Le document de 18 pages de Emile de la Bédollière, intitulé « Le Pharmacien » a été publié en 1841. On peut accéder au texte complet sur Internet, mais malheureusement sans les illustrations qui constituent l’un des intérêts majeurs de l’ouvrage. L’objet de cette exposition est de présenter ce document mais surtout les illustrations que l’on doit à cinq dessinateurs connus au XIXe siècle : Pauquet, A. Duvivier (dessinant un tableau de Decamps), Grandville, Fellmann et Franck.
Emile Gigault de La Bédollière, né le 24 mai 1812 à Amiens, mort en avril 1883, était un écrivain, journaliste et traducteur français. Il a également publié sous le pseudonyme Anthony Dubourg. Il a écrit de très nombreux ouvrages comme les Fastes militaires de la France, Histoire de Napoléon-Le-Grand, récit des campagnes de la Révolution et de l’Empire de 1792 à 1815, ou encore Les industriels, métiers et profession en France. Il a également réécrit l’histoire de la Mère Michel (dont la comptine date des années 1820).
(HARTMAN SCHOPPER, le Livre des métiers.)
« O maître apothicaire de l’ancien régime, membre du sixième corps des marchands, qui comprenait aussi les épiciers, vendeur de galbanum, de lignum vitæ, de trochisque de cyphéos, d’emplâtre diacalcitéos, de feuilles d’alkékenge, et de mille remèdes non moins inertes et non moins ridicules, s’il tétait octroyé une autorisation provisoire de revenir sur la terre, quels seraient ton désappointement et ton embarras ! Tu ne reconnaîtrais plus ton humble boutique métamorphosée en somptueuse officine ; tu chercherais en vain tes vieux médicaments officinaux et magistraux, juleps, émulsions, apozèmes, embrocations, épithèmes et magdaléons ; tu considérerais comme autant de sacriléges les perfectionnements qu’ont subis tes bassines, tes alambics, tes pots-à-canon et tes piluliers ! Dérouté par les dénominations gallo-grecques de la chimie moderne, tu te demanderais avec anxiété ce que c’est que le sulfate de cuivre, le carbonate de potasse, le proto-iodure de mercure ; et en entendant mentionner l’entérite, la péritonite, la péricardite, la bronchite, la gastrite, persuadé que des maladies ignorées de nos ancêtres augmentent la somme des misères humaines, tu t’empresserais de retourner en l’autre monde avec le regret de l’avoir quitté ».
« Le pharmacien est un enfant de la révolution. Elle a, dans ses transformations régénératrices, substitué au procureur l’avoué, au traitant le banquier, au perruquier le coiffeur, au roi de France le roi des Français, à l’apothicaire le pharmacien.
Entre l’apothicaire et le pharmacien il y a un abîme, un bouleversement social et médical. Le second est fils du premier ; mais c’est un enfant ingrat qui dédaigne et renie son père, un novateur perverti par Broussais et la médecine physiologique.
Le pharmacien n’a plus d’extérieur professionnel, plus d’allures originales, et de l’ancien costume il n’a conservé que la cravate blanche, qui contraste avec les noires couleurs du reste de son équipement. La cravate blanche semble encore aujourd’hui un ornement indispensable, un sine quâ non du métier ; quand la cravate blanche serait bannie de la terre, elle devrait se retrouve au cou d’un pharmacien ».
Un dessinateur : Jean Ignace Isidore Gérard dit Grandville est né à Nancy en 1803, dans une famille d’artistes et de comédiens. C’est à Nancy qu’il reçoit ses premières leçons de dessin de son père, musicien amateur mais surtout peintre miniaturiste « pour la tête, la fleur ou le paysage ». Il suit les traces de son père et s’attache à dessiner les membres de sa famille, le spectacle de la rue et, progressivement, s’émancipant des principes inculqués, se fait une spécialité de « défigurer avec malice ces physionomies que l’adulte met tout son art à figurer ». Son talent de caricaturiste s’affiche précocement. L’opposition au père entre pour quelque chose dans cette velléité transgressive, mais on peut y voir également le dépassement du simple apprentissage. Grandville s’initie en recopiant les modèles de caricatures qu’il trouve dans la nouvelle presse satirique comme Le Nain jaune. Il se forge une opinion libérale, anticléricale.
