Georges Dillemann (22 novembre 1903- 1999)
ELOGE DU DOYEN GEORGES DILLEMANN (Revue d’histoire de la pharmacie, 1999)
Né à Saint-Dié le 22 novembre 1903, il était le fils d’Edouard Dillemann et de Marie Froussard.
C’est à Strasbourg qu’il obtint son baccalauréat ayant choisi les lettres classiques : latin, grec et philosophie. Malgré un goût prononcé pour les études littéraires, Georges Dillemann s’orienta vers la chimie, obtenant la licence es sciences et un diplôme d’ingénieur-chimiste à Besançon, en juin 1925. Mais il ne s’arrêta pas là et entre 1925 et 1944, il accumulera les certificats d’études supérieures à la Faculté des sciences de Paris, dont celui de botanique. Ce bagage intellectuel déjà considérable ne lui suffisant pas, Georges Dillemann acquit une licence de droit (novembre 1936) et le diplôme de pharmacien (juillet 1938) tout en assumant diverses fonctions dans des laboratoires de l’industrie pharmaceutique. Il couronna cet ensemble de parchemins par deux doctorats ; l’un en pharmacie (Paris, juillet 1946), l’autre en sciences naturelles (Paris, mai 1952). Il est évident que ce cursus universitaire dirigeait Georges Dillemann vers l’enseignement supérieur.
Dans l’allocution qu’il prononça lors de son accession à la présidence de l’Académie nationale de pharmacie en 1985, il le confirma en ces termes :
J’ai été élu membre résidant dans la catégorie des « professionnels», étant depuis quatorze ans pharmacien-assistant dans l’industrie, après avoir été pendant près de douze ans, chimiste dans les laboratoires de recherches de deux entreprises pharmaceutiques. Mais, ayant soutenu ma thèse de doctorat es sciences deux mois auparavant, j’étais près d’achever le parcours qui devait me conduire dans l’Université : trois ans plus tard en effet, le concours d’agrégation m’en ouvrait les portes. Ma passion pour la botanique et mes travaux de chimie végétale m’avaient fait choisir l’option « Matière médicale ». Je n’eus à l’enseigner que pendant trois ans à Rouen et peu à Paris, mais j’ai eu le bonheur d’être chargé pendant six ans d’un cours de biologie végétale. Cependant, dès la fin de l’année universitaire 1958-1959, le doyen Fabre, venant d’apprendre que j’avais « fait mon droit », m’invita avec fermeté à me porter candidat à la succession du professeur Bedel. Après 24 heures de réflexion, malgré le regret d’abandonner des recherches et un enseignement qui me causaient beaucoup de joies, mais avec l’intention de me consacrer avec ardeur à mes nouvelles fonctions, j’acceptai cette promotion qui comblait d’ailleurs quelque peu le retard d’une carrière tardivement entreprise.
En effet, à l’initiative du président de la Chambre des fabricants de produits pharmaceutiques, François Prevet, une chaire de législation et déontologie avait été créée à la Faculté de pharmacie de Paris en 1945 et le professeur Bedel fut le premier titulaire. Je cite à nouveau Georges Dillemann : « À la demande des dirigeants de la Société d’histoire de la pharmacie, il fut ajouté au titre de la Chaire » et Histoire de la Pharmacie « . En dehors de quelques conférences publiques, l’activité de la chaire dans ce domaine fut surtout consacrée à la préparation de thèses de doctorat d’Université. »
Georges Dillemann fut titulaire de la chaire à partir du 1er décembre 1959 jusqu’à sa retraite le 30 septembre 1975. Il fut élu doyen de la Faculté des sciences pharmaceutiques et biologiques de Paris en janvier 1971 et, à sa retraite, le professeur Jean Flahaut lui succéda (29 octobre 1975).
La liste est fort longue des fonctions extra-universitaires qu’exerça le doyen Georges Dillemann ; nous retiendrons sa nomination comme membre du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens en 1972, son élection à la présidence de la Société botanique de France. Élu à l’Académie de pharmacie en juillet 1952, il en fut secrétaire annuel en 1967 et enfin président en 1985.
Il adhéra à la Société d’histoire de la pharmacie en 1959, il y a donc quarante ans, et fut porté à la présidence le 24 mars 1982, succédant au doyen Guillaume Valette. Henri Bonnemain était alors secrétaire général (depuis février 1964). Lors de l’assemblée générale de la Société, le 27 novembre 1988, le Conseil élut Henri Bonnemain à la présidence et éleva Georges Dillemann à la présidence d’honneur. Ce même jour, le doyen Flahaut devenait vice-président et j’assumais dès lors le secrétariat général.
La carrière universitaire, les travaux, du doyen Georges Dillemann furent couronnés par plusieurs prix ; il était lauréat de la Faculté de pharmacie et de l’Académie de médecine. Il avait été nommé chevalier des Palmes académiques, de l’Ordre national du Mérite et de la Légion d’honneur.
Les travaux scientifiques et historiques de Georges Dillemann sont multiples, divers, à l’image de sa formation pluridisciplinaire et de sa vaste culture. .
