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Les remèdes secrets à la Cour de Louis XIV

       
  

Les remèdes secrets
à la Cour de Louis XIV

 
       
     

La Revue des spécialités fut publiée à partir des années 1920 pour faire part des nouveautés en la matière, à une époque où la spécialité pharmaceutique était encore très critiquée par les pharmaciens d’officine. Dans plusieurs numéros de cette Revue, et plus spécialement dans les premières années, une place était donnée à l’histoire de la Pharmacie. Maurice Bouvet est l’un des auteurs qui ont rédigé des petits articles historiques sur la spécialité ou la publicité pharmaceutique
 
  

 
 

    Dans son n°9, daté de février 1929, Maurice Bouvet rédige un article assez complet sur les remèdes secrets à la Cour du Grand-Roi. L’intérêt de ce document réside d’abord dans son contenu dont nous allons voir quelques passages, mais aussi dans les dessins de Bourget qui l’accompagne.

M. Bouvet passe en revue l’état du personnel médical attaché à Louis XIV, puis s’intéresse successivement au cancer d’Anne d’Autriche au remède anglais, aux remèdes des Capucins du Louvre, aux spécialistes au secours des maitresses royales, à Helvetius et la dysenterie du Grand Dauphin, aux spécialistes de la fistule royale, à la maladie de la Dauphine, au Baume vert de Metz et à l’anthrax du roi, et à l’élixir de Le Brun et la mort du roi. Il s’intéresse aussi à Louis XIV apothicaire et à Molière et la médecine : 23 pages donc très riches en informations qu’on retrouvera par la suite dans d’autres ouvrages ou articles de M. Bouvet.  Nous allons reproduire ici une petite partie de cet ensemble.

 
  

 
      La maladie de la Dauphine.

Madame de La Fayette, dans ses Mémoires, nous fait connaitre que, dès 1689, la Dauphine, Marie-Anne-Christine de Bavière est gravement malade : « Il y avait longtemps que la Dauphine était malade et qu’elle ne voyait presque personne. On n’avait aucune foi à son mal ; cependant, elle était enflée et maigrissait fort. Les médecins ne lui faisaient rien du tout ». Elle consulte de nombreux empiriques, dont une femme inconnue… « qui lui avait donné d’abord quelque soulagement et qui en effet l’avait fait désenfler, mais cela était revenu ». Elle consulte ensuite un prêtre normand, « dont le Maréchal De Bellefond était entêté et qui se donnait pour un homme à divers secrets ».

Dionis, qui nous donne le nom de ce prêtre, l’abbé de Belzé, nous apprend qu’il purge sa patiente vingt-deux fois en deux mois… « et dans des temps où il est défendu de faire des remèdes aux femmes ». Cependant, la Dauphine se trouve d’abord mieux, puis elle retombe dans le même état pour devenir plus mal qu’auparavant, après quatre mois de traitement. De Belzé reçoit alors 500 pistoles et son congé. Son remède avait été donné à deux femmes de chambre de la Dauphine (Mlles Besola et Patrocle), qui voulaient par ce moyen plaire à leur maîtresse. Prises d’une maladie de langueur, elles moururent toutes deux peu après la Dauphine.

 
  

 
      Le célèbre guérisseur Caretto donna-t-il ses soins à la Dauphine ? Nous l’ignorons, mais il propose certainement ses services, car Dionis, parlant des charlatans, nous dit :

« Caretto mérite la première place, parce qu’il se faisait appeler Marquis. C’était un Italien qui après avoir publié un remède merveilleux de sa façon qu’il vendait deux Louis d’or la goutte, voulut traiter Mme la Dauphine… ». Le Frère Ange, le célèbre guérisseur, donne aussi ses soins à la Dauphine.

A une date que nous ignorons, il lui fait prendre  son sirop mésentérique et son sel végétal. Voici ce qu’en dit Dionis : « Avec ces deux remèdes, il passait pour habile dans son Faux-bourg, de là sa réputation se répandit dans Paris, et enfin à la Cour, où Madame la Dauphine qui était indisposée, le voulut voir sur le récit que l’on lui fit de la bonté de ses remèdes ; il ne fit point de difficulté de dire aux médecins les drogues dont ils étaient composés, les médecins ne s’opposèrent point aussi à la résolution que Madame la Dauphine avait prise de s’en servir. Elle en usa pendant quinze jours, et ne trouvant point de soulagement, elle fit plusieurs questions au frère Ange, qui le déconcertèrent, et elle le congédia.

Enfin, il s’en retourna dans son couvent bien chagrin de ce que Madame la Dauphine n’avait pas eu autant de confiance en ses remèdes qu’en avaient les bonnes gens de son quartier ».

 
  

 
   Le Sieur X., médecin empirique, est cité par le même Dionis comme préparateur d’une essence de galac d’une activité si merveilleuse qu’elle devait rendre les gens immortels, en faisant disparaitre toutes les maladies : son remède pouvait être appliqué en frictions ou pris à l’intérieur.

