L’orageuse naissance du Codex
(d’après E.H. GUITARD, Les Annales Coopératives pharmaceutiques, décembre 1938 et l’Histoire de la Pharmacie par Boussel et Bonnemain, 1982)
C’est le 27 novembre 1638 que Guy Patin annonçait, la rage au cœur dans une lettre adressée à son ami. Belin, la venue au monde du « Codex ». « Je vous envoie, écrit-il, l’Antidotaire que notre doyen a fait imprimer, etiam invitis deis (Au mépris des dieux eux-mêmes !) ». Certes, les formules de médicaments n’avaient pas manqué, depuis les temps les plus lointains, à nos apothicaires de la région parisienne; mais il n’avait jamais été mis en circulation pour eux de pharmacopée officielle, alors que bien des villes italiennes, allemandes, espagnoles en étaient depuis longtemps pourvue.
En 1598, le Parlement, ému du désordre que créait cette situation, désigna douze docteurs pour établir le formulaire-type. Trente ans plus tard, la besogne n’ayant guère avancé, on adjoignit aux médecins un apothicaire, qui disposa d’un laboratoire tout près des écoles; mais c’est seulement en juin 1638 que, sous l’impulsion du doyen Philippe Harduin de Saint-Jacques, la rédaction put être achevée et le bon à tirer donné à l’imprimeur.
Le premier codex est un élégant petit in-4°de 150 pages avec une: belle préface et une curieuse devise empruntée à Sénèque : « Bien des choses nous paraissent enfin inutiles le jour où elles commencent à manquer ». C’était indiquer que l’un des principaux avantages du nouveau livre serait de faire disparaître de l’arsenal thérapeutique quantité de préparations sans valeur ou faisant double emploi. Oui, mais… Mais il n’y avait pas que des suppressions. Et c’est parce que les auteurs responsables du Codex medicamentarius (seu Pharmacopea Parisiensis) s’étaient permis d’ajouter à la liste classique des compositions une formule nouvelle – une seule, – c’est pour avoir eu cette audace – qu’ils déchaînèrent un terrible ouragan dont le nouveau-né faillit périr.
Ce médicament contre lequel allaient s’acharner tous les ennemis de la nouveauté, était un de ces remèdes chimiques ou spagyriques que Paracelse avait mis à la mode et qui, administrés un peu brutalement au début, causèrent quelques accidents dont les « réactionnaires» exagérèrent, comme de juste, la portée : c’était le fameux vin émétique dont ses ennemis avaient fait interdire l’usage par un arrêt du Parlement en 1580 et dont le « Recipe » figure pourtant à la page 40 du Codex de 1638 :
Vinum Emeticum :
Stibii optimi … libram unam
Nitri purissimi… tanturndem …
La page de titre de la 1re édition du Codex (1638)
L’aboyeur le plus acharné fut Guy Patin, le grand ennemi de la médecine nouvelle, qui alla jusqu’à accuser le doyen Harduin d’avoir introduit par surprise dans le manuscrit la formule abhorrée : « C’est lui qui a fourré, inconsulta Facultate, dans le Codex medicamentarius son vinum emeticum, d’où est venu tout le bruit, et qui pour défendre ce forfait, a falsifié les registres de la Faculté de l’an 1637; et la fausseté est toute notoire, outre qu’elle est attestée par les experts…».
Un autre jour Guy Patin annonçait à l’un de ses correspondants, avec une joie … mauvaise, que le doyen scélérat était tombé de cheval en allant voir un malade et s’était rompu un bras. Il ajoutait: « C’est celui dont la perfidie est cause de tout le désordre qui est arrivé dans notre faculté touchant l’antimoine », car pour favoriser les apothicaires, a quibus lucrum sperabat, il falsifia les registres de la faculté. Mais il n’en est pas au bout! »
Guy Patin, qui avait pourtant bien des choses à se reprocher, ne manquait jamais une occasion de donner un coup de dent à ses ennemis intimes, les apothicaires. Si le nouveau Codex lui était si suspect, c’est que sa publication devait, croyait-il, permettre aux pharmaciens d’augmenter leurs recettes. Il a écrit ailleurs : «. Je rends la pharmacie la plus populaire qu’il m’est possible en donnant tous les jours chez des malades facile parabilia remedia afin d’en sauver la peine aux apothicaires, qui ne trouvent cela guère bon ; mais je ne me soucie ni d’eux, ni de ce qu’ils disent de moi… joint que le peuple est tellement lassé de leur tyrannie barbaresque et de leur forfanterie bézoardesque qu’il est toujours bien aise, à quelque prix que ce soit, d’échapper de leurs mains ».
