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Némésis médicale

 

NÉMÉSIS MÉDICALE

RECUEIL DE SATIRES

PAR UN PHOCÉEN, 2e SÉRIE. 9° SATIRE

LES PHARMACIENS.

A.F.H. FABRE (1797-1854)

« Il n’y a pas de sots métiers, il n’y a que de sottes gens.

Oui, mais M. Fleurant, ce n’est pas tout que d’être civil,
il faut aussi être raisonnable, et ne pas écorcher les malades. »

(Molière. Le Malade Imaginaire).

 

Le poète Fabre a publié Némésis Médicale au 19e siècle et consacre une partie aux pharmaciens. Ceci mérite attention pour les historiens de la pharmacie. Au delà de la forme, le fond révèle un certain visage du pharmacien de son siècle, mais reste encore souvent d’actualité quant à l’image du pharmacien auprès du grand public.

Vous pouvez trouver le document complet et les illustrations sur le site de la BNF (cliquer ici)

Oui, du charlatanisme il faut se méfier;
Mais l’homme le plus probe a besoin d’un métier
Vivre est le droit de tous; une honnête industrie.
Met à prix le jalap comme l’épicerie;
Au comptoir de Cadet et de Véro-Dodat
Livre à tout acheteur l’axonge ou le cérat,
Et peut bien quelquefois pour attirer la vogue
Comme on coupe un habit façonner une drogue.
Aussi ne viens-je point du fouet de Poquelin
Flageller sans pitié tout obscur Vauquelin
Et comme un vil Cleeman, du surnom de Macaire7
Injustement flétrir l’artiste apothicaire,
Qui, pour plaire à la foule au caprice incessant,
Colle à chaque bocal un mensonge innocent,
Et dans sa pharmacie aux allures coquettes
Prodigue avec éclat un luxe d’étiquettes.
Aujourd’hui rien n’a cours sous mesquin décor;
Sans devanture ornée et de glaces et d’or,
De Modemann1 lui-même oisif en sa demeure,
Le bronze invariable en vain marquerait l’heure;
A l’étalage obscur du modeste horloger
Le public défiant n’oserait s’engager;
Et mille balanciers au tic-tac monotone
N’appellent les chalands que si l’enseigne est bonne.
Ah ! lorsqu’on ne devrait obtenir le mépris
Qu’en trompant le public et surfaisant ses prix,
Qui donc reprocherait à nos pédans d’école
L’argent qu’en leurs goussets fait rouler leur parole,
Si le sec parchemin qu’un doyen a coté
Avait valeur égale à ce qu’il a coûté,
Si leur amphithéâtre au foyer qu’il recèle
Reluisait quelquefois d’une vive étincelle,
Et s’il ne fallait plus hors des gonds du pouvoir
A beaux deniers comptans acheter !e savoir ?
Au détaillant obscur d’un fond de droguerie
Qui donc reprocherait quelque forfanterie?
Quand sous un nom d’emprunt se déguise un julep;
Lorsque l’Allataïhm sort poudreux du salep;
Du féculant sagou qui pleut comme la manne
Qu’un kaïffa d’Orient adroitement émane,
La part de l’homme est là qui donne au racahout
Pour sa fraude innocente un long passe-debout,
Et souffre que parfois pour des besoins d’alcôve
Le cachundé s unisse aux pâtes de guimauve.
N’arrachez point pourtant comme à d’impurs fouillis
Du palma-christi rance à des ricins vieillis ;
Ne mêlez point au rob à vingt francs la bouteille
Une inerte racine à la salsepareille ;
Comme une chicorée au café de Moka.
Ne vendez point le saule an lieu du quinquina,
Et n’allez pas, aspic déroulé sous la berge,
Jeter de l’opium dans un sirop d’asperge ;
Alors, soyez certains qu’en vos comptoirs assis
