ANGE-DENIS RONCHÈSE (1882-1967)
et les ampho-vaccins*
Ange-Denis Ronchèse est né à Nice le 27 janvier 1882. Son père, entrepreneur de marbrerie, lui fait donner, ainsi qu’à son jeune frère, une solide instruction, d’abord à l’École Saint-François-de-Paule, puis à l’École Sasserno, où il achève ses études secondaires.
Il décide alors d’entreprendre ses études de pharmacie et commence par faire son stage dans sa ville natale, à la Pharmacie Sue, à l’angle de la rue Pastorelli et de l’avenue de la Gare. Puis il s’inscrit à la Faculté de Pharmacie de Paris, où il se révèle un étudiant très brillant : il est nommé interne des Hôpitaux de Paris dès l’âge de vingt ans et recevra à la fin de son internat la médaille d’argent des Hôpitaux de Paris. Il aimait à raconter son passage à l’internat de l’Hôpital Cochin : sous sa gestion — quelque peu fantaisiste ! — le prix des repas doubla en un mois et il fut immédiatement remercié. Mais il resta toujours fidèle au dîner des anciens internés, où il était régulièrement invité, et en 1952 on fêta au « dîner des fossiles » le cinquantenaire de son internat et l’on y offrit au Fossile Ronchèse le buste en plâtre de Pasteur, qu’il emporta à Nice joyeusement sous son bras ! Bernier, Laudat et Ronchèse formaient les « trois mousquetaires » et c’est Bernier qui fit l’éloge de Ronchèse à l’Académie de Pharmacie.
Conjointement à son internat, Ronchèse poursuit ses études non seulement à la Faculté de Pharmacie, mais aussi à la Faculté des Sciences, où en 1905 il acquiert le titre de licencié es sciences.
Deux ans plus tard, il reçoit son diplôme de pharmacien alors qu’il a été choisi par le professeur Grimbert comme assistant de chimie générale à la Faculté de Pharmacie.
Très attiré par la recherche, il avait déjà lors de ses études mis au point une méthode pour le dosage de l’acide urique et lors d’un de ses derniers examens le professeur de chimie analytique de l’époque lui posa comme question le dosage de l’acide urique. Ronchèse décrivit anonymement « son » procédé, qui surprit l’examinateur, lequel avoua ne pas le connaître. L’examen se termina par une conversation.
Plusieurs autres notes se succèdent alors. 1907-1908 : nouveau procédé de dosage de l’ammoniaque, applications à l’urine et aux eaux potables. 1908 : application de la méthode gazomé trique au dosage de l’urée. Toutes ces publications aboutirent à une thèse qu’il soutint en 1908 sous le titre Méthodes de dosage de quelques composés azotés : ammoniaque, urée, acide urique. Présentée à la Société de Pharmacie et analysée dans la séance du 6 janvier 1909, elle valut à son auteur la médaille d’or du prix des thèses physico-chimiques. Dans cette thèse apparaît le principe de la séparation de l’ammoniaque et des amino-acides urinaires.
A la même époque, Ronchèse rédige un Guide pratique d’analyses qui connaîtra six éditions, la sixième portant la signature de Maurice Diesnis et de son fils Philippe.
Durant ces mêmes années, il occupe également à l’Hôpital Cochin le poste de chef de laboratoire de chimie dans le service du Pr Widal, de réputation mondiale, et participe pendant quatre ans aux recherches de son maître Widal. Une brillante carrière universitaire s’ouvre à Ronchèse ; mais il y renonce pour retrouver sa chère ville de Nice, à laquelle il reste extrêmement attaché. Avant ce retour à la ville natale, il publie avec Widal un rapport sur les différentes substances azotées retenues dans le sérum sanguin au cours du mal de Bright (néphrite chronique).
Revenu à Nice, il y fonde un laboratoire d’analyses médicales qui connaît très rapidement le succès, succès durable, puisque depuis 1909 sous sa direction et celle de ses associés, puis de ses successeurs, dont Maurice Diesnis, le haut niveau du laboratoire s’est maintenu. Parmi ses patients, qui apprécient ce savant très modeste, se trouve une charmante jeune fille qui lui reproche gentiment le prix élevé de ses analyses ! Fortunée Scoffier est la fille de Pierre Scoff ier, industriel et juge au tribunal de commerce de Nice, et la petite- fille de Louis Musso qui, possédant une carrière dans la vallée du Paillon, introduisit, dit-on, l’usage des confettis de plâtre dans le carnaval de Nice. Ils se marient en 1913.
