Caricatures relatives à l'art de guérir (2)

 

 

Caricatures pharmaceutiques et médicales :

2° partie : les caricatures des professions médicales et pharmaceutiques

 

Le pharmacien, Jules Renard dit Draner, Liège, 1833.

 

Habit d’apothicaire. Larmessin, XVIIIe siècle. Publicité pour le Bismuloxane, Laboratoire de l’Hepatrol.

Lors d’une première exposition, nous avons vu les caricatures médico-pharmaceutiques à caractère politique. Ce type de caricature n’est qu’un des aspect du dessin satirique et humoristique  mettant en scène des professionnels de santé, des patients ou leurs traitements. C’est principalement à partir du XIXe siècle que les caricatures sur ce sujet vont fleurir dans les journaux satiriques (Le Charivari, La Caricature, etc.) et les journaux professionnels destinés aux médecins ou pharmaciens. On trouve cependant quelques exemples au XVIIIe siècle comme la série de Nicolas II Larmessin en 1710 avec des portraits de métiers du siècle de Louis XIV.

Caricature du médecin, Larmessin, XVIIIe siècle. Publicité pour le Bismuloxane, Laboratoire de l’Hepatrol

Sur ces estampes, les artisans et professionnels apparaissent vêtus de leurs outils de travail transformés en tablier, en coiffe, en justaucorps ou en culotte.

 

La robe du médecin est ainsi constituée d’ouvrage de référence et des mots clefs des ordonnances sortent de la bouche du personnage : Casse, Tamarin, Rhubarbe, etc. Quant à l’apothicaire, son chapeau est un alambic, sa ceinture est constituée de vipères, il tient à la main une seringue à clystère, son habit est un ensemble de pots et fioles diverses et il est entouré de plantes médicinales.

 

 

Apothicaire. Henri Monnier, 1828. Extrait d’une suite de planches sur les Boutiques de Paris. Bibliothèque nationale de France, département Estampes et photographie, FOL-DC-202 (B,4bis)

En 1828, Henri Monnier est connu pour son personnage de Joseph Prudhomme, type de bourgeois solennel et satisfait de l’époque romantique1. Egalement caricaturiste, il dessina une série de six planches de laquelle est extraite cette pharmacie. Le pharmacien, affairé à un comptoir, copie minutieusement une ordonnance ou un compte. Le père et la fille  suivent avec intérêt la manœuvre. D’autres clients chuchotent en attendant leur tour. L’officine apparait comme un lieu de rencontre. Une jeune caissière, habituellement habillée de noir à l’époque, porte ici une robe bleu ciel avec bonnet tuyauté. A gauche, un aide semble chercher quelque chose dans les tiroirs qui garnissent le mur, sans doute remplies de plantes médicinales.

Caricature de Grandville, Les métamorphoses du jour. 1828. « Donnez moi une demi-once du métique pour not’dame qu’est tombée en attaque dans un petit papier. – C’est pas ici une farmacerie. »

Une autre officine est représentée par Grandville en 18281 : un canard en tablier, occupé à son mortier, reçoit une dame-ânesse accompagnée d’un enfant-dogue. L’habillement du canard montre que c’est un aide, pas le patron de la boutique ; la cliente fait partie du peuple, avec son tablier relevé qui dissimule une cruche, son châle et sa coiffe. Voici le commentaire qu’on trouve dans l’ouvrage sur Grandville, les métamorphoses du jour (1854) : « L’épicier, pouvoir nouveau, orgueil moderne, est insatiable de petites usurpations. L’appétit ne lui vient pas en mangeant, mais en voyant manger les autres. Il s’approprie tout ce qui peut se revendre, il accapare tout ce qu’on peut détailler, il tâte de tous les produits, il touche à tous les trafics, il met la main à tous les pâtes, il conquiert tous les métiers, il usurpe tous les états.

Grandville. Le garçon pharmacien, 1841

Aujourd’hui, chez l’épicier, il y a de tout, même de l’épicerie. L’épicier est devenu mercier, passementier, papetier, libraire, entreposeur de tabacs, marchand de vins, débitant de papier timbré, fabricant de cirage, confiseur, cartonnier, fruitier ; ce sont là de petits commerces d’alluvion, qui arrondissent le domaine des denrées coloniales. L’épicier est également droguiste, et il faut être une oie, comme cet idiot qui joue du pilon, pour oser répondre à une innocente pratique : C’est pas ici une farmacerie ! Un joli mot, dans une officine qui nous débite les chocolats de santé, les cafés à la chicorée, les sirops d’agrément et les huiles de ricin que vous savez ! Cette fille a raison, affreux jeune homme que je vois piler, en ce moment, quelque chose d’équivoque ! Interroge le patron, qui égrène des groseilles sur le comptoir ; consulte la femme du patron, qui arrange des pruneaux de Tours dans une caque à sardines : il est impossible que vous n’ayez pas quelques grains d’émétique dans le magasin de vos drogues, ou dans les drogues de votre magasin ! Donnez-moi une demi-once de métique !..

