Chanteclair et la Carnine Lefrancq
On pourrait sans doute consacrer de très nombreuses expositions à la Revue Chanteclair éditée de 1906 à 1936 par la Carnine Lefrancq, tant chacun des numéros est riche en informations et anecdotes diverses. On trouve la totalité des numéros numérisés par Medic@. Nous allons examiner ici quelques numéros de 1924 à 1936.
Le numéro de mars 1924 (n°188) s’intéresse au Général Daumesnil, gouverneur du Château de Vincennes pendant l’Empire, puis de nouveau en 1830, lors de la révolution de juillet. On peut lire aussi un petit entrefilet expliquant le terme « année bissextile » : « Attendu que, selon la manière de compter des Romains, le 24 février était le 6ème jour avant les calendes de mars, on a dit pour le jour intercalaire, bis sexto calendes : d’où l’année de trois cent soixante-six jours a pris le nom de bissexte et la qualification de bissextile, laquelle signifie littéralement bis sixième ». Après un article très court sur Le Nôtre, Jardinier du Louis XIV, et une chanson de Paul Déroulène, la Revue s’intéresse au professeur Jeanselme. Presque tous les numéros de la Revue évoquait en effet la figure d’un professeur de médecine de l’époque. Jeanselme était spécialisé en syphiligraphie et en dermatologie. Il est caricaturé sous l’apparence d’un Bouddha ! « allusion à ses voyages en Orient, où il est allé étudier sur place les maladies exotiques, Lèpre, Béribéri, Pian, etc. ». Le numéro est agrémenté de peintures et sculptures, mais aussi de publicité pour la Carnine du Laboratoire Lefrancq dont vous pouvez découvrir l’histoire sur notre site.
Dans le numéro 224 d’avril 1926, l’article d’introduction, signé Maurice Maeterlinck, est consacré à la « colère des abeilles » où l’auteur montre que les abeilles ne sont habituellement pas agressives, toutes occupées à butiner les fleurs.
Les pages centrales concernent la guerre de 1914-1918 et plus spécialement le rôle du roi et de la reine des Belges durant cette période, réfugiés dans l’extrême nord de leur pays. L’auteur, Pierre Nothomb, évoque la reine :
« Elle est l’âme de cette bataille qui ne dure que pour mieux finir, de cette résistance improvisée, désespérée, victorieuse ; de ce combat perpétué où chaque jour nous progressons ; de cette seconde victoire qui déjà derrière nos lignes ouvre ses ailes au vent de mer.
Rien qu’à la voir passer, les Belges savent ce qu’ils défendent et ce pourquoi ils doivent vaincre. »
Un autre article, écrit par Georges Goyau, de l’Académie française, est consacré au Cardinal Mercier « Défenseur de la justice, chef d’une Église surveillée dans un pays piétiné, osa proclamer hautement, publiquement, que ce pays, et que la France aussi, ayant pour eux le droit, avaient pour eux l’alliance divine. » Enfin, il faut signaler ce beau tableau de David Ryckaert (1612-1661) représentant l’alchimiste.
Le numéro 234, d’avril 1927, s’intéresse aux origines de l’enseignement médical en Provence, à l’occasion des Journées médicales Marseillaises et Coloniales. On y apprend que « l’enseignement médical est né en Provence avec la création de l’Université d’Aix. Louis II, Comte de Provence, Roi de Sicile et de Naples, avec les uniques ressources de la ville d’Aix et l’appui des syndics de la cité, créa vers la fin du XIVe siècle son université d Provence. La Faculté de Médecine y tient au début une place fort modeste…. Tandis que les autres Facultés de l’époque manifestent, pour les chirurgiens et les apothicaires, le mépris des gens bien nés pour les artisans manuels, celle d’Aix, au contraire, voit en eux des auxiliaires précieux qu’elle n’hésite pas à s’adjoindre. »
On y apprend également qu’un enseignement de pharmacie, de chimie et de botanique y est donné dès 1669. Mais ce qui caractérise cette université, c’est qu’elle fut dès l’origine laïque et quasi roturière. Elle disparut avec la Révolution française, pour renaître en 1968 ! Entretemps, Marseille prenait le relais à partir de 1818, devenant École de plein exercice en 1876, puis Faculté de Médecine générale et coloniale et de Pharmacie en 1922.
