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Officines antiques et officines médiévales

 

Intérieur de pharmacie ancienne avec un personnage
Vignette, estampe
Anonyme
© Collections histoire de la pharmacie, Ordre national des pharmaciens

   

Officines antiques

 et
officines

médiévales
(Texte de E.H. Guitard, Les Annales Coopératives pharmaceutiques, 1933)

 L’apothèkè des Grecs, la taberna des Romains n’étaient guère susceptibles de contenir les nombreux oisifs qui s’en approchaient puisqu’elles ne laissaient même pas pénétrer les bons  acheteurs. Diverses fouilles ont mis à jour : à Athènes une série de 21 cases qui s’appuyaient au portique d’Attale ; à Délos, à Priène et Pompéi, un grand nombre de magasins destinés manifestement au commerce. Or tous ces locaux sont exigus, donc juste suffisants pour contenir la marchandise ; en outre, ils sont généralement obscurs, par conséquent ne sauraient permettre aux acheteurs de faire leurs choix. Aucune communication avec l’intérieur  de l’immeuble, et du côté de la rue pas une fenêtre ou vitrine, mais seulement une ouverture partant du sol.                           Le Moyen-âge

 « Les apothicaires, d’abord plus marchands que préparateurs, pouvaient en général commercer librement. Cependant un édit royal de 1353 exigeait du candidat de savoir « lire les recettes et dispenses, et confire ». L’obligation du chef d’oeuvre ne sera répandue qu’à la fin du XVe siècle, et c’est à cette époque également qu’on rencontrera les premiers renseignements sur l’apprentissage : trois ans à Avignon, quatre ans à Paris et une certaine somme à payer au maître, sans compter les frais d’examen à la fin du stage.

Dès la fin du XIIIe siècle, par contre, de nombreux documents mentionnent la nécessité d’un serment avant l’entrée en fonctions, serment imposé à tout le personne de l’officine. Il comportait notamment à Montpellier, où il était prononcé en langue romane, la « promesse d’exercer la profession bien et loyalement et de faire préparer de même les confections sans aucune sophistication comme l’ordonne l’Antidotaire où sont inscrites les formules »; celle de ne faire aucun « qui-pro-quo sans l’avis des consuls de métier ou celui de deux maîtres en médecine désignés à cet effet par les consuls mayeurs ». « Pour la vente, les especiadors n’achèteront de préparations confites qu’à des confrères de Montpellier. Suivant même accord et consentement… le prix d’aucune marchandise ne sera majoré à la demande  d’aucun maître en médecine, d’aucun écolier, ni d’aucun logeur, mais compté seulement au plus juste, comme il est permis, sans accueillir la moindre suggestion de l’augmenter après marché conclu. » Enfin, « ils ne feront d’association avec personne pour vendre les médicaments, ni pour survendre, ni pour payer des taxes d’entrée sur les marchandises étrangères, ou autres choses préjudiciables à la corporation ».

La boutique de l’apothicaire s’ouvre largement sur la rue et les drogues sont exposées aux yeux du public, déjà averti de loin par l’enseigne. Une seconde pièce sert de réserve, et souvent une troisième, la cuisine, permet de confectionner plus commodément les ordonnances. Dans la boutique, on trouve de « bonnes balances » avec leurs poids, des boites peintes, des pots et chevrettes, des bassines, un alambic, des mortiers, des tamis, des écuelles, le matériel pour administrer les clystères et naturellement l’Antidotaire Nicolas. A la fin du XIVe siècle, il est remplacé par l’Antidotaire de Nicolas Myrepse d’Alexandrie. Au XVe siècle, les apothicaires cultivés pourront posséder d’autres ouvrages techniques, tels que le Livre des Simples Médecines de Platearius de Salerne (XIIe siècle), le poème de Gilles de Corbeil, le Compendium aromatariorum de Saladin d’Ascalo (XVe siècle), le Dispensatorium ad aromatarios de Nicolas Prévôt, de Tours, ouvrage inspiré par le précédent, l’Arbolayre… mais la bibliothèque reste modeste.