Votre laboratoire échappe à. mes lazzis ;
Sans craindre ma critique et mes reproches rogues :
De marchés en marchés portez en paix vos drogues;
De la halle aux bonbons2 an faubourg aviné
Pesez à poids égal la manne et le séné;
De rhubarbe et de casse empoissonnez la ville,
Vendez tout Pelletier, donnez tout Quesneville;
Des capsules-Mothès, orbes volumineux,
Bourrez de copahu les flancs gélatineux,
Dût votre arrière-gorge au  passage obstruée
Ne s’en débarrasser qu’à force d’eau sucrée3 !
Je ne fais point la guerre à qui prône avec art
Des filtres bienfaisans sous des noms de hasard,
Aux larynx fatigués de jujube et de datte
Présente adroitement un sirop qui les flatte,
Et pour un rhume éteint qui renaît à nouveau
A la calme Thridace unit le Mou de veau.
Le malade soumis aux flueurs catarrhales
A soin de varier ses liqueurs pectorales,
Et dans chaque élixir, comme un toast de santé,
Pour l’oubli de ses maux cherche une eau de Léthé :
Il mâcherait à cru la gluante limace,
Et sans cligner de l’œil, sans hoquet, sans grimace,
Pilés dans un mortier et  dissous dans le pot
Sucerait en bouillon le crabe et l’escargot.
Une mousse amaigrie en un sable de lande
Passerait à son goût pour du lichen d’Islande ;
D’âcres retours de bile un estomac aigri
S’adresse avec ardeur au sucre de Vichy,
Pastilles de Bresson4, qu’à tout prix il s’ingère :
Plus il en a croqué, dit-il, mieux il digère
Cet autre en mannequin sur son grabat gisant,
Ou traînant sur béquille un corps rhumatisant,
Aux onctions à froid du liniment tranquille
Ne trouvant ni repos ni sommeil plus facile ;
Perdant comme l’ivrogne à caresser son broc
Le temps à se lustrer de baume opodeldoch,
Aux salons de Comet que son regard discerne,
Heureux de se fier à la Méthode externe,
Dépose en sautillant sur ses reins assouplis
Sa vieille sciatique et son torticolis.
De sa crédulité si parfois on abuse?
Que de ses propres maux le peuple seul s’accuse;
De larmes de regrets quand son lit s’est trempé
C’est qu’il cria bravo devant qu’on l’eût dupé.
Au théâtre voyez nos Grecs à courtes toges
Faire queue au parterre en enviant les loges,
Et les riches landaus pris par un fol aimant
S’arrêter et piaffer près du seuil d’Hahnemann.
Quand on vend à prix d’or une fausse soudure
Chez Labarraque on va marchander le chlorure;
Et tel qui craint, hélas ! de payer son docteur,
Qui craint d’ouvrir sa bourse au Rob de Laffecteur,
A pas accélérés apportant sa commande,
Achète au prix qu’on veut l’eau-de-vie allemande,
De ses bols d’Arménie appauvrit Charles-Albert
Ou s’empeste d’essence à l’arcade Colbert ;
Chez tous les Giraudeau de boutique et de place.
Recueille à folle enchère et réglisse et mélasse,
Et blanchi de moutarde ou de blue-pills tanné,
« Le corps vide de sang ou l’empli de séné, »
Il reproche aux Boullay5 jusqu’en leur officine
Le peu d’ébranlement qu’a fait leur médecine,
Et pose, comme preuve à leur mauvaise foi,
Les cent flux d’intestin que lui donna Leroy6 ;
De ce nectar divin le goût seul le délecte.
Mais vous, vous, pharmaciens, allons, qu’on se respecte,
Et qu’à bon droit encor par nous dépréciés,
On ne vous trouve point, purgons associés,
Comme des cordons bleus au fond de leurs offices,
A l’abri d’un comptoir  priser vos bénéfices.

