Les écrivains contemporains
Une série de documents du Laboratoire Chantereau / Innothéra
Années 1950-1970
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Comme d’autres laboratoire, Chantereau avait édité un certain nombre de documents destinés à distraire le corps médical, et à leur donner à cette occasion quelques informations sur ses spécialités pharmaceutiques. Pour cette exposition, nous sommes partis de 3 exemplaires de la série des « Ecrivains contemporains » :
– le numéro 22 (de mars 1956) dédié à Jean Cocteau (1889-1963)
– le numéro 52 (d’avril 1960) consacré à l’Impératrice Eugénie en 1870
– le numéro 184 (de juillet-août-septembre 1972) : « Un allemand raconte le débarquement)
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Le laboratoire Chantereau / Innothera :
Le laboratoire Chantereau fut créé à la fin des années 1920 par un pharmacien d’officine, René Chantereau (1882-1978). ce dernier, fils d’un pharmacien de Viroflay, en région parisienne, est né en 1882. il réalise ses études secondaires au Lycée Hoche de Versailles, puis va engager des études de pharmacie que couronne, en 1905, une place de premier au concours de l’Internat. Grâce à l’argent emprunté à son père, René Chantereau achète, en 1910, une officine à Paris, rue de Constantinople. En 1913, il met au point le Mucinum qui va transformer l’officine en embryon d’exploitation industrielle.
Arrive la guerre de 1914 : le patron de 32 ans est mobilisé comme pharmacien-capitaine. Démobilisé en 1919, il est de retour à la tête de la société Chantereau qui va poursuivre son évolution entre les deux guerres, avec diverses spécialités, en particulier : Tot’hamelis et Sympathyl. En 1935, pour éviter la confusion avec le dépôt-pharmacie de son cousin Rober Chantereau, la raison sociale de la société devient Innothera qui fut développé par Bernard Gobet et dirigé, à partir de 1986, par Arnaud Gobet.
Ce laboratoire avait créé toute une série de documents destinés aux médecins. En plus des « Ecrivains célèbres », Chantereau avait édité « Histoires extraordinaires », « Médecins et peintures », « Drogues et peintures », « Album d’art contemporain ».
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La formule des « Ecrivains contemporains » a peu évoluée entre les années 1950 et les années 70, restant centrée sur un personnage ou une oeuvre littéraire.
- Le document sur Jean Cocteau fut rédigé par un membre de l’Académie Royale Belge, Roger Bodart, et par Léonce Peillard. La deuxième partie du document présente un extrait des « Enfants terribles », roman publié par Cocteau en 1929.
- Ce document est également particulier en raison des deux pages intitulées « Humour du mois » et deux pages consacrées à la « réserpine en thérapeutique neuro-psychiatrique »(la « Page médicale »)
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Voici le texte de Roger Bodart sur Cocteau :
« Le succès cache l’homme plus qu’il ne le révèle. La gloire, a-ton-dit, n’est que la somme de beaucoup de malentendus. Cocteau qui pourrait dire avec Descartes qu’il n’aime pas : « Je m’avance voilé » ; qui a écrit que le poète marche enveloppé d’un brouillard de légendes absurdes, de paroles mal transmises, d’actes qu’il n’a pas commis ; Cocteau souffre d’être ensemble le visage le plus éclairé et le plus obscur de son temps.
Tout le monde en parle. Beaucoup le lisent. Rares sont ceux qui savent qui il est. Qui il est, il l’a avoué : une tête dont les cheveux vont en tout sens, une âme qui fait de même. Mais une sorte de courant souterrain l’a, comme malgré lui, entraîné en profondeur toujours dans le même sens, qui est celui du dépouillement, d’une ascèse d’autant plus cruelle que cet être semblait voué à la facilité.
Cette ascèse porte un nom dans sa vie : elle se nomme Radiguet. Cocteau n’est pas né le siècle dernier à Maison-Lafitte, comme disent les historiens de la littérature ; il est né à Paris, en 1917, le jour où un adolescent myope lui apprit à voir la limpidité des êtres, des choses.
