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Nous avons eu l’occasion lors de précédentes expositions de voir que l’industrie du médicament naissante et l’officine créatrice de spécialités pharmaceutiques avait voulu distraire les médecins et pharmaciens par des brochures, ouvrages et documents en tout genre, parmi lesquels les Agendas et autres calendriers ou Almanachs ont trouvés une place de choix. Nous avons ici un exemple intéressant d’Agenda illustré de 1913 publié par la Pharmacie Normale de Montrevel (Ain). Cet Agenda est surtout intéressant par ses dessins humoristiques de Caran d’Ache dont certains sont sans doute peu connus. D’autres, au contraire, sont la reprise de dessins publiés par ailleurs dans d’autres journaux ou ouvrages du même auteur. |
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Caran d’Ache (1858-1909) De son vrai nom Emmanuel Poiré, ce dessinateur humoristique est né le 6 novembre 1858 à Moscou. Il était le petit-fils d’un officier français blessé à la bataille de la Moskova. Ce dernier, soigné sur place, décide de s’installer définitivement en Russie. Caran d’Ache, quant à lui, revient en France en 1877 et prend la nationalité française et fait son service militaire. Ses premiers dessins paraissent en 1880 dans la Chronique parisienne. Comme nous le verrons plus loin, Caran d’Ache restera fidèle toute sa vie à sa vision héroique de son ancêtre et de l’épopée napoléonnienne. L’armée, Napoléon seront donc des thèmes récurrents dans son oeuvre. Grâce à cet Agenda pharmaceutique, on voit que Caran d’Ache a été probablement le premier humoriste à illustrer des documents publicitaires pharmaceutiques destinés aux médecins ou aux pharmaciens, ou à leurs patients. Beaucoup d’autres le suivront, de Dubout à Sempé, en passant par Bosc, Faizant, Chaval, etc.
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La structure de l’Agenda de 1913 est la suivante : 1°) la première page situe le commanditaire : la Pharmacie Normale de Montrevel (Ain), avec la liste de ses produits et les mots clefs : Loyauté – Confiance. Le Pharmacien, E. Rémond, commercialise en effet des produits pharmaceutiques « de toute Première Qualité ». 2°) On trouve en page 2 et en fin d’ouvrage un « Petit Guide Médical », par mots clefs; 3°) Chaque mois est agrémenté d’une ou plusieurs histoires illustrées et d’une histoire humoristique, ainsi qu’une rubrique « Pour passer le temps » 4°) on trouve enfin quelques pages diverses et des « recettes utiles » |
Caran d’Ache raconte comment lui est venu le goût pour le dessin (Emile Bayard , La Caricature et les caricaturistes) : « J’ai toujours dessiné, c’était dans ma nature. Ma vénération pour les costumes militaires date de mes premières joies à feuilleter des pages de soldats, et les années que je passai au régiment me ravirent ». Il choisit le pseudonyme Caran d’Ache , en s’inspirant du mot russe karandash qui signifie crayon. En 1881, il rencontre le peintre Edouard Detaille qui aura une influence importante pour le reste de sa carrière. Il est l’inspirateur de Benjamin Rabier, de Tardi et d’autres. A partir de 1886, il publie régulièrement ses dessins humoristiques dans le Chat noir, le Tout-Paris, La vie militaire, la Caricature, le Journal, etc. En 1894, il envoie au Figaro une lettre décrivant le roman dessiné. En 1898, il fait partie des antidreyfusards
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Voici un premier exemple d’histoire illustrée qui accompagne le mois de mars 1913 : deux histoires sans aucun lien sont ici mises en valeur : – Une bonne nature |
Dans cette première histoire, une bonne nature, Caran d’Ache raconte l’histoire de Toto qui vient de finir sa dictée sur le bon Saint Martin et son manteau. Toto va au Parc Monceau et s’aperçoit que deux petits chiens ne sont pas couverts d’un manteau adapté au froid de saison. Du coup, il les couvre de son pantalon, au désespoir de « Miss » qui le voit nu devant elle ! |
La seconde histoire « appartement à louer » se découvre sans parole. Au cours de la visite d’un appartement à louer, avec salle de bains, la femme essaye par mégarde la douche sur son mari ! et elle fonctionne très bien. |
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Parmi les rubriques qui reviennent tous les mois de l’Agenda, on en trouve une très originale dans les Agendas pharmaceutiques : celle destinée à « Passer le temps ». Il s’agit de jeux individuels ou à deux destinés à amuser et distraire ceux qui pratiquent ce qui est recommandé par l’Agenda.
