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Emplâtres et cataplasmes

Emplâtres et cataplasmes

 

Frontispice du Grabadin de Mésué, inventeur de l’Emplastrum diaphoenicum (Edition de Lyon, 1515)

 

Dans l’antiquité, on ne connaissait que l’emplâtre (du verbe grec έμπλάττειν), que l’on pourrait définir : remède externe de consistance semi-liquide qu’on laisse en contact prolongé avec la peau. Au Ier siècle avant Jésus-Christ, Héras de Cappadoce aurait inventé l’emplastrum cephalicum contre les maux de tête, composé comme les autres emplâtres de poudres végétales, de gommes et de résines, et qui connut une longue et brillante carrière. Plus tard, Ménécrates, médecin de Tibère, élaborait la formule de l’emplastrum diachylon devenu notre emplastrum lithargyri, tandis que Scribonius Largus, médecin de Claude, « découvrait » l’emplastrum tetrapharmacon, c’est-à-dire des quatre ingrédients : cire, résine, poix et graisse. Comment ce gâteau peu appétissant passa-t-il au Moyen-âge sous la haute protection des « quatre évangélistes » (on disait même parfois « des quatre évangélistes des pharmaciens ») et comment les quatre évangélistes devinrent-ils les « quatre mendiants » ?? Mystère et pharmacie ! aurait répondu Alphonse Allais.

L’Arabe Mésué préconise de diaphoenicum frigidum, à base de dattes, et l’Ecole de Salerne l’oxycroceum, au safran, tandis que les médecins de la Renaissance useront leurs plumes d’oie en noircissant des formules de l’opodeldoch et du célèbre topique de Vigo. Opodeldoch ! Nom aussi prestigieux qu’inexplicable ! Opo, c’est le mot grec оπоς, qui signifie suc et se retrouve dans opobalsanum, opopanax, etc. ; quant à deldoch, un arabisant pourrait peut-être en indiquer l’origine. Toujours est-il que l’inventeur de l’emplâtre « oppodeltoch », qui n’est autre que le grand Paracelse, ne nous l’a point révélée. La formule en est assez compliquée et on l’a corsée à plusieurs reprises. Elle comprend de la litharge d’or, de la pierre calaminaire, de la racine d’aristoloche ronde, de nombreuses gommes et résines. Dans la première moitié du XVIIIe siècle, l’emplâtre Opodeldoch disparaissait pour faire place au baume du même nom.

Table de la Pratique de chirurgie dans laquelle Jean de Vigo préconise son Emplastrum de ranis.

 

C’est un médecin du pape Jules II, Jean Vigo, qui a lancé, dans son célèbre ouvrage « Pratique de la chirurgie » l’emplastrum de ranis » connu sous le nom d’emplâtre de Vigo. Il ne l’utilisait point pour les opérations chirurgicales, mais seulement contre la syphilis. C’était une innommable purée de grenouilles… Malheureusement, l’auteur n’avait point spécifié quelles grenouilles il fallait prendre, « celles des marests ou estangs, ou celles qui demeurent par les buissons et sautelent sur les arbrisseaux en l’esté », et Bauderon nous comte que cette incertitude troublait le sommeil des apothicaires trop consciencieux.

Sous Louis XIV apparaît l’emplâtre manus Dei, « fort renommé et usité depuis quelque-tems, en sorte que plusieurs dames de qualité veulent bien se donner la peine de le préparer et de le distribuer aux pauvres ». Mais Charas, qui nous donne ce renseignement, insinue qu’il arrive aux dames de qualité de « manquer la cuite » et … de brûler la main de Dieu. Charas cite encore l’emplâtre magnétique, de l’Italien Angelo Sala, à base d’ammoniaque et de térébenthine ; l’arsénical, qui consacre le triomphe éphémère de l’antimoine ; enfin, un autre « pour la hernie », vulgo contra rupturam, dont voici la recette … très abrégée :

Ayant fait tuer et écorcher un bélier, on en prendra la peau avec la laine, et après l’avoir coupée en pièces on la fera bouillir sur un feu modéré dans une bonne quantité d’eau, jusqu’à ce qu’elle y soit tout a fait dissoute ; puis, ayant coulé le tout et fortement exprimé la laine, on fera bouillir de nouveau dans l’expression six onces de Bayes blanches de Guy de Chesne écrasées, ou à leur défaut, de celles de quelque autre arbre astringent, et quatre onces de vers de terre lavez dans du vin blanc, jusqu’à ce que les Bayes et les vers y soient presque consumez ; puis ayant coulé et exprimé le tout, et incorporé à froid la décoction avec la· Litharge et les huiles ordonnées, dans une grande poêle de cuivre, on les fera cuire ensemble sur un feu bien modéré, les remuant sans cesse avec une grande spatule de bois, quoy on y fera fondre la cire, la résine, et la poix noire coupées en petits morceaux, et ayant osté la poële du feu, on y ajoûtera le galbanum et l’ammoniac, qu’on aura dissouts dans un vinaigre, passez par une toile, fait épaissir … et incorporez avec la térébenthine ; après quoy on y meslera les poudres du sang humain, des aristoloches, du symphytum, des galles, de la Mumie, du plâtre et du bol de Levant passées par le tamis de soye, et finalement la myrthe, l’encens, et le mastich qu’on aura pulvérisez à part…

 Le bon sens de Jacqueline , dans le Médecin malgré lui, n’accorde pas une grande valeur à de telles mixtures : « Je vous dis… que votre fille a besoin d’autre chose que de ribarbe et de séné et qu’un mari est une emplâtre qui garit tous les maux des filles ». Remarquons dans ce texte argotique de Molière, emplâtre au féminin. Il en est ainsi également dans les Mémoires de Grammont par Hamilton, édition de 1713 : « Milord Arlington avoit une cicatrice au travers du nez, que couvrait une longue mouche ou pour mieux dire une petite emplâtre en losange ». Pendant longtemps, on a hésité entre les deux genres.

