Exposition temporaire
L’Histoire des Drogues de
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Les expositions temporaires précédentes ont abordées un thème pharmaceutique le plus souvent à travers des illustrations nombreuses. Nous avons choisi ici de présenter l’ouvrage de Pierre POMET, l’Histoire des Drogues, dont la première édition date du XVIIe sièclea. Cet ouvrage fait partie des ouvrages de références français au XVIIe siècle dans le domaine des apothicaires. C’est en effet le siècle où parait l’ouvrage de Jean de Renou paru pour la première fois à Paris en 1608. Il y aura aussi les livres de de l’Ecluse (paru en 1605), celui de Nicaise Le FEBVRE (son Traité de la Chimie) en 1660. En 1660 également, Chesneau, Marseillais, publie la Pharmacie théorique nouvellement recueillie de divers auteurs. Il faudra attendre 1672 pour que soit publié la Pharmacopée royale, galénique et chimique de Moïse Charas. Louis Pénicher fut chargé dès lors d’écrire une pharmacopée concurrente, parue en 1695 sous le titre de « Collectanea pharmaceutica, seu Apparatus ad novam pharmacopoeam, authore Ludovico Penicher, Parisino, pharmacopoeorum Parisiensium proefecto ». C’est dans ce contexte que vont paraître deux ouvrages clefs à la fin du XVIIe siècle : celui de Lémery, et celui de Pomet. Pierre Pomet est un Parisien, mais comme tous les grands botanistes, un amateur de voyages d’où il rapporte quantité d’échantillons de drogues qu’il exhibera à son cours du Jardin des Plantes. Pomet s’honorait des visites de Tournefort qui venait chez lui voir de près certaines drogues indigènes ou exotiques, principalement d’origine végétale, dont ce droguiste était importateur et dépositaire. C’est en connaisseur, en droguerie, qu’il écrit et publie en 1694 deux beaux volumes in-4°, recherchés aujourd’hui autant pour leurs illustrations que pour leur texte, présentés comme une Histoire générale des drogues, traitant des plantes, des animaux et des minéraux, ouvrage enrichy de plus de quatre cent figures en taille-douce tirées d’après nature ; avec un discours qui explique leurs differens Noms, les pays d’où ils viennent, la manière de connoître les véritables d’avec les falsifiées, et leurs proprietez, où l’on découvre l’erreur des Anciens et des Modernes ; le tout très utile au public.
Il ne nie pas l’existence de la fameuse licorne « que les Naturalistes nous dépeignent sous la figure d’un Cheval ayant au milieu du front une corne en spirale, de deux à trois pieds de long ». il pense que les Chinois se nourrissent de « Nids d’oyseaux, que c’est une chose presque incroyable de la quantité qui s’en transporte à Pequin, ville capitale de la Chine, Mais en France, on préfère des aliments moins coriaces : L’usage des Marons est pour manger… ainsi que tout le monde le sçait. On se sert encore des marons quelque peu en médecine, à cause qu’ils sont fort astringents. Les confiseurs les couvrent de sucre et ensuite sont appelez marons glacez ».
Pomet fils, apothicaire à Saint-Denis, en fit une seconde édition en 1735 (celle que nous voyons ici), ornée de 400 figures en taille douce, à Paris, chez Etienne Ganeau et Louis-Etienne Ganeau fils, libraires, rue Saint-Jacques, aux Armes de Dombes. Le portrait de son père n’apparaît pas contrairement à la première édition. Il est remplacé par un frontispice gravé par Crespy. On lit sur l’encadrement orné de palmiers, de fruits et d’animaux de toutes sortes : « Munera naturae cumulat cum foenore virtus ». Au milieu, se voit une semeuse à la Roty), aux pieds ailés, montée sur une petite boule, suivie du Temps tenant d’une main sa faux, de l’autre le sablier, traînant, à l’aide de cordes, une charrue, que conduit Minerve qui, malgré cela, ne s’est pas départie de sa lance.
« C’est pour mettre toutes sortes de personnes à portée de connaître elles-mêmes la nature et les qualités tant extérieures qu’intérieures des différentes choses que la médecine emploie, que feu Pomet publia l’ouvrage dont nous avons cru devoir donner une seconde édition à cause de son extrême rareté. Il rangea toutes ces choses dans différentes classes dont il fat autant de livres, et traita séparément chacune, avec peu d’élégance si l’on veut, mais avec une netteté qui ne permet pas de lui reprocher la négligence de son style qui, sans être pur, est très clair. » (Pomet fils). L’ouvrage est divisé en trois parties, dont chacune a sa pagination spéciale. La première est consacrée aux végétaux, la seconde aux animaux, la troisième aux « fossilles », c’est-à-dire aux minéraux. L’auteur fourni des descriptions très détaillées des plantes, animaux ou minéraux, mais indique fort sommairement les remède qu’on en tire, et ne donne pas de formules.
