L’apothèkè des Grecs, la taberna des Romains n’étaient guère susceptibles de contenir les nombreux oisifs qui s’en approchaient puisqu’elles ne laissaient même pas pénétrer les bons acheteurs. Diverses fouilles ont mis à jour : à Athènes une série de 21 cases qui s’appuyaient au portique d’Attale ; à Délos, à Priène et Pompéi, un grand nombre de magasins destinés manifestement au commerce. Or tous ces locaux sont exigus, donc juste suffisants pour contenir la marchandise ; en outre, ils sont généralement obscurs, par conséquent ne sauraient permettre aux acheteurs de faire leurs choix. Aucune communication avec l’intérieur de l’immeuble, et du côté de la rue pas une fenêtre ou vitrine, mais seulement une ouverture partant du sol. |
|
Le Moyen-âge
« Les apothicaires, d’abord plus marchands que préparateurs, pouvaient en général commercer librement. Cependant un édit royal de 1353 exigeait du candidat de savoir « lire les recettes et dispenses, et confire ». L’obligation du chef d’oeuvre ne sera répandue qu’à la fin du XVe siècle, et c’est à cette époque également qu’on rencontrera les premiers renseignements sur l’apprentissage : trois ans à Avignon, quatre ans à Paris et une certaine somme à payer au maître, sans compter les frais d’examen à la fin du stage.
Dès la fin du XIIIe siècle, par contre, de nombreux documents mentionnent la nécessité d’un serment avant l’entrée en fonctions, serment imposé à tout le personne de l’officine. Il comportait notamment à Montpellier, où il était prononcé en langue romane, la « promesse d’exercer la profession bien et loyalement et de faire préparer de même les confections sans aucune sophistication comme l’ordonne l’Antidotaire où sont inscrites les formules »; celle de ne faire aucun « qui-pro-quo sans l’avis des consuls de métier ou celui de deux maîtres en médecine désignés à cet effet par les consuls mayeurs ». « Pour la vente, les especiadors n’achèteront de préparations confites qu’à des confrères de Montpellier. Suivant même accord et consentement… le prix d’aucune marchandise ne sera majoré à la demande d’aucun maître en médecine, d’aucun écolier, ni d’aucun logeur, mais compté seulement au plus juste, comme il est permis, sans accueillir la moindre suggestion de l’augmenter après marché conclu. » Enfin, « ils ne feront d’association avec personne pour vendre les médicaments, ni pour survendre, ni pour payer des taxes d’entrée sur les marchandises étrangères, ou autres choses préjudiciables à la corporation ».
La boutique de l’apothicaire s’ouvre largement sur la rue et les drogues sont exposées aux yeux du public, déjà averti de loin par l’enseigne. Une seconde pièce sert de réserve, et souvent une troisième, la cuisine, permet de confectionner plus commodément les ordonnances. Dans la boutique, on trouve de « bonnes balances » avec leurs poids, des boites peintes, des pots et chevrettes, des bassines, un alambic, des mortiers, des tamis, des écuelles, le matériel pour administrer les clystères et naturellement l’Antidotaire Nicolas. A la fin du XIVe siècle, il est remplacé par l’Antidotaire de Nicolas Myrepse d’Alexandrie. Au XVe siècle, les apothicaires cultivés pourront posséder d’autres ouvrages techniques, tels que le Livre des Simples Médecines de Platearius de Salerne (XIIe siècle), le poème de Gilles de Corbeil, le Compendium aromatariorum de Saladin d’Ascalo (XVe siècle), le Dispensatorium ad aromatarios de Nicolas Prévôt, de Tours, ouvrage inspiré par le précédent, l’Arbolayre… mais la bibliothèque reste modeste.
Les produits conservés dans l’officine varient évidemment avec l’époque, ils sont très nombreux dès l’origine : zédoaire, gimgembre, cumin, fenoouil, miel, castoreum, aloès, agaric blanc, séné, myrrhe… Le sucre, qui fit sa première apparition dans le port de Venise en 996, est répandu dans toute l’Europe à partir du XIIe siècle. On en fait grand commerce dans le midi de la France vers 1150. Malgré ses variétés multiples : « Sucre en pain », « sucre en pierre », sucre blanc », « sucre caffetin », « sucre muscarrat », « sucre cassous »… ces sucres provenaient pour la plupart d’Alexandrie, grand dépôt des marchandises de l’Orient et du Levant. Denrée rare et chère, il entrait dans la composition des médicaments pour gens fortunés, mais il devait également satisfaire leur gourmandise, la substance édulcorante du pauvre restant, jusqu’au XIXe siècle, le miel. Jamais, bien qu’on l’ai dit, les apothicaires n’eurent la vente exclusive du sucre et le proverbe « apothicaire sans sucre » désignant celui auquel manquent les choses les plus indipensables, remonte seulement au début du XVIIe siècle.
Sans doute l’apothicaire, ou les herbarii ses fournisseurs, trouvent-ils bien les plantes dans leurs jardins, dans les champs et les forêts des environs, mais l’officine doit encore être approvisionnée grâce à l’importation étrangère : l’aloès vient de l’île de Socotora, le mastic de Chio… Montpellier est un grand centre jusqu’au XVe siècle, et dans les foires de Guibray, près de Falaise, de Troyes, de Provins, de Bar-sur-Aube, de Beaucaire, de Lyon; il conviendra encore d’aller se ravitailler en drogues importées par les commerçants italiens, qu’il s’agisse de soufre, d’anis, de réglisse… ou de médicaments composés tels que la thériaque ou la Confection d’Alkermès.
Les Alchimistes enrichissent le stock des composés minéraux et pour n’en citer qu’un, Albert le Grand fit connaitre la potasse caustique à la chaux, la céruse, le minium, les actétaes de plomb et de cuivre.
Malgré l’inspection des officines; qui existe au moins dès le début du XIVe siècle en France et qui contrôle la qualité des médicaments, surveille la vente des toxiques, sans parler de la vérification des poids, les apothicaires sont souvent accusés de fraude, ils abusent des qui-pro-quo, c’est à dire de l’emploi de succédanés, et les médecins protestent contre leurs empiètements. La soeur de Charles V, Blanche de Navarre, fut autopsiée par un apothicaire, Symon le Lombart, d’Evreux. »
Extrait de « Histoire illustrée de la Pharmacie », par Patrice Boussel, 1949, Guy-Le Prat Ed., Paris
|