Le guide de l’étranger à Vichy (1898-1900), une autre source de publicités pharmaceutiques à la fin du XIXe siècle.
La publicité pharmaceutique prend tout son essor à partir de la deuxième moitié du XIXe siècle et la progression des remèdes secrets ou spécialités pharmaceutiques naissantes. Les supports les plus utilisés sont les journaux quotidiens et les grands journaux populaires comme l’illustration. Les affiches dans les rues sont aussi un moyens privilégié d’attirer la clientèle des patients toujours avides de nouveautés pour les maux du quotidiens : rhumatismes, digestion difficile etc. Parmi les supports publicitaires de la fin du XIXe siècle, on trouve aussi les cartes postales, les bons points pour les enfants mais aussi les guides de voyage. Nous allons ici nous intéresser à un guide très riche en informations et en publicités pharmaceutiques, le Guide de l’étranger à Vichy, paru dès 1854 mais qui sera publié chaque année pendant de très nombreuses années jusqu’à la seconde Guerre mondiale.
De très nombreux articles de la Revue d’Histoire de la pharmacie évoque Vichy et son histoire médicale et pharmaceutique. Comme l’indique Cécile Raynal et Thierry Lefebvre, « à partir du milieu du XIXe siècle, le succès grandissant de Vichy favorisa la production de nombreux guides dont l’objectif était de fournir aux baigneurs et aux touristes toutes sortes de renseignements utiles à leur séjour : du Guide pittoresque et médical de Hyacinthe Audiffred (1849) au Guide médical des malades en traitement aux eaux de Vichy d’Antonin Mallat (1888), en passant par le Guide-annuaire de Vichy de Ladoïx et César (1853), le Guide de l’étranger à Vichy d’Émile Badoche (1854), le Guide médical aux eaux minérales de Vichy de Léon Lavigerie (1868) et autres Guide du baigneur, Guide du touriste, Vichy-Guide, Guide-plan, Guide indispensable aux buveurs d’eau, etc. Cette profusion éditoriale reflétait la diversité des intérêts particuliers qui se dissimulaient, le plus souvent, derrière ces petits ouvrages à l’apparence objective : tel médecin y vantait sa « méthode » infaillible au détour d’informations pratiques, tel pharmacien en profitait pour faire la promotion de ses spécialités sans rivales, tel commerçant cherchait à attirer une clientèle potentielle. »
Nous avons limité la présente exposition à trois éditions successives de ce guide de l’étranger : 1898-1899-1900, provenant de la collection du pharmacien J. M. Pras, pour montrer le contenu des publicités pharmaceutiques à la fin du XIXe siècle. On trouve dans ce guide de très nombreuses publicités qui devaient largement financer l’ouvrage. Plusieurs sont liées au thermalisme et au tourisme local ou plus lointain de Vichy, certaines ont trait aux commerces de Vichy, aux distractions (théâtre, casino) ou encore aux journaux locaux ou nationaux (le Journal des débats, le Figaro, l’Echo de Paris…), et enfin aux hôtels de la région.
Quant aux publicités pharmaceutiques et médicales, elles sont très nombreuses comme nous allons le découvrir tout au long de cette exposition. Il peut s’agit de petits encarts d’un volume limité ou bien de publicité de taille très importante, éventuellement dépliable. Il y a parfois tous les produits d’une entreprise comme ceux de Clin et Cie déjà associés à cette époque à Comar et fils. La société a alors son siège social au 20 Rue des Fossés-Saint-Jacques. Dans la plupart des cas, les publicités pharmaceutiques se trouvent au milieu de publicités sans rapport avec la santé, à côté par exemple de la Revue encyclopédique Larousse, ou d’un encart sur l’Hôtel des ambassadeurs et continental.
Que contient ce Guide de l’étranger à la fin du XIXe siècle avec ses 192 pages ? Il y a tout d’abord une dizaine de pages sur l’histoire de Vichy qu’on retrouve souvent dans d’autres guides sur la ville. Les auteurs évoquent l’étymologie de Vichy qui pourrait signifier « la vertu des eaux ou les eaux qui ont le plus de vertu » parmi d’autres interprétation. La ville remonte en tout cas à l’époque Gallo-romaine. Saint Martin de Tours y aurait fondé l’abbaye de Montiers rapidement détruite par les hordes normandes. Par la suite, la place sera fortifiée et Louis II y fonde en 1411 le couvent des Célestins. Ces derniers vont utiliser les eaux de Vichy pour soulager les malades. On y apprend aussi l’histoire plus récente de Vichy où l’Etat va concéder à MM. Lebobe, Callon et Cie en 1853 le droit d’exploitation des sources, qui sont les véritables fondateurs de la Compagnie Fermière. Les visiteurs seront progressivement de plus en plus nombreux à partir de 1872.