Le livre premier s’intitule « Des semences ». Ce que nous appelons Graine ou Semence, nous dit Pomet, est la partie de la Plante qui nait après la fleur; mais comme la semence en est ordinairement la partie la plus noble partie, et que c’est par elle qu’elle renaît, l’on ne sauroit trop s’étudier à la bien connoître, ce qui n’est pas facile, tant à cause de la diversité des espèces, que parce qu’il y en a qui approchent beaucoup en figure et en autres marques les unes des autres.
Dans ce premier livre, on peut voir la description de nombreuses graines comme par exemple celle du Choüan, ci-contre. « Le Choüan est une petite graine légère d’un verd jaunâtre, d’un goût tant soit peu salé &aigrelet, & de figure assez semblable au Semen contraexcepté qu’il est plus gros et plus léger ». pomet conclut le paragrpahe sur cette graine par son utilisation : »Il n’y a point d’autre usage en france, que je sçache, que pour faire le Carmin, & pour les Plumaciers, quoique présentement on s’en serve très peu ».
Un autre exemple de semence nous est donné dans l’ouvrage de Pomet avec le Thlaspi, plante de la hauteur d’un pied ou environ, qui a des feuilles d’un verd assez enfoncé dans sa couleur, de la longueur du petit doigt, larges dans leur baze et finissant peu à peu en pointe; sa tige jette quantité de rameaux chargés de fleurs blanches, après lesquelles naissent des gousses plates, ayant la figure de lentilles, qui contiennent chacune deux graines de couleur jaune tirant sur le rouge qui par succession de temps se change en rouge obscur, & plus elle vieillit, plus elle noircit. Elle est ronde, longuette, & tant soit peu pointuë…On l’estime propre pour la guérison des gouttes sciatiques, de la gravelle, & pour dissoudre les calculs et les grumeaux de sang, pris en poudre, au poids d’un demi-gros, le matin à jeun.
Dernier exemple de ce livre, le Coriandre qui est la graine d’une plante qui nous est fort familière, & qui croît en abondance aux environs de Paris, principalement à Aubervilliers, d’où presque tout le Coriandre que nous vendons nous est apporté…On employe peu de Coriandre en Médecine, mais les Brasseurs en employent beaucoup, sur-tout en Hollande & en Angleterre, pour donner bon goût à leur Bierre double. Les Confiseurs, après l’avoir aspergé de vinaigre, le couvrent de sucre, qui est ce que nous appelons Coriandre sucré, ou en dragée. Il y a bien sûr dans ce livre 1 beaucoup d’autres graines, comme la Cardamone, la Nielle Romaine ou le Sagou des Indes.
Le livre second de Pomet est consacré aux racines. J’entends par le mot Racine, nous dit Pomet, la partie de la plante qui est dans terre, & qui en tire & communique la nourriture aux autres parties qu’elle produit, qui sont la tige, les feuilles, la semence, etc. Les Racines que nous vendons ordinairement sont non seulement en grand nombre, mais fort différentes en figures & en vertus. Suivent de nombreuses descriptions de racines, à commencer par l’Ipécacuanha, nommée aussi Beguquella, Specacuanha, Chagofanga, Beculo, Beloculo ou encore Mine d’Or, précise Pomet. Parmi les racines décrites par Pomet, on peut admirer celle de Jalap. C’est une racine grise, resineuse, de quatre à cinq pieds de haut, & qui a des feuilles assez approchantes de celles du grand Lierre, excepté qu’elles ne sont pas si épaisses ; la graine est de la grosseur d’un petit pois, d’une couleur noirâtre, assez semblable au Myrtille, excepté qu’elle n’est pas si grosse… Le Jalap que nous vendons est la racine de cette plante qui nous est apportée de la nouvelle Espagne il n’y a pas long-tems, à qui M. de Tournefort a donné le nom de « Solanum Mexicanum, magno flore, semine rugoloe, Jalap existimatum », qui signifie « Morelle du Mexique à grandes fleurs », dont la graine est ridée, que l’on croit être une espèce de Jalap….On estime le Jalap propre pour purger les cérosités ; il est aussi employé pour les hydropiques, dans la goutte, les rumathismes & pour les obstructions, mais il faut en connoître la portée, parce qu’il opère vigoureusement, sur tout si on le donne en substance, & si on ne modère la dose, laquelle on doit proportionner à la constitution, à l’âge & aux forces des personnes, c’est le sujet pour lequel on n’en doit user qu’avec de grandes précautions. Pomet termine cette description par un paragraphe consacré à la résine ou Magistère de Jalap, ainsi qu’à l’extrait.
