Caricatures pharmaceutiques et médicales :
5° partie : les caricatures des professeurs
et personnalités médicales et pharmaceutiques.
Nous avons évoqué plusieurs sortes de caricatures relatives à l’art de guérir. Le patient, le médicament, les professionnels de santé, et les hommes politiques ont été la cible de ces caricatures à caractère pharmaceutique ou médical. Mais il est une autre catégorie également visée par les caricaturistes et humoristes : ce sont les professeurs et les personnalités des professions médicales. Nous allons en voir ici quelques unes. On peut constater que, sans doute de tout temps, les étudiants et pharmacie et en médecine ont cherché à moquer leurs professeurs et les ont dessinés plus ou moins maladroitement pour passer le temps ou pour se défouler après ou avant les examens ! Mais d’autres caricaturistes ont également mis leur talent au service de cette idée qu’il ne faut pas sacraliser ceux qui enseignent ou bien qui sont reconnus dans leurs professions. On en voit ici un premier exemple avec la caricature d’Emile Perrot qui date de 1912-1913. Dans l’article de notre Revue qui y est consacrée, on peut lire le commentaire suivant : « Lorrain d’origine, parisien par destination, méridional par le caractère. Quel agréable compagnon ! Raconte intarissablement d’aimables histoires qui formeront quelque jour d’autres Contes de Perrot… mais pour les grands enfants. Présidera l’an prochain les séances de la section de pharmacie au Congrès de l’A. F. A. S. à Tunis…. On ne s’ennuiera pas ! Car on ne saura discuter longtemps de pharmacie dans un pays où le Codex n’a pas cours obligatoire. Heureux pays ! Monsieur Perrot a beaucoup d’esprit, le dessinateur en a profité pour le flatter outrageusement. Que sera-ce l’an prochain ? Je parierai qu’il paraîtra ici en bey, avec un fez, et que des almées tortillantes chanteront autour de lui : « Travaja la moukère… Travaja… Perrot ». »
Elle est signée par Paul Creissent (alias Montcharra), co-auteur avec André Thouvenel d’un recueil de silhouettes des notabilités du milieu pharmaceutique en 1937, Les Petits-fils de Galien. « Diplômé pharmacien de lre classe en 1905, Paul Creissent était, vers 1909-1910, installé à Nîmes. Il fut co-fondateur et administrateur, avec Dunan et Gamel, de l’Association Confraternelle de Publicité Pharmaceutique (A.C.P.), créée dans cette ville en 1910, et le gérant responsable des deux périodiques de cette association, l’Avenir de la Pharmacie et Solidarité Pharmaceutique.
A la liquidation de l’A.C.P., en mars 1922, après que celle-ci ait fondé la Société de Répartition Univer, il resta co-administrateur de la société reprenante, Univer et P.P.F. réunies, et gérant des deux périodiques. Le siège de la nouvelle société est alors 56, rue de l’Université, à Paris, et Gamel n’en fait plus partie. En janvier 1923, « Univer et P.P.F. » fusionne avec la Société Générale des Pharmaciens de France pour former une coopérative confraternelle du type Cooper. Dunan semble ne plus en faire partie. Mais Creissent en est toujours administrateur et gérant des périodiques. Le siège de la nouvelle société est 29, rue des Francs-Bourgeois. Peut-être y eût-il ultérieurement fusion avec la SOGEDROF. Toujours est-il que dans l’Annuaire de la Pharmacie Française pour 1935, P. Creissent figure à l’adresse de la rue des Francs-Bourgeois, sans autre indication.
Sous le pseudonyme de Montcharra, Paul Creissent a publié dès avant 1919 des caricatures dans l’Avenir de la Pharmacie et dans Solidarité Pharmaceutique. Ainsi, en 1912 et 1913, il donne dans le premier de ces journaux une suite de dix dessins humoristiques formant comme une bande dessinée et une succession de portraits-charges, dont ceux des professeurs Perrot et Planchon. Pour la caricature de Planchon, on peut lire le commentaire suivant : « A appris à lire dans la Matière médicale du savant G. Planchon, son oncle. Excelle à décrire la drogue exotique. Vous transporte avec sérénité de la Palthe au Guatémala, de Caracas à Archangel, et du Malabar à Formose. Cesse de naviguer ou de suivre les caravanes, pour soumettre à votre appréciation d’inextricables coupes microscopiques. Cellules, parenchymes, téguments… etc, etc. Considéré comme un examinateur redoutable. Réputation usurpée.