Parmi les articles de la Revue, il faut noter celui consacré à l’École d’application du Service de Santé colonial de Marseille, créée en 1905. En 1927, le Ministre de la Guerre lui a accordé la Croix de Guerre avec la citation suivante : « A, par son enseignement, su inspirer le culte de la science et l’esprit de sacrifice aux Médecins des Troupes Coloniales qui, tant par les services qu’ils ont rendus au cours de la conquête
de notre empire colonial que par l’abnégation et le dévouement dont ils ont fait preuve au cours de la Grande guerre, se sont acquis les plus grands titres à la reconnaissance du pays. »
Au moins deux numéros de la Revue furent consacrés à l’histoire de la médecine en Belgique, en avril 1928 et en juillet 1929.
On peut y lire que l’Université de Louvain fut créée par Jean IV, duc de Brabant, sous les auspices du Pape Martin V. Elle prospéra jusqu’à la Révolution française qui la ferma en 1797, après 371 ans d’existence. Plusieurs professeurs furent exilés à Cayenne. Parmi les grands médecins qui sont sortis de l’Université, il y a Vésale, mais aussi Van Helmont , Fyens, Van den Spieghel et Rega.
André Vésale, créateur de la science anatomique, fut le médecin de Charles Quint et de Philippe II. Né à Bruxelles en 1513, il mourut à la suite d’un naufrage en 1564 dans l’île de Zante. Quant à Jean-Baptiste Van Helmont, adversaire de la médecine de Galien, il est né à Bruxelles en 1577. Il utilisa de nombreuses substances minérales : mercure, antimoine, soufre, pour le traitement des malades. Certain hôpitaux ont également marqué l’histoire de la médecine en Belgique comme l’hôpital Saint-Jean, de Bruges.
« Il est difficile de fixer la date de sa fondation, mais on sait qu’il eut pour auteurs des clercs et des laïcs, et n’est pas postérieur à 1188 ». Il est également célèbre pour son apothicairerie qui fonctionna jusqu’en 1971.
Dans le numéro de 1928, un article est consacré à Jules Bordet dont les travaux sur l’immunologie lui ont valu le Prix Nobel. L’Institut belge qui porte son nom aujourd’hui n’existait pas encore car il fut créé en 1935.
Au fil des numéros de Chanteclair, on trouve toutes sortes d’articles, des contes, des réels ou imaginaires, des poésies, etc. Dans le numéro de janvier 1929, par exemple, on peut lire un article signé par le Comte L. Philippe de Ségur (1753-1830) à propos des débuts de LaFayette. L’auteur y raconte le départ tumultueux de Lafayette à 19 ans pour l’Amérique en 1777, malgré la défense du roi. Il revint quelques années plus tard, auréolé de gloire et obtint de Louis XVI qu’il mette à la disposition de Washington l’armée de Rochambeau.
Dans le même numéro Léon Treich signe un article intitulé « Une cure miraculeuse » où il rapporte les bienfaits de l’eau de goudron sur un matelot qui s’était cassé la jambe.
Ceci amena des discussions forts savantes sur l’intérêt de l’eau de goudron, mais l’auteur précise en fin d’article que la jambe du matelot était une jambe en bois !!
En mai 1930, Chanteclair s’intéresse au Chevalier d’Éon (sous la plume de Alfred Mézières).
