Charlatans(d’après Henri Bonnemain) |
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De très nombreux auteurs de travaux ou de thèses sur l’histoire de la pharmacie ont rendu compte des luttes parfois épiques, pas toujours fructueuses d’ailleurs, menées par les apothicaires français contre les charlatans, concurrents redoutables souvent venus de l’étranger. On fait dériver le nom qui les désigne à la foi du latin circulator (celui qui se déplace) et de l’italien ciarlare (le babilleur, le bavard, le commenteur). Aussi bien, dans les gravures des XVIIe et XVIIIe siècle, notre homme est représenté de deux façons : Tantôt, c’est un individu d’aspect sévère et glabre, habillé avec simplicité, – généralement de vêtements collants et noirs – qui veut en imposer par son allure sérieuse et sobre, digne du remède dont il a l’intention de faire bénéficier ses auditeurs. Tantôt, c’est au contraire une sorte de bouffon, de clown, dirions-nous, le trublion de foire qui rassemble la foule à grand renfort de cris, se faisant remarquer par son costume, son uniforme aux couleurs éclatantes, parfois aussi par l’orchestre qui l’accompagne fort bruyamment, parfois encore par toutes sortes d’animaux, des singes en particulier, qui font des cabrioles et qui ont évidemment pour but d’amuser le public, de créer une sorte d’ambiance exotique et un peu mystérieuse se rapportant précisément au remède très… très secret lui aussi, dont la vente est en définitive la raison de toute cette mise en scène. C’est bien mise en scène qu’il faut dire, car le charlatan est en scène. Juché sur des tréteaux, sur un tonneau ou sur une voiture, il a toujours soin de se trouver assez haut pour dominer la foule et s’imposer à elle par sa prestance, ce qui lui permet aussi d’être remarqué de loin. Un manuscrit du XVIIe siècle en donne une définition à peu près parfaite : « Un charlatan est un homme qui, par des termes extraordinaires et incompréhensibles, par des apparences spécieuses et affectées, par des flatteries abusives et frauduleuses, et par des promesses aussi vaines que dommageables, abuse de la facilité, de l’ignorance et de la bonne foy des malades ». Et c’est également un auteur du même siècle qui tend à démontrer dans son traité du Charlatan découvert que le premier charlatan fut Satan : il mérite ce titre pour la fameuse scène de tentation qui, dans le paradis terrestre, valut à nos premiers parents la malédiction divine. Voici les raisons qu’en donne notre auteur : « Les propriétés et conditions de tous temps vues et observées en ces gens qu’on nomme charlatans dans l’exercice de leur art sont au nombre de cinq. La première condition, c’est de se déguiser, et le diable, dans le paradis, se déguise en serpent ; la seconde, c’est de monter en banc, et le serpent monta sur un arbre ; la troisième, de dire et raconter des mensonges, et le mauvais ange dit à nos parents : « Nequaquam moriemini » (Jamais vous ne mourrez) ; la quatrième, de se moquer de la simplicité du peuple, et le démon ajouta : « Et eritis sicut dii » (Et vous serez comme des dieux) ; la dernière de vendre des boulettes, et c’est une pomme que le tentateur offrit à notre mère. » Pour revenir à des considérations plus positives, il convient de signaler que si rien de précis n’a été dit sur les charlatans dans la Grèce et l’Egypte antiques, par contre on les appelait, dans la Rome antique, Agyrtae, mot qui signifie Assemblée, du fait qu’ils réunissaient toujours une grande foule autour d’eux. Les agyrtae courent les marchés, font des dupes, et méritent la désapprobation des honnêtes gens de l’époque à tel point que les auteurs du temps publient des critiques acerbes sur les « apothicaires ambulants » les plus en vue. Jusqu’en 640, date de la destruction de la bibliothèque d’Alexandrie, les apothicaires sont confondus avec les charlatans, les baladins ; ils vendent dans les cabarets, les foires, et étalent leurs drogues « sur des échoppes dressées sur le devant de leurs portes ». Les charlatans font peu parler d’eux au cours de la période dite arabique (de 640 à la fin du XIVe siècle) ; au XIIIe siècle cependant, la scission n’est pas encore très nette entre eux et le corps des apothicaires. Nous trouvons en effet dans le Registre des métiers un passage qui, en consacrant l’état civil des apothicaires, nous montre qu’à cette époque ils sont encore les coureurs de foires et de marchés : ils étalent leurs drogues au marché au milieu des écuelles et des échelles ; ce sont des honnêtes marchands, mais à côté d’eux figure certainement une catégorie de guérisseurs plus audacieux dans leur publicité, plus dangereux aussi par leur ignorance, puisque dans la formule du Serment des maitres apothicaires chrestiens et craignant Dieu, formule qui date du XIIIe siècle, il est dit que l’apothicaire jure « de désavouer et fuir comme la peste la façon de pratique scandaleuse et totalement pernicieuse de laquelle se servent aujourd’hui les charlatans, empiriques et souffleurs d’alchimie, à la grande honte des magistrats qui les tolèrent. » Plusieurs auteurs du XIIIesiècle ont parlé des charlatans : nous ne citerons que le monologue de Rutebeuf, le Dict de l’Erberie, qui met en scène un charlatan de retour de contrées lointaines et ayant fait en son voyage ample moisson d’herbes nouvelles propres à guérir les misères humaines. L’Erberie fut écrite pour un jongleur, c’est à dire pour l’un de ces personnages plus ou moins saltimbanques qui bonimentaient la foule et lui montraient des singes ou des ours pour lui vendre quelque drogue ou recevoir quelque obole en échange de leurs pitreries. Au XVIe siècle, la présence des charlatans en France prend des proportions d’une véritable invasion. Venus de partout, mais surtout, semble-t-il, d’Italie, ils s’installent dans toutes les foires et marchés. C’est l’époque fameuse de Tabarin et des vendeurs d’orviétan. Nous arrivons ainsi au XVIIe siècle où Molière ne manque pas d’étudier aussi bien à Paris que dans ses tournées de province les charlatans, qu’il met en scène dans sa comédie-ballet de l’Amour médecin (1665). Les charlatans du XVIIe siècle appartiennent à toutes sortes de classes sociales. Au XVIIIe siècle, comme au XVIIe d’ailleurs, les Grands eux-mêmes ne dédaignent pas d’avoir recours aux bons offices des charlatans. Dans ses mémoires, Mme du Hausset relate avec quelle ténacité le Dauphin emploie les remèdes d’un guérisseur pour soigner une dartre. Mais la lutte acharnée entreprise contre les empiriques et guérisseurs par les apothicaires, les règlements pharmaceutiques et médicaux, le développement de la publicité écrite, amènent au XIXe siècle la fin de la gloire des charlatans tels que nous les avons définis. Leur maître incontesté à cette époque, Mengin, mort en 1864, en est réduit à exercer ses talents d’orateur et de metteur en scène pour la vente de vulgaires crayons, s’exclamant d’ailleurs avec effronterie : « je suis charlatan, mais je dis la vérité ». |
Conférence d’Henri Bonnemain sur les charlatans (aux Journées Pharmaceutiques françaises (1962) ?) :
« Dans le temps très court qui nous est imparti, il n’est pas possible d’envisager de traiter de façon complète cette question si passionnante des charlatans qui donna lieu à des études nombreuses de la part des historiens de notre profession. Monsieur Bouvet, notre Président, Monsieur Prévet, en ont parlé dans leurs ouvrages, et aussi tous les collègues et confrères qui, à l’occasion de travaux et de thèses sur l’histoire locale de notre profession, durent tenir compte des luttes parfois épiques, pas toujours fructueuses, menées par les apothicaires français contre ces concurrents redoutables, souvent venus de l’étranger. Voici quel sera mon objectif dans cette causerie rapide : vous présenter un certain nombre de gravures sur les charlatans, vous indiquer ce que l’on trouve sur ceux-là dans la littérature, en vous donnant des renseignements sur les plus célèbres, et enfin vous préciser comment nos confrères des siècles précédents luttèrent pour essayer d’en venir à bout.
