Petite histoire de la pilule(d’après une série d’articles de E.H. Guitard dans les Annales Coopératives Pharmaceutiques, juin-juillet-août 1936)
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Ancien pilulier système allemand. Flacon de feuilles d’argent et boite à argenter. Boite à dorer et pilules dorées (F.E. Ducommun, 1973)1 |
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Le mot pilule1 a d’innombrables synonymes. Et d’abord le plus ancien, qui est peut-être « trochisque », mot d’origine grecque qui marque la forme sphérique : Oribase, au VIe siècle, en signale plusieurs sortes. Au Moyen-âge, on en absorbe d’apéritifs, d’altérants, de purgatifs, de confortants, mais les plus célèbres sont trochisques de vipères, sortes de concentrés de thériaque en boulettes qu’on faisait sécher à l’air et que Venise exportait dans l’Europe entière. Le fameux Mésué ayant décrit les trochisques comme des « pilules sublingues » qu’on doit faire fondre dans la bouche, nous en pourrons conclure qu’à son époque, et aussi postérieurement, cette forme pharmaceutique correspond aux « pâtes » du XX° siècle. AZ partir du XVIII° siècle, il n’y a plus guère que les charlatans pour « cacher, comme dit l’Encyclopédie, sous ce voile, la violence et l’acrimonie de leurs préparations infernales ».
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Les véritables ancêtres de nos pilules seraient plutôt les catapotia, -encore un mot grec, et qui désigne de façon précise ce qu’on avale d’un coup. Pilula est au contraire un mot latin, dérivé de pila, petite balle. Mais les Grecs employaient encore le mot trachema (de trakeïn, manger) dont nous avons fait dragée, et les Romains disaient aussi rotulae, placentulae, orbes, orbiculi, pastilli. Comme Mésué, comme tous les Arabes, Rhazès recommande de dessécher les sucs d’herbes, d’en former des robs, ou un magdaléon (pâte pétrie de bonne conservation), qu’on divisera au fur et à mesure des besoins en pilules, en prenant soin d’enrober dans du plantain celles qui auraient trop mauvais goût. En effet, la véritable raison d’être des pilules, à des époques où on ne savait guère les doser, c’était de faciliter l’absorption de médicaments désagréables au goût. Autrefois comme aujourd’hui, le malade l’envoyait promptement dans son estomac ainsi qu’en témoigne cette sentence cueillie dans l’album de Boming, apothicaire allemand du XVII° siècle : « Les injures sont comme les pilules : on doit les avaler, non les mâcher ». |
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Héritière des Arabes, l’école de Salerne allait mettre à la mode « les glorieuses » (pilulæ gloriosæ regis Silicæ Rogerii II) et les « Sine quibus » (pilulæ sine quibus esse nolo – celles dont je ne puis me passer », composées d’aloès de rhubarbe et de séné). Moyse Charras préconise encore ces dernières pour la pituite ; il signale aussi la vogues des mercuriales (rhubarbe, mercure et térébenthine – contre la syphilis, naturellement) et des larmes au sang de dragon « ad sistendam gonorrheam », mais il ajoute honnêtement : On ne doit pas chercher des Dragons morts ni vivans, pour en avoir le sang pour la composition de ces Pilules, puisque les larmes icy ordonnées qu’on appelle de Sang de Dragon, sont la gomme d’un grand arbre qui croist dans une des Isles Canaries nommée Port-Saint, qui produit un fruit fort semblable à une Cerise, ayant au-dessous de la tunique qui le couvre, la figure d’un Dragon aussi bien représentée que si elle avoit été taillée par un Sculpteur, ayant un long col, une longue queuë, la gueule ouverte, l’épine du dos garnie de longs aiguillons, et les pieds et le reste du corps fort remarquables. |
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Les pilules cochées (pilulæ cochiæ), à base d’aloès et de coloquinte ont une place d’honneur dans le fameux Regimen sanitatis. Au XVIe siècle, les « pilules » sont si en faveur que Brasavola leur consacre un volume entier présenté sous la forme d’Examen dialogué (Lyon, 1545). A la même époque, les physiciens astrologues conseillent de les préparer pendant la conjonction de Jupiter et de Vénus, et les iatrochimistes inventent les pilules de Schroeder, à base de tartre, et les pilules d’antimoine ou perpétuelles, fort économiques pour le client, qui les « rendait » à l’apothicaire après les avoir prises…en location : une seule, a-t-on fait observer, suffit à purger par haut et par bas une armée entière ! |
