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Art et pharmacie : Le serpent dans l’art de guérir

 

Thériaque d’Andromaque. Moyse Charas, 1668

Art et pharmacie :
Le serpent
dans l’art de guérir*

(d’après E-H. Guitard, 1935)

Voir aussi l’article du Pr Patrick Bourrinet paru sur le site de l’Ordre des Pharmaciens en mars 2010 sur le thème de La Thériaque

 

Pot de pharmacie d’origine portugaise ( ?) avec un serpent suspendu dans un palmier-dattier. Cet emblème remonte au Métamorphoses d’Ovide et est entre autres en usage à l’Association des pharmaciens de Lisbonne. Collection M.J. de Vries, Voorburg

Pourquoi le serpent, dont certaines espèces sont capables de donner si promptement la mort aux hommes, a-t-il été considéré pendant si longtemps comme une panacée des plus énergiques, pourquoi a-t-il symbolisé et symbolise-t-il encore l’art de guérir ? Il ne faut pas confondre le serpent-médecin avec le serpent-remède, mais il est évidemment bien difficile de séparer leur histoire.

 

On sait que les plus anciens médico-pharmaciens connus, les prédécesseurs et les maîtres du grand Hippocrate, sont les prêtres d’Aesculape, qui traitaient quantité de malades d’abord dans le temple de Trica en Thessalie, plus tard dans celui d’Epidaure en Argolide. L’Asclépios Thessalien, qui fut peut-être importé des régions de l’Asie où l’on adorait les animaux, apparaissait primitivement aux malades sous la forme d’un serpent auquel on apportait des offrandes. Le serpent d’airain des Hébreux, guérisseur également, n’aurait-il pas une même origine ?

 

Aesculape, divinité infernale (il vient de la terre comme le serpent) garde sur les monnaies, les vases, les bas-reliefs, le souvenir de ses origines reptiliennes, car il est toujours figuré en compagnie d’un serpent. D’ailleurs, quand ses prêtres voulaient fonder un nouveau sanctuaire, ils y envoyaient une des couleuvres sacrées élevées à Epidaure ; on procéda encore ainsi en 293 avant Jésus-Christ, quand on édifia un temple d’Aesculape à Rome, dans une île du Tibre, pour conjurer une épidémie de peste.

 

On a trouvé dans les fouilles d’Epidaure plus de 40 ex-voto, véritables attestations fixées sur les murs du divin laboratoire ; et notamment celle-ci : « Hermion de Pasos, guéri de sa cécité, a refusé de payer ; alors le dieu l’a fait redevenir aveugle ; revenu au sanctuaire, fut guéri à nouveau ». Assez près de ses intérêts, le dieu-médecin, mais peu rancunier tout de même !

 

Parce que les artistes ont représenté parfois le serpent d’Aesculape enroulé autour de son bâton, on en est venu à mettre fautivement entre les mains de ce demi-dieu un instrument de travail de forme approchante le caducée, qui était l’attribut de Mercure (Hermès chez les Grecs). Or le Caducée primitif est un bâton entouré de tiges tressées qu’on a confondues plus tard avec des serpents qui s’affrontent. Rien de commun entre Aesculape et Mercure, entre le serpent de l’un et le caducée de l’autre. Et pourtant, le caducée occupe maintenant une place d’honneur dans l’iconographie médico-pharmaceutique.

 
Monnaie de Marc-Aurèle reproduisant vraisemblablement la statue d’Aesculape qui ornait le temple grec d’Epidaure

C’est certainement parce que le pouvoir malfaisant de certains reptiles tenait du prodige que les anciens les ont considérés comme les maîtres de leur santé, c’est pour les amadouer qu’ils leur ont dédié leurs dispensaires : pour la même raison ils appelaient les déesses du mal « Euménides », c’est-à-dire …bienveillantes. Si l’on transporte ces idées dans un domaine moins surnaturel, on obtient l’homéopathie qui, combinée avec l’opothérapie et le mithridatisme, fut en grande faveur chez tous les primitifs. Et puisque nous voici chez le fameux roi du Pont, Mithridate, rappelons que ce sont les médecins Scythes qui, l’ayant guéri d’une terrible blessure par le venin de vipère (dit-on), lui donnèrent l’idée de se défendre contre les poisons et de mettre ce venin à la base du fameux électuaire qui devait porter son nom pendant des siècles.

 Pline préconise contre la rage les cordons de vipère, c’est-à-dire des chapelets de leur peau cousus au fil de soie. Toujours d’après lui, la vipère entière exposée à la vapeur d’eau bouillante écarte tout charme funeste ; de sa graisse, on fait d’extraordinaires cosmétiques. Galien utilise sa chair contre la lèpre.