Sur ces gravures du XVIIe et XVIIIe siècles, le charlatan, que l’on fait dériver à la fois du latin circulator (celui qui se déplace), et de l’italien ciarlare (le babilleur, le commenteur), est représenté de deux façons :
- C’est parfois un homme d’aspect sévère et glabre, vêtu simplement, généralement de vêtements collants et noirs, qui veut en imposer par son allure sérieuse et sobre, digne du remède dont il a l’intention de faire bénéficier ses auditeurs.
- D’autre fois, c’est au contraire une sorte de bouffon, de clown comme nous dirions aujourd’hui, le trublion de foire qui rassemble la foule à grand renfort de cris, et qui se fait remarquer par son costume aux couleurs éclatantes, parfois aussi par l’orchestre qui l’accompagne for bruyamment, parfois encore par toutes sortes d’animaux, des singes en particulier, faisant des cabrioles et qui ont évidemment pour but d’amuser le public et aussi de créer une sorte d’ambiance exotique et un peu mystérieuse se rapportant précisément au remède… très secret lui aussi, dont la vente est en définitive la raison de toute cette mise en scène. C’est bien une mise en scène qu’il faut dire, car le charlatan est en scène. Juché sur des tréteaux, sur un tonneau ou sur une voiture, il a toujours soin de se trouver assez haut pour dominer la foule et s’imposer à elle, par sa prestance, ce qui lui permet aussi d’être remarqué de loin.
Thomas Sonnet, à la fin du XVIe siècle, a donné de précieux renseignements sur les moeurs du temps. Il a ainsi dépeint la technique employée par les charlatans lors de leur arrivée dans les villes :
« Il est coutume d’aller vêtus de superbes et magnifiques vêtements, portant au col des chaînes d’or, qu’ils auront peut-être loués de quelque orfèvre, et montés avec avantage sur des genêts d’Espagne, coursiers de Naples ou courteaux d’Allemagne, accompagnés d’une grande suite et caravane d’escornifleurs, batteurs de pavés, batteleurs, comédiens, farceurs et arlequins, et recherchent en ce superbe équipage les carrefours et places publiques des villes et bourgades où ils font ériger des échafaux (échafaudages) et théâtres, sur lesquels leurs bouffons amusent le peuple pendant qu’ils étalent et débitent leur marchandise ou plutôt charlatanerie au peuple. »
En effet, les scènes que vous avez à examiner situent toujours l’action sur une place de village, un champ de foire, ou un endroit passager ; tel est le cas du Pont-Neuf dont nous reparlerons tout à l’heure. Ces gravures ont un autre intérêt: elles nous permettent précisément de nous documenter sur les mœurs rurales ou villageoises, d’étudier les costumes, le matériel, les ustensiles de travail ou de ménage, et c’est pourquoi nous avons pensé qu’elles pouvaient retenir quelques instants votre attention. Examinons maintenant rapidement comment notre charlatan a été traité dans la littérature à travers les siècles. C’est un manuscrit du XVIIe siècle qui nous a donné une définition à peu près parfaite :
« Les propriétés et conditions de tous temps vues et observées en ces gens qu’on nomme charlatans dans l’exercice de leur art, sont au nombre de cinq. La première condition, c’est de se déguiser, et le diable, dans le paradis, se déguise en serpent ; la seconde, c’est de montrer un banc, et le serpent monta sur un arbre ; la troisième, de dire et de raconter des mensonges, et le mauvais ange dit à nos parents « Nequaquam moriemini » (Jamais vous ne mourrez) ; la quatrième, de se moquer de la simplicité du peuple, et le démon ajouta « Et eritis sicut dii » (et vous serez comme des dieux) ; la dernière de vendre des boulettes, et c’est une pomme que le tentateur offrit à notre mère. »
Pour revenir à des considérations plus positives, il convient de signaler que si rien de précis n’a été dit sur les charlatans dans la Grèce et l’Égypte antiques, par contre on les appelait, dans la Roma antique, Agyrtae, mot qui signifie Assemblée, du fait qu’il réunissait toujours une grande foule autour d’eux. Les agyrtae courent les marchés, font des dupes, et méritent la déapprobation des honnêtes gens de l’époque, à tel point que les auteurs du temps publient des critiques acerbes sur les « apothicaires ambulants les plus en vue. Le fabuliste Phèdre dans le Cordonnier Médecin, nous donne un bel exemple du charlatanisme médical dans l’antiquité. Voici l’histoire :
« Un mauvais cordonnier, mourant de faim, alla exercer la médecine dans un pays où il n’était pas connu. Il vendait de faux antidotes, et, par son verbiage et son charlatanisme, il se fit bientôt une réputation. Le gouverneur de la ville le mit à l’épreuve en lui ordonnant de boire du poison et de le combattre en avalant son antidote ; par peur de la mort, le charlatan avoua son incapacité. Le gouverneur fit alors assembler les habitants, et leur dit : « Pensez un peu quelle folie vous aveugle : vous confiez vos têtes sans hésiter à qui personne n’a voulu donner ses pieds à chausser. »
Mais le plus grand ennemi des charlatans est Lucien, de Samosate (Syrie), l’un des plus grands écrivains du monde ancien (130 à 200 environ). Cette haine, d’ailleurs, faillit lui coûter la vie. L’un de ses traducteurs raconte que Lucien partant en tournée de conférence dans les villes de la Cappadoce et de la Paphlagonie, fait son entrée dans la ville d’Abon ou Abonotichos, où il rencontre l’un de ces charlatans que l’Orient produisait chaque jour et qui vivaient dans la gloire et l’opulence sans avoir le droit d’y prétendre par leur intelligence ou leur autorité, sans s’appuyer sur autre chose que sur la crédulité de la multitude toujours prête à se livrer à un imposteur : c’était le faux prophète Alexandre.