Exemple, la question botanique dont il me gratifia personnellement : « Parlez moi des poils collecteurs de Synanthérées »… Pourquoi pas la bourse ou la vie ? Les quelques poils que j’étais en mesure de décrire (celui de ma paume, notamment) n’avaient que des rapports lointains avec la famille susdite. Je jugeai la situation sans issue. Puis me ravisant, j’entamais avec une assurance feinte la véridique description du poil à gratter (Mucuna urens et pruriens) comme chacun sait. Mon examinateur eut l’esprit d’accepter mes humbles poils que je lui offrais avec une bonne volonté évidente, et me gratifia de la grasse moyenne. En somme un coeur compatissant sous un …tuber un peu rude (Signé : Saint-Aize). »
D’autres de ses caricatures de Paul Creissent ont été publiées en encart dans Solidarité Pharmaceutique postérieurement à 1920. Ainsi, un groupe de six silhouettes pharmaceutiques dans le supplément n° 1 à Solidarité Pharmaceutique, en janvier 1926 (Charroppin Pierre, Julien Pierre. Paul Creissent, pharmacien, alias Montcharra, caricaturiste ». In: Revue d’histoire de la pharmacie, 75ᵉ année, n°272, 1987. pp. 27-29).
Il existe d’autres caricatures des professeurs parisiens comme celle de Victor Harlay, auditeur du cours de Béhal, qui réalisa cette caricature vers 1895 d’Emile Jungfleisch (à gauche), Auguste Béhal (au centre), et Léon Prunier (à droite).
Cette caricature représente la lutte pour la théorie atomique. L’éloquence de Béhal suscitait l’enthousiasme, comme on peut le voir par les applaudissements d’un auditeur sans doute charmé autant par la féminité du propane que par le véritable carbure C3H8. Celle de Jungfleisch montre le professeur laissant écraser une jolie représentante de la théorie atomique par un énorme volume d’un Traité équivalentaire de Chimie organique de Berthelot et Jungfleisch.
Prunier était profeseur de pharmacie chimique. Son cours était remarquablement orné de tableaux. Sur celui qu’a reproduit Victor Harlay, on peut lire S03 HO, c’est-à-dire l’acide d’abord en notation équivalentaire, et au-dessous : SO barrés 4 H2, en notation atomique. Pour cette dernière les symboles S et O sont barrés, ce qui voulait dire, vers cette époque, qu’ainsi ils pesaient deux fois S et O. Harlay n’a pas manqué d’adjoindre au croquis de Prunier un point d’interrogation qui semble former toute la matière d’un flacon de belle taille. C’est pour rappeler une phrase familière du professeur : lorsqu’il discutait la constitution non encore établie de quelque nouveauté, il confessait son hésitation par une phrase souvent entendue : « Nous entrons ici, Messieurs, sur le terrain tremblant où toutes les hypothèses sont permises. C’est encore » un point d’interrogation. »
Parmi les autres professeurs de pharmacie parisiens, on peut citer cette caricature globale des professeurs de la Faculté de pharmacie. Y sont représentés : Guéguen, Lutz, Guérin, Coutière, Radais, Moissan, Lebeau, Jungfleisch, Delepine, Tassilly, Bourquelot, Moureu, Grimbert, Gautier, Béhal, Guignard, Villiers, Pouchardat, Prunier, Perrot, Berthelot, Guerbet (La Chronique médicale : revue bi-mensuelle de médecine historique, littéraire & anecdotique)
Le Doyen Guignard, déjà représenté dans cette caricature des professeurs de la faculté de Pharmacie de Paris, a eu droit à une deuxième caricature présentée ici, dessinée par A. Chanteau. On voir au fond les bâtiments de la Faculté de pharmacie de Paris. Professeur de botanique, il est représenté entouré d’une flore luxuriante avec, dans sa main gauche, un microscope. Le soleil et l’eau sont sans doute symbolique des éléments nécessaires au développement des plantes.
