Le Laboratoire du Goménol et la famille PREVET :
une histoire de 110 ans autour de l’essence de Niaouli purifiée.
L’histoire commence avec la famille PREVET, une famille d’industriel qui a pris la mesure de l’industrialisation en matière alimentaire. Tout au long du XIX° siècle, les Prevets vont investir dans la conserve de légumes puis de viande qui sera précieuse dans les conflits. C’est vers 1888 que Jules Prevet décide de tenter l’aventure pour étendre les sources d’approvisionnement des usines PREVET. Jules et Charles, son frère, sont associés dans la conduite de la Compagnie Française d’Alimentation dont le siège est à Paris, rue des Petites Ecuries, dans un hôtel particulier de style Louis XVI, et les usines de fabrication de conserves à Meaux (Seine & Marne). Jules était député de ce département et Charles sénateur de Seine et Marne. La Nouvelle Calédonie, annexée par la France en 1853, est une opportunité intéressante, d’autant plus qu’un pénitencier peut y fournir une main d’œuvre bon marché. En 1886, le cheptel bovin de la colonie est par ailleurs trop important. La création d’une usine devient alors nécessaire et la conserverie de Ouaco est créée en 1887 sur le territoire de Gomen. En mars 1888, Digeon confie à la maison PREVET la gestion de l’usine. Par ailleurs, Jules observe que la cueillette du café, répandue dans cette partie de l’île, donne lieu à des blessures chez les cueilleurs locaux qui, pour se soigner, mâchent des feuilles de Niaouli, puis mettent cet emplâtre de fortune sur les plaies pour éviter l’infection. Jules rapporte sa découverte en France et dès 1893, la marque Goménol est déposée. Jules PREVET fait démarrer l’exploitation de diverses spécialités pharmaceutiques sur la base de cette essence (pommades, suppositoires, ovules, cigares, etc.). Il a des arguments scientifiques mais aussi politique : se soigner au goménol, dit-il, c’est non seulement avoir recours à un médicament d’une très haute valeur thérapeutique, mais c’est encore utiliser un remède national et favoriser une Colonie française puisque c’est exclusivement son sol qui produit la plante bienfaisante d’où il est tiré.
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Le goménol : un produit pharmaceutique étonnant.
Dès sa promotion initiale, le goménol fait parler de lui : il est présent à l’exposition universelle de 1900, hors concours et les premières brochures de l’époque témoignent de l’étendue de ses applications dès l’origine. Le Dr Bertrand, dans sa communication à l’Académie des Sciences, parle de Terpenol naturel qui, dénué d’aldéhydes, n’est donc pas toxique. C’est « l’antiseptique interne par excellence mais il agit aussi sur les plaies et inflammations de toute nature ».
A regarder l’histoire du goménol, on pourrait penser que l’huile essentielle exploitée par Prevet est unique en son genre. L’histoire est plus complexe. Elle commence à la fin du XVIII° siècle où les grands explorateurs français récoltent diverses plantes de la famille des myrtacées, dont les espèces du genre Melaleuca, inconnu en Europe à cette époque (le genre Melaleuca a été décrit par Linnée en 1767). La première distillation des feuilles de Niaouli est faite en 1862 par De Rochas, mais sans suite. Bavay, pharmacien de 1° classe de la marine, présente une thèse en 1869 sur l’étude de deux plantes de Nouvelle-Calédonie : le Niaouli et son huile essentielle, et l’Anacardier. « Je ne sais si, comme on le suppose, l’essence de Niaouli est appelée à un avenir quelconque, soit médical, soit industriel ; mais à coup sûr, si cet arbre ne devient pas une source d’aisance pour la Nouvelle-Calédonie, cela ne l’empêchera pas d’avoir été une précieuse ressource pour ses premiers habitants ». On connaît la suite avec la découverte du goménol par Prevet et les travaux de Bertrand en 1893. Le goménol se distingue cependant des produits précédents car il s’agit d’huile très pure, obtenue par distillation, faite par entraînement à la vapeur d’eau. Avant son emploi industriel, cette essence est mise en contact avec du carbonate de sodium anhydre pour garantir l’absence d’acidité, puis avec de l’amidon pour débarrasser le produit d’un excédent d’eau éventuel venant du procédé de distillation.
Quant à la production du goménol, c’est l’une des plus anciennes industries de transformation et d’exportation de la Nouvelle Calédonie avec celle du Santal et de la viande de bœuf. Après l’époque initiale du début du 20° siècle, c’est vers 1920 que débute la véritable production industrielle. Elle augmente fortement avant la 2° guerre mondiale, atteignant entre 12 et 24 tonnes par an. La chute est brutale pendant la guerre (3 à 4 Tonnes par an) puis repart fortement pendant quelques années. A partir des années 50, la décroissance est quasiment continue et la production va rester très faible à partir de 1990.
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Cette brève histoire du goménol et du Laboratoire qui porte son nom illustre la ténacité des entrepreneurs qui ont su maintenir le cap et promouvoir les propriétés étonnantes de l’essence de Niaouli purifiée. Mais au-delà de l’industrie du médicament, cette essence et celles des espèces du genre Melaleuca ont fait leur chemin : leur popularité n’a cessé de grandir si l’on en croit les ouvrages récents qui leur sont consacrées. On peut dire que Jules Prevet, s’appuyant sur les travaux antérieurs et les pharmaciens de son époque, a été vraiment un pionnier par l’introduction industrielle du goménol en 1893, il y a juste 110 ans.
Bruno Bonnemain
Voir article complet paru en 2004