D’un argot de commande impassibles loustics,
Prêterez-vous la main à d’ignobles trafics?
Qu’il est beau, n’est-ce pas, pour la dignité d’homme,
De voir le médecin ravaler son diplôme,
Mendier ses profits comme des droits d’auteurs,
Barder de diapalme un bonnet de docteur,
Et selon le succès du double monopole,
Palper le jeton d’or ou la modeste obole !
Opprobre à qui s’unit pour te lâche métier !
Au plus vil dès Plutus dévoué tout entier,
L’un des deux compagnons comme un larron de foire
Apprête les bouchons où l’autre invite à boire,
Et transforme aussitôt par un avis gratuit
Tout malade qui passe en casuel fortuit.
J’ai, dit le pharmacien, sous la main, Dieu vous garde
La perle dès docteurs, savant jusqu’à la garde,
Qui veut bien chaque jour quelques heures ici
A mille maux divers faire crier merci ;
O vous donc qui toussez, vous calculeux, podagres,
Qui portez pour tout bien pustules et mentagres,
Entrez, c’est un prodige, et retenez-le bien;
La perle des docteurs va vous guérir pour rien.
A de tels procédés la foule entre ébahie ;
Dans l’arrière-boutique est alors en saillie
L’homme noir affublé sur son maigre décor
Du ruban de l’empire ou de l’éperon d’or ;
Il écoute un instant de tristes doléances;
Sur un large papier, cahier des échéances,
Inscrit en grosse lettre aux rayons élargis
Deux pages qui n’ont point à sortir du logis ;
Et d’un double paraphe il signe avec emphase
Au revers du feuillet le gracieux ukase,
Que d’avides commis saisissent au comptoir
Mieux que filoux adroits ne tirent le mouchoir.
Pour deux écus sonnants, double ami qui vous quitte
De son conseil gratuit le maître vous acquitte;
Puis d’un ton bienveillant, prêt à vider les lieux,
En vous mettant dehors il vous jette en adieux :
« Guéris, si veux bien, meurs, si tu préfères ;
A d’autres, avec toi j’ai finis mes affaires. »
Ainsi font s’entr’aidant, ou bourgeois ou portier,
Hippocrates à gage et Fourcroys boutiquiers ;
Du gain des travailleurs dévorantes chenilles,
Aux clients souffreteux, aux blessés en guenilles,
Ils imposent plus cher qu’au banquier opulent
L’aumône de conseils formulés sans talent;
Trop heureux quand ils ont tari jusqu’à la source
Les deniers clairsemés d’une modeste bourse,
S’ils n’ont pour complément à leur rôle effronté
A coups de formulaire ébréché la santé.
D’autres mieux avisés, plus avides encore,
Voulant apaiser seuls la soif qui les dévore,
De leurs tristes clients ardens empoisonneurs,
Docteurs à droits fraudés se passent de Docteurs ;
Qu’un enfant irrité se pâme de colère
Et vomisse des flots de pituite ou de glaire,
Du vers qui le travaille actif contre-poison,
Ce doux anthelminthique aura bientôt raison ;
Cet extrait rend le calme à des chairs convulsées,
Et le débarrassant des étreintes passées,
Comme on glisse une ombrelle en un soyeux fourreau,
Au vase à mousse bords videra son carreau.
« J’ai là, vous disent-ils, comme doux miel de ruche,
Un sirop infaillible aux toux de coqueluche,
Qui passe dans la bouche ainsi qu’un doigt de gant ;
Et pour toute blessure, un emplâtre, un onguent. »
A contre-sens ainsi prodiguant ses remèdes,
Baladin d’un théâtre à jeux sans intermèdes,
On le voit hardiment sur les gueux d’alentour
A coups d’ongle et de bac fondre comme un vautour ;
Comme on bat de soufflets les pierrots et les gilles,
Dévorer jusqu’aux os les patients dociles,
Et dans son escarcelle engloutir avec bruit
Des nocturnes labeurs le légitime fruit.
Tel ce jeune apprenti, Sangrado sot et rêtre,
Héritier des écrits de son illustre maître,
Qui prompt à bourdonner de ses ailes de taon,
Geai maladroit paré des dépouilles du paon,