Ses travaux ont très vite retenu l’attention car ils concernaient un domaine difficile : celui de la cytologie des organes reproducteurs et les phénomènes de fécondation. il mit en évidence l’existence, dans les cellules végétales, le dédoublement des chromosomes et le transport à chaque pôle des deux moitiés correspondantes, établissant ainsi une unité de fonctionnement entre le règne animal et le règne végétal. Il a également établi l’existence et l’importance de la réduction chromatique au niveau des noyaux sexués. Guignard fut également célèbre grâce à ses travaux sur les plantes à acide cyanhydrique. Il aborda également le domaine de la bactériologie..
Au delà de ses travaux scientifiques, Léon Guignard fut également actif en matière d’organisation : doyen de la faculté de Pharmacie de Paris de 1900 à 1910, sa voix fut particulièrement écouté au Conseil de l’Université et au Conseil supérieur de l’Instruction Publique.
Un autre professeur pharmacien, Marc Tiffeneau, eut droit à son portrait-charge dans la Revue Chanteclair, publié en 1927 par la Carnine Lefrancq. Comme l’explique la Revue, « ayant participé aux Conférences de la Société des Nations, le Professeur Tiffeneau, dans son laboratoire, médite sur le résultat de ces réactions internationales, qui lui parait plein d’espoir. » On voit effectivement sur le goulot du ballon de réaction une étiquette « SDN ». Le même journal Chanteclair donne un aperçu de la carrière de Marc Tiffeneau, « né à Mouy, dans l’Oise, le 7 novembre 1875. Elève de la Faculté de Pharmacie de Paris, de 1892 à 1896, il était reçu interne en pharmacie des Asiles de la Seine en 1894, interne en pharmacie des hôpitaux de Paris en 1897 (médaille d’or en 1900), docteur es-sciences en 1907… Agrégé de pharmacodynamie en 1910, il était nommé professeur à la Faculté des sciences en 1924, et professeur de Pharmacologie à la Faculté de Médecine en 1926. Il fait en outre fonction de pharmacien de l’Hôtel-Dieu depuis 1926…. Il fut délégué français aux Conférences d’Edimbourg et de Genève, organisées par la Société des Nations ; ainsi que l’organisateur de la délégation française des Physiologistes au Congrès de Stockholm en 1926. »
Autre professeur « épinglé » par la caricature : le professeur Radais. L’article de Chanteclair où se trouve cette caricature donne quelques informations sur Maxime Radais, né en 1861 à Pruillé-l’Eguillé, dans la Sarthe. Il fut élève de l’École de pharmacie de Paris de 1882 à 1885. Il deviendra le préparateur du cours de botanique du professeur Guignard, et est finalement agrégé en 1894. Il est nommé professeur de cryptogamie en 1900 et devient doyen de la Faculté de pharmacie de 1922 à 1931. Cette compétence en cryptogamie se retrouve sur la caricature où on voit Maxime Radais entouré de champignons, y compris une amanite qui lui sert de parapluie. Au cours de son décanat, ce dernier a contribué à faire reconnaitre la spécialité pharmaceutique et à créer la Société des Amis de la Faculté de pharmacie de Paris qui existe toujours !
Une autre série de caricatures de professeurs qui a abouti à un article de notre Revue (Labrude Pierre, Notter Dominique. L’album de caricatures des professeurs et du personnel de la Faculté de Pharmacie de Nancy en 1921. In: Revue d’histoire de la pharmacie, 79ᵉ année, n°290, 1991. pp. 319-329.) concerne les professeurs de la Faculté de Nancy.
Cette caricature montre sept « potards » barbus, en tablier et toque, manches retroussées, actionnant le pilon de leur mortier. Dans l’ovale qui représente le plateau de la table où ils travaillent, est inscrit Nos Proffs, à l’encre noire et avec de nombreuses taches. Ces sept personnages pourraient représenter les titulaires des sept chaires de la Faculté à l’époque. En effet, en 1921, le personnel enseignant compte sept professeurs (Favrel, Grelot, Bruntz (doyen), Douris, Hollande, Pastureau et Seyot), un agrégé libre (Girardet), des chargés de cours complémentaires (les professeurs et Pillot, Vernier et Busquet) et des chefs de travaux (Cordebard, Vogt, Gillot, Vernier et Pillot). Les préparateurs sont au nombre de six à notre connaissance. Le secrétariat enfin compte trois personnes.