« Pour lui montrer qu’il n’est qu’un homme, Lucien le mord cruellement la main en le saluant. Après réconciliation, Alexandre cherche à faire noyer Lucien par des rameurs à sa solde. Lucien le dénonce au gouvernement de Bithynie, mais il ne peut rien contre le puissant imposteur et doit poursuivre son chemin sans avoir puni Alexandre. »
Lucien consacre à Alexandre l’une de ses œuvres les plus célèbres : Alexandre ou le faux prophète ; il le dépeint ainsi à l’un de ses amis :
« Figure-toi le caractère le plus versatile, le plus fécond en mensonges, en ruses, en parjure : un génie ardent, toujours occupé de mauvais desseins, qui se ploie à tout, audacieux dans ses entreprises, patient dans les travaux et capable de tout supporter pour les faire réussir. il avait l’air de persuader et s’attirer la confiance. Il joignait à tous ces talents un air de grandeur qui donnait à penser qu’il ne s’occupait que des plus vastes projets. »
Par une publicité intensive, il annonçait à tout le monde antique, non seulement qu’il faisait connaître les voleurs et les brigands, révélait les trésors cachés », mais aussi « guérissait toutes les maladies, avait même ressuscité des morts. »Un personnage influent lui demandait un remède pour un mal d’estomac : il lui ordonne de manger un pied de cochon préparé avec de la mauve. IL envoie dans tout l’Empire romain des émissaires annonçant que, grâce à son intervention, la peste sera évitée ; pour cela, il fait écrire sur toutes les portes le vers suivant, qu’il estime le plus puissant des préservatifs de la maladie :
« Apollon loin de vous détournera la peste ».
Malheureusement, « par un malheur singulier, les maisons sur lesquelles l’oracle est écrit sont les premières à perdre leurs habitants ».
Nous ne savons rien de plus sur Alexandre qui, espérons-le, finit par ne plus impressionner les foules !
II. Le Moyen Âge.
Jusqu’en 640, date de la destruction de la bibliothèque d’Alexandrie, les apothicaires sont confondus avec les charlatans, les baladins ; ils vendent dans les cabarets, les foires, et étalent leurs drogues « sur des échoppes dressées sur le devant de leurs portes ».
Les charlatans font peu parler d’eux au cours de la période dite arabique (de 640 à la fin du XIVe siècle) ; au XIIIe siècle, cependant, la scission n’est pas encore très nette entre eux et le corps des apothicaires. Nous trouvons en effet, dans le Registre des Métiers et Marchandises » un passage qui, en consacrant l’état civique des apothicaires, nous montre qu’à cette époque ils sont encore des coureurs de foire et de marchés : ils étalent leurs drogues au marché au milieu des écuelles et des échelles ; ce sont d’honnêtes marchands, mais à côté d’eux figure certainement une catégorie de guérisseurs plus audacieux dans leur publicité, plus dangereux aussi par leur ignorance.
Voici comment nous nous représentons la mise en scène du dict de Rutebeuf : un tréteau devait être installé dans quelque rue populeuse, au milieu de quelqu’un de ces ponts qui portaient sur leurs flancs de petites masures, ou sur le parvis devant l’église.
Sur ce tréteau, étaient disposées en ordre maintes petites fioles et maints paquets d’herbes sèches : herbes aux poux, graines de paradis, racines de mandragore, plus loin quelques pierres baptisées précieuses pour la circonstance.
Derrière le tréteau, se tenait le charlatan qui commençait par grouper la foule bigarrée que le son aigu de sa gresle ou trompette allait avertir au loin. Et lorsque le silence s’était fait, notre homme commençait son histoire :
Seigneur qui ci estes venu
Petit et grand, jeunes et chenus
……………………………………..
Ainsi écoutez, s’il ne vous pèse
Je suis un médecin
Ainsi ai-je été en maints empires
Au Caire m’a retenu le Seigneur
Plus d’un été
Longtemps j’ai avec lui été
Grand avoir y ai conquis
La mer ai passé
Ainsi je m’en reviens par la Marée
Où j’ai fait un long séjour
Et par Salerne
Par Burienne et par Viterne
En Puille, en Calabre,
En Palerne
Ai herbes prises
Qui de grandes vertus sont emprises
Sur quelque mal qu’elles soit mises
Les maux s’enfuient.
Donc, après nous avoir exposé la série de ses longs voyages, le charlatan qui n’a pas eu garde d’omettre Salerne, la ville fameuse des médecins, va nous énumérer toutes les drogues remarquables qu’il rapporte de ses voyages. ce sont d’abord les pierres précieuses qui font ressusciter les morts, les ferrites, les diamants, les cresperites, les topazes, les grenats, les galifaces, les tellagons. Celui qui les porte n’aura pas même à redouter les atteintes de la mort. Ce sont ensuite les herbes diverses en provenance directe de l’Inde, les herbes qui guérissent en moins d’une semaine la fameuse fièvre quartaine, et les maux de dents, et les hémorroïdes, la goutte et… que vous dirai ?
Et l’auteur continue, en prose cette fois :
« Belles gens, je ne suis pas de ces pauvres prêcheurs, ni de ces pauvres herbiers qui vont par devant les églises avec ces pauvres chapes mal cousues, qui portent boites et sachets, et aussi étendent un tapis. Car ils vendent poivre et cumin, et autres épices… »
Bel exemple de charlatanisme médiéval.
Au XVIe siècle, la présence des charlatans en France prend des proportions d’une véritable invasion. Venus de partout, mais surtout semble-t-il d’Italie, ils s’installent dans toutes les foires et marchés.
Voici un « chant royal, présenté aux palinods de Rouen par notre confrère Guyguart » qui, vivant vers 1525, parle en ces termes d’un charlatan :
« Devant cet air : causant peste mortelle
Sous beau parler farci de menterie
Un triacleur inventif de cautelle
Venant du port de la grande tartarie
Pour préserver baillait par tromperie
A l’homme sain, délicat et sensible
Venin infect au corps humain nuisible »
Comme remèdes : « Une grosse araignée enfermée entre 2 écales de noix et suspendue au cou avec un fil rouge » ; l’araignée passait pour absorber le « venin » de la peste.
