Les vieux hôpitaux de France
d’après les publicités pharmaceutiques du XX° siècle
Comme on le sait, l’industrie du médicament, tout au long du XX° siècle et en tout cas jusqu’aux années 1960, a largement donné sa place à la publicité auprès du corps médical et pharmaceutique pour informer, mais aussi influencer les prescripteurs. Les thèmes abordés dans la plupart des brochures n’étaient pas en relation avec l’action du médicament mais avait pour but de distraire le lecteur. Parmi les thèmes (très nombreux par ailleurs) abordés par ces documents issus des laboratoires, celui des hôpitaux a été développé par certains d’entre eux. Comme le souligne René Thiebaut en 1938, « Il eût été regrettable que ces hôpitaux où se sont, sous la direction de maîtres éminents, formées des générations de médecins, ne soient pas à l’honneur »2.
En 1937, une série d’ouvrages est publiée par les Laboratoires CIBA sur « les vieux hôpitaux français ». Précédemment, les Laboratoires Sandoz avaient priée Irène Zurlinden de fixer les Vieux murs de la Salpêtrière. Les Laboratoires Debat, avaient aussi publié pour glorifier l’hôpital Saint-Louis, des textes du Docteur Cabanès : Les vieilles pierres de l’hôpital Saint-Louis, Les hôtes illustres de l’hôpital Saint-Louis, etc.. Bottu, au début des années 1960, publia une série d’aquarelle dont la 17° série a pour nom : « Vieux hôpitaux de France ».
L’objet de cette exposition est de décrire le contenu de ces documents et en particulier la riche iconographie qui y était associée. Pour réaliser ces ouvrages, les Laboratoires firent appel à des médecins ou personnalités prestigieuses: R. Sabouraud, Pierre Champion, Franck-Funck-Bretano (Membre de l’Institut) et le peintre Henri Arnaud-Rougier illustra par ailleurs magnifiquement le document de Bottu.
Comme le souligne alors ce dernier laboratoire, « certains de ces hôpitaux sont démodés, délaissés ou même ruinés. Ils ont fait place, en maints endroits, à une architecture mieux adaptée à son usage. Mais ils sont pourtant les témoins de la pérennité de l’art médical français qui, au long des siècles, s’est forgé entre leurs murs, par une longue tradition de recherche et d’étude ».
Parmi les hôpitaux mis en valeur, il y a l’hôpital Saint-Louis à Paris. Rougier en dessina la maternité1 :
Grâce à Sabouraud, l’ouvrage permet de se faire une bonne idée de l’évolution de l’hôpital Saint-Louis qui sera donc ouvert aux malades en 1616. Il resta ouvert 20 ans, avec des contagieux en permanence. Il fut rouvert pour la deuxième fois en 1651, pendant la Fronde, puis à nouveau fermé. rouvert en 1670 pour une crise de « scorbut », mais il restera hôpital intermittent jusqu’en 1773, date à laquelle l’incendie de l’Hôtel-Dieu amena à une occupation désormais permanente de Saint-Louis qui se spécialisera à partir de 1801 en dermatologie.
Beaucoup d’autres hôpitaux sont évoqués dans les brochures déjà mentionnées : On y voit par exemple la Salle d’attente des enfants à l’hôpital Trousseau à Paris, selon l’aquarelliste Rougier
On peut aussi lire avec intérêt la brochure CIBA écrire par Pierre Champion sur l’hôpital de la Charité. Ecrit en septembre 1937, ce document témoigne des transformations majeures de l’établissement à cet époque : »C’est aujourd’hui un vaste chantier, une excavation qui s’ouvre rue Jacob et se prolonge en bordure du Boulevard Saint-Germain ». C’était en effet l’époque où l’hôpital de la Charité disparaissait pour laisser la place à la toute nouvelle faculté de Médecine. Ici, dit l’auteur, s’élevait le plus ancien hôpital de Paris (1612), après l’Hôtel-Dieu naturellement. La Charité, poursuit-il, fut la maison du progrès, où l’on mit à profit les leçons de l’expérience.
