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Aesculape et Tabarin au secours des chauves

 

 Exposition temporaire :
Aesculape et Tabarin au secours des chauves

 
 
Daumier : Gueuses d’affiches ! cré coquines d’annonces !!!… Figurez vous que j’ai consommé 1675 boites de Topique Coporistique !! ….   – Et bien ! Croiriez-vous bien, Monsieur ! que je me suis fourré sur la tête pour 1835 francs de Pommade du Lion !!…
 
     
 

« Fabulla jure que les cheveux qu’elle a achetés sont à elle. Fait-elle un faux serment ? ma foi, non ! » C’est en ces termes que le célèbre humoriste latin Martial blaguait une élégante de son temps coupable de dissimuler sous quelques postiches la désolation de son crâne. Cela rappelle une autre épigramme du même, traduite en vers français :

Chloé, belle et poète, a deux petits travers :

Elle fait son visage et ne fait point ses vers.

Donc Fabulla, ainsi que d’autres femmes Romaines, avait adopté la perruque, comme remède à la calvitie, de préférence aux lotions. Sage décision en vérité si elle avait hâte de plaire ! Pourtant elle aurait pu trouver chez son droguiste une foule d’ingrédients susceptibles de combattre… à la longue, son infirmité désastreuse. Le savant naturaliste Pline l’Ancien, celui qui devait périr victime de sa curiosité scientifique dans l’éruption du Vésuve, préconise une foule de préparations contre la chute des poils : le suc d’oignon, l’infusion de roses, la crotte de rat, la cendre de crotte de brebis mélangée à l’huile de myrte, les têtes de mouches fraîches, le sang de mouche combiné avec le chou et le lait de femme. Et voici qui est emminemment opothérapique, la tête du hérisson, l’animal poilu par execellence, appliquée sur la peau du patient après décapage à la moutarde. Je m’explique beaucoup moins les dix lézards verts cuits dans de la vieille huile, ou l’œuf de corbeau battu comme pour l’omelette en un vase de cuivre…

 
   


Rowland caricaturé par Rowlandson, dessinateur anglais (1814)
 
   

Moins savant que Pline, Pétrone, le fameux arbitre des élégances, fait dire à son personnage Trimalchion que le meilleur des capillaires est tout bonnement la lucerna. Traduisons : Chauves, prenez une lampe et versez-en l’huile sur votre tête ! Il est assez curieux que tous les peuples aient surtout utilisé les corps gras dans la lutte contre l’alopécie. A ce propos, doit-on dire alopécie ou calvitie ? Certains dictionnaires donnent à chacun de ces mots un sens différent. La calvitie serait l’état d’une personne au crâne brillant ; alopécie désignerait la chute des feuilles proprement dites : ainsi celle-ci conduirait à celle-là. Heu ! heu ! ni l’étymologie, ni les « auteurs » ne semblent confirmer ce grammatical diagnostic . Alopécie vient du grec alopex qui signifie renard : l’alopécie est donc la maladie du renard qui a laissé presque tous ses poils dans les fentes des poulaillers qu’il visita. Calvitie a été forgé plus prosaïquement à l’aide du latin calvus, chauve. C’est un terme devenu populaire, comme la chose. L’autre est resté plus impressionnant, voilà tout !

 Le Moyen-Age utilise naturellement toutes les mixtures de l’antiquité et il en invente de nouvelles : l’huile de lézard, l’huile bénédicte de Fioraventi, l’eau de chanvre, l’or potable, et bien d’autres.

 

 
   
« Plus de cheveux blancs »
Estampe de Paul Gavarni, 19e siècle
Aubert (Editeur, 19e s., Aubert et Cie, Imprimeur, 19e s.
© Collections histoire de la pharmacie, Ordre national des pharmaciens
 
 

 

Contre la teigne plus particulièrement, le manuel d’hygiène populaire de l’Ecole de Salerne préconise l’infusion de figues jointes au pavot. Car les grands docteurs ne dédaignent pas de s’intéresser aux soins de beauté. En 1530, maître André Le Fournier, qui avait été doyen de la Faculté de Médecine de Paris, publie un petit volume savoureux, dont voici un extrait :

Prenez trois cens limasses et les tirez dehors de leurs coquilles et les faictes longuement bouillir en eau ; puis prenez la gresse qui sera dessus… puis ayez de l’eau… où soit bouillie de la feuille de laurier, et gettez dessus ladicte gresse ; et aussi y mettez trois cuillerées de miel et une cuillerée de [sucre] commun un peu conquassé ; et le faictes bouillir. Et… en oignez la teste souvent, et vous verrez de jour en jour le poil et le cheveux croistre et plutiplier. 