Quelques années plus tard, vers 1533, Rabelais nous donne l’emploi du temps de Gargantua et dit qu’il « alloit voir les basteleurs, tréjectaires et thériacleurs, et considérait leurs gestes, leurs ruses, leurs soubresauts et beau parler : singulièrement de ceux de Chaunys en Picardie, car ils sont de nature grands jaseurs et beaux bailleurs de ballivernes en matièer de cinges verds ». En 1540, Antoine Lecoq, dans l’appendice de son livre sur le Gaïac, décrit ainsi les charlatans :
« Ces charlatans, coureurs de places publiques, s’ornent de colliers et de casques à panaches, ont de nombreux anneaux aux doigts ; ils se donnent le titre de médecin et prennent l’habit d’honnêtes gens : ils arrivent triomphalement montés sur leur mule et croient de leur dignité de s’arrêter à chaque pas. Dans cet appareil, ils promettent à tous, mais non sans la faire payer d’avance, la bonne santé, comme s’ils mettaient la santé à l’encan. »
Et voici la recette pour faire un bon charlatan, recette pharmaceutique, comme vous allez voir :
« Prendre trois livres d’impudence et d’effronterie de la plus fine qui croisse en un rocher qui s’appelle front d’airain, trois livres de vantance et vaine ostentation, une livre de belles promesses assaisonnées de mensonges, trois livres et demi de tromperie, quatre onces de bonne mine cuite au jus de douces paroles, et la décoction coulée et passée par l’étamine de large conscience. »
C’est l’époque fameuse de Tabarin et des vendeurs d’orviétan dont nous parlerons tout à l’heure un peu plus longuement. Et nous arrivons ainsi au XVIIe siècle où Molière ne manque pas d’étudier aussi bien à Paris que dans ses tournées de province, les charlatans qu’il met en scène dans sa comédie-ballet de l’Amour Médecin (1665). Vous connaissez tous la scène : Sqanarelle, mécontent des quatre médecins qui soignet sa fille Lucinde, appelle à lui l’un des opérateurs qui vendent l’orviétan ; cela donne lieu à un amusant dialogue qui a toujours beaucoup de succès à l’acte II :
Sganarelle – Monsieur, je vous prie de me donner une boite de votre orviétan que je m’en vais vous payer.
L’opérateur (chante) – L’or de tous les climats qu’entoure l’Océan
Peut-il jamais payer ce secret d’importance.
Mon remède guérit par sa rare excellence
Plus de maux qu’on peut nombrer dans tout un an
La gale – la rogne – la teigne – la fièvre – la peste – la goutte – vérole – descente – rougeole – O puissance de l’orviétan.
Sganarelle – Monsieur, je crois que tout l’or du monde n’est pas capable de payer votre remède ; mais pourtant voici une pièce de trente sous que vous prendrez, s’il vous plait.
L’opérateur (chante) :
– Admirez mes bontés et le peu qu’on vous vend
Ce trésor merveilleux que ma main vous dispense.
Vous pouvez avec lui braver en assurance
Tous les maux que sur nous l’ire du ciel répand :
La gale, la rogne, la teigne, la fièvre, etc, etc.
Quelques années plus tard, La Bruyère dans ses Caractères (1688) stigmatise « la témérité des charlatans et leurs tristes succès qui en sont la suite » et qui, dit-il, « font valoir la médecine et les médecins : si ceux-ci laissent mourir, les autres tuent ».
Au XVIIIe siècle, les Grands eux-mêmes ne dédaignent pas d’avoir recours à leurs bons offices. Dans ses mémoires, Madame du Hausset relate avec quelle ténacité le Dauphin emploie les remèdes d’un guérisseur pour signer les dartres :
« Le Dauphin, triste, ennuyé, et n’ayant pas la force de chercher à se distraire, était tombé dans une mélancolie qui altérait sa santé. Dans le même temps, une dartre lui survint au dessus du nez, et voulant la faire disparaitre, il usa secrètement d’une drogue de charlatan. La Dauphine en fut instruite, et comme elle en connaissait le danger, elle s’empara de la drogue et la jeta. Le Dauphin se fâcha, se fit rapporter de la même drogue et continua de s’en servir. La dartre disparut, mais l’humeur passa dans le sang et se jeta sur la poitrine… »
Le Dauphin mourut peu après (le 20 décembre 1765).
Au XIXe siècle, les charlatans, pourchassés comme nous le verrons tout à l’heure, font peu parler d’eux. Pourtant, dans les Annales Lyonnaises, le « Père Thomas » est célèbre : chanteur, musicien et charlatan, il est ainsi décrit par Léon Boitel (en 1833) :
« Allez à Bellecour à midi, vous le trouverez le chapeau sur l’oreille, la grimace à la bouche, le nez au vent, soldats du poste voisin, gamins, femmes de chambre et tous les oisifs du quartier à ses côtés, foule bizarre rangée, groupée autour de lui. Il la tient, cette foule, il la captive par ses lassis, il en dispose à son gré, et il lui vend de l’orviétan pour les dents et les cors aux pieds, de la pommade pour les cheveux et les moustaches, il lève les taches et les agrandit, il chante et joue du violon sur une seule corde comme Paganini, ni plus, ni moins ; il parle, il grimace, il rit et fait rire de pauvres diables. Telle est l’histoire de toute sa vie. »
Scribe, dans ses comédies, fait aussi de fréquentes allusions à cette profession en voie d’extinction. Dans Le Philtre, par exemple, il place dans la bouche du Docteur Fontanarose ce savoureux discours :
« Approchez tous ! Venez m’entendre !
Moi, l’ami de l’humanité.
A juste prix je viens vous vendre
Et le bonheur et la santé.
Mon élixir odontalgique
Détruit partout, c’est authentique
Et les insectes et les rats
Dont j’ai là les certificats. »
Dans les « empiriques d’autrefois », pièce écrite en collaboration avec Alexandre, il fait dire à Gaspard :
« Allez dans la Catalogne, dans les Asturies, dans les deux Castilles, tout le monde vous parlera du Docteur Gaspard, c’est mon nom. Les poudres, les élixirs, les anneaux constellés, Dieu ! quel débit ! … Enfin, nous exploitions la crédulité publique, nous vivions au dépends des sots et comme je vous le disais, nous roulions carrosse. »
Mais la lutte acharnée entreprise contre les empiriques et guérisseurs par les apothicaires, les règlements pharmaceutiques et médicaux, le développement de la publicité écrite, amènent au XIXe siècle la fin de la gloire des charlatans tels que nous les avons définis. Leur maître incontesté à cette époque, Mengin, mort en 1864, en est réduit à exercer ses talents d’orateur et de metteur en scène pour la vente de vulgaires crayons, s’exclamant d’ailleurs avec effronterie « je suis charlatan mais je dis la vérité ».
Avant de préciser comment la lutte menée par nos confrères et les pouvoirs publics contre les charlatans aboutit à leur disparition sous la forme que nous avons définie, nous voudrions revenir sur certains d’entre eux qui connurent vraiment la célébrité : tout d’abord Tabarin.