A l’origine, Henri IV fit venir de Florence le père Jean Bonelli, et trois frères de l’ordre de Saint Jean de Dieu, avec la mission de fonder un hôpital sous le vocable de Saint-Jean-Baptiste de la Charité, qui devait devenir la Charité. Ce qui caractérisait les maisons de la Charité, c’est qu’elles étaient ouvertes à tous les pauvres, à tous les malades de sexe masculin sans distinction de nationalité, d’âge, ni même de condition. Un progrès considérable pour l’époque fut réalisé dans cet hôpital : un lit était occupé par un seul malade. C’était une nouveauté surprenante puisque à l’Hôtel-Dieu les lits étaient parfois occupés par quatre ou cinq personnes. C’est aussi à la Charité qu’on voit naître la première organisation en faveur des convalescents.
La brochure des Laboratoires Bottu permet de découvrir en image beaucoup d’autres hôpitaux: L’hôpital Général de Montpellier, l’Hôtel-Dieu de Toulouse, l’Hôtel-Dieu de Lyon, l’Hôpital Broca à Paris, l’Hôpital civil de Reims, L’Hôpital de Rouen, la Salpêtrière à Paris, etc
Pour terminer, cette série des Vieux hôpitaux français, Franck-Funck-Brentano, membre de l’Institut et Georges Marindaz ont écrits l’ouvrage sur Bicêtre publié par Ciba. L’origine de l’hôpital remonte à 1633 où furent édifiés les premiers bâtiments sur les ruines de l’ancien château d’aspect féodal construit par le duc Jean de Berry, frère de Charles V. Il est possible, nous indique l’auteur, en étudiant les origines du Château de Bicêtre, de remonter jusqu’au milieu du XIII° siècle, où Saint-Louis installa sur le plateau de Gentilly une association de Chartreux en la gratifiant d’un domaine dénommé la Grange au queu ou aux gueux, les deux formes reposant sur des étymologies également admissibles : « la Grange aux gueux » venant de malandrins, croquants, vagabonds et autres gueux auxquels, dans les derniers temps, la grange abandonnée avait servi d’asile. Les Pères Chartreux ne demeurèrent pas longtemps au logis que leur offrait la Grange aux gueux. Ils la quittèrent pour une autre résidence plus mal famée encore, le Château de Vauvert, sur l’emplacement de notre actuel jardin du Luxembourg, à cette époque hors de Paris. Le château de Vauvert n’était pas habité par des vauriens et trainards de grand chemin, mais, ce qui était pis encore, par une horde de revenants, fantômes et autres diables verts qui y faisaient la nuit un vacarme à faire paraître discrets les roulements du tonnerre. D’où l’expression devenue proverbiale, « aller au diable Vauvert », que nous continuons d’employer sous la forme abrégée « aller au diable vert » ou plus simplement « aller au diable ».
L’hôpital lui même est issu de l’Edit de 1656 créant l’Hôpital général, sorte d’hôpital modèle où devait régner ordre, règle, bienfaisance et travail. Le roi se propose de supprimer la mendicité et l’oisiveté pour « affranchir le Royaume de ce fléau ». L’établissement comprendra la Grande et la Petite Pitié, mais aussi le Refuge, dit aussi Sainte Pélagie, occupé par des femmes… Bicêtre est alors un des éléments les ,plus important de cet Hôpital général. Le bâtiment des « grands remèdes » ou étaient traités les vénériens était situé à l’entrée de la maison, divisé en deux parties : l’une nommé la Miséricorde, réservé aux femmes jusqu’au nombre de trois cents, réparties en 9 salles; l’autre « Saint-Eustache », réservé aux hommes qui pouvaient y être casés jusqu’au nombre de deux cents. L’entassement des malades devint tel qu’il fallut en coucher jusqu’à 8 et dix dans un même lit; nombre d’entre eux préféraient passer la nuit couchés à terre.
En Conclusion, cette nouvelle exposition temporaire n’a pas pour but d’être exhaustif sur le sujet qui pourrait occuper une place considérable. Les ouvrages de CIBA et le document publicitaire des Laboratoires Bottu montrent en tout cas la richesse iconographique et historique de ces documents qui ont pu contribuer à mieux découvrir le patrimoine des vieux hôpitaux français dont certains ont disparus et d’autres demeurent fidèles à leur mission première : soigner les malades de toutes conditions.
1. De l’autre côté de l’aquarelle, on pouvait lire les publicités pour différents produits de Bottu : Algotropyl-Prométhazine, Néagyl Bottu, Codammonyl Bottu, etc.
2. René Thibaut. Livres, Albums, revues et Encartages de Laboratoires. Le Courrier Graphique, mai 1938, n°15 : 73-96