Exposition temporaire :
Pharmacie et poésie
(Illustrations de l’ouvrage de L.-G. Toraude, les Galéniennes, 1919)
1° partie : la pharmacie et les poètes au temps de Ronsard
2° partie La pharmacie et les poètes sous Henri IV
3° partie : la pharmacie et les poètes sous Louis XIII et Louis XIV
La pharmacie et les poètes sous Henri IV
Parmi les poètes qui évoquent la pharmacie sous Henri IV on peut citer Thomas Sonnet de Courval, sieur de La Pinsonnière, né à Vire en 1577, où il exerça la médecine après l’avoir étudiée à Caen. Mais c’est surtout Paul Contant, le bon apothicaire poitevin, qui va nous intéresser ici. Né à Poitiers vers 1585, Paul Contant était le fils de Jacques qui, comme lui avait été, tout à la fois : et « Contant » et apothicaire, et huguenot, et collectionneur, et poète. Il n’est pas indifférent de savoir que Paul Contant possédait, annexé à son officine, un très riche cabinet d’histoire naturelle. C’est en effet cette condition qui lui a inspiré son premier et charmant poème, le Jardin et Cabinet poétique, imprimé pour la première fois en 1609 et incorporé en 1628 dans les œuvres complètes du père et du fils.
C’est l’époque où la pharmacie, se détachant des arts voisins, prend conscience de sa personnalité et de sa valeur. Et tandis que Jean de Renou rédige, en sa pharmacopée, les nouveaux statuts moraux et scientifique de la profession, Paul Contant, en tête de son Jardin poétique, lui dédie une ode étincelante :
Assez vrayment on ne te prise.
O Pharmacie, qui transmise
Fus du ciel aethéré ça-bas.
Quand Jupin, le haut-tonnant père,
Voulut retarder nos trespas.
Tu es la garde seure et ferme
De tout homme, veu que le terme
De ses brefs jours vas alongeant,
Tu remets ès membres la force
Qu’une langueur perdre s’efforce
Et les va sans cesse rongeant.
Sans toy, heureuse Pharmacie.
Au tombeau cherroit nostre vie.
Comme elle fit premièrement :
Sans toy encore toute la race
Des hommes en bien peu d’espaces
Se periroit totalement.
Ainsi que durant la nuict brune
Au ciel on void luire la lune
Entre tous les autres flambeaux :
Reluire on void tes excellences
Escrites en maints livres beaux.
Mise en musique cette ode aurait pu devenir la Marseillaise de la pharmacie et on l’aurait entonnée en chœur dans les congrès, comme la Coupo Santo de Mistral après les banquets félibréens… Mais vous avez certainement fait en la lisant des réflexions beaucoup plus sérieuses. Vous avez remarqué combien son inspiration et sa forme la rattachaient à l’école de la Pléiade : allégories, allusions mythologiques, mots fabriqués (« le haut-tonnant père »), inversions et rejets, cadence générale archaïque.
Vous aurez la même impression en lisant la description de l’herbier que Paul Contant conserve chez lui :
Je chante un beau jardin qui ne craint la froidure
Des gelez aquilons, le temps ni son injure,
Mais qui tout verd, tout guay, tout riant et tout beau*
S’éternise en mes vers en despit du tombeau.
Et il y a un mot ou plutôt un quatrain aimable, pour chaque plante :
Et toy, celeste fleur toute mignardelette,
Toy, printanière fleur, flairante violette,
Symbole des amours, ah ! je voy que tu veux
De l’esmaillé jardin anneler les cheveux.
Dans un autre poème, le Second Eden, Contant imagine qu’Adam et Eve, chassés du paradis terrestre, furent obligés de créer, à la sueur de leur front, un autre jardin : après y avoir planté toutes sortes d’arbres et herbes médicinales, Adam, doué du sens prophétique, passe en revue les botanistes de l’avenir : en premier lieu Salomon, puis les Grecs et les Romains, puis Mathiole commentant Dioscoride :
Je voy le Siennois qui par son commentaire
De Pedace, donna la cognoissance claire
Des plantes dont le temps aura rongé le nom,
Et par maints jours passés effacé le renom,
Puis Ruel et Pena, et ce docte Gartie
Grand médecin du roy de la gemmeuse Indie,
Rondelet et Lobel, Acosta, Monardès,
Dodonée, Gesner, Fusch, Daléchamp après
Anguillare, Tragus, et Cordus, et l’Escluse.
C’est non seulement de la pharmacie, mais encore de la bibliographie en vers ! et l’on comprend que les agrégés des lettres, qui rédigent les manuels de littérature, aient été rebutés par la technicité d’un tel sujet.
Évidemment, l’apothicaire Contant ne fut pas un poète original, mais il n’en a pas moins été un vrai poète. Et nous l’approuvons d’avoir adopté pour devise ce fier octosyllabe, qu’on peut lire au pied des gravures de son Cabinet poétique (voir illustration) : Du don de Dieu, je suis Contant.
D’après le texte de E-H Guitard, Les Annales Coopératives Pharmaceutiques, Décembre 1937