Dans le guide de 1898, les auteurs consacrent une partie à Vichy-moderne dans laquelle sont donnés des conseils pour venir à Vichy :la saison officielle démarre le 15 mai mais les thermes sont ouverts toute l’année. Pour ceux « qui viennent y chercher le plaisir et la distraction », ce sont les mois de juin, juillet et août qui sont conseillés. « C’est pendant ce dernier mois qu’arrivent en bandes joyeuses les échappés du collège et du barreau, les magistrats et les professeurs, ivres d’air pur et de liberté ».
Parmi les conseils aux voyageurs, un chapitre est consacré au « pistage », ce « fléau de Vichy »: « Dès que vous arrivez à St-Germain-des-Fossés, des individus se présentent à vous … pour en arriver à vous dire qu’ils connaissent un bon hôtel où vous serez bien, etc., etc. Vous vous laissez prendre et finalement tombez la plupart du temps dans un hôtel de sixième ordre, en payant tout aussi cher… ». Conclusion : « prenez garde au pisteurs ». Vient enfin l’installation à Vichy : l’arrivée et le premier devoir du malade à Vichy : choisir un médecin, puis s’inscrire pour la cure. Autre sujet important : l’abonnement au Casino, « le second devoir du malade » pour se distraire, car « le moral joue un grand rôle et influe sur l’organisme ».
Vient ensuite la description des cures et des sources à Vichy. « L’Etat possède à Vichy sept sources naturelles et une source artésienne ou obtenue à l’aide d’un forage ». Ce sont la Grande-Grille (44°C), l’Hôpital (31°C), Le puits Chomel (45°C), Lucas (20°C), La Vieille Source des Célestins (12°C), la Source de la Grotte des Célestins (13°C), la Nouvelle Source des Célestins (12°C), et le Parc, artésienne (18°C). Il y a également deux autres sources de l’Etat, près de Vichy à Cusset (Mesdames, 15°C) et à Hauterive (Hauterive, 14°C). Une description détaillée de chaque source et de ses bienfaits suit cette énumération. La Grande-Grille, par exemple, est « avant tout indiquée dans les affections du foie, dans les engorgements des viscères abdominaux et surtout contre les coliques hépatiques qui accompagnent la lithiase biliaire ».
Plusieurs pages du guide sont consacrées au « Service de la gratuité » où l’on explique que l’établissement thermal « trouve même le moyen d’assurer un service de bains et douches gratuits très étendu ». Deux classes de personnes peuvent en bénéficier : les ecclésiastiques desservant des succursales de campagne, les aumôniers des lycées et collèges…, les ministres des cultes non catholiques occupant une position équivalente, les missionnaires à l’étranger… et les habitants de Vichy. La deuxième classe comprend les indigents de toute la France. « Cette sorte de droit des pauvres prélevé sur la Compagnie Fermière attire à la station un grand nombre de malades indigents, auxquels la ville peut fort heureusement donner asile dans le vaste hôpital civil récemment construit… ». Une partie est ensuite consacrée à décrire plus précisément les bienfaits des eaux de Vichy, en bains, douches et en boisson « qui agissent moins comme des médicaments que comme des reconstituants chargés de rendre à l’économie l’alcalescence nécessaire au bon fonctionnement de la vie organique ».
Le guide conseille aussi la visite des annexes de l’établissement thermal, et en particulier la « nouvelle pastillerie ». On explique la fabrication des sels de Vichy, des Pastilles et des comprimés. Après une période où la fabrication se faisaient par évaporation à l’air libre, puis cristallisation, technique « longue et encombrante », la nouvelle usine permettait l’utilisation d’appareils d’évaporation sous vide. Après plusieurs opérations de cristallisation et de purification, on obtenait les « Sels de Vichy-Etat qui servaient à la fabrication des différentes formes proposées : Sels, Comprimés, Pastilles.
