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Pharmacie et poésie (3)

 

 Exposition temporaire :

Pharmacie et poésie
(Illustrations de l’ouvrage de L.-G. Toraude, les Galéniennes, 1919)

 

 

1° partie : la pharmacie et les poètes au temps de Ronsard
2° partie La pharmacie et les poètes sous Henri IV
3° partie : la pharmacie et les poètes sous Louis XIII et Louis XIV

 

 La pharmacie et les poètes
sous Louis XIII et Louis XIV*

 

Illustration de l’ouvrage de Toraude, les Galéniennes, 1919

Si l’apothicaire CONTANT était aimé de Polymnie, la plus poétique des Muses, son confrère de Salins, Maginet , ne semble pas avoir été aussi heureux malgré les avances qu’il prodigua à la belle. Pourtant les vers de Pierre Maginet ont une allure nettement plus moderne que ceux de son prédécesseur : il est vrai qu’ils sont de date plus récente, ayant été imprimés à Lyon en 1623, sous le titre éminemment pharmaceutique de Thériaque française.  C’est uniquement pour des fins pédagogiques et mnémotechniques que Maginet a rimé les diverses recettes de la thériaque, afin de servir, dit-il, de « facilité aux apprentis ».

Avant de quitter ses élèves, il exprimera, dans une belle envolée, la noblesse du rôle qu’ils ont choisi :

Heureux Pharmacien, que Dieu a fait exprez
Pour luy communiquer tant de braues secrets,
Et qu’il a estably pour ministre fidelle
De tout ce qu’il a fait pour la race mortelle,
…Puique rien n’est icy que ton art ne pratique
Et qui ne soit sujet à l’œil de ta boutique ;
C’est pourquoy tu dois estre en tout universel,
Cognoistre le bon pain, le bon vin, le bon sel,

Le miel hymethean, et tout ce que peut estre
Sur la terre, puisque Dieu t’en a fait le maistre,
Tu dois cognoistre tout, puisque tout est l’object
De ton art, et que tout à ton art est subjet.

Cette pièce est à rapprocher, d’une part de l’Ode à la pharmacie de Paul Contant, d’autre part des conseils en prose que Jean de Renou  avait donnés quelques années plus tôt à ses futurs confrères, au début de ses Œuvres pharmaceutiques.

Un « gentilhomme Bourguignon », le sieur d’Estenod, envoya de chaudes félicitations rimées à notre poète, et suivant la coutume, on imprima ces stances thériacales au seuil du volume :

 

Un tel  vipère ainsi mis en vers, de chasque homme
Te rend plus honnoré
Que celuy qui pippa Adam par une pomme
N’est de nous abhoré.
D’une vipère qui jadis, ce premier Père,
Une exécrable mort,
Mais toy tout à l’envers tu tire du vipère
La vie et le confort.

 

Une composition de A. Bonamy : l’Odyssée des Mortiers « Nez retroussé, jupon levé, mines mutines… »
Une composition de Léon Grimbert : Les Examens « De l’alambic distillatoire, J’ai contemplé le cuivre et l’ai même astiqué ! »

 

 

 

                

Illustrations de l’ouvrage de Toraude, les Galéniennes, 1919

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ce n’est pas du tout pour nous « conforter », ni pour éduquer la jeunesse ou pour exalter la pharmacie que Louis de Fontenettes publie en 1654 à Paris son Hippocrate dépaïsé.

Celui-ci  est médecin, formé à Montpellier, puis établi successivement à Poitiers et à Montmorillon. Son « dada » est exactement le même que celui de Sonnet de Courval. Ami de Gui Patin, il bataille contre les iatro-chimistes et son poème n’est qu’un truculent pamphlet contre le novateur exécré, contre Paracelse :

Le contraire, qui mal produit,
Est par son contraire détruit ;
Quoy qu’autrement sur ce résoude
Le mauvais Suisse haussant le coude,
Que l’Enfer, pays de tisons,
Vomit non trop loin des frisons,
Pour détruire dame Nature,
Et pour la mettre à la torture,
Arrachant tripes et boyaux
Par ses corrosifs minéraux ;Par antimoine, par salpestre,
Qui n’épargne ny Roy ny Prestre ;
Par vitriol, par argent vif,
Qui rime, et s’incorpore à suif,
Qui ronge et chansit ses moüelles
Et fait chanceler les cervelles :
Son  ame sortant de l’Enfer
Presque avec celle de Luther,
Passa par ces diables de mines,
Sur qui dragons font gardes fines,
Et le diable son protecteur,
Qui fut de ses livres autheur,
Et de ses elixirs manœuvre,
Luy fit ses poisons mettre en œuvre.

Nous n’avons pas à discuter ici les opinions scientifiques communes à Courval et à Fontenelles. La question est tout autre : il s’agit de la qualité de leur verve poétique. Or comment ne pas admirer, en lisant leurs strophes et celles de leur contemporain Paul Contant, le réalisme de leurs descriptions, la précision de leurs images, la virulence de leurs expressions et de leur style ? Comment ne pas voir le formidable contraste qui existe entre cette poésie et la  poésie « officielle » de l’époque, celle des Racine, des Boileau, des La Fontaine, même des Molière ? Ecoutez Racine lui-même, essayant sa lyre en 1689, sur un thème tout à fait analogue, puisqu’il s’agit de vanter les mérites du quinquina :

Nulle liqueur au quina n’est contraire :
L’onde insipide et la cervoise amère,
Tout s’en imbibe : il nous permet d’user
D’une boisson en tisane apprêtée.
Diverses gens l’ayant su déguiser,
Leur intérêt en a fait un Protée.
Même on pourrait ne le pas infuser :

L’extrait suffit …

Compositions de A. Bonamy sur le thème « La Pharmacienne (Conte moderne) » « Enfin, ce fut à moi, j’avançai, confondu »
Compositions de A. Bonamy sur le thème « La Pharmacienne (Conte moderne) » »Et pour la femme, – ô rôle auguste ! -, la famille ».

 

 

 

Illustrations de l’ouvrage de Toraude, les Galéniennes, 1919

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La formule classique s’appliquait peut-être à merveille à la tragédie, -« renouvelée des Grecs » comme le jeu de l’Oie-, mais les sujets comme celui qui nous occupe ne pouvaient vraiment pas s’en accommoder. Le quinquina ne convenait pas au tempérament de Racine.

Et pourtant, nous venons de le voir, la pharmacie avait été une excellente inspiratrice de la poésie, mais d’une autre poésie, de celle des Lespleigney, des Contant, des Maginet, héritiers directs de Villon et de Ronsard, « mainteneurs » des « lois d’amour » de nos vieux poètes français. Grâce à eux, ce grand courant indigène a traversé tout le XVIIe siècle sans se mêler au classicisme officiel, de mode à la cour, sans attirer plus tard l’attention des historiens de la littérature aveuglés par l’éclat de l’autre. Il aboutit tout droit au romantisme et au réalisme : nos apothicaires, rimeurs sans prétention du Grand siècle, sont les ancêtres directs d’Hugo et de Baudelaire.


Illustration de l’ouvrage de Toraude, les Galéniennes, 1919
D’après E.H Guitard, Les Annales Coopératives Pharmaceutiques, Janvier 1938

 

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