En costume de Pierrot, longue épée de bois au côté, « chapeau de feutre gris sans fond », monté sur de mauvaises planches ajustées et recouvertes de lambeaux de toile cousus ensemble, Tabarin, de son vrai nom Antoine Girard, comparé aux vendeurs d’orviétan dont nous parlerons tout à l’heure, est un modeste ; il porte un costume peu tapageur, voyage sans carrosse doré, ne porte pas de bijoux : pour lui, « boniment » bien placé est la meilleure façon d’amorcer la clientèle.
Aussi est-il resté célèbre et est-il universellement connu (légendaire même), comme le roi des bonimenteurs.
Les charlatans, d’habitude, installaient leurs tréteaux sur les ponts. Pourquoi ?
« Les charlatans d’alors étaient des gens pratiques Car ils savaient bien, les fripons Qu’en établissant sur les ponts Leurs baraques et leurs boutiques, On était obligé de passer devant eux Pour aller d’une rive à l’autre. »
Tabarin ne s’installa pas sur le Pont-Neuf, mais Place Dauphine, « foule compacte et mêlée de gens de toutes sortes : procureurs en quête de clients, tire-laine en quête de manteaux, merciers échappés de leur boutique, gentilshommes descendus de leur chaise, harengères à l’affût d’un mot salé, portefaix au repos, soudards à cheval, paysans égarés, pages, écoliers et laquais en train de se faire gratuitement, par leurs niches, les complices des filous ».
Le personnel se compose de Tabarin et de sa femme Francisquine, de son frère Philippe Girard dit Mondor, Docteur en Médecine, dont l’habit court, étincelant de clinquant et d’oripeaux, forme un contraste frappant avec le costume sobre de Tabarin. Il est chargé de vendre les produits, Tabarin faisant la parade pour attirer les badauds. Pour compléter le personnel, on trouve habituellement un page noir qui présente les fioles à Mondor, et l’orchestre composé d’un joueur de viole et d’un joueur de rebec (violon à 3 cordes).
Le vendredi, jour des représentations extraordinaires, tout Paris s’écrase sur la Place Dauphine. Les gens instruits eux-mêmes ne dédaignent pas d’écouter le célèbre bateleur. « On s’échauffait tellement à ceste place Dauphine que l’air en était tout corrompu » disent les écrits du temps.
En quoi constitue la parade ? Dialogue plaisant, parfois grossier, entre Tabarin et Mondor. Tabarin pose à Mondor une « colle » captivante et idiote qui fait tressaillir les badauds attirés par un bref appel de l’orchestre ; voici quelques unes de ces « colles » :
« Mon maistre, je fus l’autre jour le plus estonné du monde de voir notre chambrière qui, mettant cuire un oeuf à la coque, crache dessus ; savez-vous bien la raison pourquoi cela se fait ? »
« Savez-vous bien, vous qui êtes médecin, tirer une araignée du corps d’un homme, s’il l’avait avalée par mégarde, sans qu’elle envenimât ses entrailles ? »
Et autres questions du même genre.
Mondor répond en engageant la discussion et Tabarin lui donne la réplique, et entre deux bouffonneries les auditeurs se ruent sur les remèdes que vendent les deux compères.
Quels étaient ces remèdes ?
Les deux principaux étaient un baume et une pommade pour les crevasses ; Tabarin nous le fait savoir lui-même dans l’une des questions posées à Mondor:
« Mon maistre, vous vantez tant vos drogues, principalement votre baume, votre pommade et tous les médicaments que vous dispensez : je désirerais grandement savoir leur énergie, leur propriété et leur puissance. «
Et Mondor décrit ainsi ses propriétés :
« A la vérité, il faut que je confesse… que ce baume est un des plus rares secrets que la nature ait jamais découvert, tant pour les expériences qu’il a fait paraître, tant à Paris qu’en autres villes de France, où je l’ay distribué, que pour les évènemens et guérisons admirables qui en sont réussis, outre même mon attente. Il est très bon aux douleurs de tête, aux migraines, vertigo, ténébrosité de cerveau ; il est singulier pour le mal d’estomac, sincope, vomissements, palpitations et autres incommodités qi naissent en cette partie ; il est rare pour l’obstruction du foie, pour l’opilation de la rate, pour mal de reins, de fluxions catareuses et pour les sciatiques. il ne faut qu’en engraisser la partie malade avec un linge bien chaud ; on en voit des effets admirables. »
Voici pour le baume.
Pour la pommade contre les engelures, Mondor parlant de gants dit :
« Ceux qui se graissent de ma pommade n’en ont pas besoin, car le froid ne les peut attaquer; ils ont un remède fort bon pour les crevasses qui arrivent de froidure. »
Tabarin enchaîne en terme moqueurs :
« Outre plus, si par quelque ravine d’eau, ou manquement de soustion, une maison venait à se crevasser, il ne faut que prendre quatre ou cinq boëtes de… pomade et la graisser du haut jusques en bas ; il n’y a rien de meilleur pour les fentes. »
En plus du baume et de la pommade Tabarin présente un électuaire pour les dents, mais en ajoutant
« qu’un bon jambon avec une bouteille de vin muscat ou de Frontignac est le plus souverain remède qu’on puisse appliquer au mal de dents ».
Enfin, le 4ème remède consiste en une graisse contre les brûlures éprouvée par Tabarin dans les enfers.
« Il estimait faire son profit en Enfer, parce qu’il avait entendu que la plupart des serviteurs de Pluton s’étaient brûlés cet hiver pour s’être trop approchés du feu… »
Le résultat est d’ailleurs merveilleux.
« Mais ce fut le plaisir quand il vint à mettre en vente son onguent pour la brûlure ; il n’y en avait point pour les laquais ; vous eussiez vu chapeaux, gands, mouchoirs, souliers, voler sur le théâtre, parce que c’est la maladie à laquelle ils sont plus sujets en enfer qu’à être brûlés… Jamais Tabarin n’avait été à telle fête ; il ne savait satisfaire, seul qu’il était à tant de personnes… »
J’ai tenu à vous montrer ce qu’était le célèbre Tabarin à Paris.
En province également, de nombreux charlatans viennent vendre sur les marchés des médicaments, tels que la thériaque et le mithridate. Voici comment se signalait leur arrivée dans les villes :
« Ils ont coutume d’aller par les rues des villes vêtus de superbes et magnifiques vêtements, portant au cou des chaînes d’or, qu’ils auront peut-être louées de quelque orfèvre, et montés avaec avantage sur des genêts d’Espagne, coursiers de Naples ou courteaux d’Allemagne, accompagnés d’une grande suite et caravane d’escornifleurs, batteurs de pavés, batteleurs, comédiens, farceurs et arlequins, et recherchent en ce superbe équipage les carrefours et places publiques des villes et bourgades où ils font ériger des échafaux (échafaudages) et théâtres, sur lesquels leurs bouffons amusent le peuple pendant qu’ils étalent et débitent leur marchandise ou plutôt charlatanerie au peuple ».
Somme toute, cirques au service de spécialistes.