Le professeur Pierre Delaveau évoquera prochainement les recherches relatives à la botanique, la biologie et la chimie végétales, la pharmaco- gnosie.
Nous ne pouvons pas aborder non plus l’analyse des remarquables ouvrages et articles se rattachant au droit pharmaceutique que Georges Dillemann a publiés dans Produits et problèmes pharmaceutiques, L’Evolution pharmaceutique, les Annales pharmaceutiques, etc.
Nous nous attacherons ici à présenter les nombreuses études que Georges Dillemann a consacrées à l’histoire de la pharmacie.
Qui ne connaît le célèbre « Que sais-je ? », Histoire de la pharmacie, écrit en collaboration avec le doyen René Fabre. Édité en 1963, il fut réédité en 1971.
Puis, en 1992, Georges Dillemann, Henri Bonnemain et André Boucherie, unissant leur vaste culture historique, professionnelle et pédagogique, publièrent La Pharmacie française, ses origines, son histoire, son évolution, ouvrage très didactique préfacé par le doyen Pierre Malangeau.
Georges Dillemann apporta une importante contribution à l’ouvrage collectif Histoire de la médecine, de la pharmacie, de l’art dentaire et de l’art vétérinaire, en rédigeant l’article « La pharmacie du IIIe siècle à l’époque contemporaine ».
C’est sous sa direction qu’a été rédigé le volume commémoratif du centenaire de la reconstruction de l’École supérieure de pharmacie de Paris : La Faculté de pharmacie de Paris 1882-1982. Sa contribution personnelle y a été considérable car il a rédigé la quasi-totalité des deux grands titres de l’ouvrage : « L’Institution » et « Les Hommes ».
Il a publié plus de soixante articles sur l’histoire de la pharmacie. On peut les subdiviser, sans doute un peu arbitrairement, en cinq grandes classes : généralités sur l’histoire de la profession, histoire de l’enseignement pharmaceutique, histoire des médicaments, histoire des insignes, emblèmes, symboles, décorations, enfin uniformologie.
À l’histoire générale de la profession se rattachent l’étude du monopole pharmaceutique et son évolution, la pharmacopée au Moyen Âge, les remèdes secrets et leur réglementation, la pharmacie au temps de Molière, etc.
Georges Dillemann a particulièrement développé un thème qui lui était cher : l’histoire de l’enseignement pharmaceutique. Nous avons déjà évoqué sa contribution à l’ouvrage du centenaire de la Faculté de pharmacie, il faut ajouter ses publications sur les diplômes de pharmacien, les doctorats en pharmacie, l’enseignement de l’histoire dans les Facultés de pharmacie, etc. Il a rédigé quelques monographies de médicaments sur l’aspirine, la bourdaine, les médicaments utilisés par Mme de Sévigné, etc.
Considérable et original est l’apport du doyen Dillemann à l’étude des emblèmes corporatifs de la pharmacie : bocaux de couleur, croix rouge-croix verte, coupe d’Hygie et serpent d’Épidaure, chevrettes et pots canons, le palmier, le serpent et les roches, armoiries, etc. Nous n’oublierons pas ses publications sur les jetons et médailles pharmaceutiques, les insignes distinctifs des corps de Santé militaire. Près de vingt publications concernent l’étude des décorations, des médailles militaires.
On compte encore une vingtaine d’articles se rattachant à l’uniformologie, domaine qui le passionna et que l’on peut considérer comme un hommage à son père, général de division.
Il a encore rédigé l’article sur les costumes des apothicaires et des pharmaciens de la plaquette éditée par le Comité de rénovation de la Salle des Actes de la Faculté de pharmacie-Paris V.
Des biographies complètent l’œuvre remarquable que cet infatigable travailleur a accomplie : les Geoffroy, Avicenne, les Saints Côme et Damien, Charles Tanret, etc.
N’oublions pas enfin ses nombreuses contributions aux diverses rubriques de la Revue d’histoire de la pharmacie : articles, « Gazette » et « Mouvement historique ».
Le président Henri Bonnemain qui a longtemps collaboré avec le doyen Dillemann, lorsqu’il assurait le secrétariat général de la SHP, m’a demandé de participer à cet éloge en faisant part du souvenir qu’il a conservé de cette personnalité hors du commun.
Je cite le président Bonnemain :
« Ce qui constitue, semble-t-il, un aspect essentiel de la personnalité de notre cher et regretté Doyen, est sa rectitude tant intellectuelle que morale : – intellectuelle d’abord : très compétent en Droit et en Histoire, Georges Dillemann a fait des travaux considérables et écrit de nombreux ouvrages, articles et communications. Toutes ses publications ont été menées avec un scrupule qui honore leur auteur. Aucune n’a été rédigée sans être accompagnée de citations, de références, de documentations précises et argumentées ;
– rectitude morale ensuite : le doyen Dillemann était un grand chrétien, croyant et pratiquant : cela ne l’empêchait pas de conserver ses convictions personnelles, en ce qui concerne par exemple les modifications apportées à certaines pratiques liturgiques au cours de ces dernières années. Il en faisait d’ailleurs part aux ecclésiastiques auxquels il manifestait sa désapprobation ; et ceux-ci le remerciaient de sa franchise !