Parmi les caricatures du personnel de la faculté de l’époque, on trouve Georges Favrel, titulaire de la chaire de Chimie (organique) et chargé du cours de Chimie minérale. Né à Fours (Nièvre) en 1861, stagiaire en pharmacie, étudiant, puis assistant à Bordeaux, il était venu à Nancy comme chef de travaux de Chimie et Pharmacie et chargé de conférences de Minéralogie et Hydrologie.
Il devait rester à Nancy comme agrégé en 1899, puis comme professeur titulaire en 1902. La caricature le représente assis sur un banc très bas, l’air sévère, muni de deux longues tenailles dont les mors tiennent une molécule de benzène. La légende indique : Somme toute, Messieurs, en faisant passer du benzène dans un tube chauffé au rouge, vous obtenez du diphényle. Ceci rappelle que l’élément féminin était très rare dans les promotions (une ou deux personnes) et que la Chimie organique était encore très imprégnée de l’œuvre de Berthelot.
A côté du personnage, un tube assez haut explose en projetant des éclats. Il peut tout autant évoquer le tube laboratoire qu’une douille d’obus, car la Première guerre mondiale était encore très proche et G. Favrel avait publié en 1919, dans le bulletin des étudiants, un article sur les produits chimiques employés par les Allemands comme toxiques de guerre.
Un autre professeur caricaturé fut Charles Hollande, titulaire de la chaire de Bactériologie. Né à Chambéry en 1881, il fit dans cette ville, puis à Lyon, Grenoble et Montpellier, des études supérieures qui le conduisirent aux diplômes de pharmacien supérieur, de docteur en médecine et es sciences naturelles. A Nancy, il fut successivement chef de travaux de Micrographie et chargé d’un cours complémentaire d’Histoire naturelle (Zoologie) à partir du 1er janvier 1912. Jusqu’en 1914, il agrémenta cet enseignement de travaux pratiques supplémentaires et d’excursions de Zoologie. Pendant cette même période, à la demande du directeur, le professeur Godfrin, il installa un laboratoire de Microbiologie où il dispensa enseignements théorique et pratique. Chargé de cours de Zoologie et de Parasitologic à l’École supérieure de Pharmacie de Strasbourg pour l’année 1919-1920, il est aussi nommé, au 1er novembre 1919, chargé de cours d’Histoire naturelle à Nancy. Il y devient professeur titulaire d’Histoire naturelle le 16 janvier 1920, puis, quelques mois plus tard, le 1er novembre, titulaire de la chaire nouvellement créée de Bactériologie.
L’album le représente assis à côté d’une paillasse, brandissant de la main droite un lapin comme le font les prestidigitateurs, tandis que son bras gauche, à la paillasse, est en contact avec des chenilles. La légende indique : « Jubilant à la découverte d’un microbe nouveau apparu sur son réactif préféré et s’ attendrissant aux caresses de ses chères chenilles ». Il s’agit d’un « matériau » que Hollande employa longtemps et en particulier dans ses travaux de Zoologie sur les insectes, par exemple dans l’étude de l’excrétion : formation des cristalloïdes et des urates dans les cellules adipeuses des chenilles.
Autre professeur : M. le Pharmacien-major de lre classe [commandant] Pastureau, professeur de Pharmacie chimique, l’ex-potentat du Val-de-Grâce, comme l’album l’indique avec quelque ironie et irrespect. Pierre Pastureau, d’origine girondine, licencié es sciences en 1894, puis élève du Corps de Santé militaire, pharmacien en 1899, aide-major en 1900, avait une grande expérience de l’enseignement à l’époque de l’album : préparateur de Chimie à Bordeaux, chargé de conférences à l’École du Service de Santé militaire de Lyon en 1901, professeur adjoint d’Hygiène et de Bromatologie à Saint-Cyr en 1904, docteur es sciences en 1910, agrégé du Val-de-Grâce en 1912, il devient pharmacien-chef de l’hôpital militaire Sédillot et chargé du cours de Pharmacie chimique à Nancy en 1919, puis titulaire de la chaire en 1920. Ses travaux portent essentiellement sur la Chimie organique. Il fut doyen de la Faculté de 1935 à 1938. L’album le représente les mains au col de son veston, la tête un peu enfoncée dans les épaules, « dans un de ses gestes favoris et expressifs » pendant un cours.