Mais Tabarin ne fut pas le seul à savoir conquérir les foules. Les marchands d’orviétan connurent eux aussi un succès considérable.
Inventé vers la fin du XVIe siècle par Lupi, d’Orviéto, en Toscane, cet électuaire passait pour avoir des vertus admirables contre la peste et autres maladies contagieuses, contre la morsure des serpents et des animaux enragés; et les poisons de toutes espèces. Le plus ancien vendeur d’orviétan semble être Hiéronymo Ferranti ou Fioranti, qui se trouve à Paris au début du XVIIIe siècle.
« Il signore Hieronymo » avait son théâtre, nous dit le médecin Sonnet de Courval en 1601, dans la cour du Palais « sur lequel était monté en superbe équipage, sa grosse chaîne d’or au cou, il louangeait par mille mensonges, vantances et veines ostentations,, quintessences, distillations, calcinations, et autres fantasques confections les vertus occultes et admirables propriétés de ces onguens, baumes, huiles, extractions. Quatre excellents joueurs de violon avaient séance au 4 coings de son théâtre…. assistez d’un insigne bouffon ou plaisant de l’Hôtel de Bourgogne, nommé Galinette la Galina qui de sa part faisait mille singeries, tours de souplesse et bouffonneries, pour attirer et amuser le peuple.«
Que vendait Héronymo ? Un onguent contre les brûlures. pour l’expérimenter, « il se brûlait publiquement les mains avec un flambeau allumé, jusqu’à se les rendre toutes ampoulées, puis se faisait appliquer son onguent qui les guérissait en deux heures« . De Courval ajoute qu’auparavant il avait eu soin de se laver secrètement les mains avec une certaine eau qui avait la propriété de préserver la peau de l’action du feu, et de produire à la surface des vésicules formées par la substance qu’elle tenait en dissolution.
Il avait aussi un baume souverain pour les blessures, grâce auquel il cicatrisait en 24 heures les coups d’épée qu’il se portait à l’épigastre. En outre, il arrachait les dents gratuitement sans causer de douleur, entre le pouce et l’index. Selon De Courval, il touchait les dents avec une poudre narcotique et appliquait en même temps une poudre caustique qui déchaussait les dents, de sorte que les dents tombaient presque toutes seules. Cette assertion de De Courval est peu vraisemblable ; on pense plutôt qu’il travaillait avec des confrères dont il détachait d’avance les dents, pour les extraire en public sans effort.
Bien sûr, Hiéronymo vendait aussi de l’orviétan, mais pour parler plus longtemps de ce remède fameux, nous voudrions amener sur la scène celui qui en fut vraiment le vendeur attitré, j’allais dire « officiel » : Christophe Contugi.
C’est en 1646 que des lettres de « naturalité » furent délivrées à « Christophe Contugi dit l’Orviétan, et à sa femme, Clarisse Vitraria, tous deux romains de naissance, retirés et habitués depuis quelque temps à Paris, avec résolution d’y passer le reste de leur vie. » En avril 1647, des lettres patentes du Roi donnèrent à Contugi avec le titre d’opérateur ordinaire de Sa Majesté, le droit de vendre et de distribuer dans tout le royaume son antidote appelé orviétan à l’exclusion de tous concurrents, leur défendant d’employer ce nom. Il prit alors le titre de médecin antidotaire du Roi. Il lui restait de demander l’approbation de la Faculté. Il n’y manqua pas, mais il essuya un refus sévère en 1648. Les techniciens étaient moins faciles à convaincre que la Cour.
C’est à partir de cette époque que les Contugi parcourent Paris et la France en compagnie de leurs acolytes, l’Aveugle, Brigantin et Polichinelle, tels que nous les voyons sur une estampe que l’on peut voir au Musée Carnavalet et à la Bibliothèque Nationale. On y voit précisément tout le personnel jouant une farce devant la foule, ayant à ses côtés un coffre rempli d’un certain nombre de boites du précieux orviétan. Sur la partie gauche de cette estampe d’ailleurs célèbre, on peut lire :
« Théâtre et Boutique de l’orviétan
Et de ces serviteurs domestiques
Ceux qui le vont voir le réjouisse
Luy portant de leur Argent
Leur baille de son orviétan
Puis s’en retourne fort content. »
Et à droite figure le texte :
« Messieurs et Dames
L’Orvétan
est bon
Contre toute sorte de venin
Contre morsure de
beste venimeuse et
Chien enragés
Contre la peste
Contre les vers,
qui nous mange,
Contre la petite Vérole et autres
maux.
Quelle est la composition de l’Orviétan, il faudrait mieux dire des Orvétans, car il y avait en réalité plusieurs formules ?
Celle indiquée par Thomas Riollet mentionne un mélange de racines, de feuilles, de semences de plantes aromatiques et stimulantes, de terres argileuses, de vipères, le tout desséché et pulvérisé avec soin. Telle était la poudre. On y ajoutait de la thériaque et du miel fin, cuit et écumé. On pouvait y verser du vin, obtenant ainsi l’orviétan liquide. La poudre mélangée à de l’huile composait le baume d’orviétan.
Riollet ajoute que certaines préparations contenaient des principes vomitifs, qu’il s’agissait aussi parfois d’un électuaire fait avec des noix vertes. Enfin, lorviétan prit place dans les pharmacopées. La première formule publiée par Schroder en 1665 dans la Pharmacopeia Medici-Chymica, de Lyon, comportait (p. 34) :
Racine de Carline
Racine de Tormentille
Racine de Pistoloche (petite aristoloche)
Racine d’Aristoloche ronde
Racine de Scorsonaire d’Espagne
Racine de Canne odorante
Racine d’Angélique
Racine d’Impératoire
Racine d’Aconit salutaire
Grains de semen-contra
Feuilles de Semen-contra
Feuilles de Fraxinelle
Bol d’Arménie
Terre sigillée
Vieille thériaque
Miel d’Espagne.
Pour distinguer l’orviétan pharmaceutique de celui des charlatans, les apothicaires le préparèrent avec solennité en présence ds magistrats et de la Faculté de Médecine. une cérémonie de préparation eut lieu notamment le 24 octobre 1731 à l’École de Pharmacie, rue de l’Arbalète ; 34 substances entraient alors dans sa composition.
Quel était le prix de vente de l’Orviétan par les charlatans ? De 8 à trente sols selon les vendeurs, et aussi en fonction de la grandeur de la boite, le conditionnement se faisant en boites de plomb, elles-mêmes entourées d’un papier dont on trouve quelques exemplaires à la Bibliothèque nationale : papier curieux reproduisant les armes du pape, celles de France et de Navarre, plusieurs armoiries (les Condé, Orléans, Autriche, etc.) où figurent aussi des animaux hideux : serpents, scorpions, araignées, etc. et des champignons. Au bas du papier se trouvait l’écusson des Contugi.
