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La Petite Pharmacie ou Les Remèdes Infaillibles de l’Abbé Perdrigeon

 La Petite Pharmacie ou Les Remèdes Infaillibles de l’Abbé Perdrigeon

Un bel exemple de remèdes secrets

 

 

 Documents publicitaires des années 1880-1890
 

Dans une période, la fin du XIXe siècle, où les spécialités pharmaceutiques (remèdes secrets) ont du mal à trouver leur place dans le panorama pharmaceutique français, les catalogues de la Petite pharmacie de l’Abbé Perdrigeon sont révélateurs à plus d’un titre d’une période charnière : tout d’abord le rôle du clergé dans l’exercice illégal de la pharmacie a été un combat permanent tout au long du XIXe siècle et se traduit ici par le fait que l’Abbé Perdrigeon a dû faire appel à un pharmacien pour légaliser son activité. On voit bien ici que ce rôle du pharmacien Lacour est le plus discret possible. Le deuxième aspect emblématique est la présence de nombreux remèdes secrets : aucune formule n’est explicitée, sans parler de la justification des propriétés thérapeutiques revendiquées. On est dans l’empirisme et le recours au témoignage des patients, attestations imprimées en fin de prospectus.

Qui était l’Abbé Perdrigeon ? Comme on peut le voir plus loin, il était né à Bourg-Argental le 11 juin 1822. Curé de Versigny dans l’Oise en 1864, il publie le « secret de Dardelle » pour la guérison du Charbon et de la pustule maligne. « Sans souci ni préoccupation de la rationalité du remède, nous nous sommes laissés enthousiasmer uniquement par le spectacle des services immenses qu’il a déjà rendus… » On voit donc qu’il s’intéresse dès les années 1860 à l’exercice de la pharmacie et de la médecine. Mais c’est lors des guerres de Napoléon III que l’Abbé Perdrigeon s’oriente vraiment vers la pharmacie. Il sélectionne les meilleurs remèdes pour soigner les soldats. Il est élevé au rang de Chevalier de la Légion d’Honneur  pour ses travaux à l’occasion de l’Exposition universelle de 1867. Les produits de l’Abbé Perdrigeon apparaissent au plan commercial vers 1875 et la fabrication et la vente de ces médicaments commencent à Vayres en 1879 : le coricide souverain, les cachets de fluorosphol, l’Elixir des anciens moines… Seul le Contre-coups de l’Abbé Perdrigeon subsiste aujourd’hui (il est commercialisé actuellement par le Laboratoire Pionneau, à Vayres). On peut lire dans la brochure ci-dessous que l’Abbé Perdrigeon était également « Restaurateur de la splendide église de Versigny; Promoteur de la fondation à perpétuité du service médical gratuit en faveur de tous les pauvres de cette commune et réalisée par ses soins; Organisateur de plusieurs bureaux de bienfaisance et d’une école gratuite; Lauréat de la société d’encouragement au bien, à Paris; Inventeur de la Baratte rationnelle médaillée à l’Exposition; Créateur de la Méthode mécanique de lecture rêvée par Saint Jérôme pour les Enfants de Paula, etc, etc. ; ancien curé de Vayres ».

 

 
Le premier document que l’on voit ici a été publié dans les années 1870, avant la mort de l’Abbé Perdrigeon. Nous verrons plus loin la version postérieure à sa mort en 1888. Pour ce premier document, on peut voir une liste assez longue de spécialités :

 

 

  • L’Unique Vraie Toile Souveraine des Anciens Moines
  • Le Véritable Contre-Coups du baron de Malter
  • La Liqueur de Saint-Vincent (anti-cholérique)
  • La Poudre Admirable de M. de Prognier
  • Les Capsules de Poudre de Prognier
  • Pilules Sympathiques et Réparatrices
  • Les Billes Geri de Poren
  • Elixir Végétal des Anciens Moines
  • Amer Suédois, réparateur et conservateur de la santé
  • L’Onguent Souverain pour tous les maux
  • L’Onguent pour les yeux
  • L’Esprit Carmélitan, dentifrice imcomparable
  • Baudruche perforée au Contre-Coups
  • Remède L. Lacour contre la tuberculose
  • Capsules gélatineuses vides
  • La Mélissine Sauve-Vie, supérieure à toutes les eaux des Carmes
  • Le Dolorifuge L. Lacour
  • Le flacon pour faire l’Anisette extra
  • Le flacon pour faire la liqueur de Vayres
  • Papier Ozonisateur
  • Lotion moderne pour les cheveux
  • Dentifrice moderne
  • Poudre Ozonisatrice

spécialités auxquelles il faut ajouter les produits hygiéniques : poudre de riz, eau du matin, rosée végétale, etc.