Un autre exemple de ce Livre II donné par Pomet est la racine de gentiane. La Gentiane est une plante ainsi appelée, nous dit Pomet, à cause que le Roy Gentius en a le premier découvert les belles qualités. Elle croît en abondance aux environs de Chabli en Bourgogne, & aux lieux les plus humides, tant de la Bourgogne que des autres endroits de la France, & même sur les Pirenées & sur les Alpes. La racine, qui est la seule partie de la plante que nous vendons, est quelquefois grosse comme le bras, divisée en quelques racines épaisses comme le pouce, ou comme le petit doit, jaunâtres & d’une amertume insupportable…. Cette racine est chaude, aperritive, febrifuge, cordiale, histerique, stomachique & alexiphormaque*. Elle est employée dans plusieurs compositions galéniques, & fort recommandée en poudre avec la Thériaque appliqu&ée pour les morsures de chiens enragés : comme aussi pour les douleurs de dents, en en mettant comme l’on fait de la Pyrettre, & enfin pour mettre dans les playes, comme l’on fait de l’éponge préparée. Elle est, de plus, sudorifique, & l’on s’en sert avec succès dans les fièvres intermittentes, ce qui lui a fait donner le nom de Kinquina d’Europe.
Une plante que nous décrit largement Pomet, c’est la Garance qui sert aux Teinturiers, souligne Pomet, mais aussi en Médecine, parce que les Garances sont chaudes, dessicatives & vulnéraires : conviennent aussi dans les obstructions du foye & de la ratte, dans la jaunisse, & dans les suppressions d’urine. Pomet décrit la Garance, qu’il appelle aussi Rubia tinctorum, comme une plante dont les racines sont nombreuses, rampantes, longues, divisées en plusieurs branches, rouges par-tout, ligneuses, d’un goût astringeant, qui poussent des tiges longues, fermenteuses, nouées, rudes, jettant de chacun de leurs noeuds cinq ou six feuilles oblongues étroites qui environnent leur tige en forme d’étoiles. C’est de cette racine dont les Hollandais retirent un si grand profit, par la quantité de Garance qu’ils envoyent en differens pays, sur-tout en France.
La figure ci dessus représente un autre chapitre important de ce livre II de Pomet, chapitre consacré aux Cannes à Sucre ou Cannamelles, qui sont des roseaux qui croissent en abondance dans plusieurs endroits des grandes Indes au Brésil & dans les Isles Antilles. Pomet d’applique à décrire la plante et ses racines, mais aussi l’extraction du sucre qui en est retirée. Grâce au schéma de Pomet, on peut mieux comprendre la description qu’il fait du processus de production de sucre : « Les Américains ayant coupé leurs Cannes au dessus du premier noeud, ils en ôtent les feuilles & en font des bottes qu’ils portent au moulin lequel est composé de trois rouleaux en grosseur, & également revêtu de lames de fer au lieu où passent les Cannes. Celui du milieu est beaucoup plus élévé, afin que les deux arbres qui le tiennent par le haut, & ausquels les boeufs sont attelez puissent tourner sans être empêchez par la machine. Le grand rouleau du milieu est environné d’un hérisson dont les dents s’emboitent dans des hoches ou arêts faits à ce sujet ; dans les deux autres qui sont tout proches, & les faisant tourner, ils serrent écrasent, & font passer les Cannes de l’autre côté, lesquelles demeurent toutes sèches & épuisées de leur suc. (Si par hazard l’Amériquain ou le François qui met les Cannes au Moulin, se laissoit serrer les doigts, il lui faudroit aussi-tôt couper le bras, sinon son corps seroit plutôt écrasé qu’il n’y aurait songé ; c’est ce qui fait que d’abord qu’un homme a les doigts pris un autre lui coupe le bras avec un coutelas, et servent après être guéris à faire des messages) ». Suit une longue description du processus qui aboutit au sucre « que nous appelons Moscovade grise ou Sucre des Isles non atteré, laquelle pour être de la bonne qualité, il faut qu’elle soit d’un gris branchâtre, sèche, la moins grasse, & qui sente le moins le brûlé qu’il sera possible. Cette Moscovade est la base & la matière de quoi on fait toutes les différentes sortes de sucres que nous vendons. Pomet décrit ensuite Cassonnade, Sucre de sept livresSucre Royal, Sucre Rouge, Sucre Candi blanc, Sucre Candi roux, Alphoenix ou Sucre tort ou Epenides, Sucre Rosat… »