On peut faire deux remarques : seuls les hommes sont représentés ! ; et les types d’activité sont très variés mais font le plus souvent appel à l’habileté plus qu’à la force physique. |
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L’Agenda illustré par Caran d’Ache comporte un certain nombre de petites histoires humoristiques dont quelques unes sont reproduites ici. Elles apparaissent en haut de chaque mois du calendrier. Cela mérite la lecture avec le recul d’un siècle !
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Parmi les histoires quasiment sans texte, voici celle de la Boxe chez soi, où un baron s’entraine à la boxe et, en même temps, reçoit la visite inopinée de son tailleur. Ce dernier, derrière le rideau, reçoit un uppercut et s’en va sans demander son reste. « Il a dit qu’il reviendrait quand M. Le baron serait moins occupé » conclut Caran d’Ache.
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Autre petite scènette : le Fusil à répétition, sans aucun texte, cette fois-ci. Après avoir fait feu dans toutes les directions, les deux dernières images font penser que le fusil se décharge tout seul sur le sol et tue son chien de chasse.
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Autre histoire sans parole : Dynamite, avec cette phrase en exergue : « Beaucoup de bruit pour rien » Shakespeare. Après une série d’images où l’on découvre qu’une boite dont le contenu est inconnu fait peur et amène à prendre de multiple précaution pour la manipuler, on s’aperçoit qu’il s’agit d’une simple boite d’allumette, semble-t-il. Bien que l’interprétation de la dernière image ne soit pas très claire, on peut penser que les 3 personnes autour de la table se congratulent d’avoir réussi à passer l’obstacle !! | |||
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Comme nous l’avons dit précédemment, Caran d’Ache était un passionné de Napoléon en raison de son histoire familiale. On voit ici deux exemples d’histoires associées à la vie de Napoléon La lettre de Napoléon à Murat (Chapitre des « Mémoires du Général Marbot ») et Napoléon au Théatre Ces deux séries de dessins ne sont pas uniques à cet Agenda et se trouvent dans d’autres publications de Caran d’Ache à cette époque. 1°) La lettre de Napoléon à Murat (Série parue en album en 1898) L’histoire de cette lettre a fait l’objet de multiples discussions et controverses comme en témoigne le site sur l’histoire du Consulat et du Premier Empire. L’historien Thierry Lentz, comme beaucoup d’autres historiens considère que cette lettre n’a jamais existé. Il en est fait mention pour la première fois dans le Mémorial de Sainte Hélène et tendrait à accréditer l’idée que Napoléon avait bien prévu les difficultés à venir en Espagne : « La vérité est sans doute que Napoléon a voulu démontrer à Las Cases qu’il avait tout fait pour éviter la guerre civile, qu’il avait prévu que le peuple madrilène était à manier avec doigté et que, finalement, ce fut la maladresse de Murat qui fit tout basculer ».