Dès 1820, il conçoit des créatures hybrides, mi-hommes mi-animales qui deviendront rapidement la marque de son talent. À l’âge de vingt et un ans, Grandville s’installe à Paris. Le 22 juillet 1833, il épouse sa cousine Marguerite Henriette Fischer (1810-1842) et déménage dans un nouvel appartement. (Source : Wikipedia).
Peu de temps après son arrivée à Paris, Grandville publie un recueil de lithographies intitulé Les Tribulations de la petite propriété. Il poursuit son œuvre avec Les Plaisirs de tout âge et La Sibylle des salons, un jeu de tarot de 52 cartes qui sera finalement signé par Mansion. Mais c’est avec Les Métamorphoses du jour (1828-29), une série de 70 scènes dans lesquelles des personnages humains sont représentés avec une tête d’animal en situation pour un rôle dans la comédie humaine, qu’il s’est vraiment fait connaître. Ces dessins sont remarquables par l’extraordinaire habileté du dessin des expressions humaines transposées sur une figure animale. Ses planches satiriques sont des charges contre les contemporains ou des attaques contre la monarchie de Juillet. Ses dessins déplaisaient à Adolphe Thiers, qui fait promulguer, en 1835, sous le règne de Louis-Philippe une loi exigeant une autorisation préalable pour la publication de dessins et de caricatures. Après ce rétablissement de la censure, Grandville, viscéralement attaché à la liberté de la presse, se sent profondément atteint par les attaques incessantes de la police ; il est même perquisitionné et la fouille désordonnée opérée par les gendarmes le heurte profondément. Dans une caricature toute personnelle, il s’en souviendra en figurant les gendarmes sous la forme de mouches agaçantes envahissant son domicile.
Après cet épisode, il se tourne presque exclusivement vers l’illustration de livres, en illustrant divers ouvrages, tels que les œuvres d’Honoré de Balzac, les chansons de Béranger, les Fables de La Fontaine (1838) et celles de Florian, Don Quichotte de Cervantes, les Voyages de Gulliver de Swift, Robinson Crusoé de Daniel Defoe. Il a également continué à publier des recueils de lithographies : Les Cent Proverbes, Un autre monde (1844), Les Fleurs animées. Il participe aux illustrations des Scènes de la vie privée et publique des animaux, une satire initiée par Jules Hetzel en référence à La Comédie humaine, et au Diable à Paris. (Source : Wikipedia).
C’est bien dans ce cadre qu’il participe à l’illustration du Pharmacien.
Un autre dessinateur : Hippolyte Louis Pauquet : fils du graveur Louis Pauquet, nés, le premier en 1797, le second en 1800, Hippolyte fut formé à l’école des Beaux-Arts de Paris, ils exposèrent ensemble aux Salons de 1821 à 1849. Hippolyte et Polydor furent inséparables et gravèrent toujours en collaboration. Hippolyte fut, à la fois, graveur et illustrateur. Collaboration au Magasin pittoresque, à L’Illustred London News, etc.
« Grâce au ciel, la pharmacologie a été complétement bouleversée. C’est à peine si quelques retardataires osent inscrire le titre d’apothicaire au-dessus de la porte bâtarde de leur laboratoire ; et soyez sûrs que ceux-là portent une perruque, ou sont dignes d’en porter. Les pharmaciens ont cessé de réserver un cabinet sombre à l’administration du remède si redouté de M. de Pourceaugnac ; et c’est à tort qu’un vaudevilliste disait de l’un d’eux, à propos d’une émeute hydrauliquement réprimée : AIR de la Colonne.
Il a jadis protégé le royaume
Par des moyens adoucissants ;
Monsieur Canule, à la place Vendôme,
Joua des rôles importants.
En ce grand jour, payant de sa personne,
Monsieur Canule aspergea l’ennemi ;
Et je suis fier d’un ami tel que lui
Quand je regarde la colonne.
Notre camarade Népomucène Bonnisson, qui nous fournit ces curieux renseignements, eût dédaigné d’être apothicaire, mais il embrassa de plein gré, à l’âge de dix-sept ans, la profession de pharmacien. Il habitait une petite ville d’un département du centre, qu’il eût volontiers quittée pour aller étudier à Paris. Plus d’une fois, à ses débuts, il rêva de Paris et les bals publics, Paris et les grisettes avides de jujube, et la camaraderie des carabins, et les promenades du matin dans le jardin de l’École de pharmacie, et les punchs du soir où flamboie l’alcool dérobé au patron !… Mais la pauvreté lui fermait le chemin de la capitale. »
« Car il y a, sachez-le bien, deux ordres de pharmaciens : les uns suivent les cours d’une école, sont astreints à quatre années de stage, subissent devant leurs professeurs un examen qui leur coûte 1400 francs, et sont autorisés par diplôme à exercer dans toute la France. Les autres, condamnés à huit années de travaux préliminaires, payent 300 francs le droit d’être admis par un jury médical, et on leur assigne une résidence comme à des forçats libérés.