Le Pharmacien. Physiologie du médecin. Louis Huart (Dessin de Trimolet). XIXe siècle

N’est-ce point là, je vous le demande, avec un seul mot, une malice cruelle, une critique affreuse, une satire profonde, dans la bouche de l’innocence et de la naïveté ? Eh ! l’oison !… pour une pauvre bête qui arrive de son pays, d’un pays qui est peut-être Pontoise, il me paraît que la voisine n’est pas si ânesse ! Après tout, il se peut bien que l’épicier de Grandville ait oublié d’acheter de l’émétique, pour les dames qui tombent en attaque dans un petit papier : le plus fin épicier ne peut vendre que ce qu’il achète ; on ne s’avise pas de toutes les finesses et de toutes les épiceries ! Mais rassurez-vous ; le patron vient de prendre garde à la demande et à la réponse : s’il ne vend point d’émétique, il en vendra, il faut qu’il en vende, quand il devrait n’en point acheter ! ».

 

Grandville, Voyage pour l’éternité. 1830 (Bibliothèque-Médiathèque de Nancy).

Une autre caricature célèbre de Grandville est intitulée « Voyage pour l’éternité ». Comme un complice de la Mort, le pharmacien fabrique des remèdes mortels puisque son commis n’est autre que la Mort personnifiée par un squelette habillé en élève en pharmacie. Il s’agit d’un dessin de jeunesse de Grandville. L’humour noir est présente dans toute son oeuvre par la suite. En 1814 le caricaturiste anglais Thomas Rowlandson avait réalisé une caricature semblable.

Mais le caricaturiste le plus célèbre des pharmaciens et des médecins au XIXe siècle reste Honoré Daumier. Il a eu l’occasion de la faire dans des ouvrages comme la Némésis médicale, en 1840, mais encore davantage dans les journaux satiriques de son époque comme le Charivari. Dans le « Triomphe des charlatans », Honoré Daumier critique la médecine de son temps en détournat le motif de la danse macabre de M Wolgemut qui remonte au Moyen-âge.

Le triomphe des Charlatans, Honoré Daumier, Némésis médicale, 1840

Trois squelettes aux corps de médicament dansent une ronde exaltée sur un tas de pièces d’or. Le premier est un médecin, il porte un chapeau et son corps est un flacon étiqueté « Consultations gratuites ». Le second est un pharmacien, son tronc est un flacon de Médecine Leroy, puissant laxatif à l’origine de nombreux empoisonnements. Et le troisième est un aide d’officine ou un épicier coiffé d’une casquette, son thorax est un ballot de Moutarde blanche1. Daumier situe la scène en pleine campagne, avec un long cortège funèbre. La Moutarde blanche, riche en sinapine, avait donné lieu à une publicité tapageuse par un industriel (Turnor en Angleterre, puis Didier, en France en 1827) qui l’avait présenté comme une panacée universelle. Daumier avait choisi la Moutarde blanche pour illustrer le charlatanisme et la médecine de son temps : peu scrupuleux, ce trio infernal s’enrichit en vendant des remèdes secrets. Le pharmacien comme souvent est désigné comme un nanti qui profite du malheur des malades pour s’enrichir.

Daumier, 1837. Collection Bouvet. Ordre national des pharmaciens.

Cette même Moutarde blanche se retrouve au centre de cette autre caricature des pharmaciens de Daumier : « Fais bien attention ! Si l’on demande du Racahout des arabes pour l’engraissement de toute espèce de sultanes, du nafé d’Arabie pour l’allaitement des enfants de tout âge, du Kaïffa d’Orient pour les gastrites et les cors aux pieds, du Théobrome pour les vomissements, de l’Amandine, de l’Indostane, de l’Osman iglou, du Paraguay-Roux, de la Crésote, du Chocolat au Salep, de l’hypocras, de la Moutarde blanche pour les humeurs noires, les maux de dents et les déviations de la taille, de la graine de chou colossal, tu prendras dans ce sac, toujours dans le même, ne vas pas de tromper !!! et tu serviras cela en poudre, en pâte, en liqueur ou en graine selon ton idée.

  • Diable, que c’est donc que cette graine-là ?
  • C’est de la graine de niais première qualité
  • Fameux !! Fameux ! » .
Apothicaire et Pharmacien, Daumier, 1837. Bibliothèque municipale de Lyon.

Cette critique du pharmacien est également sévère dans une autre caricature de Daumier de 1837 intitulée « Apothicaire et pharmacien ». Elle appartient à la série de ses « Robert Macaire » et met en scène Robert Macaire et son confrère Bertrand. Daumier véhicule l’idée que l’apothicaire, pauvre artisan, a été remplacé par le pharmacien qui s’enrichit sur le dos des patients. Le commentaire de Daumier est implacable : « Mon cher Boniface, il fallait autrefois à un apothicaire quarante ans pour gagner 2,000 francs de rentes. Vous marchiez : nous volons, nous !

— Mais comment faites-vous donc ?

— Nous prenons du suif, de la brique pilée ou de l’amidon ; nous appelons ça pâte Bricophane, Racahout, Kafé, Osmaniglon ou de tout autre nom plus ou moins charabia, nous faisons des annonces, des prospectus, des circulaires, et dans dix ans nous réalisons un million… Il faut attaquer la fortune en face : vous là preniez du mauvais côté !».