Ces dernières étaient à base de Sels de Vichy, de sucre et de gomme adragante, et d’un arôme. La pâte préparée était ensuite transformée en pastilles grâce à une pastilleuse. Ainsi, concluent les auteurs, « en faisant dissoudre un paquet de Sel Vichy-Etat dans un litre de bonne eau de source, on obtient une eau artificielle dont la minéralisation se rapproche autant que possible de celle de l’eau naturelle… On boit cette eau à table avec le vin qui en dégage le gaz. Quant aux comprimés, préparés par Georges Prunier, ils permettent de préparer une eau gazeuse, « ce qui la rend digestive et agréable ». Ce Georges Prunier précise : « Les comprimés de Vichy-Etat, reposant sur des données absolument scientifiques, atteignent dans ce sens la perfection désirable. Leur composition chimique, analogue à celle des eaux naturelles des sources de l’Etat, car elle a pour base les sels extraits de ces eaux, est encore augmentée de la vitalité nécessaire par la restitution du principe gazeux. »
Après la description détaillées des sources, de leurs bienfaits, des transformations en Sels, Comprimés, etc., le guide s’intéresse aux aspects touristiques et divertissants du séjour : le Casino, « foyer autour duquel les touristes et les malades viennent se grouper », la salle des spectacles, la salle des fêtes, les promenades et curiosités de Vichy : les parcs, le Grand-Hôtel, la Restauration, l’Église Saint-Louis, etc. Mais le guide va même proposer le programme type d’une journée à Vichy ! On peut aussi sortir de la ville pour visiter Cusset, la Source intermittente de Vesse, la Montagne-Verte, la côté Saint-Amand, Hauterive, etc. Le guide se termine enfin par des « Conseils aux malades qui quittent Vichy » : « Si vous ne pouvez revenir aux sources, faites du moins que les sources reviennent à vous, sous la forme de bouteilles, de sels ou de pastilles dont l’authenticité sont indiscutables….
On prétend que les buveurs d’eau sont méchants… Le proverbe ne saurait s’appliquer aux buveurs d’Eaux de Vichy, qui, en recouvrant la santé, recouvrent la gaîté. »
Ce contenu très copieux diffère-t-il des éditions suivantes ?? Pas vraiment. On trouve quelques publicités nouvelles : celle pour le Vin Désiles, par exemple, ou encore les Sels de Lithine et la Fucoglycine du Dr Gressy, vendus par Le Perdriel.
On peut dire quelques mots des spécialités promues et des laboratoires ou pharmacies qui les fabriquent : Tout d’abord, Clin et Cie. La famille Comar en avait pris les rênes dès 1884. Le pharmacien Ernest Marie Clin avait fondé sa société en 1864. L’un de ses centres d’intérêt était le traitement du rhumatisme et de la goutte. Comme on peut le voir en 1898, trois produits sont proposés dans ce domaine : La solution CLIN à base de salicylate de soude, la solution de salicylate de lithine, et la liqueur du Dr Laville, « spécifique éprouvé de la goutte aigüe ou chronique. »
Plus étonnant, la publicité pour l’eau d’arquebuse des frères maristes, « souveraine contre les foulures, entorses, coups, contusions, coupures, écorchures, plaies récentes gangrènes, maux d’estomac, de tête, de cou, défaillances, dysenterie, indigestions ». Cette eau d’arquebuse (ou eau vulnéraire) est d’origine très ancienne et apparait dans les pharmacopées comme comme celle de Lémery au XVIIe siècle. Cette préparation des frères maristes montre que cette congrégation religieuse étaient très active dans la préparation de médicaments comme le montre la publicité sur leur bi-phosphate de chaux dans le même guide. L’histoire de ces deux produits a été largement développé dans un document publié par les Frères maristes en 2017 à l’occasion du bicentenaire de la création de cette congrégation que nous pouvons résumer ici en quelques lignes. C’est en 1857 que la production du premier produit du couvent, « Arquebuse » a commencé à l‘Hermitage. Le Frère François Rivat (1808-1881) s’occupait des frères malades et avait un intérêt particulier pour les plantes médicinales. Il se servait de l’eau vulnéraire d’Arquebuse qu’il s’efforça d‘améliorer.
Il la rebaptisa d’ailleurs Ratafia. Elle se compose de neuf plantes médicinales macérées dans de l’alcool. Le successeur de Frère François Rivat, Frère Emmanuel Chirat, va chercher à améliorer encore la recette dans les années 1857 à 1862, créant un nouveau produit qui prit le nom « d’eau d’Arquebuse ». Par la suite, la fabrication fut transférée au Château du Montet (Saint-Genis-Laval). C’est durant les années 1865 à 1869 que débuta à cet endroit la fabrication et la vente de l’Arquebuse . A partir de 1883, la Maison Guyot de Lyon fut chargée de la distribution et de la vente du produit dans le Sud de la France. La loi Combes (1903) obligea les communautés religieuses à quitter la France et la production fut transférée en Italie (sous le nom d’arquebuse des Alpes) puis revint en France avec les Frères maristes en 1925. Les années qui nous intéressent ici (1898 à 1900) furent sans doute les années d’or pour les distillats des frères maristes. On vendait alors 200 à 300 000 litres de produit.
