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HISTOIRE
D’UNE MARQUE
LE SIROP DES VOSGES CAZÉ*
*Texte publié par Pierre Cazé dans la Revue d’Histoire de la Pharmacie, n°293, 1992
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Né de parents négociants en chaussures et mercerie en gros installés place du Marché-aux-Poissons, à Douai, le jeune Alexandre CAZE commença par faire de bonnes études au collège Saint- Jean de sa ville natale, puis s’orienta vers la physique et la chimie avant d’opter pour la pharmacie, qu’il étudia à la Faculté de Médecine et de Pharmacie de Lille.
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A cette époque, le diplôme de pharmacien pouvait être acquis sans le baccalauréat avec toutefois cette restriction que le titre ainsi obtenu de« pharmacien de deuxième classe » ne permettait d’exercer que dans la circonscription universitaire où il avait été acquis. De sorte que, reçu de cette façon pharmacien le 22 juillet 1895, Alexandre Cazé ne pouvait s’installer que dans la région du Nord. Sa thèse, de 61 pages in-4°, avait pour sujet Sur le dosage de l’acide urique et le jury devant lequel il la soutint était présidé par le Pr Lambling. En page de titre, il y fait mention de sa qualité de préparateur de chimie organique à la Faculté.
Quelques temps plus tard, désirant s’installer à Saint-Quentin, dans l’Aisne, Alexandre Cazé dut subir un nouvel examen, à Amiens cette fois. Il y fut reçu le 9 novembre 1896. Son diplôme fut enregistré à Saint-Quentin le 6 septembre 1897, date de son installation dans cette ville au 12 de la place du Palais-de- Justice.
Ce Palais, on était en train de le bâtir. L’entrepreneur qui avait soumissionné pour les travaux, Emile Bigel, venait de l’Est de la France, où il avait construit plusieurs casernes et divers forts, dont un à Verdun. Il avait deux filles. L’une d’elles, Alice, devint l’épouse d’Alexandre Cazé le 26 décembre 1901.
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Les spécialités étaient alors encore assez rares. Les médecins formulaient, c’est-à-dire fixaient eux-mêmes la composition et le dosage des médicaments qu’ils prescrivaient. Les pharmaciens exécutaient les ordonnances en confectionnant des préparations magistrales. Mais la connaissance et la pratique journalière qu’ils avaient du maniement et des effets des produits médicamenteux leur permettaient de préparer des « produits conseil » ou « spécialités maison »*.
* On devrait plutôt parler de « produits-maison » dont la composition n’était pas toujours originale mais dont la fabrication à l’officine était artisanale
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A. Cazé n’y manqua pas. Bientôt il composa et vendit dans son officine de nombreuses spécialités* comme : le Savon dermophile Cazé pour les soins du visage et la toilette des enfants ; le Corifuge japonais, au succès garanti ; le Vin de Viande Cazé « pour ceux qui manquent de forces » ;
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enfin et surtout, le Sirop des Vosges Cazé pour la guérison certaine de la toux (« Essayez et vous guérirez »).
Pourquoi ce nom de Sirop des Vosges ? Sans doute parce que l’image de la montagne, la légèreté de l’air qu’on y respire, l’odeur revigorante des sapins faisaient naître l’idée d’une pureté fort bienfaisante pour le système respiratoire. Mais peut-être aussi en hommage à la jeune Mme Cazé, qui était originaire des Vosges.
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LES PREMIÈRES ANNONCES (vers 1900)
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Pour accroître ses ventes, A. Cazé entreprit de «faire de la réclame» dans les journaux locaux, puis dans ceux de la région. Vite, il eut des dépositaires aux alentours. Une annonce de 1901 mentionne la Pharmacie Fizaine, à Bohain, et la Pharmacie Rabelle, à Ribemont, deux localités proches de Saint-Quentin.
Peu à peu, le réseau de vente s’étend. Des annonces portent mention de pharmaciens dépositaires à Paris, à Reims, à Épernay, etc. Dès novembre/décembre 1903, un répertoire de clients montre des ventes à Nancy, Valenciennes, Amiens, Mâcon, Saint-Étienne, au Puy, à Brest, à Avignon, Arles, Marseille et Nice et même une expédition de 12 flacons à la Pharmacie Sarfaty à Alger.
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Cette progression régulière des ventes incite A. Cazé à envisager de s’installer à Paris, qui est le centre des affaires. Avec courage, car le risque est grand, il décide de tout miser sur le Sirop des Vosges : en 1911, il vend l’officine de Saint-Quentin et achète à Paris une propriété au 68 bis, avenue de Châtillon (XIVe arrondissement). C’est un jardin où s’élève un pavillon qui devient l’habitation de la famille, laquelle s’est agrandie le 5 août 1905 par l’arrivée d’un fils, Michel. Sur ce terrain, le père d’Alice Cazé construit un bâtiment à deux niveaux pour la fabrication du Sirop des Vosges.