Il ressort suffisamment que, pour Daumier et pour Philipon, et pour toute cette génération de 1830-1840 (cette caricature a été publiée dans Le Charivari le 18 .juin 1837), dont ces deux artistes se sont fait les échos, « apothicaires » et « pharmaciens » se valent ; que si

Le public est stupide… Daumier, 1837. Collection Bouvet. Ordre des pharmaciens

Bertrand personnifie les procédés anciens de la profession et Robert Macaire les procédés plus rapides de la pharmacie moderne, ces procédés ne diffèrent que fort peu dans la réalité2.

Voici une autre caricature de Daumier dirigée contre les médecins et l’homéopathie : « Le public, mon cher, le public est stupide… nous le saignerons à blanc nous le purgerons à mort, il n’est pas content… il veut du nouveau… donnons lui en morbleu, du nouveau! .. faisons-nous homéopates… Similia Similibus. – (Bertrand) Amen! – Tiens, voici une ordonnance qui résume le système Prendre un tout peit grain de …. de rien du tout… le couper en dix millions de molécules … jeter une … une seule! de ces dix millionnièmes parties dans la rivière… remuer, remuer, triturer beaucoup… laisser infuser quelques heures… puiser un sceau de cette eau bienfaisante… la filtrer… la couper avec 20 parties d’eau ordinaire et s’en humecter la langue tous les matins à jeun… Voilà! – Est-ce tout, – Oui… Ah! diable! j’oubliais le principal… Payer la présente ordonnance. »

L’homéopathie est l’une des cibles de Daumier mais il n’est pas le seul. Ainsi, on trouve dans le « Journal pour rire » du 5 août 1848 deux caricatures de Gustave Doré, l’une contre les médecins, et l’autre contre les pharmaciens :

Mais, docteur, mon mal augmente tous les jours…    -Bon! cela prouve que les remèdes agissent.     -Mais je souffre comme un damné ! …   – Tant mieux, tant mieux ! si vous ne souffriez pas, je vous donnerais des remèdes pour vous faire souffrir, c’est notre manière de guérir, à nous, chaque médecine à la sienne.

 

« Précipiter un cent bilionième de grain de moutarde dans un seau d’eau, agiter fortement ce mélange et en verser deux gouttes dans un litre d’eau clarifiée… » Avez vous suivi l’ordonnance ??   -Oh ! parfaitement… seulement j’ai oublié la moutarde ; mais tout le reste y est.  -Bah ! c’est le principal.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

A l’époque contemporaine, les caricatures médico-pharmaceutiques ne manquent pas.

La pharmacienne. Auguste Wackhenheim, 1997

L’ouvrage du radiologie Auguste Wackeheim publié en 1997 en est un exemple avec la représentation de la pharmacienne : « Mari et femme, tous deux pharmaciens, se relaient à l’officine. La mort invite la dame, pour lui dorer la pilule ». Dans les journaux professionnels, on trouve également de nombreux dessins humoristiques sur les professionnels de santé. Les pharmaciens y sont présentés comme cherchant à attirer la clientèle par tous les moyens, ou bien se plaignant (souvent) contre l’administration ou contre leurs patients, ou bien encore se réjouissant des maladies saisonnières qui leur amènent un afflux de nouveaux patients !

 

 

 

 

Ici, deux patientes se lamentent à propos des pharmaciens, sauf du leur ! :

«  – C’est ben vrai, M’ame Michu, tous des voleurs, les pharmaciens. Ah ! sauf le mieux qu’est gentil, savant et tout.

  • Tout pareil que le mien, M’ame Durand ! Toujours un bon conseil : Quelle chance qu’on a d’être tombées sur les deux seuls bons !  »

 

Piem : « C’est un temps à attraper n’importe quoi »

 

Les pharmaciens ne sont évidemment pas les seuls à bénéficier de caricatures ou de dessins humoristiques ! Les médecins sont souvent associés aux pharmaciens. En voici deux exemples parmi des centaines !

Chalvin
Greck

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Enfin, les professionnels sont confrontés à de nombreux problèmes quotidiens, y compris avec les organismes d’état qui contrôle leurs activités. Voici quelques exemples de caricatures dans ce domaine, à propos des vignettes (quand elle existaient encore) :

Dessin de Royer. Le Pharmacien de France, 1990. « Celle-là est très recherchée : la vignette Evin 90 bleue avec quatre prix et qui n’a eu cours que du 28 février au 1er mars ! « 
Dessin de Royer, le Pharmacien de France, 1990. « Je vois des vignettes de toutes les couleurs, une dizaine de taux de T.V.A., mais c’est bizarre, je ne vois plus de marge du tout ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  1. Augustin Maldonado. La collection Maurice Bouvet : la caricature pharmaceutique au XIXe siècle, Faculté des sciences pharmaceutiques et biologiques de Nancy, 2001
  2. http://www.persee.fr/doc/pharm_0995-838x_1921_num_9_29_2694
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