Ce jour-là est né un homme de transparence que Paris connait mal, que le reste du monde voit peut-être mieux, qui est la proie du grand jeu de la vie ; mais ce jeu est un feu qui se réduit en cendres…
Le baroque devient classique. L’immobiliste rejoint Montaigne. L’esthète déclare que l’art n’existe pas en tant qu’art, mais ne vaut que s’il annonce une morale, que s’il prolonge un cri, un rire, une plainte. Ce poète qui qui n’existait que par et pour Paris se retire du côté de Roquebrune, dit que la provence est la terre où poussent des racines, Paris la boutique où l’on vend les fleurs.
Ainsi, prenant du recul, il s’efface devant lui-même comme le peintre se détache de sa toile pour mieux voir. Cocteau s’éloigne de Cocteau pour devenir Cocteau. Devenu tel qu’en lui-même enfin, ce promeneur solitaire se tourne vers de grandes ombres, Antigone, Jeanne d’Arc; s’écarte de notre vieux monde trop intelligent pour chercher quelque Thibet qui lui rende le seul trésor qui compte, le trésor du cœur.
Cocteau cesse, de la sorte, d’être une ombre en devenant une âme ; et nous étonnant jusqu’au bout, s’inscrit dans l’ordre, devient académicien en Belgique d’abord, en France ensuite. une fois de plus, pour les beaux esprits, que d’erreurs promises !
Il serait trop facile de conclure qu’il boucle la boucle et redevient semblable au prince frivole qu’il faut au temps ensorcelé de son enfance. Ce prince, iln’ jamais cessé de lêtre ; et chacun le voyait. Mais on sentait bien aussi que partout où il passait, c’était à la façon de Louis II de Bavière, en faisant aussitôt effacer la trace de ses pas. Il s’y perdait lui-même, se cherchant sans se trouver soupirant : »Mon Dieu, acceptez-nous dans le royaume de vos énigmes. » Il craignait le regard des hommes tout en voulant être regardé. D’où cette existence toujours sur les tréteaux mais toujours masquée. D’où ce qu’on nomma ses jongleries.
En lui-même il pensait que le vrai drame, c’est que les êtres ne se connaissent pas. Les êtres s’appellent des deux côtés d’un mur. L’art du poète consiste à faire de ce mur un rideau de cristal. C’est pourquoi, aux meilleurs instants de sa vie, Cocteau a cherché la transparence, et en est venu au classicisme de Plain-Chant hier, de Clair-Obscur aujourd’hui.
Déjà, en 1922, dans le Secret professionnel, il définissait ainsi son art poétique : « Tant pis pour ceux qui ne reconnaissent le poète qu’à ses signes extérieurs. La forme de la pensée, un nombre limité de problèmes, un petit vocabulaire simple, l’angle de vision sont ce à quoi il se distingue des autres. » Dès lors, tout son effort tendit à cela : se simplifier. Mais ne se simplifie pas qui veut, et l’automne d’un destin peut en être l’heure la plus flamboyante.
L’âge a mené Cocteau à ce dénuement que Plain-Chant annonçait. Il devient le plus mesuré des hommes, emporté par une fièvre certes, mais le menant sévèrement comme un bon cavalier sa monture. »
Roger Bodart, 1956
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On trouve bien sûr plusieurs publicités sur les produits Chantereau : le Mucinum, produit phare de la Société depuis son origine; le Butoxane, vasoconstricteur bactéricide, pour les affections rhinopharingées; l’Euchobyl, association hépatoprotectrice de papaïne et de vitamine B5; les comprimés gynécologiques Streptomycine Sulfamide; la réserpine Chantereau; le Tot’Héma, reconstituant, autre produit important de l’entreprise à cette époque; et enfin l’Hamarutyl (anciennement Tot’Hamelis), à base d’hamamelis, « Accélérateur de la circulation en retour ».