Le Livre III de Pomet est consacré aux bois qui, suivant M. Grew, n’est autre chose qu’une infinité de forts petits canaux, ou de fibres creux, dont les uns s’élèvent en haut & se rangent en forme d’un cercle parfait & les autres, qu’il appelle Incertions, vont de la circonférence au centre. Pomet décrit alors de très nombreuses parties de plantes , en particulier le bois d’Aloès, l’Aspalath, les Santaux, etc…, le Gayac, le Cèdre du Liban et l’Oxicedre. C’est de dernier qui est illustré ici selon le dessin de l’ouvrage de Pomet. C’est un arbre dont il y a trois espèces, qui ne diffère que par la hauteur de l’arbre, ou par l’épaisseur des feuilles. Ces arbres sont ordinairement tordus, noueux, chargés de feuilles longues, piquantes, & toujours vertes, principalement en hyver, après lesquelles naissent des fruits de la grosseur du Bruscus, verts dans leurs commencements, & qui plus ils meurissent, plus ils deviennent rouges…On tire du bois d’Oxicedre par le moyen du feu, c’est à dire par la cornue, une huile noire, laquelle étant rectifiée, peut être appelée Cedria ou huile de Cade…La véritable huile de Cade ou Cedria est admirable pour guérir les dartres vives & farineuses, la galle des chevaux, boeufs, moutons, & autres bestiaux. La dose est depuis deux gouttes jusqu’à six.
Le Livre quatrième traite des écorces, c’est à dire la première, la seconde ou la troisème enveloppe du tronc d’un Arbre, laquelle nous vient naturellement comme elle a été tirée des Vegetaux, comme pourrait être le Kinquina, l’Ecorce de Mandragore, & mondé de de sa première peau, comme la Canelle, la Cassia Lignea, & autres semblables. Ainsi, je commencerrai ce présent Traité par l’Arbre qui porte la canelle, tant à cause de sa grande consommation que nous faisons de la seconde écorce, qu’à cause de ses grandes propriétés.
La Canelle, que les Anciens ont appelé Cinamone, est l’écorce du milieu des branches d’un arbre qui croît de la hauteur des Saules, qui a des feuilles si semblables au Folium Indum, qu’il n’y a qui que ce soit qui en pourrait faire la différence d’un premier abord… Pomet décrit ensuite l’huile de canelle, l’eau de canelle, le sirop de canelle et considère que la Canelle est propre pour fortifier le cerveau, le coeur, l’estomach, pour résister au venin, pour chasser les vents & pour aider à la digestion. Parmi les autres plantes qui fournissent des écorces, Pomet cite bien sûr le Kinquina, ou Quina-Quina, Ecorce du Pérou, ou écorce contre les Fièvres. Pomet raconte : »Comme je n’ai jamais été au Pérou pour pouvoir parler juste des arbres qui portent le Kinquina, j’ai eu recours à M. Bernard, Ordinaire de la Musique du Roy, qui est un fort honnête homme & fort curieux pour la connoissance des simples, lequel m’a bien voulu donner une description du kinquina, qui lui a été donnée par M. Rainssant, Médecin de la ville de Reims, qui l’avoit eu d’un de ses amis nommé Gratien, qui avoit demeuré vingt ans en Portugal, & qui avoit fait plusieurs voyages aux Indes et au Pérou… ». Pomet décrit ensuite le quinquina et précise que cette écorce fut premièrement apportée en France en 1650 par le Cardinal de Lugo Jésuite, qui l’avoit apporté lui-même du Pérou, & cette écorce a eu tant de vogue en France, qu’elle s’y est vendue au poids de l’or…Le Kinquina est chaud, dessicatif, incisif, vermifuge, mais son plus grand usage est pour les fièvres, principalement dans les fièvres intermittentes.
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SUITE DE L’EXPOSITION
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* Alexiphormaque : Se dit des remèdes qui expulsent du corps les principes morbifiques, ou qui préviennent l’effet des poisons pris à l’intérieur (Dictionnaire Littré) | ||
a)Cette exposition montre des illustrations de l’édition de 1735, éditée par Pomet fils.
b. b) D’après Guitard, RHP, 1936 |