Les Frères maristes ont lancé, en 1867 à Saint-Paul-Trois-Châteaux, la production du Biphosphate de Chaux (produit sans alcool créé par Frère Amable, Michel Casimir Girard), connu plus tard en Allemagne sous le nom de « Boisson Mariste ». A partir de 1873, c’est le pharmacien Louis Arsac de
Montélimar se charge de la vente et plus tard de la production de ce produit qui serait encore disponible dans certaines pharmacies. Il est fabriqué à partir d‘os calcinés d‘animaux. Les résidus sont moulus, mélangés à d‘autres ingrédients puis filtrés. En parallèle les frères maristes créèrent une vingtaine de tisanes à base de plantes dont la vente fut arrêté en 1983.
Parmi les autres produits intéressants et nouveaux pour l’époque, il faut citer le Sucre Edulcor. En 1887, Charles Garnier pharmacien 8 rue des Francs Bourgeois à Paris puis 38 rue de Rochechouart (1896) commercialise ce premier édulcorant destiné aux diabétiques, des tablettes de saccharine (sulfinide benzoïque). La marque Sucre Edulcor est déposée en 1891. La spécialité est cédée en 1899 à Emile Férré, propriétaire de la Pharmacie de la Croix de Genève, 142 boulevard Saint Germain. C’est avec le nom de cette pharmacie que la publicité apparait dans le guide de l’étranger à Vichy en 1900. La production est transférée à proximité 19 rue Grégoire de Tours.
Le Calaya est également un produit d’actualité autour de 1900. Une thèse publiée à cette époque (1899-1900) à Montpellier par le docteur Tsamboulas fait état des propriétés « antithermiques manifestes » de cette plante. « Il produit la guérison de la fièvre paludique, dont les accès ont résisté au traitement par le sulfate de quinine ». L’auteur ajoute que « le Calaya constitue une substance du groupe des tannins, et à ce titre, il donne à l’organisme infesté par les agents pathogènes du paludisme, des moyens de défense plus grand contre ces agents, en même temps qu’il agit peut-être directement sur ceux-ci. »
Il faut noter aussi les publicités pour les produits Le Perdriel . C’est la veuve de Charles Le Perdriel qui se chargea, à partir de 1865 de l’entreprise fondée par François Le Perdriel en 1823 et qui réalise la fabrication de la Fucoglycine du docteur Gressy, succédané naturel de l’huile de foie de morue. Les produits Henry Mûre sont également présent dans le Guide. La maison Mure, dirigée à Pont-Saint-Esprit (Gard) par A. Gazagne, gendre et successeur de Mure, elle offre, le Sirop de Henry Mure pour les maladies nerveuses, les Pâte et Sirop d’Escargots de Mure, au « goût exquis » et à l’ « efficacité puissante » contre rhumes, catarrhes, toux, etc., et la Solution Henry Mure au Bi-Phosphate de Chaux, d’une efficacité surprenante et souvent inespérée.
De très nombreuses publicités sont bien sûr associés à l’eau de Vichy sous des formes variées. Mais Vichy étant une station recommandées pour les troubles digestifs, plusieurs produits sont présentés pour leurs vertus thérapeutiques dans ce domaine : les grains de Vals (purgatifs et dépuratifs),
la Poudre laxative André, le Carabana (eau minérale « qui purge et guérit »), le Boldo-Verne (pour les congestions et troubles fonctionnels du foie), l’Alcool de menthe de Ricqlès, diverses aux minérales et la Cascarine Leprince. Ce dernier produit a été développé par Maurice Maximilien Leprince qui exploite une pharmacie à Bourges en 1877 et fabrique quelques spécialités. Il déménage à Paris en 1895, 62 rue de la Tour. Il faut enfin noter plusieurs produits toniques ou reconstituants, ce qui parait assez logique compte tenu du nombre de malades à Vichy : le Vin tonique de Franquevaux, le vin Nourry iodotannique (Clin), le Glycéro-Kola André, la Phosphatine Falières pour les enfants, le Quina Laroche, etc. En conclusion, ce guide fut un excellent support publicitaire pendant de nombreuses années pour l’industrie pharmaceutique naissante et pour les pharmaciens d’officine qui se lançaient dans de domaine de la spécialité qui ne disait pas encore son nom !