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Gustave-Augustin Quesneville

Gustave- Augustin Quesneville (1810-1889)

(extrait de l’article de Fournier Josette. Auguste Laurent (1807-1853) dans la Revue scientifique du Dr Quesneville.

In: Revue d’histoire de la pharmacie, 95ᵉ année, n°359, 2008. pp. 287-303.)

Il était né à Paris le 1er janvier 1810. Il était le fils de Jean-Baptiste Quesneville (1776-1838) auquel Vauquelin avait cédé, en 1822, la fabrique de produits chimiques qu’il exploitait depuis le commencement de l’an IX, avec Fourcroy et Deserres, au 23 rue du Colombier. Gustave-Augustin Quesneville a laissé un témoignage dans lequel il fait de Deserres le fondateur, en outre on y apprend que Deserres était le beau-frère de Jean-Baptiste Quesneville :

« Le but de cette fondation était surtout scientifique, car l’établissement renfermait un laboratoire de recherche et un amphithéâtre où les savants d’alors faisaient des cours publics. À cette époque il n’y avait guère que le Muséum d’histoire naturelle qui ait un enseignement public bien organisé.

Dans cette fabrique, on vendait des produits pour l’étude des sciences et pour l’usage de la médecine, et c’est le premier établissement où les pharmaciens vinrent s’approvisionner. Dans l’amphithéâtre de la rue Colombier [aujourd’hui rue Jacob], professèrent successivement Vauquelin, Chevreul, Magendie, Léon Simon, Azaïs et Fourier en personne, aidé de ses disciples. Dans le laboratoire de recherche, vinrent MM. Robiquet, Serullas et Liebig ; ce dernier (en 1823), y fit son premier travail sur les fulminates. Un moment, l’amphithéâtre de la rue du Colombier donna asile à l’École polytechnique qui avait été licenciée. Thenard obtint du ministre qu’elle rentrerait en grâce, et, en attendant le délai assigné, il continua là les leçons de chimie interrompues. C’est, à cette époque, avant 1830, que l’écrivain de ce récit vit, pour la première fois, le préparateur-répétiteur du cours de M. Thenard à l’École, M. Dumas, alors bien petit garçon dont M. Thenard avait pressenti la valeur et la bonne santé. » De cette époque dataient les relations cordiales de Liebig avec la famille Quesneville.

Dans le milieu de la fabrique, Gustave-Augustin avait acquis de bonnes connaissances en chimie. Selon son fils, il fut quelque temps préparateur de Chevreul. Il parlait du savant du Muséum et des Gobelins, du moins explicitement, avec déférence. En 1826, âgé de 16 ans, il publiait une méthode de séparation du fer et du manganèse, reconnue par Vauquelin comme donnant des résultats d’une exactitude très supérieure aux méthodes connues jusque-là. Il s’intéressait aux procédés de préparation en grand : en 1827, il publiait une méthode d’obtention du peroxyde de baryum Ba02, lui-même base de préparation de l’eau oxygénée (HCl + Ba02) récemment découverte par Thenard. En 1829, il donnait un procédé pratique de préparation en grand de chlorures volatils dont celui d’aluminium. Le chlorure d’aluminium, devenu disponible grâce à ce procédé, a été la matière première de la production industrielle de l’aluminium. En 1834, il était docteur en médecine, il a pratiqué cette profession deux ans, avant de revenir à la chimie en se faisant recevoir pharmacien. Il ne s’est plus occupé alors que de préparations industrielles et d’analyses, de produits pharmaceutiques et chimiques, comme la pommade d’extrait inodore de Barèges du Dr Quesneville, le sous-nitrate de bismuth en pâte Quesneville, l’hydrate de bismuth dit crème de bismuth Quesneville et la poudre d’iodure d’amidon soluble Quesneville. Il fut l’un des premiers à utiliser en médecine les propriétés antiseptiques du phénol, et le premier à indiquer l’emploi médical de l’iodure d’éthyle comme antiasthmatique. Il fut aussi le premier à mettre en garde contre la présence de nitrate de plomb dans les eaux distillées médicinales (eau de laitue, eau de fleur d’oranger). Ce produit provenait de l’attaque des récipients étamés par l’acide nitrique libéré des nitrates des plantes. Quesneville s’était prononcé contre l’administration de ces eaux rendues toxiques aux nouveaux-nés et aux enfants en bas-âge.

À sa mort, survenue le 14 novembre 1889, selon la rédaction du journal qu’il dirigeait, « un des principaux titres du Docteur Quesneville à la reconnaissance des savants français, et celui dont il était le plus fier, est la création, en 1840, de la Revue scientifique et industrielle ». Or, la décennie qui commençait en 1840 est considérée par Maurice Daumas comme décisive pour l’histoire de la chimie organique11. La deuxième série de la Revue du Dr Quesneville, commencée en 1844, s’intitulait Revue scientifique et industrielle, ou travaux des savants et des manufacturiers de la France, de l’Allemagne et de l’Angleterre. En 1857, elle reparaissait sous le titre de Moniteur scientifique du chimiste et du manufacturier et elle se recentrait sur la physique, la chimie, la pharmacie et l’industrie. Le siège de la Revue, initialement situé au 36 rue Jacob, passait ensuite au 12 rue de Buci.