La guerre de 1914-1918 arrête la progression des ventes mais celles-ci auraient été réduites à zéro si A. Cazé était resté à Saint-Quentin, région occupée par l’armée allemande. Les événements ne nuisent d’ailleurs pas à la réputation du produit, baptisé Sirop des Vosges « gazé » par les poilus qui avaient souffert des gaz de combat dans les tranchées
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La guerre terminée, les ventes repartent, et si bien que d’octobre 1920 à fin septembre 1921, elles atteignent un total de 180 000 flacons. De cette époque subsiste de la publicité en langue allemande dans les journaux alsaciens. D’autres documents montrent la pénétration du Sirop en Belgique et en Suisse.
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En 1923 apparaît dans la publicité du Sirop des Vosges un slogan qui marquera dans l’histoire de la publicité en général : Comme l’eau éteint le feu, le Sirop des Vosges éteint la toux. Il est le résultat d’une lente genèse. L’origine en est antérieure à la guerre de 1914. Elle se trouve dans la notion de feu mise en œuvre dans une série d’annonces publicitaires : « La gorge en feu ! », « Les bronches en feu ! ». |
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Puis l’idée évolue. En 1921-1922, voici une annonce avec en titre : « La Toux met la poitrine en feu ! » et dans le texte : « Vos bronches sont en feu ! En 1923 enfin, passage du texte à l’image : le slogan est illustré d’un feu éteint avec un seau d’eau. Sans doute l’image n’a-t-elle pas paru très convaincante, car c’est le texte du slogan qui continuera d’être utilisé de façon soutenue, particulièrement sous forme de bandeau en bas de page des journaux. Vers 1932 cependant, un projet d’annonce fait apparaître un nouvel élément : un pompier qui, avec sa lance, combat un feu qui flambe dans le mot « Poitrine ». Mais il faudra encore vingt ans avant que Jean Carlu trouve le dessin extraordinairement parlant qui a fait la gloire de « l’affiche du pompier ». Le texte Le Sirop des Vosges Cazé éteint la toux et l’image s’y complètent et s’y imbriquent à merveille. Cette affiche sera reprise en 1972 sous forme de tableau de vitrine. Malheureusement, les exigences du ministère de la Santé obligent les Laboratoires Cazé à remplacer « éteint la toux » par « contre la toux ». Pour qui n’a pas à l’esprit le slogan, cette modification ôte au pompier beaucoup de sa signification.
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Mais revenons en arrière pour dire quelques mots de l’action publicitaire et du développement du Laboratoire Cazé. La première ne s’est jamais relâchée. C’est ainsi que dès l’hiver 1924-1925, des annonces paraissent dans quatre-vingts journaux qui couvrent la France. Parmi eux, à Paris, le Matin, le Petit Parisien, l’Écho de Paris, le Petit Journal. En province, cela va de l’Écho du Nord au Petit Marseillais et de la Dépêche de Brest aux Dernières Nouvelles d’Alsace. De la publicité paraît également dans la Dépêche d’Alger, la Dépêche de Constantine et l’Écho d’Oran. Les ventes de cette même saison 1924-1925 s’élèvent à 713 857 unités.
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En 1929, alors que les ventes atteignent 1 280 536 flacons, Michel Cazé (1905-1984), reçu pharmacien, vient aider son père. Un sang nouveau et une dynamique nouvelle entrent avec lui aux Laboratoires Cazé. Le Sirop des Vosges continue de progresser. Les Pâtes des Vosges sont mises sur le marché. Les Laboratoires assurent la fabrication, le conditionnement, mais la distribution reste confiée à l’Office Commercial Pharmaceutique (O.C.P.) comme dépôt général.
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En 1935-1936 changement de méthode. Le Laboratoire achète une ancienne usine de verres et glaces attenant au 68 bis de l’avenue de Châtillon. On engage du personnel et des représentants et on organise un service d’expédition et de facturation qui permet la vente directe aux officines. Enfin, on accroît la publicité en ajoutant à celle faite dans la presse des messages radiophoniques et de brefs sketches tels que Sur le Palier ou Voilà le facteur, dans lesquels jouent, entre autres comédiens à succès, Raymond Soupleix, Jeanne Sourza, Fusier-Gir et Pauline Carton. Un air qui rythmait ces émissions est longtemps resté dans les mémoires : « Sirop des Vosges Cazé, votre rhume passe ; Sirop des Vosges Cazé, votre rhume est passé ».
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En 1938 est acheté, à Malakoff, un local pour le stockage des cartonnages, caisses en bois et autres matériaux de conditionnement. Les anciens bâtiments de l’avenue de Châtillon sont remplacés par une usine moderne comprenant quatre niveaux. Comme la guerre semble inévitable, la construction n’en est autorisée qu’à la condition que les laboratoires comportent un abri contre les bombardements. On creuse. À une dizaine de mètres de profondeur, on trouve d’anciennes carrières.Cela permet qu’à plus de trois étages au-dessous du niveau du sol, on bâtisse et aménage un abri ayant deux sorties et pouvant contenir une centaine de personnes.