On y évoque tout d’abord qu’il s’agit bien d’un homme, qui cherche à rétablir les relations diplomatiques entre la France et la Russie. C’est sous son costume d’homme qu’il fut reçu par l’impératrice Elisabeth en audience solennelle. Par l’alliance qu’il réussit à mener à terme, la Russie abandonnait l’alliance avec l’Angleterre pour entrer dans la coalition formée par la France et l’Autriche contre Frédéric II. Quelques années plus tard, il fut chargé de conclure avec l’Angleterre la paix de 1763. Entré plus ou moins en disgrâce auprès de Louis XV, « il envoie à Louis XVI, qui vient de monter sur le trône, le plus impertinent compte d’apothicaire qu’on puisse imaginer.
Il réclame, avec ses appointements de capitaine pendant quinze années, le remboursement des dépenses qu’il a faites lorsqu’il gérait l’ambassade par intérim et les frais « immenses » que lui a occasionnés son séjour à Londres ». Il l’obtint en partie grâce à Beaumarchais mais en reconnaissant par écrit qu’il était une femme…
Dans le même numéro de la Revue, René Vallery-Radot signe un article sur « le mariage de Pasteur ».
Pasteur écrivit au père de sa future femme, M. Laurent, une lettre officielle, quinze jours après son arrivée à Strasbourg, par laquelle il prévient qu’une lettre de demande de mariage officielle va bientôt arrivée (envoyée par son père). Il détaille son absence de fortune et ses premier travaux scientifiques. Il se maria finalement avec Marie Laurent le 29 mai 1849.
Toujours dans le même numéro se trouve la caricature du professeur André Lemierre, bactériologiste, dans son service de l’hôpital Bichat, un des plus encombrés de Paris comme on peut le voir sur cette caricature signée Chanteau.
Les trois derniers numéros de Chanteclair, en 1935-1936, ont un format légèrement différent et un couverture également modifiée. La publicité pour les produits Lefrancq est également plus présente, le plus souvent en pleine page. Le dernier numéro de novembre-décembre 1935 / janvier 1936 a pour thème la peinture décorative chez les maitres de la Renaissance italienne, de Giotto à Tiepolo.
On voit donc que le contenu est également différent des années précédentes où plusieurs articles très divers remplissaient chaque édition de la Revue. Ici, au contraire, un seul thème est traité, dont nous allons voir quelques extraits. « Quand l’Italie du Moyen-Age se trouva assez solidement affermie pour soutenir la lutte contre l’empire germanique, elle déploya dans toutes ses entreprises une résolution active dont l’art profita largement. Ce fut d’abord à des ouvriers byzantins qu’elle s’adressa ; mais afin de répondre aux idées qui se font jour vers le XIIIe siècle, il fallait à la peinture décorative des procédés plus libres, un idéal plus large.
Giotto di Bondone (v. 1276-1336) rompit nettement avec le formalisme byzantin, et s’adonna à l’observation de la nature…. Giotta laissa derrière lui une école puissamment organisée qui suivit et développa ses principes. » Au XVe siècle, Sandro Boticelli (1444-1510) participe à la décoration de la chapelle Sixtine. A Sienne, Luca Signorelli (1441-1523) fut un des génies les plus complets de l’art toscan du XVe siècle ; « les fresques savantes dont il a couvert les murailles de la cathédrale d’Orviéto retracent les diverses scènes du Jugement dernier. »
L’auteur précise que « le dernier des précurseurs et le premier initiateur de la peinture moderne, c’est Léonard de Vinci (v. 1452-1519)…. Léonard a rendu tous les animaux de la création dans leurs attitudes habituelles , mais encore toutes les plantes, les fleurs et jusqu’aux herbes du jardin, de manière à donner une illusion complète de la réalité ». L’article cite de très nombreux autres artistes italiens des XVe et XVIe siècle : Miche-Ange, Raphaël, le Titien, Annibal Carrache, etc. C’est avec ce dernier numéro de 1936 que s’achève l’aventure de Chanteclair !