De la papaïne
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On peut lire dans la Revue de la SHP de 1929 :
MM. CONDOU et LEFORT, Directeurs-Propriétaires de la Maison Trouette-Perret, 15, rue des Immeubles-Industriels, Paris XI° La Maison TROUETTE-PERRET En 1878, deux pharmaciens chimistes, MM. E. Trouette et E. Perret, fondaient une usine de produits pharmaceutiques à Moret-sur-Loing, ainsi qu’un maison de vente à Paris. En 1880, fut introduit dans la thérapeutique le principe actif du suc de « Carica Papaya », dénommé Papaïne par son inventeur, M. Trouette. Après la Papaïne, MM. Trouette et Perret faisaient connaitre les Gouttes Livonniennes. M. Trouette resté seul à la tête de la maison, lançait la Poudre de Viande, le Cataplasme Hamilton, le Vin du Dr Cabanes et le Sirop Boubée. En 1898, il présente aux médecins les Panophytes Trouette-Perret et en 1902, la Ternose, la Kreazone, le Monol, le Sel Fros, les Filtres et Crachoirs Lutèce, la Nisametine, etc… Sous la direction de MM. Condou et Lefort, une usine a été installée à Saint-Mandé et deux nouveaux produits ont été lancés : l’Aphloïne, spécifique du système veineux, et l’Oponuclyl, opothérapie stimulant. |
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La brochure que nous présentons ici date de 1880, peu de temps après la découverte de la papaïne par Wurtz et Bouchut en 1879. Ces derniers ont en effet publié le résultat de leurs recherches dans l’Union pharmaceutique de mai et juin de cette année-là et décidé d’appeler « papaïne » le ferment de la papaye. Un an plus tard, le journal « La Nature » confirme l’information et déclare que la papaïne fait digérer, comme l’opium fait dormir. Notre brochure de 1880 est sans doute la première brochure de Trouette et Perret sur ce sujet. Comme on peut le voir sur cette page, Trouette et Perret n’ont pas perdu de temps. Dès l’origine, ils commercialisent 5 formes pharmaceutiques de la papaïne : sirop, vin, élixir, cachets et dragées. |
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Comme cela se faisait beaucoup à l’époque, il fallait mettre en avant les réompenses reçues aux Expositions Universelles. Trouette-Perret présente ici des médailles de bronze, d’argent et d’or sans doute reçues indépendamment de la papaïne. | ||
Dans son avant propos, l’auteur indique que l’introduction du suc de papaya, et de son principe actif dans la thérapeutique ne date pas d’aujourd’hui. « Les nombreuses critiques qui en font l’objet, malgré le patronage actuel de nos plus illustres chimistes et cliniciens, nous montre de quelle importance sera pour l’art de guérir l’adoption finale de ce produit immédiat. Il nous a paru utile de résumer tout ce qui a été fait à ce sujet jusqu’à ce jour, et nous espérons que cette compilation augmentée de nos travaux originaux, sera bien accueillie de tous les médecins auxquels nous la destinons, autant dans l’intérêt général que pour affirmer notre droit à une part de la gloire de cette découverte comme premiers et seuls importateurs et récolteurs sérieux de ce Suc, jusqu’à présent. »
L’auteur poursuit : « La place du Suc sec de Papayer comme de son principe actif, la Papaïne, que MM. Wurtz et Bouchut, ont été les premiers à isoler nettement et sérieusement, quoiqu’en disent quelques détracteurs intéressés, est toute désignée : ils feront partie de la série des médicaments énergétiques naturels ; car ainsi que l’opium fait dormir, que la quinine coupe la fièvre, et que la scammonée purge, le Suc de Papaye et la Papaïne font digérer physiologiquement, sans qu’on ait eu à enregistrer un seul cas négatif réel, sur plus de quatre mille experiences. La Pepsine végétale du Papayer venant se substituer à la pepsine animale, si discréditée avec raison depuis quelques années, forcera désormais les sophisticateurs pharmaceutiques à modérer leur ardeur dans ce sens, et le médecin, sûr désormais de son médicament, ne sera plus exposé à subir les mécomptes que lui causait à chaque minute l’emploi de ces farines pompeusement décorées du nom de Pepsine, qui n’étaient en somme que le superlatif produit d’une impudente cupidité. Toute préparation de Suc de Papayer ou de Papaïne, n’ayant pas d’action, n’en contient pas, et est ou sera un mensonge. Paris, le 20 décembre 1880 » |
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Comme on peut le voir sur cette page à droite,la brochure décrit le Papayer et cite les travaux de Vauquelin. Ceciç fait allusion à la publication de Vauquelin dans l’ouvrage de Guyton de Morveau : Chymie, pharmacie et métallurgie, de 1786. Dans la brochure de 1880, plusieurs pages sont consacrées à la méthode d’isolement et de purification de la papaïne, ainsi que sur les caractéristiques essentielles de ce Suc. Elle cite en particulier les travaux de Wurtz que ce dernier avait présenté en 1880 à l’Académie des Sciences: « Il résulte de cette expérience que la Papaïne avait dissous mille fois son poids de fibrine humide, dont la plus grande partie a été transformée en peptone non précipitable par l’acide nitrique, et que, par suite d’une hydratation complète de la fibrine, il s’est même formé une petite quantité d’un corps amidé cristallisable. On sait qu’il en est de même dans les bonnes digestions pepsiniques ». |
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La Payaye avait été bien décrite déjà dans le Dictionnaire Universel des Drogues Simples de Lémery. On peut lire dans l’édition de 1760 « Quoique le fruit du papayer femelle soit bon à manger cru, il est encore meilleur quand il a été cuit avec de la viande, ou confit en marmelade avec du sucre. Le papayer femelle est cultivé dans les jardins au Brésil, aux Iles Antilles, & en plusieurs autres lieux de l’Amérique… Le fruit du papayer fortifie l’estomac ; ses semences sont bonnes pour le scorbut, pour exciter les urines & les mois aux femmes. » Un des noms du papayer étant le Mamera Lusitanorum, Lémery précise que Mamera vient de mamo, nom Portugais qui signifie mamelle ; « on a donné ce nom au papayer, parce que les fruits sortent de l’arbre & y sont attachés en forme de mamelles ».
