Histoire de la découverte des anesthésiques |
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Toutes les époques, légendes, récits des chroniqueurs, biographies d’hommes célèbres etc. parlent de la douleur de l’homme. Christophe Colomb est terrassé en pleine mer par un terrible accès de goutte. Michelet, l’historien, divise le règne de Louis XIV en deux périodes : avant et après la fistule. Napoléon gémit à Saint Hélène : « Les douleurs me coupent le corps comme des couteaux aiguisés ». A toutes les douleurs dues à la maladie s’ajoutent la douleur infligée par le « couteau guérisseur ». Le médecin de César écrit : »Résolu à guérir celui qui se confie à ses soins, le chirurgien doit rester sourd aux cris de son patient ; il doit achever son œuvre sans se laisser émouvoir par ses plaintes ». Pendant des milliers d’années, les opérations les plus banales furent redoutées plus que l’enfer ou la peste. On conçoit dans ces conditions que l’humanité ait recherché ou cours des âges le remède capable de provoquer sans danger et d’une façon certaine un sommeil artificiel assez profond pour rendre les malades insensibles à la douleur. Cette recherche fut vaine jusqu’au XVIII° siècle. Le premier remède susceptible de calmer la douleur fut arraché au monde des gaz et c’est Joseph PRIESTLEY qui pénétra le premier dans cet univers mystérieux et découvrit toute une série de gaz dont le bioxyde d’azote. Priestley était pasteur à Leeds et profitait de ses loisirs pour travailler sur la fermentation. Il isole le gaz carbonique, découvre l’eau gazeuse et bien d’autres corps chimiques. Un jour, échauffant de la limaille de fer humecté d’acide azotique, il découvre l’oxyde d’azote. Mais c’est l’époque révolutionnaire en France et Prestley abandonne la chimie pour se consacrer à la politique. Défenseur des idées de la Révolution, il est obligé de fuir l’Angleterre pour la France puis l’Amérique où il est accueilli en savant. Petit à petit, après les résultats de Prestley, on se mit à étudier plus activement la valeur thérapeutique des gaz pour combattre l’asthme, les catarrhes, les troubles respiratoires en général. Un apprenti pharmacien de Pezance, âgé de 16 ans, Humphrey Davy, expérimente sur lui-même l’oxyde d’azote. Non seulement le gaz n’est pas mortel comme on le pensait à l’époque mais Humphrey se sent envahi par un sentiment de bonheur étrange et inexplicable. Il éclate de rire et ce rire ! Par la suite d’une dent mal arrachée, Davy souffrait cruellement d’une inflammation des gencives. Il s’aperçut que la douleur disparaissait sous l’effet du gaz. Connu peu à peu pour ses travaux, Humphrey se retrouve à l’Institut Pneumologique de Clifton où il peut poursuivre ses travaux dans de bonnes conditions. Fabriquant le gaz pur, il parvient à le tester sur lui et quelques jeunes filles de son entourage et finalement sur des patients, surtout des asthmatiques qui affluaient à l’Institut. Mais Humphrey n’a pas encore atteint son but qui est l’utilisation du gaz pour l’anesthésie. Mais il dut interrompre ses travaux car des cas avaient été signalés de retentissement cardiaque de l’oxyde d’azote et l’emploi du gaz hilarant fut interdit par les autorités. Davy se consacra dès lors à d’autres travaux et fut élu, en 1820, comblé d’honneur, président de l’Académie des Sciences en Angleterre. De son côté, Faraday, l’assistant de Davy, en étudiant les liquides volatils, décela le caractère narcotique des vapeurs d’éther. En 1818, il écrit « Lorsqu’on mélange la vapeur de l’éther à de l’air ordinaire et qu’on l’inhale, son action ressemble à celle du gaz hilarant. Par suite d’une inhalation imprudente d’éther, un homme a été plongé dans un état léthargique qui dura 30 heures, avec quelques interruptions ». Mais Faraday, occupé par d’autres travaux, ne donna pas suite à cette observation.
Un autre personnage qui contribua à faire progresser les connaissances sur l’anesthésie fut SERTUERNER. Il était comme Davy jeune préparateur en pharmacie, mais en Westphalie, lorsqu’il entreprit ses premiers travaux sur la morphine. Les effets de l’opium sont alors connus mais mal maîtrisés. Cela vient de la méconnaissance de la substance narcotique qui y est présente à l’état pur. Sertuerner cherche donc à isoler cette substance et il finit par y parvenir. Comme Davy, après avoir évalué les doses toxiques chez l’animal, il tente la première expérience sur lui-même puis sur les amis de son entourage. Il découvre ainsi que l’alcaloïde blanc pouvait faire disparaître la douleur. Il dénomme la substance « Morphine » d’après Morphée, le dieu des songes, fils de Sommos, le dieu du sommeil. En Mars 1917, Sertuerner est nommé membre de la Société pour le développement de la minéralogie générale » à Iéna. L’Académie française lui décerne en 1831 le prix Montyon. Mais attaques et marques d’hostilité furent plus puissantes que les hommages et distinctions honorifiques, si bien que Sertuerner abandonna ses travaux sur la morphine et se consacra aux armes à feux.
L’homme qui finalement réussit à imposer l’anesthésie, le véritable héros de la lutte contre la souffrance fut le dentiste bostonien William Thomas Green MORTON. Né en 1819 à Charlton (Nouvelle Angleterre), mauvais élève, il ne put obtenir son diplôme de médecin et devient dentiste à Boston. Il se heurte très vite au problème de la douleur. Il prit pension chez Jackson, qui possédait un laboratoire de chimie, qui lui parla des propriétés de l’éther que l’on utilisait en application cutanée contre l’asthme. Il décide de tester l’éther comme anesthésiant, sur le chien d’abord puis sur lui-même par accident. Il faut convaincu que l’inhalation de l’éther rend inconscient pendant suffisamment longtemps pour extraire une dent. Cependant ses premiers essais sur deux étudiants puis sur lui-même entraînent un état de surexcitation ne permettant pas de vérifier son intuition initiale. Morton se rend compte que cela vient de la pureté insuffisant de l’éther utilisé. Avec de l’éther pur, Morton réalise une première expérience chez un malade, le musicien Frost, avec succès. L’extraction de sa dent ne réveilla pas le malade. D’accord avec Frost, Morton rédigea sur le champ un procès verbal de la séance. La nouvelle se répandit et le public afflua en masse dans le cabinet de Morton. Mais Morton n’en reste pas là. Son espoir est de généraliser la méthode à toute la chirurgie. Il se heurte à l’hostilité des médecins et chirurgiens et s’adresse finalement au Dr Warren, chirurgien en chef du General Hospital. Ce dernier accepte de faire l’essaie et c’est une réussite totale. A la suite de cette opération, le 16 octobre 1846, et d’autres qui furent faites les jours suivants avec le même succès, la narcose par l’éther fut appliquée couramment. C’est le mot anesthésie qui fut proposé pour cette méthode par le poète et médecin Olivier Wendel Holmes. « L’état provoqué par votre procédé devrait s’appeler selon moi « anesthésie » ce qui est à peu près synonyme d’insensibilité. L’adjectif serait dans ce cas « anesthésique » et le produit employé pourrait s’appeler « l’agent anesthésiant » », écrivit Holmes à Morton le 21 novembre 1846. A Paris, la méthode est appliquée en 1847. Les médecins, les académies, les hôpitaux, les journaux et, par-dessus tout, la foule innombrable des malades, auxquelles elle épargnait la douleur, bénirent celui qui avait apporté un pareil bienfait à l’humanité.
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Source : D’après des notes personnelles de Henri Bonnemain |