Ces catégories sont établies par la loi du 21 germinal an XI, qui régit les professions médicales, loi transitoire, validée par la prescription, loi défectueuse comme tant d’autres, et conservée, comme tant d’autres, en dépit de mille réclamations. Il n’est pas de ministre de l’instruction publique qui n’ait rêvé la réorganisation de la médecine et de la pharmacie, la suppression des jurys, la création d’écoles nouvelles, la proscription des remèdes secrets. M. de Corbière s’en est activement occupé en 1825 et 1828 ; M. Guizot s’en est activement occupé en 1838 ; M. de Salvandy s’en est activement occupé en 1839.
Des pétitions ont été signées, des mémoires rédigés ; des rapports ont été lus, des discours débités, des commissions créées, de graves questions approfondies, à la chambre des pairs, à la chambre des députés, à l’Académie de médecine, à la Société de pharmacie, à la Société de prévoyance des pharmaciens de la Seine.
On a reconnu la nécessité d’une réforme, et la réforme n’a pas eu lieu, et l’on n’est pas encore parvenu à rendre l’enseignement pharmaceutique uniforme, à le mettre à la portée de tous, et à imposer à tous les mêmes obligations en leur accordant les mêmes priviléges.
« La contemplation des bocaux de cette splendide officine nous a souvent procuré le même plaisir que la lecture des logogriphes du Corsaire et des charades du Charivari. Nous nous demandions avec anxiété ce que signifiaient les inscriptions latines tracées en abrégé sur la porcelaine. Nous sommes fier à juste titre d’en avoir déchiffré quelques-unes. Ne faut-il pas une certaine capacité pour deviner les énigmes suivantes :
ALCO : CROC : alcool croci (teinture de safran) ;
POM : CAR : PLU : pommas carbonatis plumbi (pommade de carbonate de plomb) ;
OLÉUM CONC : SEM : C : oleum concretum seminum cacao (huile concrète de graine de cacao) ;
UNG : AD SCAB : EQ : unguentum ad scabiem equorum (onguent contre la rage des chevaux).
On est obligé non-seulement de se rendre compte de l’abréviation, mais encore de traduire en français un latin des plus macaroniques :Aqua stillatitia, eau distillée ;
Sulfas aluminico-potassicus, alun ;
Acetas cuporicus, acétate de cuivre ;
Sapo cum oleo therebintinæ, savon de térébenthine ;
Sulfuretum sodicum cum aquâ, sulfure de sodium cristallisé.
Devines si tu peux, et choisis si tu l’oses.
Ces barbarismes ont plus d’un inconvénient. Malgré l’ordre qui règne dans une pharmacie, il arrive aux élèves de prendre un purgatif pour un fébrifuge, un vomitif pour un antispasmodique, et vice versa. Jugez de l’effet !
Un peintre : Alexandre Gabriel Decamps (1803-1860) , peintre d’histoire, est né à Paris en 1803. Il est, avec Grandville, un des caricaturistes renommés de son époque. Tous les deux vont dessiner pour le journal « La Caricature », Journal fondé et dirigé par Ch. Philippon. Dans un prospectus de l’époque, on peut lire : « En France, comme en Angleterre, la caricature est devenue un pouvoir, mais autant sont voisins sont froids et allégoriques dans leurs compositions, autant nos sommes francs dans nos attaques et clairs dans nos allusions. Notre dernière révolution a prouvé toute l’importance du crayon de nos dessinateurs… La position des éditeurs et leurs arrangements permettent de choisir, pour ce journal, l’élite des idées si puissantes et si originales de Victor Adam, Bellangé, Charlet, Decamps, Granville, Grenier, Henri Monnier, Pigal, etc. »
« Mais, du moins, reprit-il, si je n’ai pas le droit d’ordonner des remèdes connus, je m’arrogerai le droit d’en composer de nouveaux. Je veux créer un spécifique admirable, infaillible, prophylactique et curatif. Qu’en dites-vous ?