Quant à Paul Vernier, médecin ophtalmologiste, chargé du cours d’Hygiène et chef de travaux de Microbiologie, l’album le représente enlevant très délicatement un corps z’ étranger à un malade très patient, mais tout de même ligoté sur une chaise et criant éperdument. Une pancarte indique : On opère sans douleur. Curieuse carrière que celle de P. Vernier (1880-1958). A l’issue d’une licence de sciences naturelles, il devient préparateur d’Histologie à la Faculté de Médecine de Nancy, externe, puis interne des Hôpitaux, spécialement dans le service d’Ophtalmologie, où il sera ensuite chef de clinique de 1909 à 1912, tout en assurant les fonctions d’inspecteur oculiste adjoint des écoles de Nancy. Le doyen Bruntz, médecin également et son camarade de scolarité, lui ayant conseillé de « faire Pharmacie », il poursuit les études jusqu’au diplôme de 1ère classe en 1912, tout en étant préparateur de la chaire de Matière médicale. L’année 1913 le voit chef du laboratoire de Bactériologie des cliniques de l’Hôpital et chef de Travaux pratiques de Microbiologie et Parasitologic à la Faculté de Pharmacie.
Mais ce n’est pas fini. À la déclaration de guerre de 1914, il crée, avec le grade de médecin aide-major, le laboratoire de Bactériologie de l’Hôpital militaire de Toul, puis dirige en même temps le service ophtalmologique de cette place jusqu’en février 1919. Cette double fonction militaire de laboratoire et de traitement des yeux devait tracer le cadre de sa vie civile de 1919 à 1946. Après sa démobilisation, pendant vingt-huit ans, il assure, tous les matins, à la Faculté de Pharmacie, un service d’enseignement chargé et consacre la fin de ses journées, chez lui, à recevoir et à soigner les malades des yeux.
A la Faculté de Pharmacie, il organise et dirige les travaux pratiques de Bactériologie et Parasitologic, mais il est chargé, en outre, du cours d’Hygiène et assure l’enseignement de la Zoologie, faisant ainsi profiter son auditoire de son expérience de médecin et de microbiologiste.
Le dernier présenté ici est Henri Cordebard, responsable de la Chimie, de l’Analyse et de la Toxicologie, et pionnier de l’analyse volumétri- que à l’aide du mélange chromique (dosage de l’alcool, méthode de Cordebard). On le voit devant une paillasse et debout sur un tabouret avec pour légende : D’un oeil surveille amoureusement ses burettes, de Vautre verse une larme sur… la Pharmacie chancelante. Effectivement, à sa gauche, sur un socle et dans un nuage, un buste de la Pharmacie, personnage féminin à chignon et lunettes, est en train de vaciller, tombant sous le coup de ses adversaires ou peut-être (?), sous le charme d’H. Cordebard.
En dehors des professeurs de Faculté, les caricaturistes se sont intéressés à certains personnages célèbres de leur époque.