En 1890, le Moniteur était repris par Georges Quesneville et par Paul Schutzenberger. Georges était le fils de Gustave- Augustin, lui-même docteur en médecine et en sciences, professeur agrégé à l’École de pharmacie et pharmacien de l’asile clinique Sainte- Anne. À côté de sa Revue, Gustave- Augustin Quesneville fit paraître en 1849 un recueil mensuel intitulé Secrets des Arts, recettes et formules anciennes, nouvelles et inédites, dans les sciences, l’industrie, la pharmacie, l’économie rurale et domestique : on y trouvait reproduits des articles extraits de la Revue scientifique et d’autres journaux français et étrangers.

La Revue scientifique, puis le Moniteur, étaient destinés à tenir les lecteurs informés du mouvement scientifique et industriel, dans la médecine, l’hygiène, les sciences physiques, la pharmacie, l’économie rurale et domestique, l’industrie française ou étrangère. Le Docteur Quesneville y insérait des comptes rendus de sociétés savantes, des traductions de mémoires allemands et anglais et des travaux originaux d’auteurs repoussés ailleurs qui venaient le solliciter. À la fin, le Moniteur s’était resserré dans le domaine de la chimie industrielle.

Son fondateur apparaît comme un esprit sincère et indépendant, n’hésitant pas à signaler les injustices des puissants qui redoutaient sa franchise, soutenant les réprouvés, encourageant les inventeurs, accueillant les idées neuves, originales, hardies. Par exemple, voici comment il rendait compte de la séance du 11 janvier 1859 de la Société chimique, après l’éviction des jeunes sociétaires fondateurs et la prise de sa direction par les jeunes maîtres de la chimie française qui s’abritaient derrière Dumas:

« Élections, élections ! Jusqu’à présent, le temps de la Société chimique de Paris se passe en élections, et chaque séance s’enrichit de 25 membres nouveaux. N’oublions pas surtout M. Dumas, membre de l’Institut et sénateur, que l’on a élu, dans la séance du 28 décembre, titulaire et président tout à la fois, et cela par acclamations !

Cette élection, nous sommes fâchés de le dire à Messieurs de la Société chimique, est une faute, non que M. Dumas ne soit le plus bienveillant des hommes et qu’il n’aime les jeunes chimistes comme ses propres enfants, mais devant lui on n’osera plus discuter, et la Société se trouvera ainsi paralysée et arrêtée dans son essor. Quel sera, en effet, le Despretz assez hardi pour venir combattre les opinions du maître puissant qui dispose des places et des honneurs ?

La présidence de M. Dumas, sénateur, nous rappelle involontairement la fable du bon La Fontaine, la Génisse, la Chèvre et la Brebis en société avec le Lion :

La génisse, la chèvre et leur sœur la brebis,

Avec un fier lion, seigneur du voisinage,

Firent société, dit-on, au temps jadis,

Et mirent en commun le gain et le dommage. . .

Tout le monde sait ce qu’il advint de cette si honorable association, qui fut probablement aussi acclamée à cette époque ! Le lion prit tout.

Votre place, dirons-nous donc à M. Dumas, est à l’Institut, à côté de M. Chevreul, pour représenter le passé. Laissez l’avenir aux jeunes gens, laissez-leur surtout, dans l’intérêt de la science manifester leurs idées en pleine liberté. »

En 1860, Quesneville n’a pas désarmé, il qualifie l’opération de « chimique 18 brumaire » avant de retracer l’historique de la Société. En 1869, il rapporte un article du Temps (13 janvier) sous le titre « Ch. Gerhardt jugé par un de ses anciens élèves » : « Nous, qui avons été témoin du long martyre de ce chimiste eminent, et qui avons eu la bonne fortune d’y porter un soulagement en le mettant en rapport avec A. Laurent et lui ouvrant les colonnes de notre ancienne Revue scientifique, nous pouvons juger de l’exactitude de la description faite par M. Vernier, et surtout de la vérité de ses assertions. » Dans la même livraison, il fait une critique sévère du mandarinat à l’Académie des sciences [p. 88], avec ce trait qui s’adresse manifestement à Chevreul :

