1914, mais la Cooper en a produit jusqu’en 1949.

Parmi les nombreux documents publiés sur ce médicament, on peut citer la permission accordée à Claude-Charles Goeury de composer la Boule d’acier vulnéraire en 1764 par le Roi : « Le Roi, étant à Luneville, sur la représentation qui lui a été faite par Claude-Charles Goeury, Concierge de l’Hotel Commun de la ville de Nancy, qui ayant acquis le secret de la composition de la Boule Vulnéraire, appelée vulgairement Boule d’Acier ahumblement fait supplier sa Majesté de lui accorder la Permision : à quoi… Sa Majesté a permis et permet par ses présentes audit Claude-Charles Goeury de composer les Boules Vulnéraires d’Acier dites de Mars, et de les vendre et les distribuer au public, tant dans la dite ville de Nancy qua dans tous ses Etats… »

Voir aussi le site Wikipedia sur ce sujet et l’article publié par Mr Etinne Martin, de l’Université de Nancy. :  http://fr.wikipedia.org/wiki/Boules_d%27acier

     
 Nouets : Il s’agit d’un petit sac de toile contenant des drogues que l’on trempe dans l’eau bouillant pour réaliser une infusion.

Noüet de mars apéritif (Fournier, 1753).

Poudre de mars, une demi-once; jus de citron, une demi-once; le tout mêlé ensemble et enveloppé dans du satin blanc en exprimant le jus qui en pourra sortir. Ensuite, on mettra le dit noüet dans deux pintes d’eau et infuser à froid, qu’il était suspendu pedant 24 heures pour en prendre un verre à jeun.

Si l’on fait l’infusion dans du vin d’Espagne, ou de malvoisié, on en prendra qu’une cuillerée. 

On peut les rapprocher des Bochets, Boissons faite avec de l’eau, du sucre, du miel et des épices diverses (en partic.de la canelle). 

« Cette forme galénique correspond à une variété de décoction. Le Vocabulaire François de 1778 en donne une définition très claire : « seconde décoction des bois sudorifiques». Après avoir décrit la façon de préparer la décoction de bois de gaïac, Astruc, dans son Traité des Maladies Vénériennes (1740), aborde la préparation du bochet correspondant : «Sur le Bois qui restoit dans le pot de terre [après la première décoction] on versoit de nouveau pareille quantité d’eau, que l’on faisoit bouillir, à feu doux, jusqu’à diminution du quart. Cette seconde Décoction, que l’on appelloit Bochet, étant passée se gardoit aussi dans des bouteilles de verre. La première Décoction, étoit employée comme remède, l’autre comme boisson ordinaire. »

Lémery, dans sa Pharmacopée Universelle, distingue toutefois deux sortes de bochets. La première est conforme à la définition précédente : « Bochetum, Bochet ou Bouchet est une seconde décoction de drogues qu’on a employées pour faire la décoction sudorifique ou dessicative. » En revanche, la seconde introduit une nouvelle possibilité : « c’est une faible décoction de ces mêmes drogues dont on fait user aux Malades pour leur boire ordinaire. » Dans les deux cas, il s’agit d’une décoction peu concentrée, soit parce que les drogues ont déjà été épuisées par une première décoction, soit parce qu’elle a été d’emblée préparée à une forte dilution. Le formulaire de Garnier pour « le Grand Hôtel-Dieu de Lyon» (1739) propose un « Bochet foible pour les Véroles » et un « plus fort » destiné aux mêmes malades. Leur préparation ne correspond pourtant à aucune des deux définitions de Lémery. Les bois et les racines sudorifiques, associés, dans ce cas, à de l’antimoine, subissent d ‘abord une longue infusion, puis le liquide est concentré à l’ébullition et, sur la fin, on ajoute des drogues plus fragiles.

Le terme bochet recouvre donc des réalités diverses, ayant en commun de concerner des tisanes à base de sudorifiques, pour le traitement de la vérole.(O. Lafont, RHP, 2005).

 

 

On trouve cher Fournier la recette suivante : 

Bochet catharrale (Fournier, 1753):

 

Safran, Squine , une once et demi de chaque. On les fera infuser pendant 8 heures dans 8 livres d’eau, ensuite on y ajoutera fleurs de pavot rouge, cétoine, et scabieuse, une pincée de chaque; grandes pasevile (?) mondée, une once; serpolet, une poignée; on fera bouillir le tout pendant une heure; on passera la liqueur et on delayera dans la colature du sirop de pavot rouge, un demi-posson; le tout sera passé par la chausse à hypocras 2 ou 3 fois pour s’en servir au besoin. 
   