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Le deuxième document, daté de 1960, est consacré à l’ouvrage de Maxime DU CAMP, paru chez Hachette, « L’Exode de l’impératrice Eugénie en 1870 », extrait (TII, Chapître 4) de Souvenirs d’un demi-siècle (Au temps de Louis-Philippe et de Napoléon III, 1830-1870). Maxime Du Camp (1822-1894) fils d’un médecin réputé, va beaucoup voyager, parfois avec Gustave Flaubert avec lequel il entretien une importante correspondance. il fut l’un des fondateurs, en 1851, de la Revue de Paris et un des contributeurs de la Revue des Deux Mondes.
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En introduction, on peut lire : »La postérité est très indulgente pour les fautes des princesses, pour peu qu’elles aient été malheureuses. L’Impératrice Eugénie avait, avec beaucoup de légèreté, poussé à la guerre contre l’Allemagne : c’est une écrasante responsabilité. Mais dans les souvenirs de Maxime du Camp que nous présentons ici elle fait courageusement face à l’adversité et, jusqu’au bout garde la foi en son étoile. Insidieusement, une question se pose alors au lecteur ému : Que serait-il advenu si son impérial époux avait eu cette même fermeté ? »
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Le document de 26 pages de Maxime Du Camp raconte par le menu le départ de l’impératrice Eugénie en 1870, à la fin de l’Empire. Son départ de Paris fut compliqué : après plusieurs refus ou échecs dans la demande de soutien de l’impératrice pour partir de Paris, l’impératrice décide de se réfugier chez son dentiste, le Dr Thomas Evans, qui recevait ce soir là 22 invités et il fallut attendre la fin de la soirée : « Evans avait réussi à se débarrasser de ses convives et, à minuit, on put monter dans un landau attelé de deux bons chevaux. Sur le siège à côté du cocher, le neveu de Thomas Evans…; dans l’intérieur, l’Impératrice, le visage couverte d’un voile de dentelles noires, Mme Lebreton et Evans. il avait été décidé que l’on se rendrait à Trouville, d’où l’on comptait pouvoir facilement frêter un bateau de pèche ; les chalutiers sont d’excellents mariniers et leurs bateaux solides peuvent tenir la mer par les gros temps.
Le voyage fut morne ; on n’était pas sans inquiétude ; on ne s’arrêta pas ; on mangeait dans la voiture ; lorsqu’on traversait des villes et des villages, l’Impératrice, blottie dans un coin, feignait de dormir. A Evreux, on loua une paire de chevaux et l’on continua jusqu’à Lisieux. Là, une imprudence faillit mettre les voyageurs en péril. Dans la grande rue, un agent de police malmenait un ouvrier. Emportée par un bon mouvement, l’Impératrice s’écria : « Lâchez cet homme, je vous l’ordonne ; je suis l’Impératrice. ». Trois ou quatre passants s’arrêtèrent. Evans ne manqua point de présence d’esprit ; il se toucha le front, pour indiquer que l’on avait affaire à une folle et, sans encombre, on put gagner une auberge… Le 6 septembre, vers midi, on parvint au bout du voyage, à Deauville, après trente-six heures de route ininterrompue. Evans installa dans une maison meublée l’Impératrice, qui était devenue une dame anglaise frappée d’aliénation mentale, voyageant avec son médecin, avec sa femme de chambre, et que l’on reconduisait en Angleterre ».