Conditionnement de l’Emplâtre du Pauvre homme, de Davidson.

 

Naturellement, les charlatans exploitaient l’emplâtre comme la pilule. En Allemagne, ils colportaient les Universalwunderpflaster (merveilleusement universels) ; en Angleterre, Henry Davidson, de Londres, vendait et exportait le Poor Man’s plaister à base de goudron… et de prospectus : sous le patronage de quel « pauvre homme » Davidson avait-il bien pu placer son produit pour devenir, grâce à lui, un homme riche ?

Au XIXe siècle, l’emplâtre ne saurait tenter les spécialistes sous ce nom, devenu désuet. On ne parle plus que de cataplasmes, de révulsifs, de sinapismes. Au temps de Charas, le mot cataplasme (encore un mot grec) existait déjà pour désigner une sorte d’emplâtres. Ce n’est point leur composition, variée à l’infini, qui les distinguait des autres, mais plutôt leur objet, qui était « d’appaiser les douleurs, de ramollir, résoudre, discuter, faire transpirer ou mener à suppuration les matières amassées aux parties extérieures du corps ». Quant aux premiers sinapismes, c’étaient des emplâtres ou cataplasmes à la moutarde, préparés comme à l’ordinaire, au moment de l’application. En 1865, le pharmacien Boggio eut l’idée d’enduire une feuille de papier de vernis adhésif qu’il saupoudrait de farine de moutarde. Rigollot mis la chose au point.

« Gâteaux à la poudre de crâne*

L’opothérapie, dont la vogue est de tous les âges, a souvent bénéficié de cette vieille forme pharmaceutique qu’est l’emplâtre. Sans aucun doute, toutes les parties du corps humain – sang, graisse, chair fraiche ou séchée, ongles, cheveux, poudre d’os, urine (et le reste) – furent utilisées en onctions, frictions et, si l’on peut dire, en gâteaux, sur toutes les régions épidermiques de l’égrotant**.

La poudre de crâne humain était spécialement recommandée en emplâtre cervical contre l »épilepsie et l’apoplexie. Mais, ô pharmacien ! C’est tromper outrageusement ton client que d’utiliser pour lui le crâne d’un homme mort dans son lit, car seuls guérissent les crânes des gens violemment occis. Pour cette raison, dit Valentini, on apporta à Leipzig, vers 1700, après quelques combats heureusement productifs, de nombreux sacs pleins de têtes de Turcs.

Plus que la poudre de boite crânienne pilée en mortier, l’usnée, c’est-à-dire la « mousse » de crâne, connut une vogue extraordinaire….Paracelse considère ce fumier minéral –stercus lapidumunguentum vulnerarium qu’on devait mélanger à l’urine, et un unguentum armorum, dont il fallait oindre les armes ayant causé la blessure. Tous les Paracelsistes entonnent à la suite du maître les litanies de l’usnée. L’un d’eux, Crollius, en vient à morigéner les sots qui rattachent cette thérapeutique à la magie noire, alors qu’il s’agit d’ « une certaine vertu attractive et aymantine causée par les astres ». – comme un puissant hémostatique ; il en composa un

Pour donner confiance aux détaillants qui auraient pu croire qu’on leur vendait de la mousse de chêne, les droguistes anglais, au temps de Pomet, livraient les crânes entiers, poudrée de leur usnée verdâtre.

Au dire de Pomet, qui était assez mauvaise langue, il aurait existé à Alexandrie, à Venise et même à Lyon, de petites usines, imaginées par la « friponnerie des juifs », où l’on vidait des cadavres quelconques de leurs entrailles pour les remplir de poussière de myrrhe, de bitume, de poix et de gommes et ensuite les passer au four comme de vulgaires pains de cinq livres.

Les Grecs avaient pratiqué sans ménagement cette thérapeutique, Pline frémissait, comme nous, à la pensée que l’un d’entre eux, Démocrite, conseillait froidement contre telle affection les os de la tête d’un criminel, contre telle autre ceux de la tête d’un hôte et d’un ami.

Quant à Ambroise Paré, il condamne les applications de momie, d’usnée et tout le reste, non seulement au nom de la morale, mais du point de vue de l’hygiène. Et pourtant nos ancêtres ne connurent-ils pas, grâce à l’usnée et à la momie, les bienfaits des moisissures antibiotiques ? »

*EH Guitard, Revue d’Histoire de la Pharmacie, septembre-Octobre 1960

** Quelqu’un sujet à être souvent malade

 

« Un cataplasme partagé » Estampe de Paul Gavarni, 19e s. © Collections histoire de la pharmacie, Ordre national des pharmaciens
 Pauvre Rigollot ! Comme tous les inventeurs, il ne devait point s’enrichir. Né à Saint Etienne, en 1810, élève de l’Ecole de Pharmacie, puis interne des hôpitaux de Paris, il s’établit pharmacien à St Etienne, et puis revint à Paris pour y lancer un régulateur à gaz et un avertisseur de grisou qu’il avait imaginés. Il y engloutit, hélas, le capital que lui avait procuré la vente de sa pharmacie. A bout de ressources, il échouait chez Menier qui devait l’occuper à son usine de Saint-Denis. La présentation des « Rigollot » fut, si j’ose dire, le clou pharmaceutique de la grande exposition de 1867.

 

   Source : Emplâtres et cataplasmes, par Dr Ox (E-H. Guitard), Les Annales coopératives pharmaceutiques, février 1937
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