Prenait dans les rouleaux de formules écrites
Autant de bulletins qu’il faisait de visites ;
Et fouillant au hasard dans son large gousset,
Que sans cesse vidé sans cesse il remplissait,
Comme un malade allant à Plombière, à Bourbonne,
Se disait à part lui : Dieu te la baille bonne.
Non, ce n’est point ainsi, l’ignorance en sautoir,
Qu’un pharmacien habile agit dans son comptoir ;
Comme on doit compatir à ses peines ardues,
Et comme bourrelés de veilles assidues,
Il faut bien au public un dévouement entier,
Pour descendre sans honte au rang de boutiquier !
Savez-vous quel produit enfantait sa mémoire
Quand vous l’avez distrait de son laboratoire,
Qu’il lui fallut peser sur un double plateau
De l’antimoine éteint dans quelques onces d’eau ?
Sur dix carrés égaux du carré blanc qu’il taille
Ranger l’un après l’autre en ordre de bataille
Comme des pèlerins au pied du Mont Carmel,
Quatre grains d’opium et vingt de calomel ?
D’un emplâtre arrondi, poudré de cantharides,
La spatule à la main dissimuler les rides,
De bocal en bocal chercher, je ne sais où,
Le licopode inerte ou l’agissant garou,
Et de ciseaux adroits à coupe prompte et nette
En élégans festons découper l’étiquette ?
Tel on voit un walseur prouesser au salon,
Tel il fait au mortier tournoyer son pilon,
Tel un onguent broyé qu’il recueille à la hâte
Sur des cartes à plat distribuant la pâte,
De ses agiles doigts il la roule en paquets ;
Puis de toute commère écoutant les caquets,
Savant dépaysé qu’on livre aux Saturnales,
Il descend pour leur plaire au langage des halles.
Encor si là du moins finissait sa douleur :
Mais victime parfois d’une innocente erreur,
D’inattentifs commis qu’il a quittés à peine.
Pour un grain d’arsenic imprudemment vendu,
Son renom est flétri, son avenir perdu ;
Tandis qu’impunément, si l’on est las de vivre,
Le droguiste voisin le vendrait à la livre.
Ainsi sont établis deux mesures, deux poids ;
Ainsi telle est pour nous l’exigence des lois ;
Docteurs in utroquè que leur rigueur accable,
Pour vous tous, en tout temps, Thémis fut implacable,
Et doit attendre, en s’égarant ici,
Ni regard indulgent, ni pitié, ni merci.
Mais quand l’honneur nous offre un abri sous son aile,
Tendons nous l’un à l’autre une main fraternelle ;
Et suivant sans regrets des sentiers différens,
Soyons prêts à toute heure à confondre nos rangs ;
D’un esprit vaniteux à fierté mal placée,
L’humanité gémit, la science est faussée ;
Médecins, pharmaciens, point d’indigne rebut,
Et marchons tous égaux à notre noble but.

  1. Horloger du Palais Royal qui se fait distinguer par l’élégance et la richesse de son étalage
  2. La rue de la Verrerie, entrepôt général des bonbons et des drogues.
  3. Je fus accosté un jour dans la rue par un de mes amis, qui me força de le suivre dans un café où je lui fis boire coup sur coup plusieurs verres d’eau sucrée pour faire passer une de ces capsules qui s’était arrêtée au gosier.
  4. MM Bresson frères, fermiers des eaux de Vichy, fabriquent des pastilles digestives de ce nom, dont le dépôt est chez un pharmacien, M. Ancelin.
  5. Pharmacien distingué
  6. Auteur de la fameuse drogue, l’eau-de-vie allemande perfectionnée, qui incommode quatre-vingt-dix-neuf fois en vingt quatre heures.
  7. Daumier crée le personnage de Robert Macaire, parvenu de la monarchie de Juillet, figurant aussi bien le médecin charlatan que le banquier véreux, l’avocat escroc, le journaliste diffamateur, le directeur de société interlope, le commerçant banqueroutier ou encore le fondateur de secte.

 

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