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Jacques François DEMACHY

Jacques-François DEMACHY (1728-1803)

Jacques François Demachy est né à Paris le 30 avril 1728. On le décrit comme malheureux dans son enfance, livré à une domestique « qu’on payait pour le contredire ». A l’âge du collège, il passe son temps au Jardin des Plantes où il suit les cours de Rouelle ou compose des vers.

A l’époque de son mariage (1754), il acquière une pharmacie rue du Bac. il commence par ailleurs à donner des leçons de chimie et d’Histoire naturelle et se révèle excellent professeur, si bien que Louis XVI le nomme démonstrateur d’Histoire naturelle pour le tout nouveau Collège de Pharmacie (1777). Il poursuivra son enseignement pendant 25 ans. Par contre, il reste convaincu de la théorie du phlogistique de Stahl et se méfie de la nouvelle nomenclature chimique proposée par Bergmann.

Après avoir été nommé pharmacien militaire du camp sous Paris en 1793, il est nommé pharmacien en chef de l’hôpital de la Franciale (Hôpital de Saint-Denis), puis il assure à nouveau pour cinq ans son enseignement en 1796 quand le Collège de pharmacie devient la Société Libre des Pharmaciens de Paris. Par la suite, il est nommé pharmacien chef de l’Hôtel Dieu puis directeur de la pharmacie centrale des hospices civils. Parmi ses ouvrages professionnels, on peut citer le Recueil de dissertations physico-chimiques (1774) et le Manuel du Pharmacien (1788) destiné aux étudiants.

Demachy est mort à soixante-quinze ans, le 10 juillet 1803, et l’on publie alors ses oeuvres litteraires: Histoires et contes, Mélanges poétiques et d’autres écrits. Tous les critiques s’accordent à dire que son activité littéraire lui a permis de donner libre cours à sa misanthropie.

Références :

Dictionnaire d’Histoire de la Pharmacie, des origines à la fin du XIX° siècle, Olivier Lafont (sous la direction de), Pharmathèmes, Paris, 2003.

 

Complément 2020 (Article de Henri Bonnemain sur Demachy (date et revue inconnue, sans doute 1995, dans l’ouvrage sur la pharmacie hospitalière)

« Ce fut un curieux homme ; excellent professeur et savant apprécié, mais « doué » d’une étrange capacité de critiquer les autres, peut-être pour mieux se glorifier.

Demachy naquit à Paris le 30 avril 1728, rue Galande. Très choyé pendant son enfance, il juge néanmoins son père avec sévérité :

« Il ne goute pas l’opulence

Il ne craignit pas l’indigence

Sa juste médiocrité

Fut le prix de sa probité. »

Cette apparente méchanceté fut l’apanage de Demachy, personnage probablement malheureux. Pourtant au Collège, il réussit assez bien car son attrait pour la poésie le fait apprécier de ses maîtres. Plus tard, il compose aussi des vers au Jardin des Plantes, où il suit également les cours de Rouelle. Arrivé à l’âge d’homme, il aima une certaine Clémence, que la mort lui ravit, cause pour lui de grand chagrin. Beaucoup plus tard, en 1754, il épousa Elisabeth Gigot, dont le tempérament ne correspondait absolument pas au sien, ce qui nous vaut ce quatrain significatif :

« Du repos éternel, objet de mon espoir

En me couchant par chaque soir

Mon lit semble m’offrir l’image ;

Trompeuse illusion. Ma femme le partage ! »

De leur union nait une fille, qui sera vite détournée de son père, nouvel accablement pour lui.

A l’époque de son mariage, Demachy acquiert une officine rue du Bac. Il y donne des leçons de chimie et d’histoire naturelle ; elles ont beaucoup de succès car elles sont attrayantes, émaillées d’histoires et d’anecdotes savoureuses. Ses qualités d’enseignant le font admettre au Collège de Pharmacie dès sa création en 1777. Il y enseignera pendant vingt-cinq ans, mais il s’obstine comme Rouelle à croire à la théorie de Stahl sur le phlogistique : comme le rappelle Toraude dans son important ouvrage sur Demachy : « La théorie du phlogistique (ou feu combiné) admettait l’existence de cet élément dans tous les corps combustibles et prétendait que, sous l’action de la chaleur, il se désagrégeait et passait ainsi de l’état combiné à l’état libre, où il devenait alors, mais alors seulement, percevable à nos sens. Les Pneumatistes, au contraire, et Lavoisier en tête, estimaient que l’air apporte sa part active et féconde dans les transformations chimiques et que les mots air, vapeurs, fluides, n’expriment qu’un mode de la matière et rien de plus. Avec eux, plus de phlogistique combiné ou s’échappant sous l’action du feu, mais grâce à l’air, un état nouveau, une combinaison nouvelle des corps. »