Sa franchise : voilà un aspect positif et réel du doyen Dillemann : il ne manquait pas de dire aux uns et aux autres ce qu’il pensait de leur comportement, en bien ou en mal. Et cette franchise ne révélait aucune mauvaise intention : c’était simplement sa façon de voir qui ne correspondait pas toujours avec celle de son interlocuteur, mais aussi pour lui montrer, lui prouver l’intérêt qu’il lui portait, voire son affection. Car Monsieur Dillemann, homme de l’Est (il était natif de Saint-Dié), fils de Général, ce dont il était très fier à juste titre, donnait parfois l’impression d’un homme distant et sévère : c’était mal le juger. Il avait le souci des autres, dans les pires moments où sa santé le faisait cruellement souffrir, il prenait des nouvelles des uns et des autres, les encourageait, leur montrait une véritable bonté, dans le sens chrétien du terme, c’est- à-dire une manière de concevoir tout ce qui pouvait concourir au « bien commun », en toute objectivité et en tout réalisme. En cela, le Doyen Dillemann faisait preuve d’un humanisme qui n’aurait pas déplu à Erasme, dont l’esprit satirique et indépendant s’alliait avec l’humour incontestable de notre regretté Maître.
Tous ceux et celles qui ont connu Georges Dillemann et travaillé avec lui en garderont le souvenir d’un homme très attachant, dont l’extraordinaire érudition réjouissait le cœur et l’esprit, tirant le plus grand profit à le fréquenter et à l’aimer ».
Madame Dillemann, vous avez connu au cours de votre vie les dures épreuves que représentent la mort de deux enfants. Vous les avez assumées, avec le doyen Dillemann, avec un courage exemplaire.
Avec la même force d’âme, vous avez, au cours des longs mois qui ont précédé sa mort, apporté à votre époux un soutien physique et moral de tous les instants. Votre sens du devoir est édifiant.
Madame, voulez-vous accepter, avec M. et Mme Jacques Dillemann et vos deux petites-filles, l’expression de nos sincères condoléances et de nos respectueux hommages.
Henri Bonnemain et Christian Warolin
Bonnemain Henri, Warolin Christian. Éloge du doyen Georges Dillemann. In: Revue d’histoire de la pharmacie, 87ᵉ année, n°323, 1999. pp. 303-307
Complément*
Fonctions extra-universitaires
Membre titulaire de la Commission nationale de la Pharmacopée de 1960 à mars 1973, vice-président de mars 1973 à mars 1976.
Membre du Conseil supérieur de la pharmacie de 1960 à 1975.
Membre du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens de mars 1972 à juillet 1977.
Vice-président de la Fédération des Syndicats autonomes (1963-1968).
Missions
Mission d’enseignement eu Sud-Vietnam auprès de la faculté de médecine et de pharmacie de Saïgon d’octobre 1960 à janvier 1961.
Expert du ministère de l’Éducation nationale au groupe de travail sur le droit d’établissement des pharmaciens à Bruxelles (1962-1965).
Mission d’examen auprès de la faculté française de médecine et de pharmacie de Beyrouth (Liban) en 1964 et 1969.
Représentant de l’Université René Descartes à la Ve conférence triennale de l’Assemblée générale de l’AUPELF à Lomé (Togo) 15-22 décembre 1975.
Mission dans le cadre du programme de coopération scientifique franco-japonais 1977 du 6 au 21 novembre à Tokyo et Nagoya.
Académies et Sociétés scientifiques
Société botanique de France : trésorier de 1949 à 1955, président en 1973-74.
Académie de Pharmacie : élu membre résidant en juillet 1952, secrétaire annuel en 1967, résidant honoraire en 1973 (et président en 1985).
Société d’histoire de la pharmacie. Elu vice-président en octobre 1960 (et président en 1982).
Académie dentaire : élu membre libre en décembre 1966.
Académie internationale d’histoire de la pharmacie : nommé membre agrégé en septembre 1974.
Prix et distinctions honorifiques
Lauréat de la faculté de pharmacie de Paris : Prix Desportes (Botanique) et 2ème prix Buignet (Physique) en 1937 – 1er prix de travaux pratiques de bromatologie et 1er prix de 4ème année (médaille d’or) en 1938.
Lauréat de l’Académie de médecine : prix Desportes en 1959.
Lauréat de l’académie italienne d’histoire de la pharmacie (Lauri del Palatino) en 1973.
Décorations
Chevalier des Palmes académiques en juillet 1971, Officier en février 1980.
Chevalier de l’Ordre national du Mérite en décembre 1971.
Chevalier de la Légion d’honneur en avril 1974.
*G. Dillemann, Historique des Facultés de Pharmacie, produits et problèmes pharmaceutiques, 1970+