La brillante situation des vendeurs de remèdes secrets à la fin du XVIIe siècle est concrétisée, si l’on peut dire, par ces vers extraits d’un manuscrit de la bibliothèque de l’Arsenal et publié par notre secrétaire perpétuel, Monsieur Guitard :
« Tout est perdu, mon cher Confrère
Le duc et pair, le savetier,
Se mêlant de notre mestier,
Tout le monde est apotiquaire !
Avez-vous besoin d’un clystère ?
Parisot, ami du mortier,
Pour trente sols, à son portier,
Le fait vendre comme un mystère… »
Comment les apothicaires essayèrent-ils de lutter contre ces concurrents déloyaux et dangereux ? C’est ce que nous allons voir. Comme je le précisais en commençant, presque tous les confrères qui, depuis le début du XXe siècle ont étudié l’histoire locale de la Pharmacie en France, ont été amenés à prévoir dans leurs travaux un chapitre consacré aux charlatans, car la plupart, pour ne pas dire la totalité des statuts d’apothicaires, comportaient un ou plusieurs articles interdisant leur trafic.
A Caen, en 1546, « ne seront soufferts en cette ville au faubourgs triacleurs, porteurs de tablettes et autres manières de gens abusant du métier d’apothicaire, ni bailler potions et autres médicaments sophistiqués sans égard ni considération de médecine, au grand préjudice de la République, sur peine de confiscation des compositions et d’amende arbitraire. »
Les statuts de Blois en 1571 prévoient :
« que tous divins et divineresses, empiriques, abuseurs, ne pourront faire aucune visitation et jugement de personnes malades ou saines, en ce dit pays et comté de Blois, et ne bailleront, ne feront bailler aucun médicament composés ou simples, en quelque sorte que ce soit, et que défenses expresses de par vous, sur peine de punition corporelle, et en amende arbitraire, seront à cet fin, faites à tous divins et divineresses, empiriques, abuseurs, et à tous autres qui ne seront dudit art et métier d’apoticaires. »
Les statuts de Montbéliard en 1575 insistent sur la fausse sécurité que donnent aux malades les
« charlatans, empiriques, coureurs qui sous de belles promesses est accoutumé de tromper son pauvre peuple, sorciers, enchanteresses qui sous prétexte de quelques herbes ou remèdes, font valoir leur méchanceté ; ceux ou celles qui s’en mêleront seront condamnés à 3 florins. »
A La Rochelle, en 1601, des peines corporelles sont prévues ; à Grenoble, en 1614, c’est la communauté-santé qui est alertée pour la lutte :
« Tous les susdits Docteurs, Médecins, Maîtres, Chirurgiens et apoticaires ne faisant qu’un corps de la médecine, se joindront unanimement pour empêcher l’introduction des coureurs, charlatans, vendeurs de drogues en public, et autres tels imposteurs, par les voies juridiques, civiles et honnêtes. »
Les statuts de Metz (1631), plus libéraux, prévoient que les charlatans pourront recevoir une autorisation :
« Défenses à tous opérateurs, empiriques et autres semblables d’exercer la Pharmacie, vendre ni exposer aucun médicament simple ou composé sans permission de justice, et qu’ils n’aient été visité par le maître et jurés, et les Docteurs stipendiés, si bon leur semble, à peine de 10 livres tournois d’amende, applicable à la Boîte, et où ils seraient trouvés bons, leur sera permis de les vendre et débiter dans un certain temps, qui leur sera prescrit par le Lieutenant Général et non autrement. »
Ceux de Lille (1635) punissent les contrevenants par une amende de 12 livres parisis. Ceux de Dunkerque (1693) prévoient une autorisation et une somme à verser pour la Chapelle de la Confrérie :
« Nul opérateur, charlatan ou gens de pareil métier ne pourront faire aucune distribution de médicaments sur le marché de cette ville ou dans le territoire, y exposer leurs tableaux ou autres marques, qu’avec la permission par écrit du Magistrat et après avoir payé pour la chapelle, entre les mains du Doyen, la somme de quinze sols par jour, à peine de 3 livres d’amende. »
Bien d’autres villes : Châlons, Cambrai, Sézanne, Clermont-Ferrand, Riom, Fontenay-le Conte, Nancy, Nantes, St-Omer, Versailles, Nice, prennent des dispositions analogues contre les empiriques, et ces dispositions sont d’ailleurs renforcées par divers jugements et édits royaux.
L’arrêt du Conseil du Roi du 27 juin 1636 reconnait formellement aux apothicaires le droit de contrôle sur les charlatans :
« Ordonnez à tous les maîtres apothicaires d’empêcher les coureurs et charlatans de vendre aucune sorte de drogues simples ou composées, et avons ordonné plein pouvoir et permission à chacun desdits maîtres de prendre et saisir toutes et chacunes des drogues et compositions de tous les charlatans et gens sans aveu. »
Peu de temps après, Louis XIII par une ordonnance du 28 novembre 1638, affirme qu’il faut préserver le malade « de la fantaisie des charlatans et de tous les préparateurs sans autorisation. »
Le 12 mars 1697 parait la déclaration du Roy portant règlement général pour les fonctions, droits, rangs, séance et privilèges attribués aux Maires et Échevins, et autres officiers des villes. L’article 23 de cette déclaration, enregistrée au Parlement de Paris le 11 juin 1697, vise les charlatans :
« Les permissions nécessaires aux marchands forains pour étaler et débiter leurs marchandises, et aux opérateurs pour la distribution de leurs médicaments, seront par eux demandées aux Maires ou, en leur absence, au premier Échevin : lesquels ne leur accorderont qu’après que leurs marchandises auront été visitées par Gardes-jurés des Marchands, et que les opérateurs et médecins chimistes auront fait apparoir de leurs lettres de Concession. »
En 1707, Louis XIV édicte un règlement sévère dont l’article 26 est destiné à empêcher toute vente de remèdes secrets par des personnes non qualifiées :
« Nul ne pourra, sous quelque prétexte que ce soit, exercer la médecine ni donner aucun remède, même gratuitement, dans les villes et bourgs de notre royaume, s’il n’a obtenu les degrés de licencié dans quelqu’une des facultés de médecine qui y sont établies, à peine de 500 livres d’amende. »
Cet édit ne fut pas plus observé que les précédents.
Des autorisations trop fréquentes données par le roi lui-même contrecarraient ces mesures générales. C’est ainsi qu’en 1727, le 11 juin, Louis XV accordait à l’italien Grégoire Toscano, vendeur d’orviétan, l’autorisation
« d’établir dans les places publiques, des villes du royaume, excepté dans celle de Paris, un théâtre à la manière usitée par les opérateurs, pour y débiter son antidote à condition néanmoins de n’y représenter que des divertissements honnêtes et de se conformer en tout aux ordonnances et règlements de police, sous peine d’être déchu du privilège accordé par les dites lettres patentes. »
Ceci explique les luttes parfois épiques que durent mener les apothicaires contre leurs concurrents déloyaux : c’est ainsi qu’à Nantes, malgré des statuts et des arrêts très sévères, notre confrère Doucet a pu retrouver le passage d’une dizaine de charlatans au XVIIe siècle et autant au XVIIIe siècle. Le contrôle des « passe-volans » était confié aux apothicaires et aux médecins, et ceux-ci avaient fort à faire pour éviter des catastrophes, car les registres paroissiaux après le passage des charlatans se garnissaient de décès.