Demachy ne voulut pas entendre parler de cette théorie nouvelle, pourtant chère à Bayen, célèbre pharmacien militaire ; il attaqua même avec violence et ironie tous ceux qui en étaient partisans, et cela lui valut de ne jamais entrer à l’Académie des Sciences dont il briguait une place avec acharnement. Pour la pharmacie, Demachy se comporte de façon plus heureuse ; dans le second « Manuel du pharmacien », il se demande s’il a remplit son but : « Je ne puis qu’assurer, dit-il, que j’y ai employé tout ce que quarante années d’étude, d’observations, d’enseignements et de pratique continuels ont pu me donner d’intelligence pour y parvenir ». La pureté de son intention : « rendre la profession que j’exerce plus digne de considération, donner à nos jeunes élèves l’occasion de confirmer, d’augmenter même cette plus haute estime ; je n’ai pas formé d’autres voeux. »

Dans cet ouvrage consacré à la pharmacie hospitalière, Demachy mérite largement sa place : en 1793, il fut nommé pharmacien militaire au camp sous Paris, puis ensuite attaché à l’hôpital militaire de la Franciade à Saint-Denis, ce qui l’amena à abandonner momentanément son cours. Peu de temps après, il devint pharmacien en chef de l’Hôtel-Dieu après y avoir été gagnant-maîtrise du 28 juin 1755 à 1761, année où il acquit une officine rue du Bac qu’il vendit en 1797 à Denis-Placide Bouriat, reçu maître le 15 mars 1795.

Lorsque le Collège de Pharmacie fut remplacé le 21 mars par la Société Libre des Pharmaciens de Paris, avec son École gratuite instituée par arrêté du 23 mai 1797, Demachy resta à la tête du Cours d’Histoire naturelle avec Dizé1 pour collègue et Martin pour adjoint. Il exerça ses fonctions de professeur pendant cinq ans jusqu’au 25 janvier 1801 où il fut remplacé définitivement par Morelot et Souriat et nommé professeur honoraire. Le 6 juin 1795, Demachy avait été nommé directeur habile et administrateur parfait (pour la pharmacie centrale des hospices civiles) ; « Quand Demachy y arriva (dit Toraude), tout y était à l’état embryonnaire. Le nouveau promu, secondé par un adjoint éclairé, Le Canu2, prit à honneur la tâche qui lui incombait. Elle nécessitait beaucoup de soins et un zèle infatiguable. Il s’y dévoua avec fermeté et donna à cette institution un degré de splendeur et de magnificence que ses successeurs ont maintenu jusqu’à ce jour. Il y consacra ses dernières forces et le succès consacra son entreprise ».

Aux différents titres que nous avons indiqués plus haut, Demachy ajoute celui de « censeur royal », fonction à laquelle il fut désigné par M. de Miromesnil, Garde des Sceaux. A ce titre, il devait examiner avant leur mise en vente les ouvrages confiés aux libraires et plus particulièrement ceux ayant trait à la Pharmacie ainsi qu’aux sciences physiques, chimiques et naturelles. Cette fonction plût infiniment à Demachy et il y apporta beaucoup de soins.

Véritablement usé par ses nombreux travaux, et particulièrement par l’ardeur qu’il avait mise à rénover à pharmacie centrale, Demachy mourut à soixante-quinze ans, le 21 messidor An XI de la République3, et ces vers de Victor Hugo semblent lui convenir parfaitement :

« Gloire, jeunesse, orgueil, biens que la tombe emporte !

L’homme voudrait laisser quelque chose à la porte ;

Mais la mort lui dit non !

Chaque élément retourne où tout doit redescendre.

L’air reprend la fumée, et la terre la cendre ;

L’oubli reprend le nom » (Victor Hugo, Napoléon III) 

Il nous reste à examiner les productions scientifiques et littéraires de Demachy : sur le plan scientifique, il procéda à un nombre important d’ouvrages et de communications portant sur la chimie, la pharmacie galénique, diverses analyses (eaux, vinaigres, etc.) mais surtout il écrivit en 1788 le « Manuel du Pharmacien », déjà évoqué, qui consistait en « instructions sur les différents objets d’études nécessaires aux élèves en pharmacie ». Quelques années auparavant, en 1774, il avait fait paraître le « Recueil de dissertations physico-chimiques » dont la préface très détaillée est intéressante à plusieurs titres, en particulier pour bien connaître les travaux de l’auteur et parfois ses fantasmes. Enfin, grâce à « l’Art du distillateur d’Eaux-Fortes » imprimé en 1773 et qui fait partie de la « Description des Arts et Métiers » publié par l’Académie des Sciences, nous sommes parfaitement renseignés sur l’état de l’industrie chimique à la fin du XVIIIe siècle.

Quant aux productions littéraires, nous avons déjà souligné l’attrait de Deamchy pour la versification, qui se confirma pendant toute son existence. Ses ouvrages furent publiés dans divers « Almanachs » tels « l’Almanach des Muses » et le « Mercule galand » et sont au nombre de quatre :

-les Fables

-les Quatrains du moderne Pibrac

-les Mélanges poétiques

-les Histoires et Contes

Le Recueil des cinq cent trente deux fables, divisé en douze livres montre que Demachy, admirateur passionné de La Fontaine, était un écrivain habile et fécond, traitant ses sujets avec ardeur et modestie, lesquels étaient empruntés aux animaux, aux plantes, à l’humanité, ne manquant ni d’abondance ni de charme.