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Pendant l’automne de 1642, Richelieu malade eut recours aux pilules de Le Fèvre, qui ne l’empêchèrent point de mourir le 4 décembre et lui valurent cet épigramme anonyme : | ||
La pilule estant, comme la terre, ronde, Sa figure excita ses appétits altiers Et, n’ayant pu manger la terre par quartiers Il crut, en ce moment, avaler tout le monde ! |
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M. le Dr Lemay a conté dans le Courrier Médical l’histoire des pilules d’aloès et gomme-gutte lancées par le médecin Hollandais Bontius vers le milieu du XVIIe siècle et modifiées plus tard par le médecin de Charles Ier d’Angleterre, Anderson, sous le nom duquel elles devaient connaître une vogue étourdissante. Il est vrai qu’elles furent fort habilement lancées et constituent l’un des prototypes de la spécialité pharmaceutique, avec prospectus et conditionnement alléchants : le cachet qui figurait sur les boites de ces véritables pilules Ecossaises ou blé des anges, présentait l’image d’un lion rampant sur champ d’azur avec la tête du Docteur Anderson, ronde comme une pilule. |
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Voici ici un bref échantillon du Jardin de la Santé paru à Avignon en 1702 et dans lequel Théodore Desjardins célébrait ses Pilules divines, qu’il avait tirées directement… de la Bible : « Je commence à vous parler imperativo modo, et vous fais remarquer, ex-professo, que ce divin remède est conforme aux Loys de nôtre Médecine, et nos Loys au remède ; mais que ni l’un ni l’autre ne sont observez. C’est icy le remède de toutes les saisons, pour toutes les maladies…Ses qualitez sont étonnantes, il va d’intelligence avec la nature, il engraisse et amaigrit selon le besoin, et la complexion de la personne comme s’il avait raison, il excite les sueurs et les arrête ; il digère et ramolit ; il incarne et glutine ; il résout et meurit ; il ouvre et resserre, il épaissit et atténue,… il purge et constipe. …J’ai trouve · J’ai trouvé le secret de renfermer ce précieux remède si efficace, et si salutaire en petit volume soûs la forme d’une pilule trez facile à prendre sans être enveloppée, ayant un surtout d‘Or fort agréable à voir, et un fond qui surpasse tout ce que l’on peut dire. Je prétens l’apeller « la pilule divine » … Cum veniunt rebus nomina saepe suis …Mais comme c’est la Médecine des Roys, des Princes et des Monarques, des gros Seigneurs et des hommes puissants, tant à. Cause de sa rareté, que de sa charté, qui est d’un Louis d’or, la prisse qui ne consiste qu’à une seule pilule, je ne la donneray aussi que dans de grandes maladies, et pour de grands motifs et, à tous ceux enfin qui la voudront payer. Après de tels boniments, étonnez-vous qu’en Allemagne, on en vienne à désigner les charlatans sous le sobriquet de Pillenœrzte (médecins aux pilules) et que dans les vaudevilles français les garçons apothicaires s’appellent communément La Pilule ! La pilule devait connaître, à la fin du XVIIIe siècle, une vogue éblouissante, vogue qui fut exploitée avec un brio tout particulier par les Anglais. Après les pilules d’Anderson (dont nous avons goûté … la littérature), après les pilules analeptiques de Rob. James, ils lancèrent celles de Parr, dites « de longue vie ». Thomas Parr, si l’on en croit le prospectus (et les clients le crurent), avait légué la recette de son remède à ses descendants par le .précieux testament qu’il avait dicté en 1630, à l’âge de 147 ans : il la tenait lui-même d’une sorcière. Une vignette du prospectus nous montre Thomas Parr rendant visite à un autre vieillard Jenkins, et échangeant avec lui des souvenirs de jeunesse … remontant au XVe siècle (fig. 1). Jenkins, mis dans le secret, devait vivre t69 ans. Quant à Parr, après s’être remarié à 120 ans, il eut le tort d’aller à la cour, où il bambocha à tel point qu’il mourût «prématurément» dans sa 153e année. |