 

 

 

 

 

L’Unique Vrai Toile Souveraine des Anciens Moines : On peut penser que l’Abbé Perdrigeon avait mis au point cette sorte de sparadrap à partir de ce qui était connu sous le nom de Toile miraculeuse ou toile souveraine dont wikipedia nous donne la définition suivante : La Toile miraculeuse, aussi connue sous le nom de Toile Souveraine ou de « Toile du curé de Certilleux », est un ancien remède médical. A l’origine, la pommade souveraine figurait au codex des pharmaciens. Tombé dans l’oubli, ce remède fut transmis aux moines de Morimond par leurs confrères de Nuremberg. A la Révolution française, avant de fuir leur abbaye, les moines haut-marnais révélèrent leur secret au grand-père du futur abbé Bertrand, curé de Certilleux dans les Vosges. Ce dernier améliora le remède en y incorporant de la résine du Pérou, bien connue pour ses vertus cicatrisantes. Il allongea ensuite cette pommade sur une toile de coton pour en faire un pansement facilement utilisable : la toile souveraine était née. Victime de son succès, l’abbé fut convoqué devant le tribunal correctionnel de Neufchâteau en 1904 pour exercice illégal de la médecine. Acquitté, sa renommée dépassa très vite les frontières françaises ; de nombreux malades venaient chaque jour le consulter dans son presbytère. Par la suite, la Toile fut fabriquée et vendue par les Établissements Husson à Blevaincourt par Rozières-sur-Mouzon. Toutefois, un dernier procès en 1981 mit officiellement un terme à sa production et à sa commercialisation. Le principe actif du pansement, le minium (oxyde de plomb), était au cœur de la controverse : il avait notamment empoisonné des nourrissons dont les mères soignaient les gerçures de leurs seins avec la Toile (Source : Wikipedia).

 

 

 

 

 

 

 

Quant au « Contre-coups », ce produit qui existe encore est composé de colophane,d’encens, de myrrhe et d’aloès. La dénomination  complète du produit était « Le Véritable ou Fameux Contre-Coups de l’Abbé Perdrigeon, seul possesseur de l’unique recette authentique du Baron de Malter, son ancien paroissien et ami. La concurrence devait être rude si l’on en croit la note de bas de page : « Tous les fabricants et marchands de Contre-Coups, soit disant véritable, ignorent encore ou ont ignoré jusqu’à la publication de nos prospectus, les diverses propriétés du Vrai Contre-Coups. On peut donc affirmer que leur recette est incomplète et que leur produit doit être également incomplet et que, par conséquent, il ne saurait être considéré comme le véritable et fameux Contre-Coups du Baron de Malter sur lequel on peut compter avec une confiance absolue ». On prenait le produit par voie externe mais aussi par voie orale, et il ne fallait pas prendre, le même jour, de « cresson au lait », autre recette de Perdrigeon,  qui précisait : « On peut être certain de l’efficacité absolue de ce traitement si on le continue régulièrement pendant trois ou quatre mois: plus ne serait que mieux ». Le « cresson au lait » était une sorte d’infusion de cresson dans du lait. Pour l’auteur, « le jus de cresson bouilli et la Poudre Admirable composent à eux seuls tout le secret de la médication avec laquelle nous avons rendu à la santé, souvent même à la vie, tant de jeunes filles, de jeunes femmes, de jeunes gens voués à une existence languissante et misérable, quelquefois à une mort certaine et prématurée ».  On ne lésinait pas avec les superlatifs !!

Pour les autres produits de Perdrigeon, nous avons très peu d’informations sinon celles de ses brochures. N’ayant aucune formulation associée, il est impossible de comparer aux pharmacopées de l’époque ou aux ouvrages de réference, comme Lémery ou Dorvault, par exemple.

 

 

 

 

 

 

 

Toutes les spécialités mériteraient une analyse approfondie pour montrer les arguments mis en avant pour vendre ces produits. Comme le montre le texte sur « L’Unique Vraie Toile Souveraine des Anciens Moines », c’est l’empirisme qui justifie l’usage du produit, c’est à dire l’expérience individuelle ou collective perçue par les patients. Ainsi les mots mis en exergue sont « quoiqu’en disent certaines personnes, l’expérience passe science ». C’est bien l’expérience des patients seule qui compte. On peut lire par ailleurs que la preuve irréfutable de l’efficacité du produit est le témoignage qui est à la base de la validité du produit. Ainsi, « Nous pouvons donner comme témoin irrécusable de la merveilleuse efficacité de la Toile Souveraine des Anciens moines, dans les cas les plus divers et les plus graves, souvent absolument désespérés, TOUT LE DEPARTEMENT DE LA GIRONDE où cette toile est plus particulièrement employée ».

Parmi les produits de l’Abbé, on trouve l’Elixir Végétal des Anciens Moines qui « jouit depuis plusieurs siècles d’une réputation exceptionnelle;qu’il doit à ses propriétés remarquables ». Il avait un nombre considérable d’indications allant des indigestions aux accouchements laborieux en passant par l’arrêt des hémorragies des animaux domestiques. « C’est, en un mot, le trésor de la ferme ». Phrase assez étonnante si l’on considère qu’il était employé avec succès contre le mal de mer ! Enfin, cet Elixir permettait « de préparer une liqueur très agréable, très digestive, en imitant la liqueur si renommée de la Grande Chartreuse ».   