On trouve ainsi une caricature du pharmacien Louis Auguste Cadet dessinée par Demare et parue dans « les hommes d’aujourd’hui ». Henri Demare est né le à Paris et mort le à Vincennes. Il a collaboré à nombreux journaux entre la fin du Second Empire et les premières décennies de la Troisième République. Cette caricature fait allusion au principal titre de gloire de l’intéressé : son active propagande en faveur de l’incinération des corps après la mort. Dès le 8 août 1874, critiquant devant l’Assemblée parisienne les projets de création de cimetières périphériques à Wissous et à Méry, qui enserreraient Paris dans « un cordon insanitaire », il prononce un long et vif plaidoyer pour l’incinération. « Que le corps soit rongé par les vers ou réduit en cendres/, s’écrie-t-il, l’âme, si elle existe, saura bien trouver son chemin ». Il écrit aussi : « Avec les cendres mélangées à d’autres substances, on peut reproduire soit en buste, soit en médaillon ou statue, le portrait de la personne décédée, de sorte que les familles auraient la consolation de pouvoir conserver, près d’elles, sous une forme quelconque, les restes de leurs parents. La patrie, pour témoigner sa reconnaissance aux grands hommes, pourrait, de leurs propres cendres, faire fabriquer leurs statues et les placer au Panthéon. [Mieux : en conservant précieusement les cendres chez soi,] ne pourrait-on pas y semer les graines de jolies petites fleurs ? Avec quelle admiration on les verrait germer, croître, s’épanouir ! Et avec quel respect et quelle vénération n’irions-nous pas les cueillir « . Il est possible que c’est cet écrit qui fut à l’origine de cette caricature.
Ce n’est pas leur seul Cadet a avoir été caricaturé. Quelques années plus tôt une autre caricature célèbre représente Charles-Louis Cadet de Gassicourt, pharmacien de l’Empereur Napoléon 1er. Dans la planche que lui consacrèrent les Annales du Ridicule, on retrouve, tout comme dans la charge qui, trente ans auparavant, avait pris à parti son oncle Cadet de Vaux, des allusions aux journaux de l’époque. Sur les rayons de l’officine au milieu de laquetle l’a campé le caricaturiste, s’alignent en effet des pots de pharmacie portant d’ironiques inscriptions qui ne paissent aucun doute sur le mépris et l’hostilité de l’artiste pour les journaux de l’Empire. La publication à laquelle il collabore est évidemment légitimiste et c’est à ce titre qu’elle s’en prend à l’ancien pharmacien en chef de l’armée impériale, considéré par elle comme un suppôt du régime déchu. Des journaux qui avaient soutenu ce régime, et notamment du Nain Jaune, particulièrement visé, nous- devinons ce que pensaient les Annales du Ridicule en lisant les étiquettes des bocaux, depuis les « semences de discorde » et le « sirop de gobe-mouches » jusqu’à « l’opium », caractérisant la partie littéraire des feuilles. La légende de cette caricature : « L’officine des journaux sous Napoléon, ou l’académicien-droguiste », indique à l’évidence qu’il s’agit bien de Charles-Louis qui était membre des Académies de Madrid, de Turin et de Florence. Et l’inscription que l’on peut lire sous le mortier, «Pharmacie Centrale de Gigas », achève de nous convaincre, puisqu’on peut y voir une allusion au nom du titulaire de l’officine. Gigas n’étant ici qu’une déformation du nom de Gassicourt ».
L’article qui accompagne et commente cette gravure dans les Annales du ridicule et qui fut — précisent les premières lignes — composé quelques jours avant la chute de Napoléon, contient également quelques passages significatifs. L’auteur de ce texte, après s’être excusé auprès des pharmaciens, de l’assimilation établie entre leurs préparations et les mixtures des journaux de l’Empire, ajoute non sans malignité : « Il est reconnu que les journaux sont en général composés d’éléments sophistiqués, tandis que les apothicaires (j’entends ceux qui se piquent d’une certaine délicatesse) ne tiennent que des marchandises d’une bonne qualité ». En risquant une allusion aux apothicaires « sans délicatesse », le rédacteur visait encore Cadet, qui n’avait pas fermé son officine à certains remèdes charlatanesques tels que l « Eau de Cagliostro » et un aphrodisiaque connu sous le nom de « Pastilles du Sérail Cadet ».(Bouvet Maurice, Sergent Louis. Pour l’iconographie des Cadet : deux « charges ». In: Revue d’histoire de la pharmacie, 37ᵉ année, n°124, 1949. pp. 477-482.).