 


Etiquette de pharmacie I° Empire : on remarquera entre les colonnes 2 bâtons entourés d’un serpent (véritable attribut d’Aesculape), et au fronton, deux caducées (faux attribut)
 

Etiquettes pharmaceutiques des XVIII° et XIX° siècles ornementées de serpents

Dans la pharmacologie médiévale, à l’âge d’or de la thériaque, la vipère ne perd pas de terrain. Si elle n’est plus la compagne d’Aesculape, elle est une incarnation du diable (ce qui explique l’aventure avec Eve), et on lui prête des mœurs étranges. Voici, par exemple, comment le poète normand Guillaume de Clerc nous apprend qu’elle échappe aux sorciers :

Quant ele creint estre enchantée

Par l’enchanteor qu’ele creint,

L’une de ses oreilles preint

A la terre mult durement

E od (avec) sa cue (queue) finement

Estope (bouche) l’altre oreille si

Que de li ne put estre oï (entendu)

L’enchanteor en nule guise.

Ainsi, les mauvais riches ferment leurs oreilles aux avertissements de Dieu…

Au XVIIe siècle, Van Bossche et Van Helmont se font les champions de la vipérothérapie, mais avec moins de fougue que l’apothicaire parisien Charras, dont les Nouvelles expériences sur la vipère, publiées en 1669, lui assurent les vertus suivantes : sa tête, montée en pendentif, guérit l’esquinancie ; sa cervelle fait pousser les dents aux enfants ; sa peau, enroulée autour de la cuisse droite aide à la parturition ; sa chair délivre les chiens de la gale ; sa graisse dissipe la goutte et les tumeurs ; enfin, elle rajeunit. C’est peut-être dans ce traité de Charras qu’on trouve discutées pour la première fois la théorie et la pratique du rajeunissement : et seule, d’après lui, la vipère peut communiquer cette puissance rénovatrice qu’elle possède, puisque deux fois l’an elle se dépouille de ses écailles et fait peau neuve.

Planche d’étiquette. © Collections histoire de la pharmacie, Ordre national des pharmaciens
Serment Hippocratique, Estampe Laboratoire del norte de Espana, vers 1960, Barcelone © Collections histoire de la pharmacie, Ordre national des pharmaciens

 

 


Gravure sur bois du XVI° siècle représentant
un apothicaire préparant des serpents destinés à la thériaque.
 

Etiquettes pharmaceutiques des XVIII° et XIX° siècles ornementées de serpents

Et Charras, qui, au péril de sa vie, avait manipulé une énorme quantité de vipères vivantes et mortes, mâles et femelles, décrit le procédé le plus propre à obtenir par la distillation le sel volatil, l’esprit et l’huile de vipères, « si pen

etrans qu’on ne sauroit y tenir le nez dessus ». Ce qui n’empêche pas Mme de Lafayette de préparer elle-même ses « bouillons de vipères » qui, au dire de Mme de Sévigné, lui donnent des forces à vue d’œil. Voici d’autre part ce que la célèbre épistolière écrivait le 8 juillet 1685 :

C’est aux vipères que je dois la pleine sante dont je jouis et que je ne connaissois plus depuis des temps si funestes pour moi. Elles tempèrent le sang, elles le purifient, elles rafraichissent. Mais il faut que ce soient de véritables vipères en chair et en os, et non pas de la poudre ; la poudre échauffe, à moins qu’on ne la prenne dans de la bouillie ou de la crème cuite, ou quelque autre chose de rafraichissant. Priez M. de Boissy de vous faire venir dix douzaines de vipères de Poitou, dans une caisse séparée en trois ou quatre, afin qu’elles y soient bien à l’aise, avec du son et de la mousse. Prenez-en deux tous les matins ; coupez-leur la tête, faites les écorcher et couper par morceaux, et farcissez-en le corps d’un poulet. Observez cela un mois et prenez vous-en à votre frère si M. de Grignan ne redevient pas tel que nous le souhaitons tous.

Si le serpent n’a pas invigoré M. de Grignan, il a du moins à son actif cette jolie page de la littérature française.

 

 

Dessin de Patigny (fin XVII° siècle), où l’on remarque un pot de pharmacie dont les anses sont formées de serpents entrelacés (d’après une gravure conservée à la Faculté de Pharmacie de Paris)

 * D’après un texte de E.H Guitard publié en 1935 dans les Annales Coopératives Pharmaceutiques

 

 

Esculape (Allégorie). Gravure . Eau forte. Gabriel Huquier (Graveur), Entre 1767 et 1769 Gabriel Huquier (Dessinateur), Entre 1767 et 1769 © Collections histoire de la pharmacie, Ordre national des pharmaciens
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