Parmi les ennemis des charlatans au XVIIIe siècle, le plus actif et le plus violent est Tissoy, « Docteur et Professeur en Médecine », membre de la « Société Royale de Londres, de l’Académie médico-physique de Basles, etc… » Dans son « avis au peuple sur sa santé », il consacre un long chapitre aux charlatans et aux « Maiges », fléau qui rend inutile « toutes les précautions qu’on prendra pour la conservation du peuple. » Le passage suivant est particulièrement significatif :
« Le crédit de ce charlatan de foire, que cinq ou six cents paysans entourent grand yeux ouverts, gueule béante, et se trouvant fort heureux qu’il veuille bien leur friponner leur nécessaire, en leur vendant 15 ou 20 fois au delà de sa valeur, un remède dont la plus grande qualité serait d’être inutile ; le crédit, dis-je, de ce fripon toléré tomberait bientôt, si l’on pouvait persuader à chacun de ses auditeurs qu’à un peu de souplesse près dans la main, il en fait tout autant que lui ; et que s’il peut acquérir son impudence, il aura dans un moment la même habileté et méritera la même réputation et la même confiance. »
A la faveur de tous ces efforts, de ceux aussi des chirurgiens qui obtiennent un arrêt du Parlement de Paris en 1755, faisant défense à « tous les empiriques, vendeurs d’orviétan, d’exercer l’art de chirurgie et de distribuer aucuns remèdes spécifiques concernant le dit art. »
Grâce aussi à un arrêt analogue rendu le 16 mars 1764 en faveur des Chirurgiens de Versailles, grâce enfin à l’ordonnance du 25 avril 1777, la vogue et le succès des charlatans subissent une sensible diminution. Toutefois, profitant de la Révolution et des troubles qui l’accompagnent, ainsi que de la suppression en 1793 de la Faculté de Médecine, ils redoublent alors d’activité jusqu’au moment de la parution de la loi du 21 germinal an XI (11 avril 1803) organisant les professions médicales. Deux ans plus tard, la loi du 29 pluviose an XIII précise les sanctions. Les délinquants « seront poursuivis par mesure de police correctionnelle, et punis d’une amende de 25 à 600 livres, et en cas de récidive, d’une détention de 3 jours au moins, de dix au plus. A partir de cette époque, la vente des remèdes secrets tend à disparaitre, et la publicité orale, de toute façon, laisse la place à la publicité écrite qui prend, dans le cours du XIXe siècle et surtout au XXe siècle, une importance considérable.
On voit bien encore sur les boulevards des grandes villes, et les jours de foire dans les chefs-lieux de canton, quelques guérisseurs proposant des plantes médicinales, un coricide infaillible, ou un dentifrice merveilleux. Mais ce sont des cas isolés, comme celui signalé par notre confrère Daclin dans le numéro de Janvier 1923 du Buelletin des Syndicats Pharmaceutiques de l’Est ; c’est celui d’un vendeur de plantes médicinales installé un jour de foire sur la place principale d’une localité du Bugey :
« Un petit éventaire, écrit Daclin, à ciel ouvert, circonscrit et illustré apr le moyen d’images parlantes, parlantes aux constipés, parce qu’elles reflétaient, dans leurs replis tortueux, les schémas de tubes digestifs récalcitrants ; une petite officine en plein vent, au milieu le laquelle pontifiait, sans chapeau à grelots, un bienfaiteur de l’humanité, la main posée sur un paquet de médecines non gratuites, était devenue le centre d’un rassemblement qui allait en s’accroissant.
Déjà, le boniment à peine termine, le « nettoyeur du corps humain » commençait la vente de son
Thé populaire des Montagnes de France
lorsque quelqu’un troubla la fête : le président du Syndicat des Pharmaciens du département, lequel, armé de l’herbe rédemptrice, ouvrait, dans la baraque du camelot, une décevante parenthèse encadrant l’ultimatum légal et hygiénique que l’on devine. »
Voici probablement une des dernières interventions opérées à propos de la publicité charlatanesque orale. Mais vis à vis de la presse écrite, il faut rester vigilant, car l’hydre du charlatanisme est toujours prête à sortir de sa grotte dorée, nous en avons, hélas ! journellement de nombreux exemples encore à l’heure actuelle. En matière de conclusion, ,rappelons que l’empirisme, considéré comme médecine de l’expérience, eut ses défenseurs et non des moindres.
Le Dr Trousseau déclarait, dans un discours prononcé en 1862 à l’Association Polytechnique, que sans l’empirisme la médecine proprement dite n’existerait pas ; il ajoutait qu’elle n’avait été formée que par lui, les premiers soins ayant été inspirés par l’instinct. S’il est vrai que quelques remèdes comme le quinquina et le kermès furent introduits dans la thérapeutique par les empiriques Talbot et Glauber, on ne saurait pousser plus loin cette thèse évidemment paradoxale et qui dépasserait peut-être le but que se proposait l’illustre médecin lui-même. Longues et savantes recherches, documents scientifiques, progrès introduits dans l’art de guérir au cours ds XIXe et XXe siècles, ne peuvent être comparés au hasard et au résultat d’une expérience même longue.
Le mot empirique restera longtemps entaché à l’égal de celui d’ignorance, puisque ses représentants ne furent que des candidats malheureux ou des aventuriers sans vergogne, incapables d’exercer un art pour lequel on ne saurait trop demander d’études et d’examens. Mais si nos pères raffolaient de boniments et se laissaient duper par des charlatans de tous genres, avec une inlassable patiente, ils tenaient cette faiblesse de leurs ancêtres, car ce penchant de la nature humaine est aussi vieux que le monde.
Il y aurait une curieuse étude psychologique à faire sur cette disposition de l’homme à la crédulité. Cette croyance est sans limites quand il s’agit de contenter notre instinct de conservation. L’homme demandant à la médecine de soulager ses maux, est souvent déçu par l’impuissance des traitements les plus savants. Séduit au contraire par les promesses du charlatanisme qui ne connait pas de maladies incurables, il se laisse convaincre par les pires invraisemblance, faisant table rase des lois de la raison et du simple bon sens pour entrer sans restriction dans le domaine de l’absurde et de l’impossible :
« L’homme est de glace aux vérités.
Il est de feu pour le mensonge ».
Henri Bonnemain