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On retrouve bien sûr plusieurs publicités sur les mêmes produits Chantereau, mais s’y ajoutent quelques nouveaux : Sedamine, une association à base d’aspirine , et le savon Nobacter au Bithionol
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A la fin de ce chapitre, Maxime Du Camp cite Lord John Russel qui a dit dans ses mémoires : « Les Français qui venaient de succomber par leur faute même, et sous leur propre agression, déposèrent leur souverain à la suite d’une révolution de la populace et laissèrent escalader le pouvoir par la plus infime minorité des députés du corps législatif. La République acheva sans rémission la ruine que l’Empire avait commencée ». La Révolution du 4 septembre, ajoute-t-il, ne profita pas qu’à la Prusse, qui ne négligea pas d’en tirerbon parti. Elle profita aussi aux ministres du 2 janvier. Dans le bouleversement de toute organisation, dans l’effondrement du pays après la défaite continue et les abominations de la Commune, on les oublia. Ils durent à tant de malheurs de ne pas être traduits devant une cour de justice. La journée du 4 septembre les sauva; c’est à celadu moins qu’elle aura servi. (Maxime Du Camp, Souvenirs d’un demi-siècle, 1949, Hachette)
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Le troisième document, daté de 1972, est un extrait du récit de Paul Carrel, « Un allemand raconte le débarquement », issu de l’ouvrage de l’auteur « Ils arrivent », publié chez Robert Lafont en 1962.
« Voici, vu du côté allemand, par un témoin qui ne s’éloigne jamais des souvenirs vécus ni des documents authentiques, une phase du débarquement américain sur la côte normande le 6 juin 1944. L’auteur a choisi de nous relater le déroulement des faits au premier point de la côté où prirent pied les forces du général Eisenhower. »
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L’auteur raconte en particulier l’histoire du lieutenant Jahnke qui observe incrédule, le début du débarquement en Normandie, contraire à l’avis de tous les experts. Il subit un bombardement aèrien très intense dans son nid de résistance n°5, sur la côte du Cotentin.
« Quand la fumée de l’offensive de de bombardement se fut un peu dissipée et que l’enfer parut un moment s’apaiser, ils apparurent. Devant les cinq points choisis de la côte, se présenta une escadrille de 6 vaisseaux de ligne, 23 croiseurs, 122 destroyers, 360 torpilleurs et quelques centaines de frégates, de chaloupes et d’escorteurs.
Sous la protection de cette armada, la plus considérable de toute l’histoire navale, s’avançait le plus important rassemblement de vaisseaux de toutes sortes qu’un oeil humain ait jamais pu contempler : 6.480 navires de transport, péniches de débarquements, chalands et bateaux spéciaux étaient là rassemblés.
Ce que si souvent on avait, au cours des séances d’instruction, présenté en images aux défenseurs de la côté, se trouvait maintenant en original sous leurs yeux : les chalands d’assaut, les navires de la D.C.A., les navires chargés d’artillerie et les péniches de débarquement de l’infanterie, tout y était ! »
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« Et tandis que toute cette flotte s’affairait à ses préparatifs, les canons des navires de guerre, tirant par dessus elle, se mirent à tonner. un déluge d’acier, une cloche infranchissable, coiffait tout le secteur côtier, interdisant son abord aux renforts et aux ravitaillements.
Etait-il après cela possible qu’en quelque point de la côte, entre la Vire et l’Orne, il y eut encore une main allemande susceptible d’appuyer sur la gâchette d’une mitrailleuse, de tirer un coup de canon, ou de lancer une grenade ? Et pourtant, de ce paysage de mort, une ultime résistance a surgi… ».
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Dans ce document de Chantereau de 1972, on trouve plusieurs produits nouveaux par rapport aux deux documents précédents : Trophicardyl, « dépourvu de toute toxicité, sa tolérance est parfaite » ! , produit à base d’Inosine; Cutisan, un antiseptique cutané; Polygynax, des capsules gynécologiques ; Transilax, un laxatif à base de mucilage pur de grain de Psyllium ; Beneural « pour les surmenés candidats à l’infarctus », associant un sédatif et la vitamine B6.
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A travers cet exemple d’un Journal d’entreprise destiné au corps médical, on mesure la richesse des textes et des illustrations qui avaient pour objectif de distraire les médecins et de les inciter à tomber au passage, sur les publicités pharmaceutiques des produits maisons. Ces « House-Organs » qui ont été publiés par de très nombreuses sociétés pharmaceutiques jusqu’aux années 1970, ont fait la fortune des sociétés d’édition spécialisées, mais ont surtout permis de mettre en lumière la richesse de l’art et de la littérature, source inépuisable d’inspiration pour les lecteurs. |
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