En 1914, Ronchèse est mobilisé dans les hôpitaux de Nice, puis de Marseille, puis sur sa demande il est affecté sur le navire-hôpital « Charles- Roux », qui assure les soins chirurgicaux des troupes alliées sur le front des Dardanelles — cette formation fut citée à l’ordre de l’Armée d’Orient. A la fin de la guerre, il est nommé chef de laboratoire de la place de Menton.
A Nice comme aux armées, Ronchèse évolue vers la sérologie. Dès 1913, il avait publié une note sur le séro-diagnostic de la mélitococcie. Entre 1913 et 1918, il étudie la réaction de Bordet-Wassermann pour le sérodiagnostic de la syphilis. Ses nombreuses communications à la Société de Biologie furent condensées dans un ouvrage préfacé par Widal, La Réaction de Bordet-Wassermann pour le séro-diagnostic de la syphilis, qui valut à son auteur l’attribution par l’Académie de Médecine du Prix Barbier. Il établit une modification de cette réaction qui est souvent pratiquée sous le nom de réaction « Height-Ronchèse ». Dès la création de l’École de sérologie de la Faculté de Médecine de Paris, Ronchèse fut chargé de conférences et de travaux pratiques à l’Institut Fournier et aux Certificats d’Études Supérieures de la Faculté de Pharmacie de Paris. Mais il s’intéresse aussi à la bactériologie, avec laquelle il s’était familiarisé tant sur l’hôpital chirurgical flottant « Charles-Roux » que comme chef de laboratoire de bactériologie de l’hôpital de Menton en 1918.
Très au courant des résultats thérapeutiques obtenus par diverses vaccinations, connaissant en particulier ceux que Widal avaient obtenus dans la prévention des infections typhiques, il en vint à se demander si la vaccination par voie buccale ne donnerait pas lieu à des applications thérapeutiques intéressantes. Aussi étudia-t-il simultanément par voie parentérale et par voie buccale les suspensions microbiennes de bacilles tués, puis leurs lysats ; il put ainsi dans diverses publications démontrer que ces lysats, seuls ou associés, provoquaient après ingestion une hyperleucocytose marquée qui expliquait leur action thérapeutique. Ce fut en 1926 l’origine des « Ampho-vaccins Ronchèse », pour la fabrication desquels un laboratoire industriel fut créé, dont il assura la direction pendant plus de quarante ans. Il existe toujours sous le nom d’« Institut Ronchèse ». Le Laboratoire des ampho-vaccins employait 450 personnes. Et c’est ainsi que Ronchèse inspira à sa fille, Mlle Annie Ronchèse, la thèse qu’elle soutint à Paris sous le titre La numération des bactéries et les divers modes de détermination quantitative de la richesse en germes des suspensions microbiennes.
L’activité scientifique de Ronchèse ne l’empêcha pas de fréquenter ses nombreux amis et de s’intéresser aux affaires de la cité : il assura bénévolement la responsabilité de l’Hôpital Pasteur de 1933 à 1942 ; il devint membre du Conseil départemental d’Hygiène des Alpes-Maritimes et fut conseiller municipal de Nice de 1932 à 1940. Membre fondateur du Rotary-Club, dont il fut président en 1937, il eut ainsi le privilège de recevoir, aux côtés de M. Jean Médecin, maire de Nice, le président Albert Lebrun, qui s’était rendu à Nice pour honorer de sa présence la Convention Internationale du Rotary.
Ronchèse était pharmacien lieutenant-colonel de réserve, officier de l’Instruction Publique, membre correspondant de l’Académie Nationale de Pharmacie, membre correspondant national de l’Académie de Médecine, membre correspondant de la Commission permanente de la Pharmacopée. Il fut nommé chevalier de la Légion d’honneur à titre militaire en 1931 et promu au grade d’officier au titre de la Santé Publique en 1943. Il était depuis 1937 membre de la Société d’Histoire de la Pharmacie et avait avec M. Bouvet des relations suivies et très amicales.
Henri Bonnemain
*Article paru dans la Revue d’Histoire de la pharmacie, Decembre 1986, XXXIII, 271 : 305-307