 

 

 

 

 

 

 

 

Parmi les produits du catalogue, on trouve quelques produits du pharmacien Lacour, pharmacien de 1er classe, qui vendait les spécialités de l’abbé Perdrigeon. il était en effet déjà interdit à un non-pharmacien, et en particulier aux ecclésiastiques et religieuses, de vendre des médicaments. Ceci donna lieu à de nombreux procès tout au long du XIXe siècle !

On trouve ainsi le remède Lacour contre la coqueluche, « composé exclusivement de plantes aromatiques et de sucs balsamiques absolument inoffensifs ». On peut voir aussi le dolorifuge Lacour pour les maux de têtes. A noter enfin les Véritables liqueurs de Santé. On en trouve d’autres exemples sur la même période comme le montre le Dorvault de 1877 qui donne le tarif de la liqueur de santé de Micque, chez Jolly.

 

   

 

 
 

Les tisanes et les bouillons recommandés par l’abbé Perdrigeon sont le plus souvent décrits dans d’autres ouvrages de la même période mais n’ont ici aucune indication associée. On voit aussi plusieurs dentifrices sous forme de poudre ou d’élixir, de la poudre de riz, de l’eau de toilette (rosée végétale). 5 pages sont ensuite consacrées à un mémento thérapeutique.

 

     
 

Le mémento thérapeutique sera souvent utilisé par les laboratoires pharmaceutiques pour leurs spécialités ou remèdes secrets : il s’agissait de montrer l’intérêt de leur produits dans les pathologies les plus courantes. Le plus souvent, la société qui publiait ce genre de mémento avait pour objectif de démontrer que sa gamme de produits était suffisante pour répondre à elle seule à la plupart des pathologies. Selon ce formulaire, on peut traiter par exemple le cancer grâce à la Poudre admirable et au Cresson au lait pris tous les jours, en complétant par les pilules sympathiques, la tisane de chicorée amère, laitue, pissenlit et carotte, et la tisane de feuille de noyer, tous produits provenant de la petite pharmacie de l’abbé Perdrigeon.

Le document consacre une large place au traitement des plaies et coups, ce qui était la spécialité de l’abbé Perdrigeon avec le contre-coups et la Toile souveraine.

   
 

Comme toute brochure digne de ce nom au XIXe et XXe siècle, le document se termine par une mise en garde sur les contrefaçons et imitations en tout genre !!

 

   
 

La deuxième partie de cette exposition est consacré à la brochure de la Petite Pharmacie de l’abbé Perdrigeon qui a été publié après sa mort en 1888. La brochure n’est pas datée mais est sans doute des années 1890. Les pages présentées ici ne sont que les pages ayant des éléments nouveaux par rapport à la brochure précédente. et une page est également consacré à l’Abbé Perdrigeon lui-même. On y retrouve la plupart des informations précédentes sur son oeuvre. Quand on regarde la liste des spécialités de cette brochure, on constate la présence de nouveaux produits  : toute une série de cachets : cachets « Fluophosphol », cachets de poudre Admirable, cachets de poudre Admirable et Quina, Cachets Névrol antinévralgiques; L’apparition des cachets n’est pas surprenante car c’est une forme galénique originale à cette époque.  L’inventeur des cachets est aujourd’hui considéré par la plupart des historiens comme revenant à Limousin qui lança cette forme en 1872. Cependant Guilliermond  contesta cette affirmation car il avait publié en 1853 un article dans la Gazette Médicale de Lyon  dans lequel il proposait de remplacer la couche isolante de la pilule qui selon lui, empêchait la dissolution dans les voies digestives, par une enveloppe de pain azyme. Mais Limousin considérait que cette façon de préparer les médicaments ne réglait pas la dureté pilulaire qui persistait et que le poudre  n’était toujours pas sous une forme facilement assimilable ;  on trouve aussi dans les produits du nouveau catalogue le Coricide Souverain, l’Extrait Dépuratif Composé, , le Phyto Neurol et l’Emplâtre Poreux Souverain. A l’inverse, plusieurs produits ont disparus du catalogue.

 

 

 

   
 
     
 

La deuxième différence importante réside dans l’existence d’une rubrique « Quelques conseils, quelques recettes », et surtout « Quelques attestations de nos clients », aspects qui n’existait pas avant 1888. On peut y lire par exemple « J’ai l’avantage de vous féliciter de votre fameux Contre-Coups, qui m’a ranimé d’une attaque d’apoplexie. Veuillez, je vous prie… (A.D. , Alforville, Seine) »
  

   
 

Les attestations : dernier chapitre nouveau pour cette brochure. Elles parlent d’elle-même !!

La page finale est consacrée à la marque de fabrique, marque déposée, et à l’envoi en mission : « Répandez cette brochure ».

 

   
 

En conclusion, deux brochures instructives sur les remèdes secrets à la fin du XIX° siècle où les ecclésiastiques et religieux étaient encore très présents dans la création et la diffusion de tels remèdes, surtout dans les campagnes. Perdrigeon s’était de surcroit fait une réputation lors de la guerre de 1870, ce qui lui valut sans doute une partie du succès qu’on connait et qui persiste aujourd’hui avec le Contre-coups.
  

     
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