– Je dis qu’il y a déjà cent fois plus de remèdes que de maladies. Malheureusement les remèdes passent, et les maladies aussi.
– Il ne s’agit pas de guérir, mais de vendre. Si j’essayais d’un élixir odontalgique ?
– N’avons-nous pas le Paraguay-Roux, la créosote, l’essence de pyrèthre, la poudre péruvienne, et le dentifrice philodontique qui arrête la carie, enlève l’odeur du cigare, et blanchit en peu de temps les dents les moins heureuses ?
– C’est vrai : si je fabriquais n’importe quoi d’Orient ?
– Et l’allataïm du Harem, et le racahout des Arabes, et le Palamoud, et le kaïffa, auquel les odalisques doivent leur embonpoint proverbial, et le haremsou, en si grande réputation à la cour du sultan ?
– Si je délayais quelques grammes d’un remède nauséabond dans une centaine de pilules, cela s’appelle faciliter l’administration de la médecine.
– D’accord ; mais nous possédons des myriades de capsules toutes plus gélatineuses les unes que les autres.
– Que diriez-vous d’un remède infaillible contre les cors aux pieds ?
– Il y en a cinquante qui tous sont les seuls efficaces, et notamment le spécifique phénix, autorisé par le ministre de l’intérieur, comme le seul reconnu pour faire fondre les cors entièrement et sans nulle douleur. Deux jours de son application suffisent pour se chausser juste sans être incommodé, et on le débite indifféremment chez les bottiers et chez les pharmaciens.
– Approuveriez-vous un liniment contre la goutte et les rhumatismes ?
– Le sirop anti-goutteux enlève toute acuité à ces terribles maladies.
– Une pâte pectorale sans opium ni autres ingrédients narcotiques ?
– J’en connais deux cent cinquante, toutes également supérieures aux pectoraux connus jusqu’à ce jour, et dont l’efficacité a été démontrée par des expériences faites publiquement à la clinique de M. Lisfranc, chirurgien en chef de l’hôpital de la Pitié.
– Si je transformais la fécule de pomme de terre en nouvelle substance analeptique ?
– Aliment sain et de facile digestion, convenable dans l’épuisement, l’accroissement trop rapide, les asthmes, les rhumes invétérés, indispensable aux adolescents, aux ouvriers, aux vieillards, aux convalescents, aux femmes débiles, aux personnes nerveuses… c’est usé, mon cher, c’est usé.
– Alors je suis au bout de mon rouleau, à moins que je me rabatte sur une liqueur insecto-mortifère pour la destruction des punaises, une pommade du lion, du chameau, du rhinocéros, ou autre pachyderme, ou encore sur une eau phénomène propre à nourrir et à fortifier la racine des cheveux, à les faire croître, à les empêcher de blanchir et de tomber, même dans l’âge le plus avancé.
– Vous voulez donc empiéter sur la spécialité des coiffeurs, et nuire au débit de la pommade mélainocome ? Vous savez pourtant que les éloges qu’elle a mérités dispensent de s’appesantir sur ses innombrables qualités.
– Ah ! qu’il est difficile, en pharmacie comme en littérature, d’imaginer quelque chose de neuf !… N’importe, j’y réfléchirai. »
Quelques semaines après, Bonnisson avait pris un brevet et recevait une médaille d’or de la Société d’encouragement pour un sirop dépuratif et régénérateur à l’essence de sassafras. Il faisait distribuer à vingt mille exemplaires un prospectus-modèle, en tête duquel on voyait, entre deux écussons aux armes de France :
On lisait dans tous les journaux :
« La presse entière de la France, de l’Angleterre, de la Russie, et généralement du monde entier, y compris les Etats-Unis d’Amérique et la terre de Van-Diemen, retentit depuis longtemps des bienfaits produits par l’excellent sirop dépuratif et régénérateur à l’essence de sassafras, de l’habile et savant chimiste Bonnisson. On sait de combien de pompeux éloges l’Académie royale de médecine et les plus illustres praticiens ont entouré leur approbation à l’emploi et la propagation de cet admirable remède. Nous le recommandons à tous les amis de la science et de l’humanité. »
Cette réclame figurait sur la quatrième page, entre un éloge de la colle-forte liquide et incorruptible et l’annonce de la troisième édition d’un roman dont il s’était vendu quatre exemplaires.
La curiosité publique fut éveillée, et le sirop Bonnisson eut un grand succès. Une seconde réclame vint encore activer la vente ».