Les « Quatrains du moderne Pibrac » est un ouvrage d’une valeur médiocre, loin d’égaler en philosophie et en profondeur les « Quatrains moraux » du poète magistrat Guy du Faur de Pibrac (1529-1586). Il est constitué d’un ensemble de boutades, d’apophtegmes et de conseils d’une grande banalité malgré leur prétention.

Les « Mélanges poétiques » portent en sous-titre un membre de phrase que Boileau avait emprunté à Juvénal « Nostri farrago libelli » signifiant : tout ce qui anime l’humanité est dénoncé dans le travail confus de nos écrits; confus, en effet, cet ensemble de confidences, de pamphlets, de stances, conçus surtout semble-t-il pour lui permettre d’étaler ses haines, ses amertumes et ses rancoeurs. Dans ce « flot tumultueux »(Toraude) on trouve certaines qualité spécifiques à Demachy : abondance, mouvement, couleur, mais rien de nature à passionner le lecteur.

Et toujours ce souci de bafouer… surtout les membres de l’Académie à laquelle il ne pouvait parvenir : Baumé, Lavoisier, Louis-Cadet de Gassicourt, entre autres :

« Quel est sous cet habit soyeux

Ce papelard insidieux ?

C’est à parler sans équivoque

Une chenille dans sa coque ». 

Cette chenille deviendra plus tard un « fœtus rabougri » puis « un âne ». Il sera « Ce vil Cadet, cajolant Et moins à parler qu’à braire ! » Sa vindicte s’exerce aussi contre les littérateurs de l’époque : Beaumarchais, Marmontel, Voltaire, Sedaine, La Harpe, Mme de Genlis, Mme Geoffrin !…

Les « Histoires et Contes » se présentent avec cette devise prometteuse : « Mentula semper adest » que l’on peut traduire par « Priape4 est toujours dressé ». Effectivement, il s’agit pour l’auteur de puiser à toutes les sources pour étaler en satires les caractéristiques impudiques dont la fin du XVIIIe siècle est friande dans la société d’alors : moines paillards et ivrognes, dévots hypocrites, curés papelards, vices campagnards où les Colas et les Lubins lutinent les bergères peu farouches, avec en plus le grand défilé de l’Olympe : les dieux, Jupiter en tête, mènent la sarabande des nymphes sous la conduite de Vénus et du jeune Cupidon, les accompagnent dans une gambade frénétique.

Bien entendu les textes, très réalistes, s’expriment sur un ton léger, badin, parfois à la limite de la grossièreté, mais pas toujours licencieux ni inutiles ; c’est souvent dans les Contes qu’on peut chercher la vérité et bien des historiens y ont trouvé des renseignements très exacts. Malgré l’importance de la dernière partie de ces œuvres littéraires (six livres de quarante titres chacun) la lecture n’en est pas fastidieuse car le style est très coloré et les descriptions animées, agréables et plaisantes.

Que conclure de tout cela ?

A coup sûr, Demachy fut un pharmacien très consciencieux, très industrieux, soucieux de sa profession, de son désir de la faire apprécier de ses élèves et de la bien servir. Mais il eut une philosophie trop personnelle, triste, peut-être dûe à ses difficultés conjugales, mais aussi à son esprit trop porté au mépris de ses contemporains, particulièrement de ses collègues; ce mépris s’est surtout exprimé dans l’activité littéraire de son oeuvre qui lui a permis de donner libre cours à sa misanthropie.

1. Dizé, chimiste, fut pharmacien en chef de la Pharmacie Centrale des Hôpitaux militaires, membres de l’Académie Royale de Médecine Martin fut reçu maître en pharmacie en l’An IV de la République.

2. Le Canu (Jacques-Louis-Toussaint) fut reçu maître en pharmacie le 5 messidor An III. Il est le père de Louis-René Canu, professeur à l’Ecole de Pharmacie de Paris et membre de l’Académie de Médecine.

3. 10 juillet 1803.

4. Priape, symbole de la virilité

 

Bibliographie

Paule Fougète : Grand Pharmaciens, Ed. Corréa, 1956

Maurice Bouvet : Histoire de la Pharmacie en France des origines à nos jours. Ed. Occitania, Paris, 1956.

L.G. Toraude : Histoires et Contes de J.F. Demachy, précédés d’une Etude historique, anecdotique et critique sur sa vie et ses oeuvres. Charles Carrington, libraire éditeur, Paris, 1907.

 

Voir aussi l’article paru dans notre Revue, de Bouvet Maurice et Guyotjeannin Charles. Les manuscrits de Demachy à la Faculté de Pharmacie de Paris. In: Revue d’histoire de la pharmacie, 41ᵉ année, n°139, 1953. pp. 163-167. 

 

 

 

 

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