L’ouvrage s’appelle La décoration d’humaine nature et l’ornement des dame. On en finirait pas de transcrire toutes les formules de philocomes (amis de la chevelure), disons « philo-comiques », qui encombrent du XVIe au XVIIIe siècle les meilleurs formulaires.  La Pharmacopée de Charas conseille les cendres de l’abeille et celle du Lyonnais Pierre André ne trouve rien de mieux pour « nettoyer les ordures de la teste » que l’urine, mêlée au salpêtre.

Le 8 juin 1779, la Société Royale de Médecine, qui avait été officiellement chargée d’examiner les « remèdes secrets », refuse d’approuver une pommade pour faire croître les cheveux » présentée par le sieur Agnian Cornette. Plus habile, l’Aglais A. Rowland obtiendra, dans la plupart des pays, licence de vendre son huile de Macassar lancée au début du XIXe siècle grâce à une brillante campagne comparable à celle de Napoléon le Grand. Macassar est la capitale d’une petite île d’Asie où l’on cueillait un fruit, le bado, produisant une huile aromatique. Rowland trouva le nom excellent, mais il ne prit pas la peine d’aller chercher si loin son produit, qui, selon le Brockhaus, était en réalité de l’huile d’olives teinte en rouge. Les clients de Rowland ne voyaient peut être pas leurs cheveux grandir à vue d’œil, mais ils salissaient tous les sièges avec le dos de leur tête, au point que l’on DUT préserver les dossiers de sofas, fauteuils, etc. au moyen de petites serviettes qu’on nommait anti-macassars. Le rusé compère publiait des prospectus illustrés dans toutes les langues, avec cet ineffable mode d’emploi :

Il faut se faire couper le peu de cheveux qui restent, premièrement, par une personne qui connaît son état, de manière qu’un seul cheveu n’échappe pas aux ciseaux ; ensuite… on séparera en différents endroits les cheveux avec un peigne, et, après avoir versé un peu d’huile dans le creux de la main, on y trempera le bout du doigt et l’on se frottera la peau pendant quelque temps aux endroits où les cheveux auront été séparés.

Mais comment séparer au peigne de rares cheveux qui viennent d’être coupés « de manière qu’un seul n’échappe ? » – Opération évidemment très délicate ! – « En suivant strictement cet avis, continuait le prospectus, M. Rowland répond qu’on recouvrera sa chevelure dans toute sa beauté primitive » et qu’elle ne pourra plus jamais blanchir. – Soit, mais il eût fallu pouvoir suivre strictement l’avis…

Et Rowland de publier en anglais un poème publicitaire sur le thème Nil desperandum :

Il ne faut jamais désespérer, dit mon père. Naguère j’étais complètement chauve ; aujourd’hui, grâce à Rowlands famous oil, une magnifique tignasse s’est épanouie sur ce sol aride. Nil desperandum !

Une autre fois, il raconte qu’il transforma en quelque jours le chef du diplomate Autrichien Metternich, plus favorisé intérieurement qu’extérieurement par la Nature, c’est à dire génial mais dénudé : cet exploit lui aurait valu d’être présenté par le prince à toute la cour, en même temps qu’une caisse pleine de son huile.

Sous le Second Empire, une certaine Veuve Dusser, s’excuse délicatement de faire elle-même l’apologie de son produit. Mais en conscience, elle ne pouvait priver le monde d’un tel secret : « Pourquoi aurais-je gardé le silence ? » Et elle compare sa brochure sur la beauté des cheveux aux essais de Montaigne !  

Daumier a immortalisé par une de ses lithos les plus drôles, la pommade du Lion, qui, si l’on en croit son dessin, n’arriva jamais à créer une luxuriante crinière : « Figurez-vous, fait-il dire dans la légende à l’homme-qui-a-des-cors-aux-pieds, que j’ai consommé 1675 boites de Topique Coporistique !! – Et moi, répond le chauve, croiriez vous bien, Monsieur, que je me suis fourré sur la tête pour 1.853 francs de Pommade du Lion !!! ». Plus tard, on inventera une autre façon de plaisanter les fabricants de capillaires dits « Avant, Pendant et Après » : les journaux satiriques se rempliront de dessins où l’on voit des spécifiques provoquer en dix secondes des floraisons de poils imprévus sur les joues d’une nourrice, sur le fessier d’un poupon, voire sur la porcelaine d’une assiette.

Le joyeux Alphonse Allais, au temps où il était élève en pharmacie, fut chargé de préparer pour le même patient un sirop balsamique et une lotion capillaire : il se trompa d’étiquettes ! L’homme ayant avalé la lotion, la trouva un peu… capiteuse, et après quelques énergiques frictions « au sirop », il eut arraché pour jamais, hélas ! ses derniers duvets !

 

 
     
   

Référence : E-H Guitard. Les Annales Coopératives Pharmaceutiques, février 1935

 
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