Les produits conservés dans l’officine varient évidemment avec l’époque, ils sont très nombreux dès l’origine : zédoaire, gimgembre, cumin, fenoouil, miel, castoreum, aloès, agaric blanc, séné, myrrhe… Le sucre, qui fit sa première apparition dans le port de Venise en 996, est répandu dans toute l’Europe à partir du XIIe siècle. On en fait grand commerce dans le midi de la France vers 1150. Malgré ses variétés multiples : « Sucre en pain », « sucre en pierre », sucre blanc », « sucre caffetin », « sucre muscarrat », « sucre cassous »… ces sucres provenaient pour la plupart d’Alexandrie, grand dépôt des marchandises de l’Orient et du Levant. Denrée rare et chère, il entrait dans la composition des médicaments pour gens fortunés, mais il devait également satisfaire leur gourmandise, la substance édulcorante du pauvre restant, jusqu’au XIXe siècle, le miel. Jamais, bien qu’on l’ai dit, les apothicaires n’eurent la vente exclusive du sucre et le proverbe « apothicaire sans sucre » désignant celui auquel manquent les choses les plus indipensables, remonte seulement au début du XVIIe siècle.

Sans doute l’apothicaire, ou les herbarii ses fournisseurs, trouvent-ils bien les plantes dans leurs jardins, dans les champs et les forêts des environs, mais l’officine doit encore être approvisionnée grâce à l’importation étrangère : l’aloès vient de l’île de Socotora, le mastic de Chio… Montpellier est un grand centre jusqu’au XVe siècle, et dans les foires de Guibray, près de Falaise, de Troyes, de Provins, de Bar-sur-Aube, de Beaucaire, de Lyon; il conviendra encore d’aller se ravitailler en drogues importées par les commerçants italiens, qu’il s’agisse de soufre, d’anis, de réglisse… ou de médicaments composés tels que la thériaque ou la Confection d’Alkermès.

Les Alchimistes enrichissent le stock des composés minéraux et pour n’en citer qu’un, Albert le Grand fit connaitre la potasse caustique à la chaux, la céruse, le minium, les actétaes de plomb et de cuivre.

Malgré l’inspection des officines; qui existe au moins dès le début du XIVe siècle en France et qui contrôle la qualité des médicaments, surveille la vente des toxiques, sans parler de la vérification des poids, les apothicaires sont souvent accusés de fraude, ils abusent des qui-pro-quo, c’est à dire de l’emploi de succédanés, et les médecins protestent contre leurs empiètements. La soeur de Charles V, Blanche de Navarre, fut autopsiée par un apothicaire, Symon le Lombart, d’Evreux. »

Extrait de « Histoire illustrée de la Pharmacie », par Patrice Boussel, 1949,  Guy-Le Prat Ed., Paris 
 

 
 La première boutique devant laquelle nous passons n’a qu’une porte fort étroite : le marchand qui l’occupe a étalé au dehors sur des bancs quelques savates ; forcé de temps à autre à puiser dans ses réserves, il rentre dans l’échoppe sans perdre longtemps de vue son étalage. Un peu plus loin voici un magasin largement ouvert sur l’extérieur, mais le propriétaire, – un orfèvre, – ne laisse pas davantage pénétrer la clientèle : il a le matin enlevé les vantaux de bois et les a remplacés par des barreaux qui permettent aux passantes de regarder sans toucher.

 

 

 

 Ici enfin (comme sur ce curieux bas-relief du musée du Vatican), un marchand de drogues ou d’épices a rangé au dehors contre le mur ses amphores et ses bols : il s’est assis lui-même devant sa porte sous un auvent qui l’abritera du soleil et des ondées ; accoudé à son comptoir près de son mortier, il attend les commandes.
   
Boutique d’apothicaire (grossissement à droite, au bord du fleuve). Miniature de « La vie de Monseigneur Saint-Denis glorieux appostre de la France », manuscrit français du XIVe siècle (BNF)

 

 
 

Après cette rapide promenade sous le ciel presque toujours serein du monde antique où  l’on vivait hors des maisons, nous allons faire si vous le voulez bien, une visite aux boutiques du moyen âge.