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D’autres pilules de longue vie attribuaient leur vertu aux patientes recherches d’un vieil alchimiste, « le prieur de Schanté », alors qu’elles résultaient des efforts commerciaux d’un charlatan strasbourgeois nommé G.-A. Schanté (1856). |
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Le prieur de Schanté préparant le rob de ses pilules. (D’après un prospectus de 1856 des pilules de Schanté)
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Les « pilules Vespérides » d’Hébert (1844), qui devaient être avalées vespéralement en vue d’une action matinale, avaient arboré une fière devise : « Le Ventre Libre ! » Les « pilules végétales gourmandes » de Cauvin (1864) étaient conditionnées dans du papier rose portant, en signe de victoire, l’image de l’Arc de Triomphe. Pour sacrifier à l’actualité politique, elles s’accompagnaient d’un texte polonais, tandis que celles de Bouloumié baragouinaient l’espagnol et celles de Delacroix le grec de Démosthène (Indika Katapotîa tou doktôros Delakroya !) (I86S)· Plus récentes les « dragées toni-purgatives de Dubuis » (I870) – de leur vrai nom : tsan-pata-tching – font appel au vocabulaire chinois et leur manager ne trouve pas de termes assez énergiques pour flétrir tous les autres médicaments « que la spécialité, disons le mot : la spéculation, a fait naître ». En même temps un Allemand faisait distribuer par milliers des livres de psaumes au milieu desquels on trouvait inopinément lire ceci en tournant une page : Paix sur cette terre aux hommes de bonne volonté, mais seulement grâce aux pilules Becham : deux pour les adultes, une pour les enfants ! Arrêtons prudemment le palmarès à cette date et jetons maintenant un coup d’œil sur la fabrication des pilules aux diverses époques. M. Edmond Leclair, qui a étudié la question affirme que jusqu’à la fin du Moyen-Age les pilules n’étaient point dosées. Le médecin, après avoir indiqué la qualité et le poids des ingrédients à pétrir ensemble, ajoutait les mots : fiat massa, et dans cette masse, aplatie sur le comptoir, l’apothicaire découpait un nombre indéterminé de « pilles », comme dit l’Antidotaire Nicolas. Les petits cubes irréguliers séparés de la sorte par le couteau, étaient arrondis par un écrasement giratoire sous la paume de la main. D’après Bauderon (1661) les pilules qui devaient être consommées tout de suite se préparaient avec « eau distillée, vin, suc ou décoction convenable à la base », et celles qu’on voulait conserver, avec du miel rosat, de l’oxymel, du sirop, ou liqueur et gomme. « La masse se doit former les mains ointes de quelque huile doux, et l’envelopper de peau blanche non teinte ou parchemin blanc aussi engraissé, afin de bien boucher les pores d’icelle, que l’air ambiant ne dissipe la vertu. » Parfois aussi (ô hygiène ! ) on soufflait, affirme Baumé, sur la masse et on la mouillait de salive pour l’amollir ! Le Pilulier, dans sa forme la plus rudimentaire, semble avoir été inventé seulement vers la fin du XVIIe siècle, car en 1641 encore Schrœder ne parle que d’une planche (tabula) sur laquelle on roulait les magdaléons avant de les diviser à l’aide du couteau ou des ciseaux. Les premiers piluliers décrits par Baumé et dont nous possédons des spécimens en bois, ivoire, cuivre et argent, ont la forme de réglettes plates dont les arêtes sont découpées en dents de scie (fig. 2). L’apothicaire roulait d’abord sa pâte en forme de bâtonnet ; puis il enfonçait légèrement les dents du pilulier dans ce cylindre : les creux imprimés par cette petite opération facilitaient et surtout régularisaient le travail du couteau, les dents pouvant diviser elles-mêmes la masse d’un seul coup. |
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Au XVIIIe siècle on inventa en Allemagne un pilulier plus compliqué formé de deux volets de bois dur, en forme d’éventails et creusé de gorges dont la largeur variait suivant la grosseur qu’on désirait donner aux pilules séparées par leur glissement, puis roulées par le va-et-vient du système. | ||
Piluliers : En haut : 2 piluliers-scies en bois et 1 en ivoire; En bas : 2 piluliers-éventails en buis |