Voici le curieux récit de l’intervention de ce guérisseur au cours de la maladie de la Dauphine : « Un des Aumôniers de Mm la Dauphine le proposa pour un homme qui la guérirait infailliblement. Monseigneur voulut le voir, et après l’avoir entendu parler, il fit dire à Madame la Dauphine qu’il ne lui conseillait pas de se servir de cet homme. Cependant, deux mois après, qui était le jour de décès de Mme la Dauphine, l’on le vit reparaître, et s’étant fait introduire de nouveau par le même Aumônier, après avoir osé toucher le poulx et le ventre à Madame la Dauphine, il lui dit qu’il en avait guéri de plus malade quElle et qu’avec un lavement, dans lequel il allait mettre son essence, il lui ferait vider toutes les impuretés dont son ventre était farci. Il alla chez M. Riqueur préparer ce lavement mais quand il revint pour le lui faire donner, il la trouva dans les convulsions de l’agonie, et elle mourut deux heures après ». 

 
  

 

 
  Parmi les autres sujets abordés par Maurice Bouvet dans son article, on peut lire ce qu’il écrit sur Louis XIV apothicaire :

Nous avons à maintes reprises déjà montré combien Louis XIV a témoigné de prévenance pour les préparateurs de remèdes secrets. Il leur a distribué sans compte les brevets, les lettres de naturalisation, les pensions, les autorisations de tenir fourneaux, etc.

Dès 1658, il fait préparer sous les ordres de Vallot, son premier médecin, de nombreux remèdes, dans la Laboratoire du Jardin Royal (Jardin des Plantes actuel). Plus tard, il a installé au Louvre les fameux Capucins Aignan et rousseau, leur assurant une vie confortable, pour qu’il leur soit possible de travailler dans le calme à leurs recherches sur la thérapeutique.

 
  

 
   Il a fait plus : comme on le dit vulgairement, « il a mis lui-même la main à la pâte », il a manié le pilon, préparé lui-même des remèdes secrets, imitant en cela son royal contemporain, Charles II, roi d’Angleterre. Déjà dans sa belle Histoire de la Pharmacie en Bourgogne, notre confrère Baudot avait reproduit la passage suivant, nous faisant connaitre que Louis XIV possédait « une apothicairerie à Versailles, où il travaille seul à faire des remèdes pour l’hernie, qu’on dit infaillibles, et de peur qu’on ne sache ces remèdes, il se fait apporter une infinité de drogues qui ne servent à rien pour guérir ce mal-là, afin de donner le change à ceux qui voudraient savoir ; il le rendra public quand il sera temps comme il a fait celui du médecin anglais pour la fièvre après sa mort. Il travaille seul à ces remèdes, qui sentent extraordinairement mauvais ».  
  

 
   Même avec le secours de M. A. Peraté, conservateur du château de Versailles, nous n’avons pu retrouver l’emplacement précis de cette apothicairerie à la fin du XVIIe siècle, mais nous avons pu trouver trois documents importants qui complètent la note citée ci-dessous.

1°) C’est d’abord un passage de Dionis qui, parlant de la préparation des remèdes du Prieur de Cabrières par le roi, écrit : « …Le Roy commandoit qu’on lui apportât dans son cabinet quatre ou cinq sortes de drogues qu’il spécifiait à ses Apothicaires ; et comme ce remède ne consistait que dans le mélange d’un esprit de sel avec du vin… sa Majesté ne se servant que de l’esprit de seil faisait jeter secrètement les autres drogues, et cela dans la vue de tenir religieusement la promesse qu’elle avait faite à ce Prieur. »Le premier valet de chambre du roi en quartier recevait les commandes et notait l’âge du demandeur. « Quelques jours après l’on retournait quérir un petit panier d’osier dans lequel il y avait trois bouteilles de chopine chacune plaines de vin mélangé dont on prenait pendant vingt et un jours…, il y avait aussi dans le panier des emplâtres convenables et particuliers à cette maladie. »

 
  

 

 
   2°) De Blégny, dans ses Secrets concernant la beauté et la santé, ajoute que l’on donnait à chaque malade deux louis d’or pour lui permettre de subsister pendant toute la cure.

3°) Enfin, le Mercure Galant de mars 1683 consacre à ce travail royal un long chapitre que nous croyons utile de reproduire presque in-extenso :« Le Roy ne prend pas seulement soin du salut des âmes de ses sujets, mais il en prend aussi de leur vie, et de leur santé. Alexandre, après ses conquestes, s’estant attaché à la pratique de la Medecine, composa plusieurs Remedes. Nostre Grand monarque en use de mesme, et ses mains Royales qui portent si dignement le Sceptre, s’employent de temps en temps à la composition de quelques Remedes particuliers, dont il a luy seul la connoissance.

M. l’abbé De Maurepas est un témoin de le vertu de ces Remedes, puis qu’ils ont esté seuls capables de le guérir d’une maladie de plusieurs années, qui l’avoit détourné de son exercice ordinaire de la Prédication… Ainsi l’on peut dire que les Remèdes que Sa Majesté veut bien prendre la peine de faire et qu’Elle donne libéralement au public, sont cause que cet Abbé publie les louanges de Dieu dans la Chaire de Vérité, où son mal l’empeschoit de monter. Ce n’est pas sans sujet que je vous parle de cette guérison, puisqu’ayant éclaté par-dessus un grand nombre d’autres, elle sert à convaincre quelques Incrédules qui n’ont pas jusqu’ici voulu estre persuadez que la guérison de ceux qui se servent de ces Remedes, est infaillible. Vous vous souvenez sans doute de ce que je vous ay dit de leur vertu dans une autre lettre ; ainsi je ne vous le repeteray point. »

 
  

 

 
       
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