 Tout d’abord, un tout petit peu de philologie, pour les amateurs de cette science. On sait que le mot grec apothèkè a donné naissance à deux mots français, celui de boutique, aussi vieux que notre langue et s’appliquant à n’importe quel dépôt de marchandise, et d’autre part à apothicairie, qui apparaît au XIIIe siècle seulement, peut-être apporté d’Orient par les Croisés, et qui désigne une pharmacie. Seul le terme de statio est employé dans les textes antérieurs pour désigner l’officine. 
 

 

 

 Comment les miniatures nous représentent elles ces stations ou apothicairies du moyen âge ? En général elles paraissent avoir été incorporées aux immeubles plus étroitement que  les tavernes antiques. Dans nos climats un. Peu plus de confort s’imposait. Presque toujours le magasin de vente s’ouvre du côté de la rue par une large baie (en plein cintre ou en tiers-point suivant l’époque) et sert en partie de porte et en partie de fenêtre. En effet,le mur n’est échancré jusqu’au bas que sur une largeur permettant le passage d’une personne. Sur ce qui reste de la baie, il a été construit jusqu’à la hauteur des mains un mur de manière à former un comptoir permanent de pierre ou de brique, sur lequel le marchand peut faire son étalage quand les volets ont été enlevés. Pendant le jour cet appui fixe est souvent prolongé par une large tablette de bois. Comme les autres, les apothicaires mettaient en montre les produits les plus demandés, qu’ils pouvaient faire passer à leurs clients sans les obliger à entrer dans la boutique. C’est en somme un système intermédiaire entre l’étalage en  plein vent des Grecs et le comptoir intérieur moderne.

Les récipients ne ressemblent pas tout à fait aux nôtres : ce sont des paniers d’osier (sportae) contenant l’herboristerie et qu’on suspendait aux solives du plafond ; des boites carrées ou rectangulaires, qui recevaient les écorces, les fleurs, les produits animaux et qui sont devenues par la suite des tiroir ; enfin, des boites rondes ou pixydes (du grec puxis, qui veut dire buis) dérivées des ampoules sphériques de l’antiquité et qui étaient réservées, nous affirme Jean de Renou, aux gemmes, aux larmes, aux sucs, aux racines desséchées. 

 

 
Boutique d’apothicaire (le malade est entre le médecin et l’apothicaire). Gravure sur bois du « Propriétaire des choses » de Barthélémy de Glanville, 1er édition illustrée, 1482, BNF
 Quant aux pots proprement dits, ils sont rares dans les officines jusqu’au XVle siècle. On  n‘utilisait guère auparavant que quelques pots d’étain ou quelques vases d’argile, parfois vernissés. Dans ce dernier cas, on les appelait pots de grès ou de terre plombée, ou encore vases de Beauvais, parce que pendant deux siècles le Beauvaisis eut le monopole de leur fabrication. Cependant les boutiques ne manquaient pas de pittoresque, les boîtes étant généralement ornées « de toutes sortes de peintures récréatives » représentant des armoiries ou des « cerfs-volants, viédazes empennez, centaures à cul pelé, oisons bridez, cannes bastées et autres semblables, entre lesquels on a accoustumé de laisser un petit vuide quarré pour y escrire en lettre d’or ou d’azur le nom de la drogue ».

 

 
Laboratoire de distillation, gravure sur bois, du « Propriétaire des choses » de Barthélémy de Glanville,  Lyon, 1500, Muséum
 C’est seulement vers le milieu du XVe siècle, c’est-à-dire à la date où l’on est convenu de placer la fin du moyen âge et l’aurore des temps modernes, que la boutique de l’apothicaire devint plus vaste, plus claire, plus ordonnée, en un mot plus accueillante. l,e client y fut enfin admis. Il pouvait y contempler, en attendant son tour, les nouvelles faïences multicolores : pots de Damas, albarelli, céramiques des ateliers de Faënza, Urbino. etc… bientôt imités et égalés par nos fabriques françaises.
 
Boutique d’apothicaire (le malade est entre le médecin et l’apothicaire). Gravure sur bois du « Propriétaire des choses » de Barthélémy de Glanville, Toulouse 1494, BNF

 

         
 
Apothicairerie. Miniature du Traité de Chirurgie de Roland de Salerne
Manuscrit français du XIIIe siècle, Bristish Museum
   
     
 

Texte de E.H. Guitard, Les Annales Coopératives pharmaceutiques, 1933

   
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