Mortier en bronze de Hector Lescot, Orléans, 1571 Collection SHP
Inscription en latin : Ne mérite pas les chose sucrées, qui n’a pas goûté à l’amertume.
Estienne Daget, l’an 1571. Lescot.

 


A: Fourneau pour la distillation de l’Esprit de vin; B: Vessie de cuivre étamée au dedans contenant l’Eau de vie; C: Serpentin de cuivre soutenu d’une colonne; D: Chapiteau du Serpentin ; E: Refrigérant ; F: Autre Fourneau pour le même usage ; G: Vessie de cuivre étamée contenant l’Eau de vie ; H: Serpentin d’Etain ; I: Chapiteau de verre ; K: Récipient ; L: Chappe aveugle ; M: Entonnoir ; N & O : Duc Chappes de verre l’une sur l’autre, dont celle du dessous est ouverte en haut.; P P : Matras de rencontre ; Q Q: Cucurbites de rencontre ; R: Fer pour couper le cols des récipients ; S: Bouchon de la porte du Fourneau ; T: Plat de verre ; V: Siphon ; X: Guéridon portant le récipient de l’Esprit de vin.
     
     
     
     
 

Bien que ces termes ne correspondent pas à des formes galéniques au sens où nous l’entendons aujourd’hui, Charas décrit longuement les élements constitutifs de la matière et la structure des matières premières. En voici trois exemples avec les Sels, les Cristaux et les Magistères. 

 
Sels :

Pour Charas, le Sel fait partie des cinq éléments qui constituent la matière : Sel, Soufre et Mercure pour les Principes actifs, et le Flegme et la Terre pour les Principes passifs. C’est une substance incombustible et qui peut être conservée autant qu’on le veut, indique Charas qui y consacre tout un chapitre de sa Pharmacopée Royale. On trouve aussi la descriptio du Sel de Tartre folié, du Sel volatil de Tartre, du Sel volatil huileux, du Sel d’Absinthe, du Sel Ammoniac ou encore du Sel volatil de Cigogne. Chez Charas comme chez Lémery, on peut distinguer les Sels fixes (qui s’évaporent peu comme le sel de mer ou de nitre), les Sels volatils et les Sels essentiels.

Cristaux :  

Dans son chapitre sur le Tartre, Charas explique que la plus intime purification du Tartre est celle de sa réduction en Crème ou en Cristaux dont le principal usage est « pour inciter et digérer les humeurs crasses et visqueuses , et de les disposer à la purgation ». Mais Charas décrit aussi le Cristal de Tartre Chalybé, le Cristal de Tartre Emetique.

Magistères : Bien qu’on trouve des formules de Magistères chez Lémery, la définition qu’il donne dans sa Pharmacopée est sommaire :  » C’est un précipité de quelque dissolution fait par un sel qui rompt la pointe du dissolvant ». Un peu plus tard, cette définition sera complétée dans le Dictionnaire des termes de médecine, de pharmacie… (Begin, 1823) en indiquant que ce terme peut aussi désigner divers médicaments dont on tenait la préparation secrète. 

 

 
 

*Table des matières de la Pharmacopée Royale de Charas pour les parties associées aux formes pharmaceutiques :

Médicaments internes :

Les Sucs ; les Infusions et les Décoctions ; les Juleps et les Apozèmes ; les Emulsions et les Amandes ; les Potions, les Mixtures et les Bols ; les Gargarismes, les Masticatoires et les Errhines ; les Injections et les Pessaires ; les Clystères et les Suppositoires ; les Vins ; les Vinaigres ; les Robs ; les Condits ; les Gelées ; les Conserves ; les Sirops ; les Miels ; les Loochs ; les Tablettes et les Electuaires solides ; les Poudres ; les Opiats, les Electuaires et les Confections ; les Trochisques ; les Pilules.   

Médicaments externes :

Les Huiles tirées par expression ; les Huiles préparées par infusion ou décoction ; les Baumes ; les Embaumements de Corps Morts ; les Onguents, les Liniments, les Cérats ; les Emplâtres ; les Cataplasmes ; les Fomentations, les Bains et les Demi-Bains ; les Bains vaporeux et les Bains secs ; les Epithèmes ; les Ecussons, les Bonnets piqués garnis de Poudres ; les Parfums ; les Frontaux ; les Lotions ; les Collyres.

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