Le docteur atrabilaire avait encore pour adversaire un homme de bien, le fameux Guy de la Brosse, créateur du Jardin du Roi. C’est de lui qu’il racontait cette anecdote invraisemblable : « Comme un jour il montroit sa maison à des dames, quand il vint à la chapelle du logis, il leur dit: «. Voilà le saloir où l’on mettra le pourceau quand il sera mort ».
Or, le principal grief de Guy Patin contre de La Brosse est que ce dernier trouvait la saignée absurde et aurait, disait-il, mieux aimé mourir que d’y avoir recours. C’est ce qui est arrivé, ajoute férocement Guy Patin. Maintenant le diable le saigne en enfer. Il souffrait d’un flux de ventre pour avoir « trop mangé de melons et trop bu de vins ». Après s’être fait frotter le corps d’huile de scarabée quatre jours durant, il a pris du fameux émétique et il en est mort !…
Le gazetier Renaudot, un autre ennemi de Patin, était cette fois d’accord avec lui contre le Codex et son vomitif. Par contre, l’œuvre de Harduin trouva un défenseur chaleureux dans la personne d’un avocat – ce qui était normal, – mais d’un avocat devenu moine et poète, Etienne Carneau.
On lit encore sans déplaisir les vers de la « Stimmachie » vengeresse de ce Carneau, parue en 1656 :
D’abord je voy M. St-Jacques
En bute aux premières attaques
Et repris d’avoir inséré
Ou sans tesmoins enregistré
Dedans le Livre Antidotaire
Un drogue non salutaire.
Ce « livre est appelé Codex
Dressé pour le bien du Podex.
Pour montrer l’efficacité du fameux émétique, l’auteur imagine qu’un jour trois meuniers en boivent par mégarde une large tasse; l’ayant pris pour « du vin· bourru ». Mais ils n’iront pas loin:
Voilà qu’il leur prend des tranchées,
Comme à ces belles accouchées …
Tous les verrous du ventre grondent
Ses cataractes se débondent
Et le bas, ainsi que le haut,
Espreuve un assez rude assaut.
Ce vin pour faire son office,
Met l’un et l’autre en exercice
Derrière Saint André des Arts;
De meusniers rendus gadouards,
Ils gastèrent pourpoints et chausses
D’assez désagréables sauces ….
Mais le lendemain, quel bien-être pour les meuniers et quelle honte pour les ennemis du Codex!
Eh bien ! nobles hypocrites,
Grands vanteurs de l’Antiquité,
Ce cas connu de presque tous
Ne conclut-il pas contre vous?
Cet exploit imaginaire du vin émétique ne l’aurait certainement pas sauvé si Louis XIV, malade à Calais vers 1665, n’avait cru lui devoir sa guérison. Cette fois, Patin dut s’incliner. Sur un avis motivé de la faculté qui s’était réunie en faveur du nouveau médicament, le Parlement de Paris prenait, le 10 avril, un arrêt solennel réformant celui de 1580 et permettant de s’en servir ainsi que « d’en escrire et disputer ».
C’était le triomphe définitif du Codex.
Les apothicaires persécutent Pourceaugnac
au nom du Codex
(Frontispice de l’édition de Molière publiée en 1682)
« L’ouvrage fondamental de la bibliothèque du pharmacien est évidemment le Codex, prévu par la loi de Germinal an XI, article XXXVII : « Le gouvernement chargera les professeurs des écoles de médecine, réunis aux membres de l’école de pharmacie, de rédiger un Codex ou formulaire contenant les préparations médicinales et pharmaceutiques qui devront être tenues par les pharmaciens. Le formulaire devra contenir des préparations assez variées pour être appropriées à la différence de climat et de productions des diverses parties du territoire français; il ne sera publié qu’avec la sanction du gouvernement et d’après ses ordres. »
L’Ordonnance royale du 8 août 1816 ajoute :
« I. Le nouveau formulaire intitulé Codex medicamentarius seu Pharmacopae gallica, sera publié et imprimé par les soins de notre Ministre de l’Intérieur
II. Dans le délai de six mois à dater de sa publication, tout pharmacien tenant officine ouverte dans l’étendue du royaume, ou attaché à un établissement public quelconque, sera tenu de se pourvoir du nouveau Codex, et de s’y conformer dans la préparation et la confection des médicaments. »
La première édition parut, en latin, en 1818, la seconde et première publiée en français, en 1837, la troisième en 1866, la quatrième en 1884, la cinquième en 1908…D’abord recueil décrivant les drogues végétales ou animales, donnant la préparation des produits chimiques utilisés en pharmacie, précisant la formule et le mode de fabrication des préparations galéniques officinales, le Codex a évolué comme la pharmacie elle-même. »
(Extrait de « Histoire de la Pharmacie ou 7000 ans pour soigner l’homme », par Patrice Boussel et H. Bonnemain, Editions de la Porte verte, 1982)
Voir également l’article de J Flahaut sur les difficiles début de la Pharmacopée Française en 1818