Charles-Henri Fialon (1846-1931)
Charles-Henri Fialon est bien connu des historiens de la pharmacie en France. E.-H. Guitard avait publié dans notre Revue un article à l’occasion de son décès qui est reproduit ici :
« Fialon n’est plus ! Brusquement, sans souffrance, il s’est éteint le 7 octobre 1931 en sa bonne ville de Rueil, près de Paris, où il avait vu le jour il y a 85 ans.Charles-Henri Fialon ! Ce nom évoque pour les jeunes de la S.H.P. une figure de légende, une sorte d’ancêtre à la barbe fleurie qu’on croyait depuis longtemps parvenu au royaume des ombres. Cela tient à ce qu’il était depuis plusieurs années retiré, dans le sens le plus complet du mot, dans sa demeure isolée de Rueil. Ses facultés physiques très amoindries ne lui permettaient plus de s’intéresser à tout ce qui l’avait passionné autrefois, une congestion cérébrale l’ayant frappé au cours d’un de ses voyages et lui ayant presque entièrement enlevé l’usage de la parole.
Par nous, ouvriers de la première heure, la mort de Fialon sera cruellement ressentie, car nous savons combien la S.H.P. lui est redevable. Pendant les premières années, notre Société et son Bulletin ne vécurent que grâce aux subventions de la Pharmacie Centrale de France, dont M. Buchet avait fait un petit « ministère de la pharmacie » et grâce aux dons sans cesse renouvelés de Fialon. Nous ne saurions mieux faire, pour honorer sa mémoire, que de reproduire ici la notice biographique qui lui fut consacrée par M. Guitard peu avant que la maladie n’eût arrêté son activité pour toujours.
Savez vous ce qu’est « un pharmacien dans l’âme » ? – Lisez ces lignes et peut-être le saurez-vous ensuite. Fialon dit de lui-même qu’il est ce pharmacien. Je vais vous décrire Fialon : vous jugerez s’il se trompe.
Ses ancêtres d’abord : ils ne sont ni princes, ni bergers, ni matelots, ni soldats; ils sont : apothicaires. Au dix-huitième siècle, les « Fialon » exercent la pharmacie à Bourganeuf : l’un d’eux épouse une demoiselle « Bataille » dont tous les ascendants et collatéraux pratiquaient le même art : le plus ancien connu exerçait à Toul en 1620.
Notre contemporain et ami vit le jour le 23 septembre 1846, sur la place de l’Église, à Rueil (Seine et Oise). il respire en naissant l’odeur des bocaux paternels et ne les quitte que peu d’années pour aller décliner rosa, rosae au Lycée de Versailles. Après deux ans d’apprentissage chez son père, il est admis comme élève d’abord chez Hébert, rue Saint-Marc, à l’ancienne pharmacie Guibourt, et un peu plus tard dans la grande pharmacie Esménard, 123 avenue de Clichy, où il reste cinq ans et réalise quelques économies avec lesquelles il peut enfin aborder la vie d’étudiant et suivre les cours de l’Ecole de pharmacie de Paris.
La guerre éclate : Fialon part pour Metz avec les ambulances Viollys, assiste aux affaires de Rezonville et Saint-Privat, rentre à Paris avec la division Vinoy, prodigue ses soins aux blessés du siège et à ceux de la Commune. Six mois après la conclusion de la paix, il était reçu pharmacien et s’établissait à Rueil, dans l’officine même de son père, qu’il gardait auprès de lui jusqu’à sa mort survenue en 1892. A ce moment, Henri Fialon, qui par son labeur intelligent et tenace avait amassé une jolie fortune, jugea bon de se retirer des affaires et de se fixer à Paris avec sa femme et sa fille. Mais il n’a encore rien perdu de sa droite prestance et de sa bonne humeur. Dans son atelier de la rue d’Assas, il travaille en chantant le bois, le cuivre, l’aluminium. A d’autres heures, il promène allègrement sa large personne sur une « voiturette Bébé ». Souvent aussi, vous lui verrez enfourcher un « dada » d’un autre genre : si d’aventure, au milieu de capharnaüm indéfinissable d’une boutique d’antiquaire, vous voyez émerger une barbe fleurie amoureusement penchée vers une vieille faïence, n’hésitez pas : vous avez devant vous votre homme ; il travaille pour sa collection, c’est à dire pour la vôtre, car Fialon n’est pas un égoïste : toutes ses trouvailles, tous ses achats vont au Musée de la S.H.P., autrement dit au Musée hsitorique de l’Ecole de Pharmacie de Paris, autrement dit Musée … Henri Fialon.