Un autre pharmacien fera parler de lui dans le domaine des caricatures grâce à Honoré Daumier : Jean-Baptiste Dumas. Le dessin de Daumier est accompagné d’une légende : « Nouveau prodige de la chimie : Dumas a réussi à faire sortir de sa cornue un portefeuille. Depuis qu’il est au ministère, le chimiste Dumas a toujours eu soin d’éviter la tribune, il donne pour prétexte d’être toujours occupé à analyser les discours des autres orateurs ! » Dumas était en effet devenu ministre de l’Agriculture en 1850-1851.
L’affaire Lafarge, du nom de Mme Lafarge, née Marie Cappelle, donna lieu à des caricatures des experts concernés par cette affaire, chimistes et souvent pharmaciens. Cette affaire qui accusait Mme Lafarge d’avoir empoisonné son mari à l’arsenic, eut pour théâtre la ville de Tulle. Au siècle dernier, on comptait une quinzaine de médecins et pharmaciens dont la plupart étaient des lettrés ou des savants, en dehors de l’exercice même de leur profession. A l’époque du procès de Marie Lafarge,vers 1840, le monde des médecins et des pharmaciens connut une grande agitation. Presque tous s’avéraient Lafargistcs, c’est-à-dire convaincus de l’innocence de l’héroïne du drame de Glandier, et livraient bataille, dans la rue, les cafés et les officines, aux Anti-lafargistes, qui soutenaient, avec autant de véhémence que leurs adversaires, la thèse contraire.
Les officines des pharmaciens surtout étaient le théâtre de ces discussions passionnées où les uns contestaient la présence de l’arsenic dans le corps de la. victime, ou les autres l’admettaient en l’expliquant diversement. Des recherches furent faites d’abord par des experts de Limoges, Dupuytren et Dubois, puis par des toxicologistes de Paris, de Bussy, Ollivier, et l’illustre Orfila. Ce dernier avait installé son laboratoire derrière le Palais de Justice, dans des jardins, où il analysait les viscères de Lafarge à l’aide de l’appareil de Marsch.
Des pharmaciens de la ville suivaient, avec un intérêt toujours croissant, les recherches dont le sort de l’accusée dépendait. Tout Tulle fut tellement empuantie par les odeurs cadavériques, qu’à l’audience des femmes s’évanouirent et que les gens ‘ne sortaient dans la rue que munis d’un flacon de sels. Il se fit. une telle consommation de ces flacons que les pharmaciens, dévalisés, en manquèrent. Orfila convainquit les jurés que Lafarge avait été empoisonné par de l’arsenic. Confiants dans la science et la probité du savant chimiste, ils condamnèrent Marie Cappelle. (Plantadis J. Variétés : Les pharmaciens de Tulle et l’affaire Lafarge. In: Bulletin de la Société d’histoire de la pharmacie, 9ᵉ année, n°31, 1921. pp. 1-2.).
Enfin, pour terminer cette série de caricatures, il faut montrer celle de Louis Pasteur, non pharmacien mais très proche des milieux pharmaceutiques et médicaux de son époque. Il remplaça justement Jean-Baptiste Dumas au Conseil d’administration du Crédit Foncier de France, non seulement parce que l’établissement a financé la création de l’institut qui porte son nom, en 1886, mais parce que le savant en a été administrateur dix ans durant, de 1884 à sa mort, avant même d’en être client puisqu’il n’a ouvert un compte courant au Crédit Foncier que le 10 mars 1886.
En ce qui concerne les médecins, les caricatures de professeurs sont très nombreuses, en particulier dans Chanteclair. En voici deux exemples parmi beaucoup d’autres : le premier est le professeur Jeanselme, reçu médecin en 1888, médecin des hôpitaux en 1896 et agrégé en 1901. Il s’était spécialisé en syphilligraphie et en dermatologie. Il devint en 1902 professeur à l’Institut colonial. Il est représenté en Bouddha, allusion à ses voyages en Orient où il est allé étudier sur place les maladies exotiques : lèpre, béribéris, pian, etc. Un autre professeur eut une caricature amusante : le professeur Gley qui était un spécialiste de la biologie et de la physiologie. Il est représenté comme tenant une marionnette car « il connait toutes les ficelles qui font agir les pantins dont se compose la pauvre humanité ». Ceci conclut nos expositions sur les caricatures médico-pharmaceutiques.