» On trouve souvent vers les pieds de ces arbres de petits serpents cachés, lesquels les Portugais appellent Cobre de capello ; ils sont long d’un pied ou d’un pied et demi, gros comme un petit doigt; leur peau est noire sur le dos, & blafarde sous le ventre ; ils gonflent leurs joues et crient comme les grenouilles quand ils sont irrités ; leur morsure est mortelle ». Dictionnaire Universel des Drogues simples, feu Lémery, 1760.
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L’auteur de la brochure poursuit : « Toutes ces expériences ont été faites avec la Papaïne du Suc de Papayer de notre récolte de l’Ile de la Réunion. Dès 1756, les propriéts du suc laiteux de Papayer, avaient frappé les observateurs, Endlicher, et Vauquelin ensuite, en examinant de plus près les propriétés, et dès 1802, le suc ou lait de Papayer était taxé en douane d’un droit d’importation de 25 Francs par quintal !! Il est certain que si l’état politique du monde eût été plus tranquille, dès cette époque le Suc ou Lait de Papayer ferait partie de notre Codex. M. Vinson de la Réunion fut, en 1862, le premier ensuite qui s’en occupa sérieusement, mais au point de vue vermifuge surtout, et s’il ne se rendit pas compte de l’état physique que présentaient les vers expulsés, il n’en signalait pas moins l’action dissociatrice de la Caricine, qu’il avait isolée (qui n’est autre que la Papaïne de MM. Wurtz et Bouchut) sur ces parasites albuminoïdes. – Un médecin Brésilien a tenté de revndiquer pour lui seul l’honneur d’avoir mis sur le tapis médical, le Papayer, je ne dis pas la Papaïne. Ses expériences un peu vagues, douteuses, trouvèrent dans le Suc extrait de tout l’arbre par expression, des propriétés toniques et dangereuses, qui n’ont pas été trouvées assez concluantes pour être admises. Notre illustre maître et clinicien M. Dujardin Beaumetz les a réduites à leur valeur réelle lorsqu’elles furent présentées à la société de Médecine … » |
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La suite de la brochure va rentrer dans le détail des activités thérapeutiques de la Papaïne. Dans les pages précédentes, l’auteur donne des détails sur les expériences menées par de nombreux médecins français et étrangers qui permettent de conclurent que « dans la pratique civile tous les jours nous recevons les confirmations de la haute et indéniable valeur du Lait de Papayer et de la Papaïne, en présence de cette unanimité, il n’y a qu’à se courber et nier l’évidence indiquerait une profonde ignorance vraie ou simulée ». La page ci-contre résumé les principales propriétés thérapeutiques de la Papaïne et du suc de papayer : entérite aigüe ou chronique avec lientérie. Une autre application est la digestion des fausses membranes du croup, mais aussi la tuberculose. |
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Une page entière est consacré à l’effet de la Papaïne sur les vers intestinaux. |
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La brochure se poursuit avec de nombreux témoignages de guérison, comme cela se faisait beaucoup pour les nouveaux produits durant cette période. | ||
Deux pages concernent le mode d’administration de la papaïne. On retrouve aussi les différentes formes pharmaceutiques avec des commentaires sur la façon d’administrer le produit et les doses adaptées. Comme toujours à la fin du XIX° siècle, la crainte de la contrefaçon est omniprésente. « Nous terminons cette brochure en priant MM. les médecins de faire et multiplier leurs expériences. Il faut que la Papaïne ait sa place, cela lui est dû, surtout en présence des monstrueuses sophistications * de toutes nationalités que présente la pepsine animale.
Nul doute que la cupidité commerciale qui a déjà essayé de mordre à la Papaïne ne revienne encore, car nous avons lu sur les factures d’une maison, de peu de consistance, il est vrai. – Fabrique de Pepsine végétale !!! Ces pirates de la santé publique, plus méprisables qu’àn craindre, seront vite réduits et forcés à être honnête. Au praticien à ne recommander que les produits de ceux qui ont tant fait pour faire connaître la Papaïne, et à exiger sur chaque flacon les noms et signatures Trouette-Perret ; Alors seulement il n’y aura pas de mécompte, et nous ne pouvons garantir que les produits portant nos noms et signatures ». |
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La dernière page représente la marque déposée par Trouette et Perret. Comme l’indique le texte, chaque flacon devra porter la contre-étiquette indiquée, imprimée en deux couleurs. Quand on regarde les ouvrages de réfernce au XX° siècle, on s’aperçoit que la papaïne a eu du mal à s’imposer comme médicament. Il est cité dans ces ouvrages pour remplacer la pepsine. Il y eut pourtant de nombreuses spécialités à base de pepsine, comme le montre l’ouvrage de Béranger-Beauquesne de 1975 sur les plantes dans la thérapeutique moderne (Maloine ed.) : Assibiol Fabre Aujourd’hui, la papaïne Trouette-Perret est encore vendue, comme complément alimentaire, par le Laboratoire DB Pharma, en sirop et en solution buvable. On trouve aussi les enzymes de papaye commercialisés par les sociétés EuroVital et American Health, par exemple. |
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Voir aussi la Revue d’Histoire de la pharmacie (Article de Thierry Lefebvre) |