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En 1841, La Pharmacopée raisonnée d’Henry et Guibourt décrit un instrument p1us pratique encore composé de deux pièces : La première, AD, est une tablette de bois, munie de chaque côte d’un rebord peu élevé BB ; sur cette tablette se trouve fixée, vers les deux tiers de sa longueur, une règle d’acier CC, épaisse de quelques lignes, et creusée de 36 demi-cylindres parallèles et tangents, et dont, par conséquent, les bords forment couteau. La partie A de la tablette est bien dressée, et c’est dessus qu’on allonge, en la roulant, la masse pilulaire, en un cylindre qui contient autant de parties de la pièce de fer C, qu’on veut former de pilules. La partie D, qui suit la pièce C, est creusée de quelques lignes, et est destinée a recevoir et contenir les pilules à mesure qu’elles se trouvent roulées. La seconde pièce du pilulier se compose d’une règle d’acier EE semblable à la première, et fixée sur un manche en bois F. F. Le dos de cette pièce peut servir à allonger la masse pilulaire, placée sur la tablette A, comme il a été dit, ensuite, la masse étant placée sur la règle CC, on pose et on appuie dessus la règle EE, et cette masse se trouve coupée en autant de parties qu’e1le occupe de divisions. On roule chacune de ces portions entre les doigts, de manière à la rendre bien sphérique, et on la jette dans la capsule D, où se trouve une petite quantité de poudre de lycopode, de réglisse, de guimauve, ou de telle autre prescrite. Cette poudre s’attache autour des pilules, et prévient leur adhérence réciproque. |
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Pour, rouler les pilules autrement qu’avec la main. pour les dorer et les argenter, on les mettait parfois, au temps de Baumé, dans une boîte en bois de forme ronde, avec, s’il y avait lieu, des feuilles d’or et d’argent, et on agitait en tous sens. En 1848, Viel, pharmacien, à Tours, inventa un « pilulier à rotation » dérivé de ce principe et en 1850, le Journal de Pharmacie et de Chimie décrit un appareil composé de deux plateaux ronds et tenus en mains par une bride : on les fait tourner l’un contre l’autre et l’on arrive à «rouler 200 pilules en moins de 5 minutes ». A cette époque, apparaissent, dans la pharmacie, les pastilles qui, dans l’antiquité, étaient du domaine de la parfumerie, et les dragées, qui auparavant, appartenaient à la confiserie et de ce fait étaient vendues par les apothicaires. Au Moyen-Age, les dragées étaient des fruits confits, graines, racines ou écorces, parfois fortement épicés que l’on enrobait de sucre et que l’on croquait de préférence h la fin des gros repas, pour se donner soif : Hanz Falz, maître chanteur de Nuremberg, les a célébrées dans son Liber collationum. |
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Une timide apparition des dragées dans la pharmacie nous est signalée par l’Encyclopédie du XVIIIe siècle qui cite les « dragées de Kayser » ou pilules mercurielles. Mais en 1841, la Pharmacopée de Guibourt considère les dragées comme une variété de pilules. Au reste, les pilules gélatinisées, kératinisées, etc., qui apparaissent à cette époque ne sont-elles point des dragées dont le sucre a été remplacé par une autre substance ? En revanche, Guibourt ignore encore les comprimés, qui, en 1870, deviennent communs en Angleterre, en Suisse et aux Etats-Unis. Le comprimé a aujourd’hui fait disparaitre vieille dame Pilule. Comme tous les jeunes, pourtant, il dut lutter avant de vaincre. Rapporteur à l’Exposition de 1878 où l’on présentait pour la première fois au public cette nouvelle forme pharmaceutique, Eusèbe Ferrand n’avait-il pas solennellement déclaré qu’en France elle n’obtiendrait jamais le moindre succès ? En revanche le terme pilule est (re)devenu célèbre avec la contraception et ce qu’on a appelé la « pilule », et plus récemment encore la « pilule du lendemain ». |
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1. « Longtemps, on s’est posé la question : De quand datent les pilules ? On les croyait de fabrication récente, c’est à dire de quelques siècles. Eh bien non, elles ont presque deux millénaires. C’est dans une nécropole yougoslave datant du Ier siècle après J.-C. que l’on en a découvert quelques unes » (F.E. Ducommun. Alambics, Chevrettes, Balances. Roto-Saldag S.A., Genève, 1973) |