J’ai prié M. le docteur Dorveaux de nous décrire en quelques lignes ce petit dépôt de merveilles, installé et « conservé » avec un soin éclairé par notre président lui-même, M. Henri Gautier : voici la notre courte et complète qu’a tracée M. Dorveaux avec son habituelle compétence :
Le Musée Fialon occupe, au premier étage de l’École supérieure de Pharmacie de Paris, une salle située au dessous de l’horloge qui orne la facade de l’Avenue de l’Observatoire. La porte d’entrée est surmontée extérieurement d’une enseigne en fer forgé, dont une face porte les armes des épiciers et apothicaires de Paris, et l’autre, celles des apothicaires de cette ville.
Les côtés droit et gauche de la salle sont occupés par quatre grandes armoires vitrées, qui contiennent tant à l’intérieur que sur les corniches : 1° des pots de faïences français, italiens, espagnols, hollandais, etc. : chevrettes, bouteilles, cruches, pots à canon, piluliers, vases à thériaques, etc. , généralement du dix-huitième siècle ; 2° des vases de porcelaine de dix-neuvième siècle; 3° d’antiques verres à pied contenant encore des drogues; 4° des bouteilles de verre, ornées d’inscriptions en signes alchimiques; 5° des mortiers, etc. A ces récipients pharmaceutiques sont joints quelques vase de faïence, de provenance étrangère à la pharmacie : poteries bachiques, bouteille à grosse panse ronde, pots à tabac, etc.
Au milieu de la salle sont deux longues vitrines, dont les corniches sont occupées principalement par de grands vases de faïence faits pour la montre des officines et ornés d’inscriptions où figurent les noms de leurs propriétaires : Fialon, Bataille, apothicaires, 1745 ; Patry, apothicaire à Long-Jumeau, 1767; Mars, apothicaire, Fauxbourg Saint-Honoré, 1780, etc.
En somme, le Musée contient plus de 500 pièces, offertes pour la plupart par M. Fialon ; On y trouve, en bonne place, le buste en bronze et le portrait de ce généreux donateur.
Un dernier mot sur l’aimable « membre bienfaiteur » de la S.H.P., Henri Fialon est un humoriste : il parle peu de lui, mais il vous racontera inlassablement des histoires savoureuses sur les vingt-trois élèves qu’il prit successivement à son service.
Le premier le quitta pour l’Ecole Polytechnique ; le second mangeait ses pâtes de jujube et il se fit « cabotin »; le troisième, qui avait tenu la grosse caisse dans la légion de Garibaldi, touchait, par habitude sans doute, à la caisse du patron; un autre était peintre sur porcelaine et communiqua à son maître ses goûts de collectionneur; celui-ci devait finir proxénète et espion; celui-là devenait épicier, celui-là organiste, cet autre s’engageait et s’en allait mourir pour la France au Tonkin.
Et Fialon vous raconte encore avec un luxe de détails, qui honore sa mémoire des fredaines de son « n°15″, élève fort instruit et fort distingué, qui noctambulait pour détrousser les passants et terroriser les bourgeois endormis. Aidé d’un clerc de notaire, il déracina en une seule nuit huit arbres, démolit 127 sonnettes et intervertit un nombre incalculable d’enseignes ; à la fin, il fut pris. Ce qu’il y a de touchant dans l’histoire, c’est qu’après avoir mis à mal ses victimes, le garnement rentrait à la pharmacie, où on les lui apportait pour les premiers soins : il travaillait donc doublement pour le patron, ce brave élève ! Mais alors , il a bien mérité aussi de la S.H.P. : Dieu aura son âme ! »
E.-H. Guitard.
La dépouille de Charles-Henri Fialon a été conduite le 10 octobre dernier à l’église de Rueil-Malmaison qui renferme les tombeaux de l’impératrice Eugénie et de la reine Hortense, et, de là, au cimetière de cette ville, où Fialon avait vu le jour, avait exercé, était mort. Le maire en personne, M. Lachaud, prononça sur la tombe quelques paroles émues, célébrant la générosité de son brave ami envers toutes mes sociétés de bienfaisance, rappelant aussi le méritoire dévouement de Mlle Louise Arragon qui soigna notre regretté collègue pendant plus de 40 années et dont la douleur est profonde. Nous ne sûles reconnaître aucun pharmacien aux obsèques de cet homme qui avait donné tant de preuves d’attachement à sa profession. Rueil est éloigné du centre de Paris , et les avis furent distribués tardivement : les circonstances sont seules coupables, mais le résultat n’en n’est pas moins pénible. La Faculté de Pharmacie de Paris était représentée par son bibliothécaire, M. Beaulieux, notre Société par M. Guitard.
S.H.P. »
Voir aussi l’article sur Fialon de Elie Bzoura et Jean Flahaut, paru en 2004