Puisque nous en sommes sur le chapitre des exigences et des convenances scientifiques, nous signalerons un autre travers très-funeste, qui semble inspirer tous les discours de certains immortels : ils croient avoir tout fait ; ils rattachent à leurs travaux particuliers tout ce que font les autres. Si une substance nouvelle est trouvée, si une propriété d’un corps est signalée, ou si des procédés nouveaux sont communiqués, immédiatement M. C… prend la parole et s’évertue à débi* ter de longues phrases, diffuses et fatigantes, pour prouver que cette substance, cette propriété ou ce procédé, lui appartient, si non directement, du moins comme découlant nécessairement de ses travaux personnels. […] Et ces sortes de réclamations passent sans conteste, personne ne proteste dans le cénacle de la science, au contraire, tous s’inclinent devant leur confrère, tous s’empressent de prévenir ses prétentions de priorité, en le citant à tout propos comme ayant pris l’initiative dans les recherches qu’ils ont eux-mêmes entreprises. Les savants étrangers à l’Académie sont écrasés du premier coup quand M, C… vient, avec sa vaste science, revendiquer contre eux la priorité de telle ou telle découverte. Que peut faire alors un pauvre diable qui se trouve en face de trente corps au moins trouvés dans le suint de mouton, qui n’a pas le droit de prendre la parole pour protester, ni de se défendre dans les Comptes rendus de l’illustre compagnie. **

Il annonce le volume 36 des Mémoires de l’Académie [p. 118] : « 78 feuilles ; 10 feuilles sont prises par M. Chevreul pour deux mémoires dont il a déjà mis des extraits dans les Comptes rendus, 47 feuilles, je dis bien quarante-sept feuilles sont absorbées par M. Becquerel pour ses observations sur les phénomènes capillaires dont il a cependant déjà inondé les Comptes rendus, et je ne suis pas guéri, pourrait-il dire comme les malades de M. Chable. »

Ses collaborateurs sont aussi libres ; Alfred Naquet présente le dictionnaire de Wurtz [p. 97] : « Cet ouvrage manquait entièrement. Depuis l’admirable Traité de chimie organique publié par Gerhardt de 1848 à 1855, aucun travail d’ensemble n’avait été écrit embrassant tous les faits de la chimie ; des monographies, des livres élémentaires, mais rien de complet [. . .] ajoutons que l’ancienne notation en équivalents, impuissante devant les faits nouveaux et innombrables dont s’enrichissait la science, cédait de plus en plus à la notation atomique, seule admise aujourd’hui parmi les chimistes, et qu’elle se trouvait reléguée dans des livres élémentaires sans portée et dans l’enseignement routinier des lycées et des Facultés. » Naquet s’exprime ainsi trois décennies avant l’adoption officielle de la notation atomique dans les programmes d’enseignement. Cet éloge ne l’empêche pas de critiquer l’abaissement injuste de Stahl et de sa théorie et le nationalisme chauvin de Wurtz : «Non, Lavoisier n’est pas le fondateur de la chimie. »

Quesneville fait part de la mort à Nancy de Jérôme Nicklès [p. 353], il était « peu disposé, dit-il, au vasselage » : « Nicklès était libéral, en effet, comme tous les gens intelligents, comme les jeunes savants qui se forment eux-mêmes, et n’ont d’autre ambition que de se faire un nom dans la science et, plus tard, une position dans l’enseignement. »

Ces quelques citations démontrent qu’on ne peut pas soupçonner Quesneville de flagornerie envers les puissants de la chimie.

Ses obsèques et son inhumation au Père Lachaise, le 18 novembre 1889, dont a rendu compte le journal le Temps, furent suivies par une foule considérable : savants, collègues, amis, clients, personnel enseignant de l’École de pharmacie, toute la presse médicale, représentants de la Faculté de médecine et du Collège de France dont les professeurs Gautier et Schutzenberger, les directeurs et le personnel médical de beaucoup d’hôpitaux. Les sociétés savantes avaient envoyé des couronnes et des condoléances. Toute la presse politique (dont le Temps, La Justice, etc.), et la presse scientifique française et étrangère (dont le Progrès médical, la Nature, le Chemical News, le Chemiker-Zeitung, le Chemist and Druggist), lui ont rendu hommage.

Quesneville était républicain. Autour de sa Revue se rassemblaient des républicains indépendants rebelles au clientélisme. Parmi ses collaborateurs, on trouve Gerhardt et Laurent, Nicklès, E. Kopp, Ferdinand Hoefer dont il a édité l’Histoire de la chimie (1842-1843), Saigey, Péligot, Friedel et dans les années 1880-1890, Guntz, Arth, Klobb, Petit et Muller de Nancy, Cazeneuve de Lyon, Arnaudon de Turin. Ce dernier, préparateur de Chevreul à la Manufacture des Gobelins, de 1856 à 1860, avait fondé en 1857 au cours de ce séjour en France la Société chimique, et avait conservé des relations depuis cette époque avec le Docteur Quesneville. S’étant rendu indépendant par sa profession des obédiences académiques, Quesneville put accueillir et soutenir les chimistes non-conformistes, les mettre en relation entre eux et avec les chimistes étrangers, et surtout diffuser leurs idées.

NB : Weitz, en 1935, note que Gustave Augustin Quesneville était également pharmacien

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