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2°) Napoléon au Théatre. Il s’agit sans doute d’une pièce imaginaire de Caran d’Ache qui représente son héros dans les moments clefs de sa vie politique. Il s’agit bien de théatre avec un acteur auquel de Directeur demande de bien jouer son rôle. Les scènes les plus importantes sont celles avec Joséphine : »vous êtes impératrice ». C’est le même Napoléon qui semble s’adresser à elle : « Je vous briserai, comme je brise cette porcelaine », puis « Ce divorce est nécessaire ». Recevant en retour toutes sortes d’objet de l’impératrice, Napoléon réplique : »Le boulet qui doit me tuer n’est pas encore fondu !.. » L’autre sujet important, ce sont les batailles de Napoléon : Lodi*, Austerlitz, Waterloo et finalement l’exil mais à l’ile de …la Grande-Jatte ! *La bataille du pont de Lodi conclut de manière victorieuse la 2° partie de la campagne d’Italie (1796) |
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L’histoire du « Balthasar manqué » qu’on trouve dans d’autres journaux de l’époque peut être interprété de différentes façons. Balthasar était un des personnages secondaires de Roméo et Juliette, et on peut imaginer que Caran d’Ache veut représenter un rendez-vous qui se termine mal à cause des deux chiens qui mangent le pique nique. L’autre hypothèse est qu’il s’agit peut-être de la suite d’une histoire de sapeur : En grand connaisseur de l’uniforme militaire — Il fut attaché pendant son service au 2e bureau des modèles de l’Etat-Major où il est chargé de reproduire des uniformes étrangers —, Caran d’Ache dessine son personnage sans son bonnet à poils mais avec son képi. En effet, après le Second Empire, rien ne distingue plus extérieurement le sapeur des autres fantassins. |
Une autre histoire quasiment sans parole nous est ici raconté par Caran d’Ache avec son humour habituel : Pourquoi le cheval « Centaure de Marseille » n’a pas gagné le « Prix de la Coupe » ? Parce qu’il a sauté si haut que lorsqu’il s’est décidé à descendre, le concours était fini depuis huit jours !
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L’Agenda se termine par quelques pages de textes instructifs sur « Naissances-Mariages-Décès » tout d’abord où sont décrites les démarches administratives dans ces circonstances, y compris le détail des durées de « Deuil », « Grand deuil » et « demi-deuil ». Enfin, le troisème texte a trait au service militaire : 2 ans, 11 ans dans la réserve, etc. Il faut se souvenir que nous sommes un an avant la déclaration de la Grande Guerre !
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Une deuxième série de textes méritent le détour : celui des « recettes utiles » et le « guide médical »: Les « recettes utiles » regroupent une série de conseils très pratiques pour les problèmes quotidiens rencontrés par le lecteur : comment traiter les taches de graisse, de vin, d’huile et même de mouches ! Comment refriser les plumes de chapeaux, reconnaitre la composition d’un vêtement, etc. Pour l’alimentation, les problèmes sont ceux de la falsification du café, du lait et du beurre, comment reconnaitre la fraicheur des oeufs… On peut aussi apprendre à traiter les conduites d’eau gelées, la destruction des fourmis, les feux de cheminée ou l’entrtien des brosses à cheveux ! Enfin, l’Agenada se termine comme il a commencé, par un « guide médical » où les sujets sont traités par mots clefs soit à partir de symptômes (Vomissements, vertige, prurit, toux, convulsion des enfants, etc.) ou à travers des tableaux cliniques plus complexes (Diabète, Croup, Anémie, Attaque des nerfs… ). On trouve également une « Petite Pharmacie indispensable » selon 4 catégories : Usage interne (Antipyrine, bicarbonate de soude, bismuth, etc.), Usage externe (Alcool camphré, acide picrique, collodion, etc), Pansements (Bandes de gaze, crêpe, coton hydrophile…), et Accessoires (Seau-douche avec canule rectale et vaginale, thermomètre).
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Voici un exemple détaillé du « Guide médical » pour le coriza |
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En conclusion, il s’agit d’un Agenda dont l’originalité réside surtout dans les dessins de Caran d’Ache décédé 4 ans plus tôt. Le reste est assez classique pour un Agenda pharmaceutique mais c’est sans doute l’un des premiers qui fait de la publicité pour des spécialités pharmaceutiques : laxatif granulé, vin fortifiant et Kola-Champagne. On ne connait pas la recette de cette dernière mais on a du mal à imaginer du champagne avec de l’extrait de Kola. Quoiqu’il en soit, le produit est proposé comme « Régénérateur des forces. Excitant musculaire et Régulateur du coeur. Tonique des personnes épuisées par les fatigues, par l’âge ou à la suite l’opérations ou de couches. Employé avec succès dans les vomissements provenant de la grossesse ou des affections organiques de l’estomac ». Tout un programme !
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