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La première pharmacienne connue des artistes : Sainte Madeleine

Santa Maria Maddalena J. Duthe (Graveur), 19e siècle (1e quart), 19e siècle (2e quart) Desrais (Dessinateur), 19e siècle (1ère moitié) © Collections histoire de la pharmacie, Ordre national des pharmaciens

La première pharmacienne connue des artistes :

Sainte Madeleine*

 

 

 

 

 La bannière de la Confrérie des apothicaires de Lille (1716)
Au centre, Sainte Madeleine, patronne de la Confrérie) (Ouvrage de Maurice Bouvet, 1937)
Photo Bruno Bonnemain© 

Si l’on veut créer un jour une Amicale des pharmaciennes et la placer sous la protection d’une très gracieuses marraine, il est tout indiqué de songer à Marie-Madeleine que les artistes chrétiens ont toujours représentée avec les attributs pharmaceutiques et dont plusieurs corporations d’apothicaires firent déjà, au Moyen-Age, leur patronne bien aimée.

                     
© Photos Olivier Lafont : 4 représentations de Marie-Madeleine, de Bretagne:
1) à gauche : provenant de Lampaul-Gumiliau (Mise au tombeau, calcaire polychrome, Anthoine Chavagnac, 1676, détail); 2) 2ème à partir de la gauche : provenant de Lampaul-Guimiliau, (Descente de croix, bois de chêne polychrome, ca. 1520 ou 1530, détail); 3) 3ème à partir de la gauche : provenant de l’Enclos paroissial de Sizun, (Pieta, pierre, détail); 4) à droite : Marie-Madeleine, voûte de la chapelle du château de Kerjean (Finistère) XVIe siècle.

Eh quoi ! direz-yous, cette ancienne courtisane, que le bon peuple appelle « la Madeleine » tout court, comme il disait irrévérencieusement « la Dubarry » ou la « Clairon », cette fille de joie, à qui il fut « beaucoup pardonné » parce que sa fin devait être édifiante, mais aussi parce qu’elle avait « beaucoup aimé », cette professionnelle qui s’approcha de Jésus, peut-être avec l’espoir de gagner une sesterce, avait-elle étudié la pharmacie, connaissait-elle la vertu des plantes ? – Il se peut, mais ce sont les imagiers, sculpteurs et peintres, qui l’ont amenée chez Galien, dans les conditions suivantes.

 

 

 On sait que la sœur de Lazare, Marie-Madeleine, apporta au Christ des aromates dont elle usait elle-même. Or, jadis les parfums étaient conservés dans des pots analogues à ceux qui servaient aux apothicaires. Les artistes du Moyen-Age ayant pris l’habitude de représenter les principaux saints avec des attributs destinés à les faire reconnaître, c’est le pot à parfums ou pot de pharmacie qui fut le plus fréquemment adopté par eux pour différencier Marie-Madeleine.

Au reste tous les textes du Moyen-Age font allusion au geste de la Sainte et à son amour pour les parfums. Dans un « miracle », c’est-à-dire une comédie sacrée du XII° siècle, le Ludus paschalis ou Grande Passion, elle chante : « Donne-moi, marchand, des crèmes fines que je te paierai très cher, et encore de bonnes odeurs si tu en as, car je veux les répandre sur mon beau corps … Donne-moi du rouge pour mes joues, que je puisse conquérir l’amour des jeunes gens. Je veux plaire! » A ce moment, l’Ange apparaît ; il arrête ce scandaleux monologue qui rappelle tout à fait certains couplets de la libidineuse Assemblée des femmes d’Aristophane; il annonce l’avènement du Christ et convertit la pécheresse.

 

 

 Dans le Petit Office de Marie-Madeleine, attribué au roi de Sicile Charles Il d’Anjou, une idée intéressante apparaît : « Après les ignobles excès charnels – la boue se transforme en une belle faïence, — un vase glorieux sort du vase d’ignominie. « La malade court au médecin – lui apportant un vase de parfums, – et, la maladie aux multiples aspects, une seule parole du médecin la guérit ». Ce Poème confère donc à l’attribut classique de Sainte Madeleine une valeur symbolique: le pot à parfums est devenu, grâce au Christ, vase de pharmacie; son contenu servait à la parure du corps, il va maintenant donner la santé à l’âme. C’est déjà l’idée du Christ apothicaire, très souvent exploitée par les peintres du XVIe siècle.
 

Sainte Madeleine apportant les aromates dans un pot de pharmacie pour la sépulture du Christ
(Fragment de la Mise eu Tombeau du Pénily (Chapelle de la Pénitence) taillé dans le granit vers 1520, dans l’église Saint-Ronan à Locronan, Finistère), Revue RHP, 1957

 

 Mais tout cela ne nous prouve pas que Sainte Madeleine ait eu des capacités scientifique ou techniques. Sans doute, et cependant elle posséda certainement des connaissances qui s’apparentent aux nôtres. En effet si la plupart des médicaments proprement dits vendus tout préparés par les speciarii de l’antiquité ou leurs successeurs du Moyen-Age, il n’en était pas de même des fards et des parfums. Aujourd’hui encore, dans les pays Arabes, où les traditions se sont conservées, les femmes procèdent elles-mêmes aux mélanges, infusions, broyages, filtrages, etc … Comme courtisane, la Madeleine avait dû certainement apprendre l’art de fabriquer les épilatoires, les baumes, les colorants, les cosmétiques, etc. et ce sont sans doute des aromates de sa composition qu’elle offrit à Jésus.
 
 La plus ancienne statue de la Sainte qui nous soit parvenue est du XII° siècle : on la conserve au musée d’Autun. Elle ne porte plus dans sa main le vase traditionnel, mais c’est un accident qui l’en a privée puisque l’inscription du socle en fait mention: Hœc unguenta gerit, etc … Dans une statue du musée de Cluny (vers 1300), le pot, d’allure tout à fait pharmaceutique, est dans sa main gauche; dans un tableau de Quentin Metsys, au musée d’Anvers, la main droite ouvre le couvercle ; dans un autre de Jean Gossaërt au musée de Bruxelles, 1e pot est posé à terre, ainsi que dans ceux de Mathias Grünevald, au musée Unterdenlinden, et de l’Ecole de Cologne, au Louvre. M. Baussant, auteur d’un ouvrage sur Sainte Madeleine a relevé de· nombreuses statues, peintures ou ‘miniatures représentant la Sainte accompagnée de son pot.
 

 

Trois confréries d’apothicaires s’étaient, dans l’ancienne France, placées sous la protection de Marie-Madeleine : celle de Beaune en Bourgogne, celle de Nîmes en Languedoc et celle de Lille en. Flandre. La Guilde Lilloise nous est particulièrement connue grâce aux savants travaux de M. Edmond Leclair : elle tenait ses assises dans une chapelle de l’Eglise Saint- . Etienne consacrée à Sainte Madeleine: La moitié du produit des amendes servait à l’entretien de cette chapelle. Les élections des nouveaux maîtres avaient lieu le jour de la fête de la Sainte, ainsi que le banquet annuel. L’étendard de la corporation qui est aujourd’hui au musée de Lille, donne son portrait accompagné d’un vase à parfum, d’un crâne, d’un mortier et d’une chevrette. Nos ancêtres l’ont décidément beaucoup aimée …

 

 

 

© Olivier Lafont. Statue de Marie-Madeleine d’Écouis (Eure), église Notre-Dame, 1311-1313

 

 *Texte de E. H Guitard. Les Annales Coopératives pharmaceutiques, novembre 1934
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