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A la veille des hostilités, les ventes dépassent deux millions d’unités. La guerre freine une fois de plus l’activité de la maison. Sous l’occupation allemande la pénurie s’installe partout. Sucre, matières premières et verrerie deviennent rares, tout est contingenté et rien ne peut être obtenu sans des bons délivrés par un « Comité d’organisation » 2. La verrerie et le sucre, en particulier, manquent cruellement. Il faut donc s’adapter. On commence par réduire la dimension du flacon en fabricant un sirop concentré. Mais cela ne suffit point. Il faut rapidement organiser la récupération des flacons vides. Ils reviennent par milliers. Le déballage, le nettoyage, le lavage de cette verrerie tourne au travail de chiffonnier. Mais cette activité frénétique permet de maintenir les ventes autour des deux millions d’unités. Harassante besogne ! Et qui dure, car 1945 voit la fin de la guerre, mais non celle des restrictions, et la bataille des flacons continue jusqu’en 1949.
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Dès 1948, les Laboratoires Cazé se sont associés aux Laboratoires Aspro pour former un réseau commun de représentants qui prennent les commandes et posent des éléments publicitaires de vitrine chez les pharmaciens. Cette collaboration couvre la France, à l’exception de Marseille, Toulouse et Strasbourg, où des dépôts sont installés. Elle s’étend à l’Afrique Noire. Un camion aux couleurs d’ Aspro et Cazé distribue tracts, buvards, protège-cahiers, images à la façon d’Epinal et matériel de vitrine pour les pharmaciens et les dépôts en brousse. À cette époque, le Sirop des Vosges est présenté sous des conditionnements et dans des langues différents suivant les pays auxquels il est destiné. En français et en flamand pour la Belgique ; en français et en allemand pour la Suisse ; en français et en arabe pour l’Afrique du Nord, le Liban, l’Egypte ; en français et en malgache pour Madagascar ; en anglais pour l’Afrique du Sud ; en anglais et en chinois pour Hong-Kong ; en français et en annamite pour l’Indochine.
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Cependant, la France se redresse, le plan Marshall y aide. Le laboratoire est équipé d’une installation ultra-moderne de conditionnement, avec du matériel américain pour le nettoyage, le remplissage, le capsulage et l’étiquetage des flacons. La mise en étui de carton est assurée par une machine suisse. Ce nouveau matériel permet d’atteindre une cadence de 30 000 flacons par jour, si bien que l’année 1949-1950 bat tous les records avec 4 096 658 flacons, non compris ceux qui sont produits en Belgique et en Suisse.
C’est durant cette période que l’auteur, Pierre Cazé, né à Bohain le 17 mars 1915, reçu pharmacien en 1942, entra officiellement aux Laboratoires Cazé, où il eut en charge essentiellement la fabrication, l’approvisionnement et le personnel, cependant que Michel Cazé, président-directeur-général, s’occupait plus particulièrement de l’administration et de la publicité.
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En 1952, les Laboratoires Cazé reprennent leur liberté, suppriment les dépôts et créent un réseau complet de représentants. La livraison et la facturation dépendent de Paris. Survient un nouveau choc : la Sécurité Sociale cesse de rembourser les produits « grand public », c’est-à-dire faisant de la publicité directe auprès des malades. Les Laboratoires Cazé réagissent en élargissant la gamme des fabrications. Ils achètent Aspirisucre aux Laboratoires Berthiot, qui fabriquent également la Poudre antiasthmatique et les Cigarettes Louis Legras. Le produit est amélioré dans son goût et dans sa présentation et les ventes en progressent régulièrement pour atteindre un million d’unités. En 1959, un accord est conclu avec le Laboratoire San Pellegrino, qui était en Suisse le fabricant du Sirop des Vosges. Désormais les Laboratoires Cazé fabriqueront et distribueront les produits de San Pellegrino en France et dans les anciens territoires français. La vente de tous ces produits atteint certes une vitesse de croisière satisfaisante, mais elle cesse de progresser.
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Aussi les Laboratoires Cazé décident de sortir du domaine purement pharmaceutique en fabriquant et en distribuant les cosmétiques de la marque Scherk pour les soins du visage. En cinq ans les ventes triplent de volume grâce à une bonne publicité et à un réseau de représentants efficace. A cela viennent s’ajouter la fabrication et la diffusion du dentifrice Teelak. Et, pour compléter ses activités dans le domaine cosmétique, le laboratoire signe un accord avec Sauzé pour la fabrication et la diffusion de ses Eaux de Cologne. |
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En 1974, la répartition du chiffre d’affaires était la suivante : Produits pharmaceutiques : 22,8 %, soit en unités 37,20 %. ; Teelak : 10 %, soit en unités 14,10 %.; Scherk : 35,1 %, soit en unités 30,20 % ; Sauzé : 32,1 %, soit en unités 18,50 % ; et le nombre total d’unités était de 7 084 434. Mais depuis un certain temps des problèmes de succession se posaient, de sorte qu’en 1977, les Laboratoires Cazé sont vendus à la Société Beecham. Quelques années plus tard, la commercialisation va définitivement s’arrêter. |